𝐏𝐑𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS



S01E01
aucun spoiler



            Il ne tiendrait pas sa promesse.

            
             Partout autour de lui, des hurlements fusaient. Pourtant, il ne les entendait pas. Les jambes flageolantes, il ne tenait sur le toit que de façon incertaine, son équilibre étant constamment menacée par les spasmes de ses membres. De même, ses bras étaient devenus trop faibles pour continuer à soulever les lourds sabres avec lesquels il se battait à l'ordinaire. De plus, ses mains étaient si moites que les pommeaux de ceux-ci n'avaient de cesse de glisser entre ses doigts. Il n'était pas en état de se battre.

             Cependant, il allait devoir se résoudre à quitter le toit de l'école où il s'était arrêté et aider ses compagnons à défendre les citoyens de Shiganshina. Une horde de titans venaient de pénétrer l'enceinte de la ville et la population était loin d'être entièrement évacuée. Femmes, hommes, enfants... Tous se trouvaient exposés à l'avidité terrifiante de ces monstres qui ne vivaient que pour engloutir des humains.

             C'était justement pour pallier à ce problème qu'il s'était infligé un entrainement de trois ans particulièrement intensifs, afin de ne plus jamais rester impuissant devant une telle scène. Mais aujourd'hui, il l'était. Tétanisé et tremblant, il fixait sans ne rien faire le visage énorme qui dépassait quelque peu du mur, dévisageant le district de Shiganshina comme un alcoolique en manque pose son regard avide sur un bar.

             Lors de sa formation pour intégrer un des corps de l'armée, il avait suivi bien des cours et avait appris beaucoup sur les titans dans les limites des connaissances que l'on avait d'eux, qui étaient assez limitées. Mais il savait ce qu'il y avait à savoir et c'était là le principal.

             L'humanité s'était retranchée, depuis un siècle, derrière d'imposants murs afin de se protéger des titans. Jamais personne ne se rendait de l'autre côté, là où se trouvaient ces créatures, à l'exception d'un corps spécifique de l'armée : le bataillon d'exploration. Celui-là même qu'il avait rejoint après sa formation de trente-six mois.

             Depuis bientôt deux ans maintenant, il partait régulièrement en mission pour le bien de l'humanité en dehors des murs. Même si son unité était vivement critiquée pour le peu de résultats qu'elle obtenait, il était toujours fier d'attacher sur ses épaules cette cape vert émeraude brodée de deux ailes, symbole de la liberté à laquelle lui et ses compagnons aspiraient. Liberté pour laquelle ils se battaient toujours plus.

             Même s'il était toujours terrifié lorsqu'il franchissait les murs et se retrouvait nez à nez avec des titans, il trouvait réconfort dans l'idée que, lorsqu'il rentrait et se cachait derrière les remparts, tout cela prenait momentanément fin. Mais, aujourd'hui, ce n'était plus le cas.

             Plus grand que tous les monstres auxquels il avait eu à faire, une créature dépourvue de chair et dont les muscles, à vifs et rouges, émanaient une forte chaleur venait de casser le mur protecteur sur lequel il avait toujours cru pouvoir compter. Les remparts venaient d'être brisés et, avec eux, la vie de nombreuses personnes.

Edward, magne-toi, cingla une voix particulièrement grave d'un ton monotone à côté de lui.

             Au même moment, le dénommé Edward sentit une brise légère agiter ses cheveux blonds qu'il attachait constamment en queue de cheval. Il connaissait bien cette sensation. Lorsqu'un soldat se déplaçait à toute vitesse et le frôlait, un délicat souffle agitait sa toison d'or ainsi que sa cape verte. Alors, en se tournant vers l'origine de ce léger vent, il ne fut pas surpris de voir l'homme qui venait de l'interpeler.

             Le regard déterminé tranchant avec ses traits qu'il gardait toujours figé en une expression impassible, son supérieur venait d'atterrir sur l'épaule d'un des titans ayant pénétré l'enceinte du district. D'un mouvement sec et rapide trahissant son habitude de la chose, il dégaina ses deux sabres qu'il planta avec une précision chirurgicale sous le crâne du monstre puis, d'un geste qui donnait l'impression d'avoir été exécuté sans effort, lui découpa un morceau de la nuque.

             Aussitôt eut-il terminé cela que la créature cessa tout mouvement. Son assaillant, sans perdre un instant, vint planter son grapin sur le toit où se trouvait Edward et, dans un bond gracieux, sauta pour le rejoindre. Au moment où ses pieds quittèrent l'épaule du monstre, celui-ci s'étala de tout son long dans la rue désertée, mort.

             Le blondinet regarda son supérieur atterrir à ses côtés sans un mot, encore sonné par l'apparition de ce titan colossale ayant brisé les remparts. N'affichant aucune émotion pouvant trahir ce qu'il pensait du manque de réaction d'Edward, le nouveau venu promena son regard aux alentours, cherchant une autre créature à abattre, ce qui ne manquait pas.

             Edward l'observa faire, muet. Il ne savait pas comment Levi parvenait à rester aussi impassible en de telles circonstances. Aucune goutte de sueur ne perlait sur son front, ses cheveux noirs de jais, coupés à ras sur la partie inférieure de son crâne et laissés mi-longs sur la supérieure n'était pas le moins du monde ébouriffés et il n'affichait aucune expression faciale pouvant trahir sa peur. Il semblait même désintéressé de tout. S'en était insolent.

Si on avait voulu te voir glander, on t'aurait envoyé aux brigades spéciales. Magne-toi.

             D'un ton froid et profondément ennuyé, Levi venait de le ramener à la réalité. Edward n'eut même pas le temps d'être embarrassé. Le caporal avait entièrement raison. Il n'était pas venu se tourner les pouces.

             Comme pour achever de le convaincre, le noiraud ajouta avant de planter son grapin sur l'immeuble voisin et se déplacer jusqu'à celui-ci :

Les civiles meurent, en bas.

             Cette simple phrase eut l'effet d'un coup de fouet. A peine son supérieur eut-il quitté le toit où ils étaient qu'il fit de même. A toute vitesse, il fit ce dans quoi il excellait : l'art de se déplacer dans les airs.

             Grâce à son appareil tridimensionnel qu'il avait appris à maitriser au terme de nombreuses leçons, il pouvait se déplacer de toit en toit sans ne jamais toucher le sol, là où il était particulièrement vulnérable. Et, surtout, il allait bien plus vite que les titans et bénéficiait donc d'un avantage non-négligeable.

             On est dans l'enceinte des murs, mais la cible est la même qu'à l'extérieure, songea-t-il en approchant d'un titan assez petit par rapport à ses confères. Cette pensée, qu'il ne cessa de se répéter, eut un effet considérable sur lui. Grâce à ces simples mots, il parvint à adopter l'esprit qu'il avait toujours en mission : vide de toutes émotions et à l'affut des moindres faits et gestes des créatures.

             Ainsi, lorsqu'il atterrit sur l'épaule de sa cible qui, dos à lui, ne l'avait pas vu, c'est sans aucun spasme ou tremblement qu'il dégaina deux sabres et, à l'instar de Levi plus tôt, trancha la nuque de la bête. Puis, plantant son grappin dans la chair d'un de ses congénères se situant quelques mètres plus loin, il ne prit même pas le temps d'observer sa victime s'effondrer qu'il s'en prit à une autre.

             Son nouvel adversaire était plus imposant que le précédent. Nettement plus. Tant et si bien que, lorsqu'Edward bondit sur son épaule, il eut une pensée. Brève et fugace, elle vint pourtant anéantir le travail qu'il avait fait pour vider son esprit et œuvrer comme une simple machine à tuer. Aussi rapide avait-il été, le songe qu'il venait d'avoir venait d'ouvrir la porte à la pire émotion qu'il pouvait ressentir en cet instant. La peur.

             Je ne vais pas pouvoir le vaincre seul. Voilà ce qu'il s'était dit. Et, son cœur s'accélérant, il avait alors fait une erreur cruciale.

             Pris par la terreur, il s'était mis à réfléchir au lieu d'agir. Lui qui aurait dû dégainer deux sabres et, comme précédemment, trancher la nuque de son ennemi sans hésitation ne l'avait pas fait. Non. Il s'était contenté de tourner la tête vers la droite, là où se trouvait celle du titan sur lequel il venait d'atterrir.

             Jamais il n'avait pris le temps d'observer ces créatures. Sans doute car il savait pertinemment qu'une telle chose le saisirait tant qu'il serait alors incapable d'exécuter le moindre mouvement, tétanisé. Comme actuellement.

             Immobile, il observait de ses yeux écarquillés la bête qui, elle aussi, avait tourné ses globes oculaires démesurés dans sa direction. Ceux-là, bleus et vitreux, étaient plus grands que le buste d'Edward et son crâne, habillé de long cheveux châtains, était au moins deux fois plus gros que le corps entier du garçon.

             A cet instant précis, en réalisant avec quelle facilité ce géant pourrait ne faire qu'une bouchée de lui et prenant pleinement conscience de la définition du mot titanesque, il laissa couler une larme sur sa joue.

             Soudain, lui arrachant un cri de douleur particulièrement sonore, une pression importante vint s'exercer de part et d'autre de son corps, l'empêchant de faire le moindre mouvement pour se défendre. Avec horreur, il constata que son adversaire venait de l'attraper d'un geste simple, comme s'il n'était qu'une minuscule poupée de chiffons.

             Sa main était si grande que seulement quatre de ses doigts suffisaient à le recouvrir entièrement. Ainsi, même si le géant avait levé son pouce et son index, seule la tête du soldat dépassait de sa prise. Et celle-ci était particulièrement imposante.

             Comme pour prouver cela, le titan exerça encore plus de pression sur le corps de garçon qui poussa un hurlement tel qu'il n'en avait jamais poussé. Celui-ci était d'une telle puissance qu'il sentit ses cordes vocales claquer et sa gorge lui fit soudain particulièrement mal. Mais cette douleur n'était rien par rapport à celle parcourant ses membres. Car le monstre, d'un simple geste, venait de lui briser les os.

             C'est alors qu'il ouvrit sa gueule béante, projetant son haleine brûlante et pestilentielle sur le visage d'Edward qui sentit son estomac se soulever au creux de ses entrailles broyées. Une bulle naquit dans sa gorge mais il avait bien trop mal pour se soucier du fait qu'il n'allait pas tarder à rendre son petit-déjeuner.

             La douleur était telle qu'il ne parvenait pas à hurler. Sa respiration était sifflante et, au vu du sang qui ne cessait de s'écouler d'entre les doigts du titan, il se doutait que celui-ci lui avait arraché un membre sans même le faire exprès. Et c'est là, en regardant le triste spectacle qu'il était devenu, qu'il comprit qu'il allait mourir.

             C'est un bien étrange sentiment que de réaliser que la fin est proche, si près qu'elle ne vous guette même plus et se contente de tendre la main, prête à vous toucher le front d'un geste las puis vous fermez les yeux sans même afficher le moindre intérêt pour votre personne.

             Edward aurait pu connaître une multitude d'émotions. Mais ce ne fut pas le cas. Il ne ressentait plus rien. Point de peur, de colère, de tristesse ou même de soulagement en se disant que sa douleur prendrait bientôt fin. Non. Plus rien. Seulement le vide.

             Le titan leva la main dans les airs tandis qu'il basculait son immense crâne en arrière. Puis, il approcha le corps du garçon de la commissure de ses lèvres et commença lentement à desserrer sa prise. A mesure qu'il ouvrait le poing, la douleur parcourant le corps du garçon n'en était que plus vive. Ses os brisés, que la prise du monstre maintenait jusqu'alors en place, s'entrechoquaient à présent dans son corps, griffant et perçant ses organes dans des bruits de succion.

             Soudain, tandis qu'il se mouvait jusqu'à présent avec une lenteur immense, il écarta brutalement ses doigts, précipitant la chute du jeune homme. Celui-ci, qui se trouvait alors juste au-dessus de la cavité sombre, béante et visqueuse qu'était sa gorge, sentit son cœur remonter dans sa poitrine lorsqu'il tomba subitement à une vitesse vertigineuse entre les lèvres de la créature.

             Seulement il n'eut même pas le temps de pousser un cri ou même avoir une dernière pensée pour elle qu'une nouvelle pression vint soudainement s'exercer sur sa gorge, entravant sa respiration. En ouvrant les yeux, qu'il avait fermé dans sa chute, il réalisa que l'endroit sombre dans lequel il venait tout juste d'être précipité se faisait de plus en plus lumineux, comme si on le tirait à la surface.

             Ce n'est seulement lorsqu'il aperçut le visage de Levi qu'il réalisa que ce dernier venait d'abattre le titan. En mourant, la bête avait écarté brutalement ses doigts et, en le tirant par sa cape verte, le caporal venait de lui épargner une chute dans les entrailles de la créature. Il aurait aimé dire que le noiraud venait de lui sauver la vie.

             Ce dernier aurait aussi apprécié pouvoir en faire autant. Mais au moment où, dans un bond gracieux, il arracha Edward à la gueule du titan et qu'ils atterrirent sur un toit à proximité d'eux, il réalisa qu'il était arrivé trop tard.

             Allongé sur les tuiles rouges constituant le toit de l'immeuble, le blond respirait difficilement. Le caporal, voyant son bras droit arraché et ses membres disloqués, comprit qu'appeler des médecins ne serviraient à rien. Edward s'était bien battu mais il ne pourrait pas remporter cet affrontement avec la faucheuse.

             Respirant difficilement, le mourant s'accorda tout de même un léger rire qui surprit Levi. Alors, regardant le noiraud qui s'était accroupi à côté de lui et affichait toujours cet air impassible, il s'expliqua :

Tu vas me veiller ?

             Le caporal ne répondit point, sachant pertinemment que la vérité était délicate à prononcer. Vu l'état du soldat, il pousserait son dernier souffle dans quelques minutes grand maximum. Il pouvait se permettre de rester à ses côtés et l'accompagner durant ses derniers instants.

Merci, murmura-t-il au noiraud qui fronça les sourcils.

Pourquoi me remercier ? Je suis arrivé trop tard. Tu ne pourras pas tenir ta promesse.

             Là, Levi ne parvint pas à conserver une expression faciale désintéressée. On pouvait le lire sur ses traits et ce, aisément : il était furieux contre lui-même. Mais Edward était loin de l'être.

Au moins, ma dernière vision n'aura pas été une gueule béante et terrifiante...

             Il peinait de plus en plus respirer et, chaque fois qu'il remplissait ses poumons d'air, l'hémorragie au niveau de son membre arraché n'en devenait que plus importante. Il avait déjà perdu une quantité astronomique de sang.

...Mais le visage d'un ami.

             Levi, qui avait baissé les yeux, tiqua à ce terme et se redressa subitement vers le visage de son camarade. Celui-ci, livide et parfaitement détendu, semblait connaitre enfin la paix. Alors le caporal, dans un geste qui lui était pourtant inhabituel, vint fermer les yeux d'Edward pour que celui-ci n'ait pas à voir, même dans la mort, le carnage provoqué par les titans.

             Puis sachant pertinemment qu'il ne pouvait pas se permettre de perdre davantage de temps, il se redressa et approcha le bord du toit, montrant le dos au cadavre d'Edward. Il planta son grappin dans un immeuble voisin pour s'élancer de nouveau. Seulement, avant de se faire, il s'interrompit une seconde.

             N'accordant aucun autre regard à son défunt camarade de peur de ne pas parvenir à en décrocher, il tourna tout de même légèrement sa tête vers la gauche en sa direction et répéta tout bas :




Un ami ?

















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