──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏𝟓













L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —






























             NOOR RECOMMENCE A ASSISTER aux cours du professeur Hafeez. Celui-ci affiche un sourire à chaque fois qu’il la voit. Cependant il a remarqué qu’elle ne s’assoit plus à côté de moi mais de Aïssa. La première fois qu’elle l’a vue faire, cette dernière a froncé les sourcils. Elle m’a envoyé un message pour savoir ce qu’il se passait. J’ai menti à moitié en disant que Hafeez me forçait à m’assoir à côté d’Eren.

             Seulement aujourd’hui, le brun n’est pas venu en cours. Je ne l’ai pas non plus vu à la cafétéria, entouré de sa bande d’amis habituelle. Je crains de l’avoir effrayé, hier. Je sais que poser des ultimatums à des personnes si instables n’est pas la meilleure chose à faire.

             Cependant je n’ai jamais dû affronter cela auparavant. Je ne savais pas quoi faire.

             Je n’apprécie pas Eren. C’est une salope sans cœur qui mérite mon poing dans la gueule. Alors je ne sais pas vraiment pourquoi mon organe vital s’est serré si violemment en voyant l’état dans lequel il était. Peut-être car j’ai réalisé que lui aussi, souffrait atrocement et était juste passé maitre dans l’art de le cacher.

             Je l’ai poussé hors de ses retranchements. Mon action sera quitte ou double. Soit il viendra ce soir et me donnera le nom des associations vers lesquelles il s’est tourné. Soit il aura fait ses valises pour fuir ma menace.

             Je n’ai aucune envie de la mettre à exécution.

             Cependant me voilà dos au mur. Certains disent qu’il est impossible d’aider des gens qui ne veulent pas se faire aider. Je suppose qu’ils ont raison et que ma tentative est aujourd’hui inutile. Mais je crois que je ne pourrais jamais me regarder dans le miroir si je le laisse s’enfoncer, maintenant que je suis au courant.

             Quelque part, mon action est tout à fait égoïste.

             Je me préoccupe moins du sort d’Eren que du mien. Car le sort d’Eren déterminera si je suis quelqu’un de décent. Peut-être cela l’apaisera-t-il s’il apprend que ce n’est pas par pitié pour lui mais pure besoin de me faire du bien que j’agis ?

— Hé, connasse en herbe.

             Je lève les yeux au ciel. Quand on parle du loup.

             Mes yeux se posent sur l’heure indiquée par le distributeur devant lequel je me trouve. 20h56. Encore quatre minutes et j’envoyais un mail à son père. Me retournant, je fais face au brun. Malgré l’insulte, il me tend un bout de papier sur lequel sont notés quelques noms d’associations. Je le saisis et, un sourire narquois aux lèvres, il lance :

— La voilà, ta putain de liste. Tu peux me lâcher, maintenant.

             Je la parcours. Quatre noms sont inscrits. Je ne lève même pas les yeux pour regarder l’air goguenard d’Eren. Il me lance :

— Je les ai appelés. Ils signeront chaque jour une feuille de présence quand je passerais et t’enverront un mail. Tu n’as pas le droit de venir car tu n’es pas une droguée. Alors je propose que tu me lâche la grappe, maintenant.

— L’Abstinence du Désir est le nom d’une boite de nuit. Le Cercle du Confort est un groupe de soutien, oui, mais pour les personnes alcooliques. L’Herbe Anonyme est le nom d’une boutique de jardinage et Sexe Land n’existe même pas. De toute façon, si tu t’étais réellement renseigné, tu n’aurais jamais parlé de feuille de présence puisque ce genre de groupe repose sur l’anonymat de ses membres. Personne ne signe quoi que ce soit et n’a à rendre de compte. Tu n’aurais aussi jamais prétendu que seuls les drogués y ont accès puisque certaines personnes viennent accompagnés, notamment de leur parrain et marraine d’abstinence.

             Je lève les yeux sur Eren. Son sourire goguenard a disparu.

— Le problème, quand on prend les gens pour des cons, Eren, c’est qu’on en oublie parfois qu’ils sont plus intelligents que nous, je soupire. J’enverrais le mail à ton père tout à l’heure.

             Je ne vais même pas le faire, je veux simplement lui faire peur. Mais je n’ai même pas le temps de me retourner. Ses mains attrapent mon bras et me retiennent.

— Attends ! Attends ! grogne-t-il.

             Je m’arrête. Il reste derrière moi. Je ne me retourne pas. Je me doute qu’il préfère que je ne le regarde pas.

— D’accord, on fait ce que tu veux. On va à un groupe de soutien ensemble et quand tu veux. Mais… Ne lui dis rien, s’il-te-plait.

             Je patiente quelques instants avant de sortir une feuille post-it de ma poche. Je la lui tends. Il la saisit et le lit.

— La Main organise une réunion demain à 8h00. Nous allons y aller puis consulter un psychologue là-bas pour parler de ton cas. Je serais en dehors de la pièce pendant la conversation et je sais que tu vas lui mentir mais il le saura, si tu le fais. Il ne cherchera pas à te prescrire de traitement mais te donner quelques pistes.

             Il semble époustouflé, ses yeux s’écarquillant.

— C’était déjà prêt dans ta poche… Comment tu savais que j’allais…

— Tu es beaucoup plus prévisible que tu ne le crois, Eren.

             Il pose son regard émeraude sur moi.

— Chaque chose en son temps donc je ne vais pas te demander de te laver ni de te brosser les dents mais mets des vêtements propres.

— J’en ai pas.

— Alors fais une machine, je lance, atterrée.

— Je sais pas comment on fait.

— Non mais tu te fous de ma gueule !?

             Il hausse les épaules, ne semblant pas le moins du monde embarrassé par l’aveu qu’il vient de me faire. Et quelque chose me dit donc que la raison pour laquelle ses vêtements sont toujours sales n’a rien à voir avec son état mental.

— Ma gouvernante a toujours tout fait pour moi. La lessive, le repassage, les repas…

             Je croise les bras sur ma poitrine, tout bonnement atterré. Il formule alors d’un air agacé des mots que je n’aurais jamais cru entendre un jour :

— C’est bon, on a pas tous la chance d’être nés pauvres et devoir tout apprendre, hein !

             Mes yeux s’écarquillent.

— Je vais mettre ça sur le compte de la douce odeur qui t’embaume et qui doit être un énième joint que tu as fumé. Même si je pense que même complètement pété, je n’aurais jamais tenu des propos aussi stupides.

             Il hausse les épaules, visiblement très peu intéressé par ce que j’ai à dire. Ses mains s’enfoncent dans les poches de son sweatshirt. Je le dépasse et lui fait signe de me suivre. Il doit décidément être dans un état second puisqu’il ne m’insulte même pas pour cet ordre silencieux et obéit, marchant derrière moi.

— On va où ? demande-t-il.

— Chez toi.

— Ah non, la chambre de Jean est pas libre et j’arrive pas à bander dans la mienne. On peut pas…

             Je m’arrête de marcher et le fusille du regard. Il me regarde, ne comprenant visiblement pas ce qui a pu me mettre dans un tel état et je crache :

— Espèce de con, on va simplement t’apprendre à faire des machines.

— Ah.

             Il semble déçu. Je n’en ai rien à faire. Même si je suppose qu’il n’a pas compris que le principe de se battre contre son addiction au sexe va passer par le fait de cesser d’inviter des filles tous les jours dans la chambre de son meilleur ami — bien que je ne comprenne pas comment Jean dort sur ses deux oreilles dans un matelas où ce genre de choses se sont produites.

             Nous sortons du bâtiment. Je frissonne en sentant l’air glacé. Eren ayant enfilé un énorme manteau par-dessus son sweatshirt, n’a pas ce problème. Il me regarde grelotter tandis que nous marchons ensemble.

— Tu as froid ? demande-t-il.

— Oui, j’aurais dû prendre un manteau ou au moins un sweat.

             Il saisit les bords de son propre manteau. Un instant, comme une idiote, je crois qu’il va le retirer pour me le donner. Mais au lieu de cela, il sort sa capuche et la met sur sa tête avant de fermer la fermeture éclair et me lancer :

— C’est con, ce qui t’arrive.

             Je lève les yeux au ciel et jure, bien qu’un sourire étire mes lèvres. Je ne peux nier que ce gars, peu importe les circonstances, est drôle.

             Bientôt, les grilles de la résidence dans laquelle se trouvent les pavillons où vivent les roches élèves apparaissent. Nous les franchissons. Nous arrivons à sa demeure. La porte s’ouvre. Quelques gars sont entassés autour d’une table où se trouvent des pizzas.

             Leurs yeux se posent sur nous. Je me sens soudain bien embarrassée. Ils doivent être une dizaine.

— Alors ? On va pécho, Eren ? Jean est dans sa chambre avec Mikasa mais vous pouvez toujours essayer de les…

— Ferme ta gueule, Marcus, grogne Eren.

             Il l’ignore royalement. Le dénommé Marcus semble dépité. Sil n’avait pas fait sa remarque graveleuse, je crois que je m’excuserais du comportement agressif du brun mais je préfère le suivre. A l’instant où nous nous enfonçons dans le couloir, j’entends quelques voix lointaines.

— Je rêve où elle va dans sa chambre ?

— Elle est déjà venue hier et ils se sont engueulés.

— Tu crois qu’ils vont se rabibocher entre quelques fessées ?

— Non, mais…

— BORDEL DE MERDE FERMEZ VOS GUEULES ET TROUVEZ UNE MEUF AU LIEU DE FANTASMER SUR CE QUE FAIT MA BITE !

             Je sursaute quand Eren hurle depuis le sommet de l’escalier. Il revient sur ses pas et se précipite dans sa chambre. Je le suis. Elle est dans le même état qu’hier. Je regarde autour de moi et tente d’ordonner mes pensées face au capharnaüm.

             Il avance de quelques pas et s’effondre sur son lit. Je le regarde faire, hébétée.

— Les vêtements sont quelque part sous la fenêtre. Il doit y en avoir d’autres mais là-bas t’en as pas mal. T’auras qu’à les étendre dans la buanderie et si j’y pense, j’irais les chercher de…

— Tu crois faire quoi, là ?

             Ma voix est cinglante quand je croise les bras sur ma poitrine. Il relève la tête, visiblement surpris par mon agressivité.

— Bouge ton cul. C’est toi qui vas faire cette machine. Je vais juste t’aider. Ses sourcils se froncent tandis qu’il se dresse sur ses coudes.

— Et pourquoi je ferais une chose pareille ? C’est toi qui veux que je sois propre, moi j’en ai rien à faire.

— Ton père, par contre, je suis sûr qu’il en aura quelque chose à faire.

             Son regard s’assombrit et il marmonne une insulte mais il se lève. Puis, allant jusqu’à la fenêtre, il lance quelques vêtements sur le lit. Puis, il se déplace pour en attraper d’autres. Et encore d’autres. Bientôt, le lit croule sous une couverture de sweatshirt, jogging et caleçons.

— T’en a d’autres ? je demande.

— Ouais mais sous les couches de déchets et j’ai la flemme de chercher.

             Je ne le force pas. Chaque chose en son temps. M’approchant du lit, je saisis la couverture sur laquelle sont posés les vêtements et la referme, formant un sac que je soulève et tends à Eren.

— Maintenant, on va à la buanderie.

             S’il lève les yeux au ciel, il ne fait en revanche aucun commentaire d’aucune sorte. Nous descendons ensemble. Les gars ne nous voient pas, étant amassés dans le salon et concentrés sur un film sur le téléviseur.

             Eren s’arrête sur le seuil de la porte, regardant les images quelques instants mais, l’attrapant par le poignet, je le force à me suivre. Il proteste mais obtempère.

             Nous arrivons au sous-sol et je suis médusée de constater l’épaisse couche de poussière sur les six machines. Les étendoirs à linge sont pliés et rangés. Autant dire que cette pièce sert très peu souvent.

— Ah oui, c’est vraiment une fraternité de gros dégueulasses, je réalise.

             Il hausse les épaules et j’ouvre une machine.

— Tous tes vêtements sont sombres donc inutile de faire du tri. Mets-en dans les machines mais ne rempli pas les machines à craquer.

             Il en faut trois pour accueillir tout le linge. Là, je saisis une boite en verre où se trouvent des capsules de lessive. Elle aussi est couverte de poussière.

— Mets en une dans chaque machine. Puis ferme les portes.

             Tandis qu’il obtempère, je saisis la bouteille de lessive encore intacte. Puis, l’ouvrant, je rempli le bouchon jusqu’à la limite indiquée.

— Ouvre le tiroir là, je déclare. Et on verse dans ce compartiment.

             Je lui tends la bouteille et le bouchon.

— A toi.

             Il s’exécute et je sélectionne un programme avant de le lancer sous ses yeux ébahis. Il m’imite sur les deux dernières. Un bruit retentit. Puis un autre et un autre. Elles se mettent en marche. Il observe l’eau savonneuse se déverser dans le tambour avant qu’il se mette à tourner.

— C’était super facile ! Génial ! Bon, je vais dans ma ch…

— Tu restes ici.

             Il semble surpris.

— Tu devras étendre le linge quand il serait prêt. Si tu attends trop, il puera. Alors on va attendre tous les deux que l’heure et demie soit passée et je te montrerais comment l’étendre.

             Un instant, je crois qu’il va s’énerver. Mais un sourire joueur étire ses lèvres et il me lance :

— C’est des avances que tu me fais.

             Je ne peux m’empêcher de pouffer :





















— T’es vraiment débile, Eren.
































ça apprend à faire ses machines
à 20 ans

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