──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟑𝟖
L E J E U D E
— C A R T E S —
La moustache du professeur Grisha Jäger est des plus ridicule, tremblotant au rythme de ses paroles.
Il n’a d’ailleurs pas cessé de parler depuis que je suis arrivée dans ce café. Perché au-dessus de sa tasse de café hors-de-prix, il discourt depuis plusieurs dizaines de minutes, insensible à l’ennui mortel ornant mes traits. Trop absorbé par ses propres mots.
Je ne sais pas trop pour quelle raison j’ai accepté de venir à ce rendez-vous. Peut-être par curiosité.
— Regardez-moi, qui monopolise l’attention ! s’exclame-t-il dans un sourire.
Il semble à l’aise, dans cet endroit. Il faut dire que les moulures au plafond rappellent le luxe de ses lunettes hors-de-prix dotée d’une monture dorée. Tout comme les statues diverses et tableaux onéreux ornant les murs de ce café chic ne jurent pas une seule seconde avec son costard brun si cher.
En revanche, dans mon sweatshirt, je fais tache.
— Vous semblez bien heureux de me voir, je lâche d’une voix bougonne.
Je n’oublie pas le regard qu’il a posé sur moi, la première fois que l’on s’est vus. Si Eren n’était pas intervenu, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi.
Je garde aussi dans mes souvenirs les photographies de nous prises, devant le centre de désintoxication.
— Evidemment que je suis ravi, vous avez accepté de venir.
— Et le simple fait que je me présente vous comble de joie ? je demande, interloquée.
— Bien sûr.
Avalant une gorgée de son café, il repose la tasse sur sa coupelle avant de se pencher en avant. Un sourire malicieux étire ses lèvres quand il ajoute :
— Si vous êtes venu, c’est que vous acceptez ma proposition.
— Une proposition ? je répète.
— Allons !
S’enfonçant dans la banquette en cuir brun, il affiche un large sourire. Le plus grand que je ne lui ai jamais vu. Le plus sincère, aussi.
Quelques images me reviennent. Un grondement nait dans ma gorge que je m’efforce de retenir. Cependant le souvenir d’Eren, en boule sous ses draps, se demandant pourquoi son père ne daignait pas venir lors d’un jour important pour lui me marque.
— Vous savez exactement pour quelle raison un homme riche vous demanderait de venir sans avertir votre copain pour discuter, rit-t-il en penchant la tête sur le côté. Grande gueule que vous êtes, vous n’avez jamais été qu’une fille comme les autres.
Mes yeux tremblent à ces mots. Je papillonne, tentant d’efforcer les larmes naissant dedans à se dissiper.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez…
— A d’autres ! Je vous prie, ne me faites pas l’insulte de me prendre autant pour un con, ma chère ! Pas quand je commence tout juste à vous apprécier.
Ma mâchoire se contracte. Il sourit.
— Ne le prenez pas ainsi, enfin ! J’apprécie un esprit intelligent lorsque j’en vois un. Je vous dis que vous êtes comme les autres car, contre toute attente, mon fils sait choisir les femmes les plus dégourdies…
Je frissonne. Ce n’est pas la première fois qu’il fait cela.
— Si vous êtes venue à ce rendez-vous, c’est parce que vous saviez que j’allais vous proposez de l’argent pour que vous sortiez de la vie de mon fils. Et si vous êtes là, ce n’est pas par curiosité… C’est parce que vous comptez accepter.
— Je…
— Je vous en prie, cessez de prétendre le contraire ! Admettez-le enfin, que l’on puisse discuter en personnes civilisées !
J’ouvre la bouche, hésitant. Un instant, je songe à m’enfoncer de mon mensonge. Cependant, bientôt, je capitule. Je n’ai pas d’autres choix que de me montrer honnête.
Pour une fois.
— Oui. Je savais que vous comptiez me payer pour que je quitte Eren, je chuchote.
— Pardon ? Je n’ai pas bien entendu ?
Posant sa main en cornet derrière son oreille, il se penche en avant. Je le fusille du regard, furieuse.
— J’ai dit que je savais que vous comptiez me payer pour quitter Eren.
— Et bah voilà ! s’exclame-t-il. C’est exactement ce que je voulais entendre !
Glissant une main dans la poche intérieure de sa veste, il en sort une enveloppe épaisse et blanche. L’agitant dans les airs, il sourit.
— Donc, comme je disais, vous êtes une femme intelligente ! Comme les autres. Intelligente. Il les aime comme cela. Une raison de plus d’ailleurs, pour le quitter : vous n’êtes qu’une pâle copie de ses anciennes conquêtes.
Je déglutis péniblement, mes mains serrant mon pantalon sous la table.
— Assez douée pour devenir une femme affirmée… Mais pas une épouse. Une bonne épouse n’est pas une femme complète.
Mes dents se serrent.
— Une bonne épouse sait qu’elle ne devient que l’appuie de son mari, son soutien. Inutile pour une femme en mariage d’être intelligente ou dotée de quelques ambitions, lâche-t-il avant d’ajouter avec malice. Inutile qu’elle soit comme vous.
Les yeux bruns de Grisha brillent, derrière sa monture. Mes doigts serrent plus fermement encore mon pantalon, faisant même craquer des fibres du tissu.
— Non, vous n’auriez jamais convenu à Eren.
Là-dessus, il jette l’enveloppe. Celle-ci glisse sur la table, atterrissant devant moi. Je ne la touche pas, tétanisée.
Je n’arrive pas à croire que cet entretien se soit déroulé ainsi.
— Allons, ma chère. Ne jouez pas l’élégance en refusant de vérifier la somme sous mes yeux. Si vous l’avez acceptée, c’est bien que vous n’avez aucune classe.
Ma gorge se serre et mes yeux s’emplissent de larmes. Je déteste cette conversation. Là, assise dans des vêtements peu chers, au milieu d’une clientèle riche, sans tasse de café devant moi car je ne peux même pas me la payer — le café kopi luwak coûte, ici, 100 € la tasse —, je n’ai pas ma place.
Personne ne prête attention à moi mais j’ai l’impression que tous mes voient, trahissant mes sentiments pour accepter cet argent.
— Allez-y, regardez la somme.
N’y tenant plus, je m’exécute. Effectivement, je suis curieuse de connaitre son montant. Par ailleurs, je sais qu’il ne me laissera pas tranquille tant que je ne l’aurais pas vérifiée.
Mais je n’ai pas le temps de l’ouvrir qu’il parle à nouveau :
— Vous faites bien de le quitter. Vous êtes trop bien pour lui.
Je me fige. Ma langue double de volume, parsemée de piques de chair me griffant le palais.
Il me dégoûte.
— Du calme. Ce ne sont pas des avances.
Je frissonne. Mes yeux se posent sur lui. Il ne me regarde même pas, répondant à quelques messages sur son portable.
— Eren est un drogué. Il croit que je ne le sais pas mais il est, a toujours été et sera toujours un drogué. Avant, il était addict à l’attention des adultes, puis à ses jeux vidéos puis au sexe et à la cocaïne.
Mes doigts tremblent.
— Vous saviez…
— Evidemment, que je le sais. Je ne suis pas aveugle ! lâche-t-il, comme insulté par ma surprise.
Mais ce qui me surprend n’est pas le fait qu’il sache. Plutôt celui qu’il soit au courant et n’ait quand même pas agis pour changer cela.
Tient-t-il, un tant soit peu, à son enfant ?
— Il est une cause perdue. A chaque fois qu’il se défait d’une addiction, il plonge dans une autre. Et, entre temps il a besoin d’un rebond. Une illusion qu’il va réussir à mener une vie saine.
Il me pointe de son index.
— Tu es cette illusion.
Mon estomac se noue.
— Je parie qu’il se réveille tôt chaque jour, que son temps d’écran a diminué car il est toujours cloîtré avec toi, que vous n’avez pas eu de rapports sexuels, qu’il a repris le sport et peut-être même qu’il s’investit à nouveau dans ses études ?
Je ne réponds pas.
Car Grisha dit vrai. Depuis peu, Eren s’est repris en main sérieusement.
— Je l’ai dit, je connais mon fils. Tu n’es qu’un rebond avant qu’il ne trouve mieux comme addiction ou retourne aux anciennes. Non, tu fais bien de le quitter…
Il boit une autre gorgée avant d’émettre un bruit de bouche absolument écœurant auquel je ne prête pas attention, trop bouleversée par ces révélations.
— Un jour, sa main glissée dans la vôtre, il aurait croisé une jolie femme. Et, tandis que tu aurais marché à ses côtés, il se serait retourné sur elle en se disant que la monogamie commençait à devenir lassante, qu’il en a assez de cette vie saine et que ces vieux démons étaient peut-être des démons…
Il sourit. Dévoilant des dents jaunies.
— Mais que s’ils étaient aussi vieux, c’est justement parce qu’ils l’avaient toujours accompagné.
Ma gorge se serre. Je lutte contre les larmes montant.
Il se lève.
— Non, assurément, soupire-t-il, tu viens de vous rendre service à tous les deux.
Là, il tourne les talons. Je regarde sa silhouette s’éloigner dans la salle, rapetissant. Une larme coule sur ma joue, que je ne peux retenir, quand il franchit la porte.
Je continue de la fixer, même des secondes après qu’il s’en soit allé. Encore troublée par ces dernières.
Soudain, la porte s’ouvre à nouveau. Là, de longs cheveux noués en un chinon en jaillissent, juste au-dessus de yeux émeraudes qui parcourent la salle.
Dès qu’Eren me voit, il esquisse un grand sourire. Aussitôt, les larmes sur mes joues sèchent et mon cœur s’échauffe.
Non. Grisha ment. Eren n’est pas comme ça.
Je le connais.
— Alors ? lance mon petit-ami en s’asseyant à la place qu’occupait son père. Combien ?
Il fronce le nez en regardant la tasse vide de son paternel. Aussitôt, une femme debout à côté de nous s’approche d’un pas.
— Bonjour, monsieur Jäger. Prendrez-vous la même chose que votre père ?
Ainsi, la famille est connue dans ce café de luxe. Cela ne m’étonne guère.
— Vous vous foutez de moi ? lâche-t-il. Vous savez que ce café est cher car fermenté avec de la merde ? Non, donnez-moi la carte des boissons et une pour madame aussi, s’il-vous-plaît.
La cinquantenaire rit doucement, visiblement amusée par le franc-parler d’Eren. S’éloignant, elle nous laisse seuls.
— Alors ? T’as regardé la somme ? demande-t-il.
— Je suis très mal à l’aise à l’idée d’empocher l’argent que ton père m’a donné pour te quitter, Eren.
Il hausse les épaules.
— C’est moi qui t’ai demandé de le faire. Si ce mec est assez con pour croire que parce que tu empoches l’argent, tu vas lui obéir, c’est lui que ça regarde.
J’esquisse un sourire. Je n’arrive toujours pas à croire qu’il m’a convaincue de venir ici.
— Ce soir, un ciné, ça te dit ? demande-t-il en souriant.
Son sourire est bien plus agréable à regarder.
J’acquiesce, émerveillée par la façon qu’ont ses yeux émeraudes de briller en se posant sur moi. Là, tandis qu’il me regarde, les paroles de Grisha ne font plus sens. N’ont aucune importance.
Enfin, pour l’instant.
j'espère que ça vous
a plu !
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