L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —

           JE N’ETAIS PAS vraiment enjouée au moment de m’habiller et cela se ressent. Je n’ai aucunement tenté de me mettre sur mon trente-et-un, seulement vêtue d’un jogging et d’un sweatshirt.

           Pourtant, ce soir est une occasion spéciale. Eren et une amie de son centre de désintoxication ont organisé une soirée afin de célébrer leur sobriété. Tant et si bien que je n’ai pas pu faire à Eren la surprise que je lui réservais depuis un mois à une salle d’arcade.

           Le cœur lourd, mâchonnant un chewing-gum, je sors de la station de métro. Ma mâchoire se contracte et je lorgne l’enseigne de cette même salle d’arcade d’un regard noir.

           Alors que je m’apprêtais à aller au bar, un employé m’a appelé pour me faire signer une décharge de dernière minute. Selon lui, je dois absolument signer ce document si je tiens à me faire rembourser la soirée que j’ai annulée.

           Je laisse un soupir franchir mes lèvres.

           Devoir annuler tout ce que j’avais mis tant de temps à préparer a déjà été douloureux. Alors me rendre dans ce lieu le jour de cette fête avortée pour constater que rien de ce que j’avais prévu ne s’y passera ne m’enchante guère.

           Je voulais réellement faire plaisir à Eren. Seulement pour cette occasion spéciale, ce n’était pas de moi qu’il avait besoin. Mais de ses amis.

           Poussant la porte vitrée de la salle d’arcade, je tombe nez à nez avec l’accueil décoré à l’effigie de Star Wars, vide. Le comptoir large et blanc aux détails rappelant l’armure des stormtrooper pourvu d’un ordinateur ne montre personne. La salle est entièrement vide et je n’entends aucun bruit.

           Les clients devraient pourtant être arrivés…

— Il y a quelqu’un ? je lance, légèrement inquiète.

           La porte était ouverte mais nul ne semble présent. Un frisson parcourt mon échine et je regarde autour de moi, soudainement bien mal à l’aise.

— Excusez-moi ?

           Je tente de ne rien laisser voir de mes craintes, marchant jusqu’à la salle principale. Je vois quelques lumières provenir de cette dernière. Elles n’ont rien à voir avec l’éclatante normalement allumée. Elles semblent plus tamisées.

           Entrant, je découvre alors un spectacle déconcertant.

           Sur le sol, parmi les différents jeux d’arcades, une nappe blanche est tendue. Un gâteau est posé en son centre, entouré de divers fruits, légumes, plats préparés, amuse-gueules.

           L’illuminant, des guirlandes de lumières sont accrochées un peu partout et des bougies sont disséminées çà et là. Une odeur de rose embaume les lieux.

           Je lève la tête, rencontrant le regard émeraude d’Eren, planté derrière ce pique-nique improvisé.

— Salut…, lance-t-il.

           Mon cœur bat à toute vitesse.

           Un sourire timide étire ses traits tandis qu’il se dandine d’une jambe à l’autre, sautillant sur place, les mains fourrées dans les poches. Ses cheveux ramenés en un chignon me laissent voir les rougeurs teintant son visage.

— Surprise…, ajoute-t-il en chantonnant devant mon mutisme.

           Un rire franchit mes lèvres. Soudain, je me sens plus légère. Alors, fondant sur lui, je ne réfléchis pas avant de sauter.

           Ses mains se posent sous mes fesses lorsque j’entoure sa taille de mes jambes. Ma tête s’enfouit dans le creux de son épaule et il tournoie sur lui-même, se pressant contre moi. Je ris bruyamment, euphorique.

           Jamais je ne me suis sentie si légère. Depuis hier, mes épaules me semblaient trop lourdes et je peinais à marcher. Je luttais chaque instant contre l’envie de m’assoir.

           Aujourd’hui, tout semble suspendu. La gravité n’a plus de sens.

           Bientôt, il me repose au sol. Légèrement étourdie, je chancèle mais il me rattrape. Ses larges mains saisissent mes bras et me maintiennent droite. Je ne cesse sourire, euphorique.

— Je… Je m’attendais à tout sauf à ça.

           Il me regarde avec une telle douceur que ma gorge s’assèche brutalement. Son regard semble me toucher avec délicatesse, couvant chaque trait de mon visage comme s’il s’agissait là d’un trésor aussi inestimable que fragile.

           Soudain, il revient à lui. Ses yeux émeraudes s’agitent tandis qu’il hausse les épaules.

— Je ne pouvais pas laisser ce superbe rendez-vous tomber à l’eau ! Je sais que tu t’es décarcassée pour organiser cela, je veux dire… Même le gâteau.

           Je baisse les yeux sur ce dernier. Circulaire, il s’élève sur un étage. Le glaçage vert pâle est entouré d’un drapé blanc semblable à du tissu tombant sur les bords et ponctué de fleurs. Dessus, en italique, une jolie écriture s’articule, beige :

« Félicitations à Eren et (T/P) ! »

           Je hausse les sourcils en voyant ce changement.

— A moi ? je répète.

— Tu croyais réellement que j’allais oublier que tu étais sobre ?

           Je hausse un sourcil. Non. Bien sûr que non. Mais étant donné que cela ne correspondait à aucun anniversaire de ma sobriété, je n’imaginais pas qu’il insisterait dessus.

           Je dois avouer que cette attention me touche.

— Je suis fier de nous, (T/P).

           Mon cœur bat si vite que cela en devient presque douloureux. Mes mains liées se posent dessus tandis que mes yeux s’humidifient.

— Moi aussi, je suis tellement fière de nous…

           Son sourire s’agrandit et ses yeux s’illuminent.

— Une telle soirée méritait qu’on la célèbre dignement ! lance-t-il en faisant un grand geste pour désigner la salle l’entourant. Tu veux commencer par quoi ? J’ai tellement d’idées… Et ce jeu, là, ça fait tellement longtemps que je voulais le faire !

           Il se tourne vers moi, les yeux illuminés. Un instant, il ne me semble plus voir l’étudiant que je connais mais l’enfant en lui qui rêvait de tout cela.

— Et en plus on a toute la nuit pour en profiter ! hurle-t-il.

— Toute la…, je murmure. Attends, tu comptes réellement rester toute la nuit ? Tu ne vas pas rejoindre tes amis au bar ?

           Il me regarde quelques instants, les yeux ronds comme des soucoupes, avant de bouger la tête de droite à gauche. Mes épaules s’affaissent aussitôt.

— Cela semblait pourtant si important pour toi…, je chuchote. S’il-te-plaît, ne te force pas à rester et éviter cette réunion pour me faire plaisir.

— Tu rigoles !?

           Son sourire éclatant se promène sur les jeux s’étalant autour de nous.

— Ce sera la meilleure nuit de ma vie ! lâche-t-il. Être ici, c’est le paradis !

           Je ne peux m’empêcher de me sentir embarrassée. Je veux bien croire que le lieu lui fasse plaisir, lui qui en a longuement rêvé.

           Seulement hier, il a insisté sur le fait qu’il tenait à honorer son engagement vis-à-vis de cette Ashley et du restant de ses amis.

— Tu sais, on peut inviter tes amis du bar à nous rejoindre ici, si tu veux…

           Ses sourcils se froncent soudain. Ses yeux émeraudes se posent sur moi. Soudain, leur teinte me semble légèrement plus foncée, comme dissimulé sous un voile.

— Tu es gênée à l’idée de passer une soirée seule avec moi ?

           Sa question me prend de court. La gêne est sans doute le dernier sentiment qui me prendrait en demeurant à ses côtés.

           Je crois au contraire que rien ne me détend davantage que de passer du temps en sa compagnie. Cela est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’avais parlé à personne de cette minuscule fête ici.

— Quoi ? Mais pourquoi tu dis ça ?

— Je sais pas… Tu m’as pas parlé du fait que tu organisais ça et maintenant tu veux absolument me faire aller au bar ou faire venir le bar ici.

           Il fait un pas dans ma direction. Je frissonne en voyant son air soudain sérieux.

           Tout cela est si inhabituel, chez lui.

— Ecoute, je… Je veux juste être sûre que tu vas passer un bon moment avec moi.

           Il refait un pas, silencieux. Son mutisme m’angoisse. Alors je continue de parler.

— T’avais l’air vraiment heureux d’être avec cette Ashley et tes amis, je voulais pas imposer ce que j’avais préparé.

           Il ne dit rien. Mais il fait un pas de plus.

— Je veux dire… Je voulais vraiment qu’on se voit tous seuls. J’ai passé le mois dernier à préparer ça et… Enfin, je veux que ça soit spéciale pour toi, je…

           Un autre pas. Pas un seul mot.

— Mais bon sang, tu vas me répondre, oui !?

           Il s’approche encore.

— Tu me stresse, à me fixer !

           Il est juste en face de moi.

— Sérieusement, rép…

           Attrapant mon visage de ses larges mains, Eren se penche doucement. Et, dans un geste d’une tendresse infinie, pose ses lèvres sur les miennes.

je me suis totalement
inspirée du baiser
que jim a offert à pam
dans l'épisode 22 de la
saison 2 de the office