L E J E U D E
— C A R T E S —
NOOR NE SORT PLUS de notre chambre depuis plusieurs jours. Tout d’abord, j’ai cru qu’elle séchait les cours en se rendant dans d’autres endroits. Mais il s’avère qu’elle reste assise sur sa chaise, concentrée sur son ordinateur, a essayé de grapiller des notes auprès de quelques camarades. Je n’en aurais jamais rien su si ceux-là ne m’avaient pas interpellée.
Au cours de la semaine, j’ai consacré mon temps à deux choses : éviter Eren Jäger et aller en cours. Le brun m’a envoyé un nombre incalculable de personnes disant qu’il me cherchait et souhaitait me parler. Quelques-uns ont même collé des post-it avec son numéro de téléphone sur la porte de ma chambre.
Puis, parmi tous ceux m’ayant accosté pour me parler de lui, certains m’ont aussi tendu des pages de bloc-notes arrachés ou clé USB en me demandant des les remettre à Noor. Tous affichaient la même chose : des notes pour tous ses cours. Aucun n’est passé à la trappe. Et elle n’a donc participé à aucune classe.
Alors aujourd’hui, prétextant une ribambelle de raisons fallacieuses, j’ai ouvert la porte de notre chambre à des moments aléatoires. Et, à chaque fois, elle se trouvait dans celle-ci. Derrière son ordinateur et assise à son bureau. Confirmant mon hypothèse selon laquelle elle ne quitte pas notre chambre.
— Noor, qu’est-ce qui ne va pas ? je demande finalement en croisant les bras sur ma poitrine, m’adossant dans l’encadrement de la porte.
— Je n’ai aucune idée de quoi tu parles, me répond-t-elle en continuant de pianoter sur son ordinateur.
— Je parle du fait que tu as séché tous tes cours cette semaine.
Là, ses doigts cessent de tapoter. Elle met quelques secondes avant de recommencer à taper sur son ordinateur.
— Je n’ai pas envie d’en parler.
Je soupire, désemparée. L’idée que Noor puisse se refermer sur elle-même ainsi sans que je ne puisse faire quoi que ce soit pour l’aider me gêne. Mais je n’ai pas non plus envie de la forcer à s’ouvrir. Je ne sais absolument pas comment gérer cette situation.
La fixant, je tente d’ignorer la lueur éteinte dans son regard. Celle que j’étais si heureuse de voir briller, il y a quelques semaines encore. Quelque chose s’est produit, à la rentrée. Mais elle ne veut de toute évidence par en parler.
— Quelqu’un t’a fait une remarque sur le fait que tu sois voilée ? je demande.
Elle se fige. Ses yeux s’écarquillent et elle fixe son écran. Mon cœur se serre. Oui. C’est exactement cela. Je le vois aisément. L’an dernier elle était tête-nue et cette année est différente. Je savais que certaines personnes le remarqueraient mais je n’aurais jamais cru qu’on lui ferait la moindre remarque.
M’approchant du lit, je m’assois devant elle. Elle fait mine de ne pas me remarquer.
— Qui ? Noor ? Qui t’a dit cela ? On va aller voir le référent du département ensemble et…
— Laisse tomber, c’est pas grave.
— Bien sûr que si, c’est grave !
— Putain, si je te dis que c’est pas grave c’est que c’est pas grave ! gronde-t-elle soudain, me regardant enfin.
Si son ton est agressif, la douleur que je vois dans ses yeux bruns me brise. Ma gorge se serre. Je ne comprends pas. Bien sûr que si, c’est grave. Elle a toujours défendu les femmes voilées et s’est toujours insurgée de ce qu’elles subissaient alors pourquoi, lorsque cela la concerne, ce serait différent ?
Mes sourcils se froncent. Il y a quelque chose qu’elle ne me dit pas. Et qu’elle refuse de me dire.
— Noor, tu sais que tu peux me parler, je chuchote.
Elle me regarde quelques instants et je sens qu’elle veut se confier. Ses yeux se font larmoyants et elle ouvre la bouche. Elle a toujours pu se confier à moi. Jamais je ne l’ai jugée et elle le sait.
Mais, aujourd’hui, elle referme les lèvres et déglutit péniblement avant de déclarer :
— Eren m’a envoyé un message. Il fait un soirée cette nuit et veut que tu ailles le voir pour discuter du projet que vous devez faire ensemble. Il a rajouté qu’il en avait assez que tu l’évites.
— Noor…
Mais son regard est sans équivoque. Le sujet est clos. Elle ne veut pas que j’insiste. Et je dois me battre avec force contre moi-même avant d’obtempérer. Je veux aider mon amie et la forcer à parler de ce qui lui fait tant mal la blesserait juste.
— D’accord, je vois, je chuchote.
Cependant la frustration qui s’empare de moi me ronge les os. Elle est une bonne personne, toujours prête à aider les autres et tendre la main. Alors la voir si blessée me convainc juste un peu plus du fait que ce monde est injuste.
Ainsi, simplement pour l’apaiser, je me force à esquisser un sourire malicieux :
— Alors tu parles à Eren, hein ?
— Je t’interdis de t’imaginer quoi que ce soit entre nous ! s’exclame Noor en éclatant de rire. C’est juste un ami.
— Mais bien sûr ! Je vais te croire ! Et ton « ami » te supplie de m’envoyer le rejoindre en soirée !
Je me lève, lui montrant le dos, et croise mes bras sur ma poitrine de sorte que mes mains dépassent, sous mes aisselles. Je frotte alors ma peau, mimant une étreinte entre deux personnes.
— Ce genre d’amitié, hein ? je lâche.
Je pousse un cri quand elle me lance une chaussure qui rebondie sur ma tête.
— Hé ! Sale folle, va ! je m’exclame. Tu sais trop bien visée, le head shot était intentionnel.
— Evidemment, qu’il était intentionnel.
Quelques instants, nous nous regardons. Puis, je me jette sur mon chausson et elle roule sur le lit pour tomber de l’autre côté, s’en servant comme rempart. Je saute sur le matelas tandis qu’elle se glisse en-dessous.
— TU POURRAS PAS M’ATTRAPER.
— FERME TA GUEULE, T’ES LITTERALEMENT A DEUX CENTIMETRES.
Sa tête dépasse et je lance mon chausson. Elle la rentre in extremis et je saisis le deuxième. Les genoux fléchis, bougeant sur le matelas, j’observe ses moindres faits et gestes. Notre combat s’éternise encore quelques minutes puis, essoufflée, je range la chambre tandis que Noor fixe son voile en se regardant dans le miroir de la salle de bain.
— T’as vraiment un grain, commente-t-elle.
— Pourquoi, parce que je t’ai battue à plat de couture ?
— De un, tu ne m’as absolument pas battue et de deux, je parlais d’Eren Jäger. Allez croire que je sors secrètement avec lui parce qu’il m’a demandé un service, c’est complètement stupide.
— T’avoueras que c’est quand même étrange, comme demande…
Elle réapparait en secouant la tête.
— C’est logique qu’il te presse. Vous êtes déjà à deux jours du prochain cours et vous avez même pas encore parlé.
— Je refuse de parler avec cet enflure. Je ferais le dossier seule et j’ajouterai son nom.
— Tu sais très bien qu’il ne te laissera pas faire, fait remarquer Noor.
— Pas si sûre. Tant qu’il peut se défiler, cet abruti… Il saute à pieds joints dedans donc…
— Pas cette fois.
La voix ferme de Noor le trahit. Décidemment, je suis bien surprise. Je n’étais même pas au courant qu’elle avait déjà adresser la parole à Eren Jäger. Alors découvrir une femme le défendant avec autant de ferveur alors qu’avant la rentrée, nous étions toutes les deux d’accord pour le haïr, c’est louche.
Cependant, qu’importe l’affection de ma meilleure amie pour le brun, il est hors de question que je rapplique dès qu’il m’en donne l’ordre. Alors, me redressant, je plante mon regard dans les yeux de Noor avec fermeté et lance :
— Ecoute-moi bien. Jamais, ô grand jamais, je ne mettrais les pieds dans cette foutue soirée.
ꕥ
La soirée d’Eren est un véritable cliché.
Contrairement à Noor et moi qui vivons dans un bâtiment rattaché à l’université, les élèves les plus riches — dont fait parti cet abruti — ont eu le droit d’intégrer une espèce de village universitaire. Les maisons ressemblent à des pavillons à la Desperate Housewives et des rues pavées piétonne séparent les blocs de voisinages. Aucun commerce n’est présent ni aucune forme de bâtisses n’étant pas un logement. Toutes ces maisons sont enfermées dans un grillage noire solidement gardés par des hommes en uniforme bleus chargés de la sécurité sur le campus.
Evidemment, ceux-là aiment bien trop les pots-de-vin des étudiants friqués pour se concentrer sur les allées et venues d’un peu tout le monde dans le village universitaire. Et c’est au sein de celui-ci que se tiennent les plus grosses fêtes.
La maison d’Eren est large et reconnaissable par la concentration anormale de gens devant cette dernière. Mais ils s’éparpillent jusque dans la rue piétonne et sur les autres pavillons. A l’intérieur, je peux deviner la multitude de personnes présentes.
Rien que de regarder cette marrée humaine, sentir le sol trembler sous mes pieds au rythme des basses et sentir la forte odeur d’alcool émanant dans l’air me donne la nausée. Je ne suis décidément pas dans mon élément.
Je vais rentrer tout de suite. Qu’importe les paroles de Noor sur le fait de tenir mes engagements. Je n’ai vraiment pas la force d’entrer là-dedans et chercher l’autre connard.
— Et bah enfin ! s’exclame soudain une voix que je reconnaitrais entre mille, dans mon dos.
Ma mâchoire se contracte et je lève les yeux au ciel. Quant on parle du loup…
Me retournant, je croise deux yeux émeraudes encadrés de longs cheveux bruns qui forment une harmonie avec des lèvres rosées. Eren a enfilé un sweatshirt dissimulant l’imposante musculature qu’il ne cesse d’exhiber — il passe la moitié de ses soirées torse nu — et il se tient dans la rue pavée.
— Pourquoi t’es pas chez toi ? je tonne sèchement.
— Parce que je savais que tu te défilerais avant d’entrer donc je voulais maximiser mes chances, dit-il en lançant un regard appuyé à la maison grouillante de monde.
— Arrête de parler comme si tu me connaissais.
Cet enfoiré ne m’a jamais adressé la parole, se contentant de clin d’œil à chaque fois qu’il avait une note au-dessus de la mienne. J’ai même été surprise qu’il connaisse mon prénom et mon lien à Noor.
— Mais je te connais, lâche-t-il dans un sourire en coin. Je savais que tu te pointerais ici, par exemple.
— Oh, le grand mentalist, je raille avant de faire un pas vers lui, le foudroyant du regard. Alors écoute moi bien, Patrick Jane de mes deux, j’ai une vie, des études à mener, des passions, des hobbies, j’ai autre chose à foutre que de devoir me rendre disponible pour le grand Eren Jäger. Alors si tu veux me voir, tu me contacte sur les réseaux sociaux…
— Tu m’as bloqué, me coupe-t-il.
— …ou tu viens toquer à ma putain de porte, je poursuis en feignant de ne pas l’avoir entendu. Tu te débrouilles et t’envoies personne venir me chercher parce que jusqu’à preuve du contraire, les gens ne sont ni tes larbins, ni tes objets. CONNARD.
Ce dernier mot, je l’ai articulé distinctement en haussant le ton, plus qu’agacée par son comportement. Depuis l’instant où j’ai fait un pas vers lui, il n’a pas cessé de me regarder une seule seconde. Ses yeux vert se sont plantés dans les miens, espérant peut-être m’intimider au travers d’un contact visuel intense et il n’a cessé de sourire.
Mais loin de m’avoir émoustillée, son rictus m’a juste davantage énervée. J’ai simplement l’impression qu’il se moque de moi et ne me prend pas du tout au sérieux.
— Putain, mais connard, quoi ! je scande, les poings serrées.
L’envie de me jeter sur lui et le frapper redouble d’intensité chez moi quand, me retournant pour partir, j’entends son rire résonner dans mon dos. Cet abruti me prend vraiment pour une source de distraction. Il ne comprend même pas le fondement de ce que je dis.
Je fais quelque pas, comprenant qu’il me faut mettre un maximum de distance entre lui et moi. Mais sa voix résonne soudain derrière moi :
— T’es quand même spécial comme nana. Je t’ai jamais adressé la parole mais t’as décrété que je devais pas te parler ?
Je me raidis aussitôt. Mais je ne me retourne pas.
— Que tu le veuilles ou non, poursuit-il, on a un travail à faire ensemble donc tu vas mettre de côté les je-ne-sais quelles gamineries qui te poussent à me bouder comme si j’en avais vraiment quelque chose à faire puis me débloquer sur les réseaux sociaux pour qu’on puisse parler comme des gens civilisés.
Mon sang ne fait qu’un tour. Je me retourne, furieuse.
Il se tient encore là, devant moi. Les mains enfoncées dans les poches et un sourire narquois aux lèvres, il me provoque. Et je ne lutte pas un instant avant de tomber dans le panneau.
— Des « gamineries » ? je répète, furieuse.
— Bah aller, chantonne-t-il en me narguant, dis-moi quelle raison mystérieuse te pousse à me haïr. Pourquoi diable (T/P) (T/N) cherche-t-elle à m’infliger la punition traumatisante de ne pas pouvoir lui parler ?
— Pourquoi ? je répète.
— Oui. Pourquoi ? Que dois-je faire pour que la comtesse accepte que je lui parle ?
Grossière erreur. Cette question, je n’ai cessé de la retourner dans ma tête. Et l’explication sort comme une poésie apprise par cœur. Et, tandis que je la débite à toute vitesse, je m’approche d’Eren, ne cessant de le regarder avec une haine débordante :
— Parce que tu incarnes tout ce que je déteste. Tu ne bosses pas mais as tout. Les notes, la gloire, l’argent. Ta vie est une réussite mais tu n’es même pas capable de la moindre humilité. Tu agis comme si les autres devaient s’écraser devant tes yeux. Que ce soient les professeurs, tes potes, les gens dans ses soirées de merdre mais aussi et surtout les pauvres nanas qui défilent dans ta chambre et pour qui tu n’as aucun respect. Applaudissons le grand Eren Jäger ! Qui a baisé quarante filles ! Mais blâmons chacune d’entre elle pour avoir eu la malheur d’avoir été là ! Bordel de merde, à chaque fois que tu as un orgasme, tu condamnes une fille à être sexualisée sans arrêt et trainer dans la boue sans le moindre remord.
J’enfonce mon doigt dans son torse.
— Alors, Eren Jäger, tu pourras m’adresser la parole quand tu sauras ce que ça fait d’être ta proie ! Tu seras autorisé à me parler quand tu sauras ce que c’est que de marcher dans les couloirs d’une université en étant une personne dans son intégralité, une entité animé d’un passé, de rêves, d’émotions mais que les autres ne voient rien d’autre que du sexe. Oui. BORDEL TU ME PARLERAS QUAND TU AURAS LA MOINDRE IDEE DE CE QUE CA FAIT DE N’ETRE VU QUE COMME UN CORPS NU !
Autour de nous, les gens sont trop ivres pour remarquer notre dispute. Eren, lui, ne laisse rien voir de ses émotions. Il me fixe juste. Alors, me retournant en toute hâte, je quitte les lieu d’un pas furieux.
Mais, une dernière fois, je me retourne et crache :
— ET EN PLUS POUR COURRONNER LE TOUT, T’ES CON COMME UNE BRIQUE.
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