──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟑𝟗
L E J E U D E
— C A R T E S —
Quelques verres ornent la table basse noire posée au milieu des canapés. Les rires ont envahi l'ancienne confrérie d'Eren, faisant presque trembler la surface des boissons.
La tête posée sur ma main, éloignée, je contemple ce spectacle. Mon cœur bat fort, observant l'étalage de mixture dorée, transparente et verte dans les récipients.
Tous sont unis, les garçons ayant expressément refait le plein de vaisselles juste avant que leurs parents ne viennent leur rendre visite. La table basse n'est traversée d'aucune trace circulaire. Mais cela ne saurait tarder.
Conny, dans un rire gras, claque son whisky directement sur la surface, ne faisant pas attention au repose-verre juste à côté.
— En une semaine !? répète-t-il dans un rire gras.
Si nous nous sommes tous réunis en cette soirée, cela n'est pas anodin. Karim Hafeez a officiellement annoncé que le dossier préparé par Eren et moi serait récompensé d'un voyage à New York où nous représenterons notre université.
Le brun sourit en entendant l'exclamation de Conny.
— Quoi ? demande-t-il. Cela te surprend ?
— Le dossier qui a battu tous les autres et te vaudra des vacances toutes frais payés aux Etats-Unis a été fait en une semaine !
Eren, affalé dans son fauteuil, une canette de soda à la main, éclate de rire.
— Le mérite revient à ma fabuleuse petite-amie.
Quelques regards suivent le bras d'Eren. Assise sur le comptoir de la cuisine, à quelques mètres du centre du salon, je frissonne soudain. Une dizaine de paires de yeux se sont braqués sur moi.
Mais mon cœur s'emballant à leur vue s'apaise aussitôt en croisant ceux, brillant de fierté, d'Eren. Un sourire étire ses lèvres.
Les miennes l'imitent.
— (T/P) a fait le plus gros du travail.
— A (T/P) ! hurle aussitôt Jean, brandissant sa vodka. Allez, viens. T'a bien mérité un petit verre.
Mon sourire retombe aussitôt. Celui d'Eren fait de même.
Le brun se redresse brutalement, réalisant ce qui ne va pas.
— Enfin, Jean, est-ce qu'on parle à une dame comme ça ? demande Eren. Je vais lui chercher quelque chose de plus élégant.
Le châtain, déjà passablement éméché, se laisse tomber au fond du canapé sans prêter attention au sermon du brun. Ce dernier se lève, déposant sa canette et passant une main dans ses cheveux bruns.
Mon cœur se serre et mes mains se font moites. Malgré moi, mon regard s'attarde sur le liquide doré dans le verre de Floch.
Scintillant à la manière d'une rivière de diamant, il brille derrière le cristal. Douce danse exquise, elle valse brutalement avant de s'engouffrer entre ses lèvres. La pomme d'Adam tressaute, comme si la vie elle-même venait la choquer d'un baiser délicat lorsque le cognac coule en lui.
Puis, la délivrance.
Ses yeux roulent dans ses orbites. Nettement, je distingue l'instant où la chaleur familière se détache en lui, qu'elle pénètre ses pores. Un soupir franchit ses lèvres et il se laisse tomber.
— Putain... Le nectar divin...
Un sourire béat aux lèvres, il laisse ses bras retomber autour de lui. Au bout de l'un d'entre eux, le verre vide brille.
Une goutte dorée y demeure. Elle m'appelle. Mes lèvres se font sèches. Mon cœur tressaute.
Je veux.
— Tout va bien, ma chérie ?
Chaleur.
Une main s'est posée sur ma hanche. Un torse se presse à l'autre lorsque des lèvres embrassent ma tête à travers mes cheveux. Mes muscles se détendent et un léger sourire étire mes lèvres.
Il me semble qu'un sombre voile vient de rompre, dans ma poitrine. Mon cœur bat plus librement. Ma tête se pose sur son épaule.
Eren. Il est là.
Contre mes lèvres se pose un métal glacé. Je sursaute presque lorsque du liquide sucré chatouille ma bouche. Je lève les yeux, les plongeant dans ceux, émeraudes, d'Eren.
De sa main libre, il me fait boire le contenu du verre. Fermement posé sur ma bouche, il se lève doucement, me laissant boire à mon rythme. Je l'aspire doucement, ravie.
— C'est du jus, chuchote-t-il. Prends ton temps. Mais essaye d'en boire.
Je ferme les yeux pour acquiescer, m'abandonnant entièrement à la sensation du liquide sucré. La main d'Eren se fait ferme, sur ma hanche. Sa douceur m'apaise.
Réfugiée contre son torse, je peux sentir son cœur battre fort contre mon bras.
— Je suis désolé, ma chérie. Je n'aurais pas dû t'emmener ici. J'avais oublié qu'ils ne savent pas s'amuser sans alcool.
Lorsque les garçons ont souhaité féliciter Eren d'avoir remporté ce voyage, il m'a proposée de venir. J'ai accepté, me disant que je ferais mieux de tenter d'apprendre à connaitre son entourage.
Alors, appelant Adélaïde, la patronne du bar dans lequel j'aime à prendre refuge, je lui ai demandé si on pourrait se voir plus tôt pour que je profite de cette soirée.
L'après-midi avec la femme a été agréable. Elle m'a raconté quelques anecdotes de sa lune de miel avec son mari, avant qu'il ne sombre dans l'alcool. Je l'ai laissée faire. Si elle mentionne l'alcoolisme de son époux souvent, elle ne rentre jamais dans les détails de la personne qu'il est.
Puis, Eren est passé nous voir. Lui et Adélaïde ont longuement ri avant qu'il ne m'emmène ici.
— C'était vraiment stupide de me part, ma chérie, chuchote-t-il. Cela ne se reproduira plus jamais. Je te le promets.
Enfin, il repose le verre vide. J'avale le jus avant de lui sourire tendrement.
— Non. Ne t'excuse pas. Ta soirée t'a fait du bien, à toi. Je peux le voir et là est l'unique chose qui compte réellement.
Un sourire plisse mes yeux. Son regard s'illumine.
— J'ai de la chance de t'avoir.
Je ris doucement. Ma tête se pose sur son épaule et je m'enfonce dans une étreinte avec lui. Sa chaleur m'enlise et je ferme les yeux, en profitant.
Là, ses lèvres trouvent ma tête.
— J'ai aucune envie de briser ce moment magique mais j'ai trop envie de faire pipi, lâche-t-il soudain.
J'éclate de rire à sa manière d'annoncer les faits. Et, penchant la tête sur le côté, désigne l'escalier menant à l'étage :
— Vas-y. Je n'ai pas envie que cette soirée vire au drame.
Ses lèvres déposent un baiser rapide sur les miennes et il se met à courir. Mes épaules se secouent en voyant la scène et mon rire empire lorsque la voix de Conny résonne soudain :
— ALORS EREN ? BESOIN DE FAIRE PIPI ?
— Conny ! le rappelle Armin à l'ordre dans un froncement de sourcils.
— PETITE OU GROSSE COMMISSION ?
— EREN, LAISSE DU PAPIER CUL, J'AI OUBLIE D'EN RACHETER, IL NOUS RESTE QUE CA !
— Je maintiens que vous devriez mieux surveiller vos stocks, commente Armin.
Je soupire dans mon rire, hilare. Ma tête se secoue et je regarde le verre de jus vide qu'Eren m'a apporté.
— Immatures, hein ?
Jean s'assoit à côté de moi, coulant un regard sur les garçons affalés sur les canapés.
— Tu l'es autant qu'eux, je fais remarquer.
Il hausse les épaules, ne semblant pas tout à fait conscient de sa situation. Je secoue à nouveau la tête.
— Alors ? demande-t-il. Avec Eren ?
Je ne réponds pas, me contentant d'un sourire. Je ne sais quoi répondre. Cependant la douceur d'Eren apparait à mon esprit. Sa façon de rire pour un rien, de laisser ses doigts courir sur mon visage, de poser sans arrêt une main sur ma hanche avant d'embrasser le sommet de mon crâne...
Il est unique. Et il m'a choisie, moi.
— Woaw... T'as l'air sacrément amoureuse.
Je sursaute presque au commentaire de Jean. Ce dernier me regarde, ébahi.
— Je... je ne t'ai rien dit...
— Inutile. Ce genre de choses se voient.
Un instant, j'hésite à approuver ses dires. Je ne me suis pas réellement poser la question. Mais la colère que j'éprouvais envers le brun à l'origine s'est apaisée.
Il est devenu ma bouée et moi, la sienne. Nous avons appris à regarder au-delà de nos préjugés et il est loin d'être le connard misogyne et joueur que je croyais avoir décelé.
Cependant, au moment où je m'apprête à déclarer que oui, je me suis peut-être laissée aller, j'aperçois l'expression de Jean.
Il n'est ni taquin, ni moqueur...
Il semble attristé. Soucieux. Mon sourire retombe ainsi que mon cœur. Il me semble qu'un coup vient de m'être infligé. Et je devine les paroles du châtain avant même qu'il ne les prononce.
— Ecoute...
Un soupir éclate dans sa voix lorsqu'il me dit cela.
— Je te dis ça parce que t'as été d'un grand soutien pour lui et que t'es vraiment cool, comme nana. Tu mérites d'aimer quelqu'un qui te le rendra.
Mes traits retombent et ma gorge se serre.
— Tu ne sais pas ce qu'Eren ressent, je tente de me défendre.
Il secoue la tête.
— Ce n'est pas ce qu'il ressent mais comment il fonctionne. Ecoute, (T/P)... Je sais que tu le haïssais, à l'origine, que tu le prenais pour un gars qui joue avec les femmes sans remords pour elles...
— Ce n'était qu'une réputation, c'était...
Mais ma voix meurt d'elle-même en voyant l'expression soucieuse de Jean.
Il soupire.
— Ecoute... Je déteste devoir faire ça. Surtout que c'est mon pote mais... Tu mérites tellement mieux.
— Je... Je comprends pas... Il est bien, avec moi...
Des larmes embuent mes yeux.
Que Grisha me dise qu'Eren ne tient pas réellement à moi est une chose. Seulement Jean, lui, est son ami. Il ne s'amusera pas à se mêler de sa relation par pure méchanceté.
— Ecoute, Eren n'est pas quelqu'un de mauvais, il soupire. Mais tu n'es pas la première, crois-moi. Tu crois qu'aucune femme n'est jamais arrivée dans sa vie, mettant un sourire sur son visage ? Tu crois qu'il ne s'est jamais mis à prendre sa vie au sérieux ? Tu crois que nous ne l'avons jamais vu arrêter les drogues, quitter la confrérie pour vivre avec une nana en jurant qu'il passerait sa vie avec elle ?
Mes doigts tremblent autour du verre.
— Il a la réputation de coucher avec tout le monde puis de laisser les gens derrière lui. Il n'est pas méchant, il n'a pas la sensation de les utiliser. Mais c'est ce qu'il fait.
Mon cœur se serre et des larmes embuent mes yeux. Je secoue la tête doucement.
— Je... Je vais tâcher de lui en parler...
— Non.
La voix du châtain est ferme. Son regard est compatissant. Il penche la tête sur le côté.
— Il est fragile. Si tu remets en question sa sincérité, cela peut rompre sa sobriété. Il est conscient que tout le monde le considère comme un homme à femme, incapable de stabilité et les jetant toutes. Certains disent même que la seule femme avec laquelle il n'a pas couché est Ymir parce qu'elle est de sa famille.
Je frissonne.
— Je ne veux pas te faire du mal, chuchote-t-il. Je t'assure qu'Eren n'est pas machiavélique. Il est sincère lorsqu'il croit t'aimer. Mais tôt ou tard, il se détournera de toi.
Il soupire.
— Je veux juste que tu sois préparée à ce mom...
— Combien ?
Les sourcils de Jean se froncent. Tremblante, je dévisage l'homme.
— Combien de femmes sont devenues les amours de sa vie avant qu'il ne les jette ? Dis-moi, à quel point je ne suis pas unique ?
— (T/P)...
— COMBIEN, JEAN !
Les conversations se taisent brutalement en m'entendant hurler. Des larmes roulent sur mes joues. Je frissonne.
Mon cœur bat à toute vitesse.
— Je...
Mais il capitule. Ses épaules retombent et il soupire.
— Trois. Il y a eu trois femmes comme ça avant toi.
J'acquiesce.
Retenant les larmes sur mes joues, je tourne les talons. D'un pas ferme, je dépasse le groupe de garçons. Arrivant à la porte, je m'arrête sur le seuil.
Mes mains tremblent et mon cœur se fait gros. Remontant dans ma gorge, il laisse échapper un son étranglé quand je reviens soudain sur mes pas.
Sous leurs yeux, je marche. Le pas lourd du condamné, je laisse mon pied percuter le sol en une cacophonie brutale sur le sol.
Atteignant la table basse, je saisis une bouteille. A côté, comme pour la payer, je dépose la médaille de ma sobriété.
— Désolée, je murmure plus à moi-même qu'autre chose.
Puis, je m'en vais.
La lune est glacée, ce soir. Mais, ronde dans le ciel, elle berce le fleuve tranquille. Le canal s'étendant devant moi se secoue à peine au gré du vent. Je frissonne.
Dans ma main, la bouteille vide git. Sur ma joue, une larme froide coule.
— Désolée, je répète.
Les doigts de ma main s'écartent, laissant tomber la surface de cristal dans les eaux. Un son éclate lorsqu'elle pénètre le fleuve.
Je saisis ma tête entre mes mains, l'observant remonter à la surface. Doucement, elle s'éloigne.
Mon cœur se serre.
Comme une folle, j'ai jeté à la mer une bouteille vide. Et j'espère qu'on pourra lire à travers.
on attaque un arc particulier...
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