L E J E U D E
— C A R T E S —
UN GROGNEMENT me prend et je souris, inspirant l’odeur d’Eren. La chaleur des draps a eu raison de mon sommeil et je me suis laissée emporter par les bras de Morphée.
Roulant sur moi-même, j’essaye de me blottir dans les bras de mon… Je ne sais ce que nous sommes, au juste. Cependant mes questions sont de courte durée et je fronce brutalement les sourcils.
A mon exception, le lit est vide.
Fronçant les sourcils, je me redresse. Encore un peu dans le brouillard, je peine à m’habituer à la vision de la chambre. Le film flou devant mes yeux s’apaise et je balaye la pièce du regard.
— Eren ? je marmonne en essuyant les résidus au coin de mes yeux.
Il ne répond pas. Mais je le trouve.
Ma curiosité est piquée quand je réalise que l’intégralité du bazar dans la chambre d’Eren a changé de place. Il y a toujours un bazar, mais différemment agencé.
Assis à une chaise que je ne voyais plus, sous une pile de vêtements, il observe une table débarrassée de ce qui contenait des cadavres de bouteilles, à présent éparpillés aux quatre coins de la chambre.
Et il observe un point, sur cette table. Silencieux.
— Eren ? j’insiste, m’inquiétant de son mutisme.
Sa bouche s’ouvre. Il ne me regarde pas. Ses yeux demeurent sur ce point, juste devant lui.
— Je voulais te faire une surprise. Te montrer que tu avais raison d’être fière de moi. Je ne savais pas si j’arriverais à tout faire dans ton sommeil mais j’ai essayé de ranger ma chambre.
Regardant autour de moi, je réalise que le bazar différemment agencé est, en effet, composé de piles, à présent. Différents tas de vêtements, des bibelots, des déchets…
Un sourire étire mes lèvres.
— Eren, c’est form…
— Je ne sais pas quoi faire.
Sa voix sort à toute vitesse, comme un cri de détresse. Elle s’étrangle sur le dernier mot et je peux presque distinguer la larme roulant sur sa joue.
Mon cœur se serre et je me redresse.
— J’ai trouvé ça, en secouant un sweat…
Je me lève des draps, frissonnant. Et mon regard rejoint enfin ce qu’il fixe depuis tout à l’heure. Là, ma gorge s’étrangle et mon cœur se fige.
Un sachet de poudre blanche lui fait face.
Je ne sais pas comment réagir. La gorge serrée, je regarde l’objet durant de longs instants, pétrifiée. Je n’ai aucune idée de quoi faire, exactement.
Bientôt, je réalise. Je dois absolument l’arracher à la contemplation de l’objet. Il n’y arrivera pas seul.
Avançant, je m’assois sur ses genoux. Il se laisse faire, mon flanc se plaquant à son ventre mais ses yeux demeurent rivés sur l’objet. Alors, glissant ma main sur sa joue, je le force à me regarder. Il se laisse faire et je remarque ses yeux emplis de larmes.
Sa sclère, rougit, vacille sous le miroitement du liquide.
— Je… Dis-moi comment faire, chuchote-t-il.
— Il n’y a pas de recettes miracles. Tout ce que je peux te dire est que tu te débrouilles merveilleusement bien et que je suis fière du travail que je te vois accomplir chaque jour.
Ses yeux se ferment. Une larme coule. J’en profite pour saisir le sachet que je glisse dans ma poche afin de le jeter plus tard.
Mes lèvres se déposent sous son œil, là où la perle d’eau s’est échappée. Ma bouche s’humidifie quand je l’embrasse et il ouvre les yeux.
Je me perds un instant dans cet océan émeraude.
— Tu promets de rester, hein ? chuchote-t-il.
J’acquiesce frénétiquement.
Son regard se perd dans le mien. Je me laisse happer par les vapeurs de ses yeux avant de sourire doucement. Mon cœur bat avec force.
Maintenant, je dois le forcer à penser à autre chose. Il ne doit plus penser à ce sachet de cocaïne, c’est capital.
— Alors ? je chuchote. Tu voulais me faire une surprise ?
Il regarde autour de lui en poussant un soupir las. Ses bras s’enroulent autour de mon torse et il pose son front sur la naissance de ma poitrine.
— Je vais jamais m’en sortir. Je pense que brûler la chambre serait plus facile.
Je ris doucement, caressant affectueusement ses cheveux.
— Il reste tellement à faire, soupire-t-il.
— Ce n’est pas le plus important. Ne pense pas à ce qu’il reste à faire. Dis-moi ce que tu as fait.
Là, il se redresse. L’une de ses mains demeure plaquée dans le bas de mon dos tandis qu’il montre la chambre s’étendant autour de nous.
— A droite, j’ai mis tous les déchets. Il faut encore que je fasse un tri entre ce qui se recycle, ce qui se composte et ce qui se jette tout court. Au milieu, c’est les vêtements. Il y a la pile à moi que je dois laver, celle que je dois rendre aux autres et que je dois laver aussi et celle pour les bonnes œuvres que je vais donner directement.
Je tique sur la dernière partie de sa phrase. Mes sourcils se froncent.
— Comment ça, donner directement ?
L’homme me regarde, interloqué.
— Bah, pour la charité… Je vais faire des sacs et…
— Eren, pourquoi tu ne veux pas laver les vêtements à donner à la charité ? je demande, prise au dépourvu.
Il hausse les épaules.
— Je sais pas, j’ai toujours fait comme ça. Mes parents les lavaient pas. Je suppose que les assos les lavent, de toute façon.
— S’ils n’ont pas l’argent pour payer des vêtements, ils n’ont pas celui d’acheter des quantités de lessive et adoucissant vu le prix que coûtent les paquets.
Les sourcils d’Eren se froncent.
— Ça coûte cher, les paquets de lessive ?
Je penche la tête sur le côté, dubitative.
Il n’a pas conscience des réalités. Le fait qu’un paquet de lessive et une bouteille d’adoucissant coûte, combinés, 30 € fait que j’ai souvent préféré nettoyer mes vêtements à la main avec du savon de Marseille.
Je me doute qu’étant donné les prix de ses vêtements et de la location de la chambre qu’il occupe, il ne se doute pas que la beaucoup de personnes ne peuvent pas s’offrir ce luxe.
— Merde, lâche-t-il en voyant mon expression. J’ai jamais lavé mes vêtements avant de les donner. Mon père n’a jamais songé à le faire.
On ne peut pas forcément avoir les moyens de tout laver. Moi-même, quand un vêtement est simplement resté dans un placard pendant des années mais avait été lavé, avant que je l’abandonne, je le donne tel quel. Mais les vêtements de la pile d’Eren ont assurément été porté.
Et pas qu’un peu.
Mon cœur se serre en voyant l’expression traversant les yeux d’Eren.
— Oh non…, chuchote-t-il. Je croyais faire une bonne action, je suis vraiment en-dessous de t…
Je le coupe, saisissant son visage en coupe.
— C’est juste une erreur, Eren. Ce n’est pas grave. Maintenant, tu ne le referas pas.
— J’aurais dû le sav…
— Le principe de ne pas savoir quelque chose, Eren, est qu’on l’ignore. Donc, si maintenant tu l’as appris, il était logique que tu agisses autrement avant.
Il hausse les épaules. Mes lèvres se pincent.
Eren n’a pas une haute opinion de lui-même. Je m’en suis rendue compte au fil du temps. Exténuée par les propos que j’entendais sur les femmes qui partageaient son lit, je l’ai traité de misogyne à plusieurs reprises.
J’ai réalisé, en le faisant, que quand il était insulté, il avait tendance à ne pas nier. Seulement insulter en retour.
Comme s’il absorbait la moindre critique et la pensait justifiée.
— Tu sais quoi ? On va faire ces lessives ! je m’exclame. Comme ça, ce sera fait. Ensuite, on ira manger un bout chez Adélaïde et on s’occupera du reste un autre jour.
— Ma mère dit qu’on ne se repose que quand le travail est terminé, lance-t-il d’un air miné.
— Ta mère dit aussi qu’il est normal de donner des vêtements sales aux bonnes œuvres.
Il sourit doucement. Je me lève et il me regarde faire. Les mains sur les hanches, j’observe les piles larges arrivant à ma cuisse.
— Je pense qu’il va nous falloir plusieurs voyages… Tu as des bacs à linge ? je demande.
Me tournant vers lui, je le surprends à regarder la table. Il semble déconcerté en voyant que le sachet n’est plus là mais ne dis rien.
Un sourire épuisé étire ses lèvres lorsqu’il déclare :
— On les range dans la buanderie.
— Vous devriez en avoir chacun un dans vos chambres, ça vous éviterait de descendre à chaque fois.
— On s’en sert pas beaucoup…, admet-t-il.
Je retiens une vanne sur leur hygiène. Je ne veux pas vexer Eren qui souffre réellement en insultant ses amis qui sont juste… retardés en matière de nettoyage.
Il m’observe quelques instants.
— Tu penses qu’à notre âge, on devrait faire une machine de temps en temps ?
— On apprend tous à un âge différent ! Et on a tous des choses différentes qui font qu’on a pas forcément le réflexe de faire quelque chose là où d’autres le font…
— Mais ?
Mes épaules s’affaissent.
— Mais vous êtes quinze, dans cette baraque et personne ne se sert de la buanderie ! L’aspirateur était encore dans son carton de livraison, la dernière fois que je suis venue et je sais ce que vous avez fait à Aïsha !
Eren éclate de rire.
— Je suis sûre que c’était ton idée, un truc pareil.
— Je suis innocent !
Peu de temps avant la journée avec leurs parents, les garçons du pavillon ont réalisé qu’ils avaient intérêt à mettre les bouchées doubles pour boucler le ménage à temps.
Face à la quantité anormale de vaisselles — puisque cela faisait six mois qu’ils rachetaient la vaisselle au lieu de la laver — ils ont été pris d’un éclair de génie.
Aïsha est connue, sur les réseaux sociaux, pour ses vidéos plutôt bienveillantes et chaleureuses où elle donne des conseils. Son contenu s’adresse aux personnes n’ayant pas forcément reçu d’éducation sur l’hygiène.
Les garçons, voyant ses vidéos intitulées « comment faire une machine à laver », « comment nettoyer une cafetière », « comment se remettre à s’intéresser à son hygiène en périodes compliquées », ont été pris d’un éclair de génie.
Regarder ses vidéos pour se motiver ? Non. Bien trop facile.
Un beau soir, elle est rentrée d’une journée de cour et a trouvé sa porte, ouverte par effraction. Sur son comptoir avait été laissé une liasse de billets ainsi qu’une pile de vaisselles sales.
« On double la mise sur tu la nettoies avant demain. On t’aime de tout notre cœur Aïsha d’amour <3 »
Elle a pris l’argent. Et leur a rendu la vaisselle dans un carton.
Sale.
— A quoi vous vous attendiez avec Aïsha ? je demande dans un rire.
— C’était une idée de Jean et Connie.
Je ris.
Au final, ils ont organisé un évènement plus débile encore. Ils donnaient gratuitement la vaisselle — qui venait parfois de grandes marques de luxe. Mais les gens devaient la laver eux-mêmes.
Je ne sais ce qui est le pire : l’idée où le fait qu’elle ait fonctionné.
Non, maintenant que j’y pense, je sais quel est le pire…
— Je n’arrive pas à croire que vous ayez donné toute votre vaisselle.
— A ma décharge, j’étais en cure de désintoxication quand ils ont organisé ça et j’étais avec toi quand ils sont allés acheter des verres, assiettes et couverts en quatrième vitesse parce qu’ils avaient trop donné ! lâche-t-il en levant les mains.
J’éclate de rire.
— Bon allé ! On s’y met !
— Mais ? La réunion en bas ? demande-t-il.
Je souris.
— Qu’ils nous empêchent de faire ce qu’on veut et je leur demanderai de nous aider à lancer les machines… Histoire qu’ils montrent à leurs parents qu’ils ne savent pas comment on fait.
— Tu es cruelle.
J’éclate de rire.
— Ce qui est cruel c’est d’engager une équipe de nettoyage la veille pour le lendemain et ensuite prendre le crédit du travail qui a été fait !
Il se lève, convaincu.
— Je vais chercher les paniers.
Je souris et le regarde traverser la chambre. Il enjambe quelques piles et gagne le couloir. J’attends quelques secondes d’être sûre qu’il ait pris les escaliers avant de fondre en direction des toilettes.
Là, je jette le sachet de cocaïne dans la cuvette avant de tirer la chasse.
ils sont chous quand même
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