──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐𝟑










L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —






















             LE TORSE D’EREN est pressé contre mon dos. Je peux sentir la forme de ses pectoraux saillants contre mes omoplates tandis qu’il garde sa main plaquée sur ma bouche. Jamais je ne l’avouerais mais je dois avouer que cela me soulage.

             J’ai l’impression de respirer si fort que le monde entier pourrait m’entendre.

             Le centre de la porte est percé d’un carreau qui laisse filtrer la lumière du couloir, me permettant de voir les manches des serpillères nous tombant dessus. Une puissante odeur de détergeant nous embaume, à peine dissimulée par l’odeur de mon shampoing hors de prix.

             Je me retourne vivement en réalisant cela. Eren garde sa large main férocement posée sur ma bouche. Mais cela ne m’empêche de lui réserver mon regard le plus noir en voyant ses cheveux absolument sec.

             Je rêve où ce connard s’est servi de mon shampoing de luxe pour se laver le cul !?

— Allez… Sortez de votre cachette…, résonne la voix doucereuse du gardien de nuit.

             Je frissonne. Mon corps se met à trembler. Mon corps a tendance a géré assez mal les situations de stress — et cela s’est accru depuis que je suis sobre, même si je ne le suis en réalité que depuis quelques heures.

— Je vais vous attraper et vous le savez… Nul besoin d’avoir peur, nous sommes des adultes. Je ne risque plus de vous coller… En revanche, je peux vous faire très mal…

             Mais qui est ce fou furieux ?

             Je suis prise d’un spasme violent. Le sentant, Eren enroule plus fermement encore son bras libre contre moi. Sa chaleur se répand autour de mon corps. Même si nous sommes contorsionnés dans ce maigre espace, je me sens légèrement apaisée.

             Ma respiration se calme. Je ferme les yeux, me laissant aller dans ce moment. Cela est tout à fait naïf mais une partie de moi s’imagine que, sous prétexte que mes paupières sont closes, nul ne peut me trouver.

 Où êtes-vous partis ? Je vous préviens, je ne quitterais pas ce couloir…

             Il existe différents placards dans ce corridor. Soudain, mon cœur se fige dans ma poitrine et mes yeux s’écarquillent. Avec effroi, je réalise qu’il vient d’ouvrir l’une des portes, non loin de nous. Puis, il fait de même avec une autre, un peu plus proche.

             Il va nous attraper. Nous allons nous faire virer.

— Tu ne vas pas avoir d’autres choix que de me faire confiance…, susurre soudain la voix d’Eren, contre mon oreille.

             Son souffle s’écrase sur la peau de ma nuque. Je frissonne. Mais je n’ai pas le temps de me sentir capiteuse qu’il se tord dans des positions difficilement compréhensibles, se contorsionnant. Il glisse devant moi et je recule instinctivement.

             Une autre porte s’ouvre. Proche. Très proche.

— Grimpe sur mon dos.

— Quoi ? je chuchote, atterrée par l’incongruité de cette demande. Mais pourquoi ?

— Pose pas de question.

             Je ne peux m’empêcher d’hésiter. Soit, nous sommes dans une position des plus inconfortables. Mais ce ne serait pas la première fois que le brun me fait un sale coup. Et il doit d’ailleurs deviner mes pensées.

             Au travers du carreau de la porte, je distingue le silhouette voûtée du gardien ouvrir la porte devant la nôtre. Il la claque si fort que je sursaute.

— A moins que tu veuilles te faire virer ? ajoute malicieusement le brun.

             Je me jette sur son dos. Ses mains se glissent sous mes cuisses et je presse de toutes mes forces ma joue contre son épaule, regardant par-dessus cette dernière la vitre tout en me cachant. Je ressemble à une autruche ne fourrant que sa tête dans le sable.

             Mais mes entrailles se tordent et je suis terrifiée.

             Tremblotante, je retiens un hoquet de frayeur. Le gardien arrive devant nous. Sa silhouette se découpe à la lueur du couloir. Il ne peut pas nous voir, nous qui sommes plongés dans le noir. Mais il est bel et bien là, juste derrière la porte, la main sur la poignée.

             J’entends sa respiration. Elle se confond avec la mienne. Soudain, ses yeux se lèvent sur la vitre.

             Mon cœur cesse de battre.

             Il regarde droit dans mes pupilles. Sans sourciller, il me fixe. Comme s’il savait pertinemment que j’étais là. Comme s’il pouvait me voir alors que je sais qu’il ne le peut pas. Mon corps entier tremble et je lutte de toutes mes forces pour ne pas crier lorsqu’il affiche soudain un sourire carnassier.

— Je vous tiens, vermine d’ag…

             Eren donne un violent coup de pied dans la porte qui percute l’homme en plein nez. S’effondrant de tout son long, celui-ci pousse un hurlement de douleur. Le brun ne s’arrête pas à sa hauteur, s’élançant à toute allure.

             Perchée sur son dos, je vois le couloir se réduire à l’état de lignes de couleur tant il court vite. Mon cœur bat à toute vitesse et je risque un regard derrière moi. Le gardien est en train de se relever. Il nous hurle de nous arrêter.

             Le brun se précipite dans une cage d’escaliers.

             Mon cœur bat à tout rompre. Rien, pas même l’alcool, ne m’avait fait ressentir telle euphorie auparavant. Les hurlements du surveillant résonnent dans notre dos tandis que le brun dévale les marches quatre à quatre.

             A ma grande surprise, il ne s’arrête pas à notre étage.

— Qu’est-ce que tu fous !? je m’exclame à son oreille.

             J’évite de hurler afin que notre pourchasseur ne nous entende pas mais il fait de toute façon un tel bruit en courant avec moi sur le dos que mon ambition est de toute façon assez irrationnelle.

— On va pas le mener tout droit dans notre chambre ! s’exclame-t-il.

             Notre ?

             Mes yeux s’écarquillent en voyant le chemin qu’il prend. Nous sommes dans le hall et, devant nous, les dizaines de portes marquant l’entrée de l’université, toutes posées les unes à côtés des autres, se succèdent.

— JE VAIS AVOIR BESOIN QUE TU FASSES LA SUITE TOUTE SEULE, MA BELLE !

             Pour la discrétion, on repassera.

— PRÊTE A COURIR !?

             Emportée par un élan d’euphorie, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire :

— OUI !

             Sans cesser de courir, ses mains quittent mes cuisses tandis que mes bras lâchent sa nuque. Sans même trébucher, j’atterris sur une jambe et frappe aussitôt le sol de l’autre, courant juste derrière le brun. Je ne prends pas la peine de me retourner.

             J’entends les hurlements du gardien, dans la cage d’escaliers. Mais nous y sommes presque.

             Une fois la porte franchie, nous serons en dehors de sa juridiction. Il ne pourra plus nous suivre et nous n’aurons qu’à courir un peu plus pour échapper à ses yeux, qu’il ne retienne pas nos visages.

— ARRÊTEZ-VOUS ! ARRÊTEZ-LES !

             Putain. Il a atteint le rez-de-chaussée. Il est juste derrière nous.

             Devant moi, la silhouette du brun se découpe, dans son jogging léopard et ses chaussons licorne. Bon sang, je peine à croire que nous allons débarouler dans les rues de la ville, ainsi vêtus.

             Eren arrache quasiment la porte en l’ouvrant. Je le suis aussitôt. Nous franchissons le seuil. Enfin.

             Nous sommes libres.

— PLUS QUE QUELQUES METRES, MA BELLE ! IL FAUT JUSTE PAS QU’IL NOUS VOIT !

             Le hurlement de rage du gardien retentit. Il ne cesse de nous indiquer de revenir, furieux. Mais nous désobéissons.

             Bientôt, nous atteignons le bout de la rue et tournons. Maintenant, nous pouvons être sûrs qu’il ne va pas nous repérer.

             En revanche, tous les passants autour de nous le font.

— Euh… Tu veux pas que je t’achètes de nouveaux fringues ? je demande.

— Non.

— Eren… Il fait froid, tu vas chopper la crève.

             Levant la tête avec toute la condescendance l’habitant, il déclare :

— Et tu t’en mordras les doigts.

— Si tu me laisses t’acheter des fringues, je te donne une carte.

— Il y a une super boutique qui ferme plus tard que la normale à deux pâtés de maison. Il est pas si tard que ça mais quand même, la plupart sont closes.

             J’éclate de rire tandis qu’il se met à marcher. Je le regarde faire, tête haute dans sa dégaine des années 2000, entièrement couvert de tatouages. Et, tandis qu’il s’éloigne sans prêter la moindre attention aux œillades désapprobatrices qu’il reçoit, je me fais une remarque que je n’aurais jamais cru me faire auparavant.



















             Eren est sacrément cool.






































             La bataille a été longue mais j’ai fini par capituler. Eren refuse de troquer son jogging léopard contre un pantalon tenant plus chaud. En revanche, un sweatshirt daddy’s girl orne maintenant son torse — je n’ai pu m’empêcher de le lui acheter quand je l’ai vu. Et des bottes de ski couvrent ses pieds.

— Tu crois pas que t’abuses ? grommelle-t-il en sortant son portefeuille.

             Pendant qu’il se changeait, j’ai appelé Armin à la demande d’Eren. Le brun lui a demandé de nous ramener son portefeuille. Le blond, adorable, a décidé qu’il pouvait bien dépanner son ami. Nous lui avons proposé de rester avec nous mais il comptait retrouver quelqu’un ailleurs.

             Le brun me tend deux billets pour me rembourser. Je fais mine de ne pas l’avoir remarqué.

— J’avais peur que t’ai froid.

— Ouais mais… Des bottes de ski ? Sérieusement ?

             Je hausse les épaules. Il secoue les billets devant mon nez.

— Arrêtes de faire semblant de pas les voir, tu joues encore plus mal que les acteurs de BL.

             Je cesse de marcher, me tournant vers lui.

— Tu regardes ça, toi ? je lance, désarçonnée.

— Personne n’a de meilleurs plans flirt que les gays dans les BL. Leur catch phrase m’ont fait questionner absolument tout sur moi-même, répond-t-il avec le plus grand sérieux.

             Je le fixe quelques instants, histoire de bien me répéter que ce mec n’est décidemment pas commun.

             Face à mon silence, il secoue à nouveau les billets devant mes yeux.

— Bon, tu les prends, ces bil…

— Merci pour ta générosité, mon petit, lance un homme en s’emparant de l’argent.

             Médusés, nous ne songeons même pas à protester. Nous retournant, nous suivons le sans-abri des yeux qui, claudiquant à côté de son chien, s’éloigne si lentement que nous pourrions le rattraper en partant demain.

             Réalisant ce qu’il vient de se produire, j’éclate de rire.

— Hé ! C’est à moi ! s’exclame Eren.

— Je parle pas aux gens qui ont ce genre de fringues.

— C’est super stylé ! se défend le brun.

             Je ris plus bruyamment encore, attendant qu’il récupère son argent. Mais le brun semble s’en ficher éperdument et s’en va simplement dans la direction opposée. Légèrement surprise, je le regarde faire.

— Tu sais, le gardien ne doit plus être là, je pense qu’on peut…

— J’ai un dernier truc à faire avant de rentrer, lance-t-il.

             Fronçant les sourcils, je le suis. Il rentre dans une épicerie. Je l’imite et salue l’homme qui, rivé à sa télévision, n’a même pas remarqué notre venue.

             Eren s’enfonce dans les rayons à toute vitesse et ressurgit quelques instants plus tard, posant tout sur le comptoir. Je me penche, tentant de voir ce qu’il achète mais il me dissimule volontairement cela de son corps.

             L’épicier nous salue après avoir tout mis dans un sac blanc. Je tente d’en savoir plus mais Eren ignore mes questions.

             Le chemin du retour, nous le faisons sous mes milles et unes interrogations. Attendant que d’autres étudiants arrivent pour retourner à l’internat, nous nous greffons à eux — le gardien attend un homme et une femme, pas six hommes et huit femmes.

             Dissimulés dans le troupeau grâce à l’étonnante faculté de sociabilisation d’Eren, nous rentrons dans la chambre. Personne n’y est allé, bien que je ne l’ai pas fermée derrière moi. Cette fois-ci, je le fais. Nous nous retrouvons dans le confort de la chambre.

             Mes sourcils se froncent à nouveau en le voyant se précipiter sur le bar et commencer à déballer le contenu du sac plastique. Au bout d’un moment, les bras croisés, je perds patience :

— Bon, tu m’ex…

— Et voilà !

             Il se retourne, un quatre-quarts dans les mains, tendu vers moi. Dedans est plantée une bougie, allumée d’un allume gaz. Les trois étaient dans le sac plastique.

             Hébétée, je le regarde, les sourcils froncés.

— Félicitations ! s’exclame-t-il.

— Quoi ?

— Il est 23h06 et tu as pris ton dernier verre à 22h56, hier ! Cela fait un jour et dix minutes que tu es sobre !

             Mes yeux s’embuent de larmes. Il brandit le gâteau, un large sourire aux lèvres.

             Cette attention pourrait sembler maladroite, compte tenu du mal que m’a fait l’acte de replonger.














             Mais je crois sincèrement n’avoir jamais été aussi touchée.




































mignon

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