──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟑𝐎












L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —
























             LA VENUE DE Grisha Jäger m’a tant sonnée que j’y repense encore. Mon esprit ne cesse d’errer vers son visage souriant, sa bonhomie naturelle. Et des frissons parcourent mon échine en réalisant avec quelle brutalité il a soudainement durci son ton.

             Je ne m’attendais pas à un tel revirement de situation. Son insistance lorsqu’il est rentré dans ma chambre de force, sa façon de s’imposer à moi, la peur que j’ai ressentie en voyant cet homme que je ne connaissais pas, debout devant mon lit.

— Laisse, je vais m’en oc…

             Je sursaute quand une main se pose sur le bas de mon dos. Sans réfléchir, je repousse brutalement le nouveau venu. L’expression blessée qu’arbore soudainement Eren me pince le cœur.

— Je… je suis désolée, j’étais dans mes pensées, je chuchote. Tu m’as un peu surprise, mais…

             Je ne termine pas ma phrase.

             Si j’ai d’abord aimé me retrouver dans l’étreinte d’Eren, que j’ai choyé la sensation de calme qui s’est propagé en moi, elle s’est vite désagrégée à mesure que j’ai réalisé ce qu’il venait de se passer. Alors, me séparant doucement de lui, j’ai tenté d’agir come si rien ne s’était produit.

             Lui prenant son sac de sport des mains, j’ai jeté son linge dans un énorme bac que je m’apprête à descendre à la buanderie. Puis, j’ai saisi un drap dans une armoire que j’ai entrepris d’accrocher à son nouveau matelas.

             Il n’a pas pipé mot jusqu’à maintenant, me proposant de l’aide pour continuer ma tâche. Je me tourne à nouveau vers le drap que je n’ai pas finis d’étendre. Mais sa main saisit brutalement mon poignet, m’attirant loin du lit. Il me retourne, me forçant à lui faire face.

— Ce n’est pas à toi de faire ça, (T/P). Je vais m’en occuper.

— Oui mais tu dois être fatigué, et…

— Je suis loin d’être fatigué, j’ai pris un raille de coc pour me donner un peu de force et je pète le feu ! lâche-t-il en frappant brutalement dans ses mains.

             Mes yeux s’écarquillent brutalement. Je me fige, le regardant. Il soutient mon regard quelques secondes, semblant lutter contre le sourire déformant ses lèvres. Ce n’est que lorsqu’il éclate de rire que je réalise qu’il se fiche entièrement de moi.

             Je tente de protester mais éclate de rire à mon tour. Mes efforts pour contenir mon hilarité sont vains. Surtout lorsqu’Eren hurle :

— NON MAIS T’AS VU TA GUEULE ?

             Je tapote son épaule en protestant, tentant de lui faire comprendre que sa blague était de mauvais goût. Mais j’ai bien du mal à avoir l’air crédible, étouffée par mon propre rire.

— Non… Mais c’était… Vraiment… Pas drôle…

— Mais oui, je vais te croire !

             Je tente de me cacher à nouveau. Mais, juste devant moi, Eren voit bien que je fais preuve d’un pathétique jeu d’acteur. Lui, pourtant, ne rit plus. Ses traits sont retombés et il me regarde avec une certaine douceur.

             Une délicatesse qui me prend de court. Je me calme doucement, désarçonnée.

— Qu… Qu’est-ce qu’il y a ? je demande. J’ai un truc sur le visage ?

             Je touche ma joue, tentant de trouver ce qu’il regarde si intensément. Mais il soupire simplement :

— Tu es vraiment belle, quand tu rigoles.

             Sa phrase me fait l’effet d’une claque. Abasourdie, je le regarde longuement, une chaleur dense montant en moi. Il soutient mon regard, visiblement nullement touché par sa propre déclaration. Immobile, il se contente de me dévisager.

             Un frisson parcourt mon échine.

— Je… Euh… Enfin…, je balbutie, ne sachant exactement quoi répondre.

             Son sourire s’élargit et il laisse filer un rire. Là, mon cœur se pince douloureusement. Je me force à rire, moi aussi, réalisant qu’il s’agissait d’une blague. Il peine à se contrôler, sa peau virant au rouge tandis qu’il rigole avec force.

             Quant à moi, debout devant lui, je ne bouge pas. Je tente de dissimuler mon trouble, embarrassée.

             Moi qui comptais lui reparler de ce baiser…

             Au cours des dernières semaines, je n’ai cessé de resonger à ce moment. Je pesais le pour et le contre, tentais de comprendre, de deviner, de supposer, de prédire l’avenir. Je me suis imaginée mille et uns scénarios dans lesquels il revenait. J’aimais à entrevoir une issue heureuse à tout cela. Songeuse, tard la nuit, sur quelques chansons douces, je visualisais ses bras m’enlaçant, sa bouche me murmurant que je lui avais manqué et ses baisers sur mes lèvres.

             Je suppose que je me suis montrée bien trop optimiste. Il était dans un moment de faiblesse et avait simplement besoin d’un moment de compa…

— PLAQUAAAAAGE !

             Je hurle quand deux bras enserrent ma taille. Mon dos se retrouve plaquer contre le matelas.

— Eren ! je m’exclame. Qu’est-ce qu’il te prend !?

             Allongé sur moi, son bras enroulé autour de mon corps, le brun éclate de rire. Je le regarde s’esclaffer avec un certain agacement, ne comprenant pas pourquoi il a soudainement fait ça. Mes sourcils se froncent et il roule sur le côté, atterrissant sur le dos.

             Il rit encore quelques secondes, tentant de reprendre sa respiration.

— Désolé, je faisais souvent ça avec Ashley au centre de désintoxication.

             Mes lèvres se pincent.

— Ashley ? je répète, légèrement surprise.

— Une nana du centre. On a passé le mois ensemble. D’ailleurs, j’ai hâte que vous vous rencontriez ! Bah… T’as qu’à venir, demain soir ! Elle a prévu une soirée dans un bar !

— Demain ? je répète.

             Mon cœur se serre. Eren me sourit de ses dents blanches, visiblement excité à l’idée d’y aller. Alors je ne réponds rien, me contentant de hausser les épaules.

— Je… J’ai un truc à faire, désolée.

— Sérieux ? demande-t-il en se dressant sur ses coudes. Mais on s’est pas vus depuis un mois ! Faut bien fêter ça ! Aller, s’il-te-plaît !

             Je secoue la tête de droite à gauche.

             Il y a un mois, quand Eren a officiellement entamé sa cure de désintoxication, j’ai utilisé une partie de mes économies pour louer une salle d’arcade. Il m’avait confié, un soir, que son rêve d’enfant était de manger et dormir dans l’un de ces lieux.

             Alors, afin de fêter son mois de sobriété, j’ai voulu accomplir son rêve. J’espérais lui en faire la surprise alors je ne l’ai pas prévenu. C’était idiot de ma part. J’aurais dû me douter qu’il prévoirait quelque chose, de son côté.

             Avec ses amis.

— T… Tu es sûr que tu as envie d’aller dans un bar ? je demande. Je sais pas… Tu voudrais peut-être tenter autre ch…

— Non, un bar c’est très bien, répond-t-il fermement. Et Ashley s’est cassée la tête à tout organiser. C’est pas que mon anniversaire. C’est notre fête à tous les deux. On est arrivés le même jour. Je ne peux pas la laisser tomber.

— Bah alors, peut-être que vous pourriez tous les deux…

— (T/P), soupire Eren. S’il-te-plaît… Je te jure qu’on ne servira pas d’alcool, là-bas. Mais j’ai vraiment envie que tu sois là. Je t’assure qu’il n’y aura aucune tentation.

             Un instant, je songe à lui dire que cela n’a rien à voir. Mais l’éclat dans ses yeux me pousse à me taire. Je déglutis péniblement.

— D… d’accord. J’ai l’impression que ça compte pour toi et que t’as vraiment envie d’y aller alors…

— Oui, ça compte ! s’exclame-t-il avec un large sourire. Je te jure, je pensais pas que qui que ce soit prêterait attention au fait que ça fait un mois que je suis sobre. Même toi, tu avais oublié. Et je t’en fais pas le reproche, je comprends entièrement ! Mais ça signifierait beaucoup pour moi si tu venais.

             Il prend ma main dans les siennes. Je ne réfléchis pas vraiment quand je la retire, mal à l’aise. Aussitôt, son visage s’assombrit.

— Ah… Pardon…, déclare-t-il.

             Je tourne la tête, tentant de lui cacher mes yeux s’imbibant de larmes.

— Je n’ai pas oublié, Eren. C’est injuste de me dire ça, je lâche simplement.

— Je… Ce n’est pas ce que…

— J’ai un appel à passer.

             Sans lui laisser le temps de répondre, je sors dans le couloir. Refermant la porte derrière moi, le cœur lourd, je m’éloigne précautionneusement en composant le numéro de la salle d’arcade.

             Je sais bien que c’est stupide. Je devrais lui dire que j’ai réservé cette salle et il sera sans doute heureux de l’entendre. Mais il a l’air tellement content d’aller dans ce bar, avec cette Ashley. Ils ont déjà sans doute invité tous leurs proches à les rejoindre et lui révéler ma surprise ne serait pas du plus bel effet.

             Surtout que moi, je n’ai invité personne. Je n’ai rien prévu pour accueillir beaucoup de gens. A vrai dire, j’espérais un peu faire de cet évènement notre premier rendez-vous.

             Mais bon sang… Un mois… Il se passe des choses, en un mois. Les rencontres se font. Et il a eu l’air d’en faire une formidable.

— Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de la salle d’arcade Pluton. Nous sommes injoignables pour le moment, merci de nous laisser un message vocal. Nous vous rappellerons ultérieurement.

— Euh… Oui… Je suis (T/P) (T/N). Je vous appelle un peu à la dernière minute mais, finalement, j’aimerais annuler ma réservation, je… Je paierais les frais nécessaires. Je suis désolée de vous prévenir comme ça…

             J’ai du mal à parler, des sanglots obstruant ma gorge.

— Je… Rappelez-moi quand vous pouvez. Aurevoir.










             Je range mon téléphone dans ma poche arrière, le cœur gros.





































P  D  V    E  R  E  N

             Quelque chose cloche avec (T/P) et je ne sais pas quoi. Cela m’inquiète. Je pensais qu’elle serait légèrement plus enthousiaste à l’idée de me revoir. Il faut croire que le mois a suffit à effacer le souvenir de notre baiser. Peut-être que j’y accorde trop d’importance.

             Je n’ai pas cessé d’y penser.

             En rentrant de son coup de fil, elle ne m’a pas accordé un regard. Fonçant sous la douche, elle y est depuis plus d’une dizaine de minutes, maintenant. L’eau coule en abondance. J’ai bien tenté de lui parler malgré le jet, elle ne m’a pas entendu.

— Putain, je comprends rien, je soupire en levant les yeux au ciel.

             Je croyais que la perspective de fêter cet anniversaire avec moi lui ferait plaisir. Elle m’avait promis qu’elle m’accompagnerait dans cette étape.

             Soudain, mon téléphone sonne. La musique par défaut résonne et je serre les dents. Je ne supporte plus ce son stupide. D’ailleurs, il me semblait que je l’avais changé. Saisissant le portable sur ma table basse, je décroche sans prêter attention.

— Allô ?

— Oui, madame (T/N) ? La salle d’arcade Pluton à l’appareil.

             Je me raidis. Merde. J’avais effectivement changé la sonnerie.

             Ce n’est pas mon téléphone.

— Merde, désolé, ce n’est pas elle. Je me suis trompé de…

— Dites-lui de nous rappeler le plus vite possible, s’il-vous-plaît, lance une voix masculine passablement agacée. Nous aimerions décider des détails de son annulation et, puisqu’elle s’est engagée à payer les frais de dédommagement, vous pouvez lui dire qu’ils seront salés. On annule pas la location d’une salle d’arcade à vingt-quatre heures de celle-ci !

             Je me fige.

— Pardon ? je demande. Vous aviez une location de votre salle pour demain soir ?

             Il me semble que chaque muscle de mon corps s’est figé. L’image des larmes remplissant ses yeux, tout à l’heure, me revient. Comme une claque magistrale.

             Putain, je suis le dernier des cons.

— Oui ! lâche l’homme, agacé. Depuis un mois ! Avec la salle d’arcade, le coin aménagé pour dormir et même la gâteau personnalisé pour l’anniversaire d’Hélène.

— Eren, je corrige dans un chuchotement rauque.

— On s’en fout ! Elle annulé !

             Un frisson parcourt mon échine. Depuis un mois ? Comment ai-je pu lui reprocher d’avoir oublié cette date ? Enfin, quand je suis rentré et que tout le monde m’a demandé si je faisais quelque chose, demain, j’ai imaginé qu’il n’y avait donc rien eu de prévu pour mon retour.

             J’avais tout faux.

— Je… Non ! Elle n’a pas annulé ! je m’exclame. Elle s’est trompée dans ses mots… Elle voulait annuler la facture parce que ce n’est pas elle qui paye, au final.

— Mais elle a déjà payé…, lâche l’homme, désarçonné.

— Alors remboursez-là et ajouter une taxe pour les emmerdes qu’on vous cause. Mais c’est pas à elle de payer la soirée.

             Je crois que le pauvre homme à l’autre bout du fil est perdu.

— Enfin, non ! lâche-t-il dans un rire, soudain plus gai. Si vous maintenez la réservation, vu son prix, je ne vois pas l’obligation d’ajouter une t…

— Si, si ! J’insiste !

             Un sourire étire mes lèvres, mesquin.














— Et envoyez la facture à Grisha Jäger, je vous prie.



































j'espère que ça vous aura
plu !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top