──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟓
L E J E U D E
— C A R T E S —
L’AMPHITHEATRE A REVETU quelques teintes rosées en l’honneur de l’évènement de ce soir. Des rideaux et banderoles se succèdent en une cascade délicate le long des murs de bois, jusqu’au sol où une estrade des plus majestueuse accueille présentement trois personnes.
A gauche, un garçon aux lunettes épaisses se cramponne de toutes ses forces à son carnet, évitant le moindre contact visuel avec le public. Il faut dire que nous devons être plusieurs centaines, dans les gradins. Je peux aisément comprendre sa timidité.
Au centre, un homme plus âgé, aux cheveux poivre et sel et costard impeccable, lance un sourire charmeur à la foule, laissant scintiller ses dents parfaitement blanche entre ses lèvres roses.
A droite, enfin, Noor se tient. Elégante dans une robe rose saumon qui s’harmonise avec son voile. La jupe descend jusqu’au sol, caressant celui-ci en un geste doux. Son torse, enveloppé d’un tissu brodé de motifs printanier, se soulève difficilement. Elle peine à respirer, anxieuse.
— J’ai raté quelque chose ? retentit une voix derrière moi.
Je me retourne au moment où Eren, ne voulant de toute évidence pas se comporter comme une personne civilisée, saute par-dessus la table située derrière nous et atterrit sur le fauteuil à ma gauche. Quelques protestations retentissent, qu’il fait taire d’un clin d’œil.
Je soupire en levant les yeux au ciel face à une scène si stupide. Il hausse les épaules.
— J’y peux rien si je suis tellement beau qu’il me suffit de faire un clin d’œil pour qu’on oublie ce qu’on aime pas chez moi.
— Rien à voir avec ta beauté. Elles veulent juste pas s’emmerder avec un abruti, je rétorque.
— C’est qu’elle mordrait, la vilaine.
Je ne peux m’empêcher de laisser filer un gloussement. Je le regrette aussitôt. Eren ne fait jamais aucune remarque lorsque je ris à ses pitreries. Seulement je sais qu’il enregistre tout. Dans les moindres détails.
S’étirant, il lâche un bâillement sonore avant de se tourner vers la rangée derrière nous qu’il avait déjà embêter.
— Excuse-moi, ma belle, ça te dérangerait de me prêter un de tes élastiques ? Promis, on pourra se revoir pour que je te le rende, sourit-t-il.
J’éclate d’un rire si sonore que plusieurs têtes se tournent vers nous. Mais, n’y prêtant pas la moindre attention, je me tourne vers le garçon qui semble courroucé par ma réaction.
— Eren, tu es un sketch à toi tout seul, tu le sais ? je demande.
Les deux filles derrière nous sourient doucement, dont celle à qui il s’est adressé. Elle secoue doucement la tête, l’air de me signifier qu’elle n’est pas offensée, lorsque je m’excuse à sa place.
— Pourquoi tu t’excuse ? s’indigne-t-il. Ecoute, je sais que ça va briser ton petit cœur mais j’ai une vie en dehors de toi et je compte bien continuer à draguer qui j…
— Elles sont lesbiennes, Eren. Et en couple.
Les yeux émeraudes du brun s’écarquillent. Un instant, il m’observe pour enregistrer l’information. Puis, il s’attarde sur les deux jeunes femmes, derrière nous avant de me regarder à nouveau. Il semble sous le choc.
— Tout va bien, Eren ? demande l’une des filles.
— Ca fait quatre mois que je drague UNE LESBIENNE ?
Trois rangées entières se tournent vers nous en entendant ce mot hurlé. Sur l’estrade, Noor lève la tête vers nous et, malgré la distance, je vois nettement ses yeux s’écarquiller en nous voyant côté à côté. Mon regard s’attarde sur celui de la femme et je n’ose même plus bouger.
Je souhaiterai disparaitre sous terre.
Ce sentiment empire néanmoins quand, tournant la tête, je croise d’autres yeux. Noirs, perçant une sclère d’ivoire, ils me giflent presque. Leur propriétaire, Karim Hafeez, semble prêt à m’égorger. Et je dois avouer pouvoir le comprendre.
Plus tôt, il nous a fait venir pour soutenir Noor dans cette compétition particulièrement stressante. Elle est enfin arrivée en finale. Nous sommes censés l’aider. Et nous avons encore attirés l’attention sur nous à cause d’une stupidité — enfin, Eren est l’unique responsable, là.
— Ta gueule, Eren, je souffle en tirant sur son bras, tentant de le pousser à se retourner.
— Tu me dis pas t…
Mais sa voix meurt dans sa gorge en découvrant les regards de l’assemblée tournés vers lui. Il semble comprendre. Quelques secondes s’écoulent dans un silence embarrassant, jusqu’à ce que l’homme de l’estrade, affublé d’un costume, prenne la parole.
Sa voix grésille dans le micro lorsqu’il déclare :
— Bien. Si tout le monde est prêt, a fini de parler de diverses…choses. Je propose que nous entamions cette finale tant attendue du concours de poésie.
Le brun glisse sur sa chaise, dans une tentative désespérée de disparaitre. Quelques regards demeurent sur nous et je dois avouer que j’aimerai bien m’éclipser, à mon tour. Mais je ne fais rien, me contentant de fixer, les yeux écarquillés, l’estrade où se trouvent les concurrents.
Le présentateur nous observe quelques instants avant de pousser un soupir, visiblement exaspéré.
— Bon, avant toute chose, il est primordial d’apprendre à connaitre nos chers participants. A ma gauche, j’aimerais des applaudissements pour Javi Bhatt !
Je frappe dans mes mains, contrairement à Eren qui saisit d’ailleurs mes paumes, m’empêchant d’applaudir. Mes sourcils se froncent et je me tourne vers lui, outrée. Mon cœur rate un battement en réalisant qu’il s’est tant penché sur moi que nos visages se frôlent.
Son nez caressant le mien, il chuchote :
— Nous devons le détruire, pas l’encourager.
— Eren, c’est un concours de poésie, j’objecte.
— Mais bien sûr. Et les cartels de drogue c’est des petites entreprises familiales ? rétorque-t-il.
— Parfois, oui.
Ses sourcils se haussent. Il semble réaliser que je dis vrai. Je ne le laisse de toute façon pas remettre sa vie en question et poursuit :
— Mais j’aimerais savoir ce qui te prend de comparer un gamin à un cartel de drogue, Eren.
Il hausse les épaules, reprenant une place plus confortable dans son siège. Je secoue la tête tandis que les applaudissements s’évanouissent lentement. Le présentateur sourit avant de marcher jusqu’à notre amie.
Aussitôt, Eren se redresse. Mes yeux s’écarquillent lorsqu’il pose ses mains en porte-voix autour de sa bouche. Il s’apprête à hurler pour encourager la jeune fille. Je ne perds pas un instant et me redresse, plaquant ma main sur ses lèvres et l’empêchant de hurler.
Puis, glissant ma tête dans le creux de son épaule, je chuchote :
— Hors de question que je te laisse lui flanquer la honte de sa vie en hurlant son prénom avant les applaudissements, dans une salle parfaitement silencieuse.
Il ne répond pas. Il me faut quelques instants pour réaliser notre position.
Mon torse est plaqué au sien, se pressant férocement à son corps à chaque respiration. Je peux presque sentir la forme de sa musculature au travers de son tee-shirt et je devine qu’il le sait quand ses yeux se plissent en un rictus amusé. Ses longs cheveux encadrant son visage le dissimulent de telle sorte que seule moi peut voir la lueur de malice traversant son regard.
Un frisson franchit ma colonne vertébrale. Sa main se referme sur ma poignet, arrachant ma paume que je gardais férocement plaquée sur ses lèvres. Puis, se penchant dans mon oreille, il chuchote, son souffle s’échouant ma joue :
— Ce que t’es sexy quand t’es en colère.
— Un tonnerre d’applaudissements pour Noor !
Autour de nous, le public s’exécute. Je mets quelques instants avant de repousser vivement le brun, imitant les personnes autour de nous et frappant dans mes mains. Lui éclate d’un rire grave avant de hurler le prénom de mon ami et siffler.
Je me tourne vers elle, espérant la voir heureuse d’être autant acclamée. Mais, au même moment, je croise son regard assassin. Elle me fixe avec colère, ses mains refermées sur sa robe, arrachant presque le tissu de rage et ses bras tremblant.
Je déglutis péniblement. Ce n’est pas Eren qu’elle regarde comme cela ni quiconque autour de nous. Non. Ce regard empli de haine n’est destiné qu’à moi.
Un frisson parcourt mon échine.
Devant l’intégralité de l’assemblée, elle s’empare du téléphone rangé dans un pli de sa robe. Ses doigts tapotent quelques instants dessus avant qu’elle ne le remette à sa place. Je me fige quand une vibration secoue ma poche. Elle me regarde encore, souhaitant visiblement voir ma réaction.
Sous son regard, je saisis mon portable. Sans même le déverrouiller, je regarde la notification entrante.
« De : Noor.
Si tu as encore une once de respect pour moi, sors de cette salle. »
Hébétée, je fixe l’écran quelques instants, ne pouvant choisir ce qu’il serait plus approprié pour moi de faire. Je ne veux pas la laisser tomber dans un moment si angoissant de sa vie. Mais, d’un autre côté, je ne veux pas non plus être aux aboies et m’éterniser là où l’on ne veut clairement pas de moi.
Prenant une profonde inspiration et sachant qu’elle me regarde, j’esquisse un sourire devant l’écran. Puis, rangeant mon téléphone, je ne lui accorde aucune attention, ne lève même pas les yeux sur elle quand je me lève.
— Excusez-moi, je lâche à la rangée menant au centre de la salle parmi les applaudissements. J’aimerais partir.
Eren me regarde, visiblement surpris. Mais il se lève afin de me laisser assez de place pour m’en aller. Les autres font de même, provoquant un certain remue-ménage qui attire le regard de pas mal de personnes dans le public.
Tant mieux.
Lorsque j’arrive au centre de la salle, les gens derrière moi se rasseyent. Mais je sens encore de nombreux regards sur moi tandis que je marche jusqu’à la sortie. Je garde la tête haute, le menton levé, sans un seul coup d’œil pour mon amie.
Je peux comprendre qu’elle soit angoissée. Mais je ne tolère pas la méchanceté.
Une fois dehors, je pousse un soupir, inspirant l’air frais du couloir. Celui-ci est silencieux, partiellement illuminé seulement des néons fixés au plafond. Je souffle à nouveau, tentant d’ignorer ma poitrine se faisant lourde.
La porte s’ouvre derrière moi dans un claquement. Je me retourne, prête à dire à Eren de retourner à l’intérieur.
— Vous vous fichez de moi !?
Mais le brun n’est pas devant moi. Seul Karim Hafeez se trouve, visiblement rendu furieux par mon départ bien remarqué.
— C’est ça, votre définition de soutenir une am…
— Putain, mais bouclez-la ! je hurle, cédant entièrement à mes plus bas instincts. Fermez-la et arrêtez de vous mêler de notre putain de vie parce que ça ne vous regarde pas !
Il ne se met même pas en colère, visiblement pris de cours par la vivacité de ma réaction. Et je ne le laisse pas reprendre ses esprits, m’avançant vers lui en continuant d’asséner avec hargne :
— Vous n’avez aucune idée de ce qu’il se passe dans nos vies. Aucune. Et parce que vous avez un béguin depuis le premier jour sur Noor, vous vous croyez magnifique en la protégeant de loin ? Mais le fait est que c’est justement parce que vous êtes loin que vous n’avez pas la moindre idée de quoi vous parlez !
Avec rage, je dégaine mon téléphone que je brandis devant les yeux du professeur. Il ne peut pas le lire, de là où il est. Mais la notification du message de Noor s’étend sur une partie de l’écran.
— Noor ne voulait pas de moi, ici ! Et ça, c’est le message où elle me dit qu’elle est furieuse de m’avoir vue débarquer dans ce putain de concours ! je rugis.
Sans lui laisser le temps de répondre, je me retourne. Furieuse, je marche jusqu’à l’escalier, prête à m’en aller. Mais sa voix résonne alors dans le couloir :
— C’est bon ? Vous avez fini de chouiner ?
M’arrêtant, je me crispe. Mes yeux s’écarquillent et mon sang ne fait qu’un tour. J’aimerais le gifler. Seulement, je me contente de rester dos à lui.
— Noor voulait que vous soyez là. Elle le voulait vraiment. Car cet évènement compte pour elle et que vous aussi. Mais, encore une fois, vous avez tout ramené à vous. A peine deux minutes dans cette salle et les regards étaient déjà braqués sur vous. Pas sur elle. Sur vous.
Je respire difficilement, fixant le sol sous mes pieds.
— Vous devez comprendre que le monde a changé pour elle, le jour où elle a mis son voile. Certains l’ont bien pris, d’autres non. Mais peu de gens ont continué de la traiter de la même façon. Tout était toujours lié à son voile. On ne lui adressait la parole que pour parler de ça. Elle n’était plus cette élève brillante mais une femme voilée. Rien de plus dans le regard des autres.
Mes poings se serrent.
— Lors de ce concours, on ne la regardait pas à cause de son voile. On la regardait pour qui elle était. Enfin… Jusqu’à ce que vous arriviez et foutiez le bordel. Là, c’est vous que les gens ont regardé.
Ma respiration se fait sifflante et mes yeux s’imbibent de larmes. Il me faut quelques instants pour me maitriser afin de ne pas éclater en sanglots.
Là seulement, je me retourne. Mais Karim Hafeez n’est plus là.
Au lieu de cela, Eren se trouve dans l’encadrement de la porte, les mains dans les poches. Il me suffit de croiser son regard pour comprendre qu’il a assisté à notre conversation. Embarrassée, je fais mine de sourire, secouant la tête comme si rien n’était grave. Mais à mesure que je le fais, des larmes coulent le long de mes joues.
Il m’observe quelques instants. J’essuie mes yeux en toute hâte et déclare dans un soupir :
— Putain, j’ai besoin d’un verre.
je vous promets que la
semaine prochaine vous
comprendrez mieux
noor
et vous allez aussi
péter un câble sur la
fin du chapitre
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