──── 𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏𝟒














L  E    J  E  U    D  E
—     C    A    R    T    E    S     —































             ASSISE SUR CE MATELAS, je pousse un soupir. A ma gauche, Eren ne sait pas pourquoi j’ai soudainement pris place à ses côtés et il s’en fiche. Trop concentré sur son bang, il n’a même pas réalisé que j’ai ramassé son paquet d’antidépresseur trainant sur le sol. Il joue avec son briquet, aspirant l’odeur abjecte suscitée par l’objet.

             Mes sourcils se froncent et, malgré ma stupeur, je parviens à être assez agacée pour lui arracher l’objet des mains.

— Arrêtes avec ça, je peste.

— Tu t’invites dans ma chambre et tu me donnes des ordres ? Range ta chambre, arrêtes de fumer… Décidément, tu te prends vraiment pour la reine du monde.

             Mes épaules s’affaissent et je dépose le bang à mes pieds, à côté de mes mollets. Il me regarde faire mais ne tentes rien pour le récupérer. Son addiction n’est pas trop sévère, alors. Je suppose que s’il ne se met pas dans une colère noire et ne se précipite pas pour le ramasser, c’est bon signe.

             En revanche, les pilules dans ma main et l’état de sa chambre, eux, ne le sont pas.

— Tout va bien, Eren ?

             Je pense que de toutes les paroles qu’il s’attendait à me voir prononcer, celles-ci étaient les dernières qu’il aurait espéré entendre. Ses yeux s’écarquillent et ses iris émeraudes restent plantées dans les miennes quelques instants. Il ne répond pas, médusé.

             Je soutiens son regard, silencieuse. Je ne veux pas le brusquer ni le braquer. Mais j’ai l’impression d’être la seule à savoir ce que le brun dissimule.

— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? lâche-t-il au bout d’un moment.

             Je soupire. Je ne sais pas si je dois lui parler des pilules que je viens de trouver. A mon avis, la consommation de celles-ci en plus celle des substances illicites dont il s’abreuve est proscrite. Je devrais lui faire la morale à ce propos, lui dire qu’il met considérablement sa vie en danger.

             Seulement il ne m’apprécie déjà pas alors je ne peux prendre le risque qu’il me rejette complètement. Je suis quasiment sûre d’être la seule personne au courant — ses amis ne le laisseraient pas dans un tel état, sinon et surtout pas Noor. Ils lui auraient pris ses bangs et elle l’aiderait à garder sa chambre propre.

— J’ai appris… Pour ce qu’il s’est véritablement passé, avec Rémy. Je voulais te remercier pour ce que tu as fais et, même si t’as tout gâché juste après et que tu ne mérites aucune excuse, m’excuser quand même d’avoir mal jugé la situation.

             Un sourire narquois étire ses lèvres. Je ne réagis pas.

— Ma chère (T/P) serait-elle tombée sous mon charme ? lance-t-il.

             Je ne lève pas les yeux au ciel ni ne soupire d’agacement. La boite dans ma main me rappelle ce qu’il vit au quotidien. Et je me sens soudain bien nauséeuse à l’idée de le houspiller comme je le fais habituellement. Alors je demeure pantoise.

             Ne voyant aucune réaction chez moi, son sourire s’agrandit :

— Non, me dis pas que c’est vrai ? Me dis pas que t’es vraiment tombée amoureuse de… Qu’est-ce que c’est ?

             Je n’ai pas le temps de cacher le médicament figé dans ma paume. Eren me l’arrache des mains. Je tente de le reprendre mais il est trop tard, il a vu de quoi il s’agissait. Et quand il repose les yeux sur moi, toute trace d’amusement a déserté ses traits.

             Il est furieux.

— Tu fouilles mes affaires, maintenant !?

             Je déglutis péniblement, embarrassée. Non, je n’ai pas fouillé. La boite était simplement abandonnée sur l’amas de détritus formant le deuxième sol de cette pièce. Je n’ai eu qu’à tendre la main.

— Réponds ! gronde-t-il.

— Non, je…

             Furieux, il se lève. D’un geste brutal, il projette la boite en plein milieu de la pièce et elle s’écrase entre une guitare et une pizza en décomposition. Puis, passant les mains dans ses cheveux, il pousse un soupir.

— Sors d’ici.

— Je…

— (T/P).

             Sa voix est ferme. Son regard se pose sur moi, presque brutale. Quelques spasmes agitent ses bras. Je sens qu’il se contient et cela se voit d’autant plus lorsque ses paupières se ferment et qu’il pince les lèvres, avalant visiblement quelques jurons.

— Je fais de mon mieux pour ne pas te hurler dessus, là. Alors tu te casses d’ici très vite ou j’arrêtes de faire des efforts pour me contenir.

             Un instant, j’obéis. Je remue pour me lever, presque tétanisée par le calme apparent du brun. Car il n’est que précurseur d’une furieuse tempête, je le sais.

             Cependant à l’instant où je bouge afin de me lever, mon regard se pose sur cette pièce sans dessus-dessous. Les rideaux sont fermés, empêchant le soleil gris d’hiver d’illuminer la salle, mais les détritus habillant son sol sont tout de même visibles. Ils arrivent à mi-hauteur des mollets d’Eren, debout parmi eux.

             Et dans cette cascade de déchets se trouve son antidépresseur ainsi que quelques bangs.

— Hurles-moi dessus, alors, je grogne. Mais je ne partirais pas.

— Putain, mais c’est pas possible d’entendre des conneries pareilles. Tu te crois dans un film, connasse ? La jolie princesse qui tend la main au pauvre vagabond en détresse et révolutionne sa vie !

— Tu as les moyens de vivre ici, tu n’es pas ce que j’appellerai un vagab

— TA GUEULE.

             Bien que je sursaute en entendant son cri, je ne suis pas vraiment surprise de le voir craquer. Eren ne m’aime pas. Vraiment pas du tout. Il n’a jamais confié son état mental à ses collègues alors le fait que seule moi soit au courant doit être affreusement douloureux pour lui.

             Un rire sans joie franchit ses lèvres. Froid.

— Putain, la belle revanche. Maintenant tu vas pouvoir dire à tout ton monde que non seulement je suis pas qu’une salope misogyne mais surtout une salope dépressive misogyne. J’espère que t’es contente.

— Je ne vais parler de ça à personne, je réponds aussitôt.

— Bravo, tu es un être humain décent. Tu veux une médaille ?

             Ce mec est parfaitement infect. Il y a encore quelques heures, je lui aurais volontiers hurlé dessus d’aller se faire mettre et il aurait peut-être même gagner en prime une gifle. Mais cela, il y a quelques heures seulement.

             Maintenant, tout a changé.

             Face à mon maque de réaction, il fronce les sourcils. Il semble surpris de ne pas me voir démarrer au quart de tour. Puis, ses yeux se baissent. Je devine qu’il comprend mon soudain changement de réaction envers lui. Un juron franchit ses lèvres.

— N’essaye même pas, gronde-t-il.

— Essayer quoi ?

— ÇA, PUTAIN, TU ME PRENDS POUR UN CON !? hurle-t-il en me pointant du doigt. Ne t’avise même pas de me traiter différemment ! Traite-moi de connard et dis-moi que je schlingue mais n’essaye pas une seule seconde de me regarder comme si j’étais un cas désespéré ! Je vais parfaitement bien !

             Mes épaules s’affaissent. Eren est quelqu’un de fier, du genre à se croire invincible et aimer que les autres le voient sous cet angle. Il se balade nu dans les couloirs pour prouver une hypothèse, il rit à gorge déployé avec ses amis à la cafétéria, il lance des clins d’œil à n’importe qui en étant sûr de trouver récepteur.

             Je n’aurais jamais cru que ce genre de comportement d’abruti congénital persisterait à l’université mais ils s’étiquette vraisemblablement comme quelqu’un de populaire et estimé. Nul ne doit voir sous sa carapace.

             Et encore moins moi, une fille qu’il méprise par-dessus tout.

— Tu ne vas pas bien, Eren. T’inquiètes pas, je n’irais rien dire de ce que j’ai vu et je ne te juge pas ni te prends en pitié, je déclare. Je me doute que c’est horrible que je sois celle découvrant en premier que tu es dépressif, mais…

— Je suis pas dépressif. J’ai fait une dépression mais c’est terminé. Circulez, il y a rien à voir.

             Je regarde autour de moi, dubitative. Il surprend mon coup d’œil et crache :

— Quoi !?

— Ça n’a mais pas du tout l’air terminé, d’où je suis.

— Mais boucle-la, la psy 2.0. Je suis juste un crado, comme tu le dis tout le temps. C’est bon, tu crois avoir trouvé ta cause désespérée et tu te sens plus pisser ? Mais je vais très bien. Merci de ta sollicitude, espèce d’abrutie.

             Je ne fais même pas attention aux insultes. Je crois que cela l’agace d’autant plus, d’ailleurs. Il y a une période où il n’aurait pas pu ne serait-ce que songer à la fin de sa phrase sans s’en prendre une. Et je sais que c’est d’ailleurs pour cela qu’il ne cesse de me traiter d’abrutie ou me dire de fermer ma gueule, là.

             Il espère une réaction. Je pense que cela le blesse de voir que je le traite autrement. Mais je n’arrive pas à m’en empêcher.

— La boite était pleine. Ta dépression est très loin d’être finie.

— Putain mais arrêtes de me casser les couilles ! J’ai arrêté ces pilules de merde parce que j’arrivais pas à bander avec, t’es contente ? Et entre la santé et le sexe, le choix est vite vu, crache-t-il.

— Tu résonnes comme un drogué.

— Non, je résonne comme quelqu’un qui t’emmerde !

             Oui. Le fait que je sois au courant le rend parfaitement furieux. Je vois bien que cela le blesse dans sa fierté. Mais je m’en contrefiche.

— Tu dois reprendre ton médicament mais avant, tu dois régler tes problèmes d’addiction au sexe et à l’herbe, je déclare.

— Regardez-la s’improviser conseillère thérapeutique, soupire-t-il.

— Il s’agit de ta sant…

ARRETES PUTAIN JE VAIS TRES BIEN.

             Je sursaute à son cri. Il soupire en levant les yeux au ciel.

— Tu trouves une boite et m’invente toute une vie. Mais je suis pas en dépression et j’arrêtes le sexe et la drogue quand je veux.

— Alors arrêtes.

             Il ne répond pas tout de suite. Fixant le vide, il semble réfléchir. Soudain, ses lèvres s’étirent en un sourire narquois. A l’instant où je le vois, je réalise qu’il a creusé dans son esprit et trouvé un moyen de me faire du mal. Le machiavélisme de son rictus en dit long sur ce qu’il s’apprête à m’infliger.

             Il est bien trop réjoui. Je vais prendre cher.

— Dis-moi, ma belle, tu servais ce genre de conseils à Noor quand elle se faisait harceler ? demande-t-il. La conseillère de vie que tu es a du lui être d’un grand soutien… Ah non, j’oubliais, t’étais tellement focalisée sur ton nombril que t’as même pas remarqué ce qu’elle vivait.

             Ma gorge se serre et mes yeux s’humidifient. Je fais de mon mieux pour ne rien laisser paraitre de la peine qui vient de m’envahir.

— Mais tu as raison, permets-toi de te la jouer conseillère avec moi. Après tout, ce n’est pas comme si tu étais une bonne amie. Alors peut-être qu’une reconversion avec quelqu’un que tu n’aimes pas t’aideras à…

— Tu vas te tourner vers des spécialistes en addiction. Tu vas intégrer des groupes de soutien et tu vas commencer le programme, je le coupe d’une voix ferme. Quand tu arriveras à l’étape neuf et que tu devras t’excuser auprès des personnes à qui tu auras fait du mal, tu ne frapperas pas à ma porte parce que sache que tu ne me fais aucun mal. Je ne suis pas blessée par tes paroles.

             Il me regarde, son sourire narquois disparu.

— J’ai pitié de toi. Pitié d’un mec qui est capable de se tenir dans une chambre croulant sous les déchets en décomposition, qui vient de m’avouer être tellement accro aux drogues et au sexe qu’il a préféré se conforter dans sa dépression et se permet de me juger. Tu me fais pitié, Eren.

             Je regrette mes paroles aussitôt que je les prononce.

             Noor est un sujet sensible alors quand il l’a évoquée, j’ai eu envie de lui rendre la pareille. Mais je me sens soudain minable. Encore plus quand il esquisse un large sourire.

— Bah tu vois, quand tu veux ! T’arrêtes de faire la sainte et tu redeviens la connasse que je connais !

— Demain, tu me diras auprès de quel organisme tu t’es tourné pour régler tes problèmes d’abstinence.

— Hors de question, connasse.

             Je me lève, prête à m’en aller.

— Tu le feras ou j’enverrais un mail à l’entreprise de ton père pour avoir un rendez-vous avec lui. Et ce mail s’intitulera « votre fils ne prend plus ses médicaments contre la dépression pour profiter de son addiction au sexe et aux drogues douces ».

             Ses yeux s’écarquillent.

             Je n’ai jamais fait de commentaire dessus mais j’ai remarqué la façon qu’avaient ses traits de se fermer dès que son père était mentionné dans une conversation. Il le fuit comme la peste, ne veut pas avoir à faire à lui.

— Tu n’oserais pas…

             Je m’en vais et, avant de fermer la porte derrière moi, lui lance :

— Demain soir, 21h00, dernier délais.




















             Malgré la porte fermée, j’entends quand même le concert d’insultes qu’il me hurle dessus tandis que je quitte la confrérie.





































on a hâte qu'il
aille mieux,
hein

je vous promets que
le chapitre prochain
est plus drôle

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