𝐄𝐏𝐈𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬





CH
aucun spoiler







             Douceur.

             Sur les lèvres de la jeune femme, une douce et tendre pression avait maintenu son souffle durant quelques instants. Et, les yeux fermés, elle s'était laissée allée contre l'étoffe si particulière affolant son cœur. Collée à ses lippes, ce tendre contact l'avait poussée à complètement s'abandonner et s'oublier. Tant et si bien qu'elle mit quelques secondes à se rappeler d'où elle se trouvait.

             La chaleur du soleil cognait avec force contre ses paupières closes et la luminosité était si intense que l'écran ordinairement noir qui devait se présenter à elle lorsqu'elle fermait les yeux avait viré au rouge orangé. Elle laissa un soupir lui échapper en comprenant que son bref moment d'égarement était dû à l'insupportable température qui frappait avec vigueur son front.

             Mais elle ne pouvait pas se mettre à l'ombre. Depuis les quelques heures qu'elle se tenait debout, au centre de cette clairière, elle n'avait pas daigné bouger d'un millimètre. Pour cause, ce jour était spécial. Et elle n'aurait pas le droit à l'erreur.

             Autour d'elle, œuvrant avec l'insupportable chaleur dont elle avait essayé de se soustraire en abaissant ses paupières, divers cris retentissaient. Secs et sonores, ils résonnaient avec hargne dans ce vaste endroit frappé par le soleil. Mais elle ne daigna toujours pas ouvrir les yeux, se rappelant la sensation si particulière qu'elle avait ressenti, un instant auparavant.

             Le temps d'une poignée de secondes seulement, elle aurait juré avoir senti un contact brûlant sur ses lèvres. Envoutant. Et, malgré la chaleur de cette pression, celle-ci l'avait poussée à se sentir anormalement euphorique, comme si le monde telle qu'elle le connaissait s'en était vu changé. Ses entrailles s'étaient soulevées au rythme de papillons dansant dans son ventre bien que son cœur se pinçait douloureusement dans sa poitrine.

             Quelques instants s'étaient écoulés depuis mais elle ressentait encore le souvenir de ce contact, l'apaisement de cette simple pression, le soulèvement du moindre de ses organes et la sensation, libératrice, d'un renouveau. A vrai dire, son cœur pulsait encore avec hargne dans sa poitrine tant tout cela lui avait semblé réel. A un point telle que sa main droite, auparavant posée sur son sein gauche, vint soudain se lever à hauteur de sa bouche.

             Lentement, elle vint tâtonner la surface de ses lippes, pressant gentiment sa chair de la pulpe de ses doigts, comme pour s'imprégner davantage de cette si particulière sensation qui l'avait prise. Et elle sentit son souffle chaud sur ses phalanges quand un soupir exaspéré lui vint.

             Cette situation en pleine chaleur étouffante était tellement assommante qu'elle se mettait à avoir des hallucinations. Décidément, cette nouvelle vie ne commençait pas d'un très bon pied.

             Et, en effet, sa dernière réflexion se vit confirmer lorsqu'elle constata avec un haut-le-cœur que les cris autour d'elle s'étaient tus. Plus de hurlements à plein poumons afin de scander son nom, de textes récités avec force pour prouver sa valeur. Non. Tout n'était que silence.

             Elle n'eut besoin d'ouvrir les yeux pour comprendre ce qu'il se passait.

— Dites-moi mademoiselle, êtes-vous à ce point travaillée par les hormones pour vous permettre de rompre notre beau salut militaire par une caresse de gamine en manque sur vos lèvres !? gronda soudainement une voix avec force juste devant elle.

             Son cœur fit un bond dans sa poitrine et l'interpellée ouvrit immédiatement les yeux. Elle dut battre des paupières à plusieurs reprises pour s'habituer à la luminosité, elle regretta pourtant bien vite son geste lorsque ses prunelles furent de nouveau capables de voir nettement ce qu'il se passait devant elle.

Avec un sursaut, elle croisa deux iris vertes marronnées agitées de foudroyant éclairs de colère. Celles-ci étaient enfoncées profondément dans deux cavités violacées faisant office d'orbites à son nouvel instructeur et soulignées de cernes bruns accentuant son allure austère et stricte. Au-dessus de ces yeux pétrifiants, un front zébré de rides marquait une habitude d'hurler sur tout ce qui bougeait tandis qu'une barbichette châtain naissant sur son menton tressautait sous l'énervement de l'homme.

             Elle se raidit.

             Keith Shardiz était leur instructeur et, accessoirement, une véritable terreur. Carlos Juan, le vétéran de son village natal, avait chaudement recommandé à la jeune femme de ne pas se faire remarquer. Selon lui, les hurlements de cet homme étaient aussi forts que ses punitions étaient strictes. Et, étant donné que les tympans de la jeune femme sifflaient, elle n'était pas fortement enchantée à l'idée de s'attirer ses foudres.

             Aussitôt, elle rabaissa la main qu'elle tenait devant ses lèvres en un poing solide à hauteur de son cœur qu'elle cogna et raffermit la position son bras gauche derrière son dos. Puis, levant la tête brutalement en direction de l'homme, elle prit soin de ne pas le regarder plus longtemps dans les yeux afin que son geste ne soit pas confondu avec de l'insubordination et ouvrit grand les lèvres.

— SOLDATE SANS-NOM, ORIGINAIRE DE RISA, CAMPAGNE DE TROST. JE JURE DE SERVIR L'HUMANITÉ ! scanda-t-elle avec force, imitant ses camarades.

             Le soleil ne cessait de taper sur son corps mais ce fut les regards que tous tournèrent bientôt en sa direction qui l'étouffèrent le plus. Ses yeux croisèrent ceux d'un gamin basané aux cheveux coupés trop courts ainsi que les iris brutales d'une splendide jeune femme typée asiatique. Mais elle décida d'ignorer ces deux personnes ainsi que tous ceux s'étant tournés vers elle.

             Elle savait exactement ce qui avait attiré l'attention de chacun. Il n'était pas courant de croiser une personne n'ayant ni prénom, ni nom de famille.

             Mais, étonnamment, ceci ne sembla pas perdre son instructeur. Ses sourcils se haussèrent quelque peu tandis qu'il se redressait, signe qu'il était quelque peu surpris. Mais ses traits s'affaissèrent bien vite à mesure qu'il assimilait cette information. Et, à l'instant même où elle croisa de nouveau ses yeux traversés d'éclairs, elle sut ce qu'il allait dire.

             A son grand damne.

— Sans-nom ? répéta-t-il de sa voix grave et rocailleuse que tous entendirent tant la clairière était silencieuse.

             Il y eut un moment de flottement, elle sentit son cœur flancher dans sa poitrine. A cause d'une certaine personne, sa réputation la précédait de loin.

— Je vois..., lâcha l'homme tandis qu'elle apercevait nettement un rictus mauvais secouer sa barbichette brune.

             Tentant de calmer ses pulsations cardiaques devenant frénétiques ainsi que la chaleur la cuisant à mesure qu'il laissait son anxiété grandir, elle décida de promener son regard autour d'elle. Mais elle n'alla pas bien loin, sentant tous ces regards encore rivés en sa direction.

             Et, à l'instant où ses prunelles se mirent à détailler les hautes roches beiges constituant les hautes falaises les entourant ainsi que les herbes poussant par endroit sur ce sol boueux parsemé de gravier, il reprit la parole. Et elle se promit d'insulter la personne qui avait fait pousser tant de soupirs parmi les soldats lorsqu'elle avait décidé de rejoindre l'armée. Cette même personne qu'il ne tarda pas à nommer.

— Vous êtes donc la sœur d'Edward ? demanda-t-il simplement avant d'ajouter en reprenant une expression froide et figée. L'homme à qui l'on doit l'explosion de trois laboratoires ?

             La jeune femme déglutit péniblement en maudissant son frère et, même si elle ne l'avait pas encore rencontrée, la scientifique nommée Hanji Zoe. Ces deux-là formaient à eux seuls la plus grande énigme de l'Histoire —bien avant les titans— tant leurs cerveaux fonctionnaient de façon cacophonique. Et ceux-là s'étaient particulièrement bien exprimés, quelques jours plus tôt seulement, dans l'une des bases du bataillon d'exploration.

             Ne sachant pas lire, les ragots avaient appris à la future soldate que, alors qu'elle s'arrachait les cheveux d'anxiété à l'idée de cette première journée de présentation précédant son intégration aux brigades d'entrainement, son cher frère et sa nouvelle éblouissante rencontre s'étaient lancés dans une expérience afin de les distraire dans leur ennui.

             Résultat : trois explosions simultanées et, fort heureusement, aucun blessé.

— Je vois que mon prénom résonne dans toutes les bouches ! retentit une voix à quelques mètres d'eux.

             D'un seul et même geste, toutes les têtes se tournèrent vers le nouveau venu. A cause de la luminosité, il fallut quelques instants à la jeune femme pour discerner les détails de la haute silhouette se situant en contrejour. Mais elle n'avait pas eu besoin de revoir sa barbe blonde coupée soigneusement, ses longs cheveux dorés noués en un chignon ainsi que le nez aquilin de son frère pour reconnaitre la voix de celui-ci.

             Elle soupira sans pour autant relâcher sa posture tendue. Non seulement la rencontre étonnamment récente d'Hanji avec Edward avait marqué le début d'une succession d'évènements dont les trois murs entiers discutaient régulièrement et qui l'avait, avant même que l'armée n'apprenne à la connaitre, placée dans une fâcheuse posture. Mais il persévérait en plus aujourd'hui à mépriser toute forme de règlement.

             Keith dut d'ailleurs songer à la même chose puisque, se redressant avec un regard sévère à l'intention du nouveau venu, il lâcha d'une voix forte tandis que le blond ayant dépassé les barrières où les épiaient quelques curieux soldats et s'arrêtait à quelques mètres de leur position, loin du jeune homme terminant le rang droit et docile qu'occupait sa sœur :

— Vous savez pertinemment que vous n'avez pas le droit de franchir cette clôture lorsque je parle aux nouvelles recrues. Dois-je demander à votre supérieur direct de vous rappeler une nouvelle fois à l'ordre ?

             Aussitôt, la jeune femme vit son frère blêmir. Son teint vira au blanc pâle maladif et ses yeux s'écarquillèrent. Un peu surprise, elle observa alors Edward faire quelques pas de recul en bégayant que cela ne serait pas nécessaire et sentit ses entrailles se tordre. Au travers de leur longue correspondance, jamais il n'avait accepté de lui révéler d'informations sur la personnalité de son chef d'escouade.

             A vrai dire, dans chacune de ses lettres, son frère avait toujours su lui mettre l'eau à la bouche en lui décrivant les diverses rencontres qu'il avait fait. Il lui avait raconté la solide et franche amitié qu'il entretenait avec le chef des bataillons Erwin Smith ainsi que ses relations particulièrement riches le liant aux différents chefs d'escouade.

             Lui et Nanaba passaient leur temps à se lancer dans toutes sortes de compétition —où elle le battait régulièrement à plat de couture. Mike était le seul à comprendre —ou plutôt ne pas feindre l'incompréhension, comme les autres— ses blagues peu subtiles à caractère sexuel. Entre Dita Ness et lui était née une forme d'amour-vache qu'ils appréciaient tous deux et leur petit duo se complétait souvent de Gelgar, un soldat pourtant droit et fier. Par ailleurs, Luke Siss avait su le toucher par son grand cœur, qualité qu'il avait retrouvée en rencontrant récemment Moblit Berner.

             Finalement, ce dernier avait permis à Edward de rencontrer personnellement, il y a quelques semaines à peine, Hanji Zoe. Malgré la proximité de celle-ci avec son propre chef d'escouade, il n'avait jamais encore parlé directement à la scientifique. Mais il savait que cela était dû au fait que le caporal-chef, ayant pressenti la catastrophe que serait un tel duo, avait longtemps fait en sorte qu'ils ne se croisent pas. Car, maintenant qu'ils étaient en contact, pas une journée ne passait sans que leurs cerveaux aussi démesurés que surchauffés ne soient traversés d'idées particulièrement dangereuses.

             Ainsi, il avait su lui dresser, au travers de ses missives, des portraits particulièrement élogieux de ses collègues devenus amis. Il faisait partis, avec eux, des plus anciens membres de l'armée —étant en service depuis dix ans maintenant— et avait donc eu l'occasion de les connaitre assez bien pour en parler longuement à sa sœur. Tous. A une exception près.

             Son supérieur direct, l'aussi célèbre que mystérieux caporal-chef Levi Ackerman n'avait été mentionné que deux fois en tout dans l'intégralité de la correspondance qu'ils avaient entretenu durant une décennie et jamais, lors de ses permissions rares où il rentrait à la maison, il n'avait prononcé son nom. Comme s'il s'agissait-là d'un tabou.

             Alors, étant donné la légende déjà construite depuis tant d'années sur ce héros que la terre elle-même semblait craindre, ce soldat que tous décrivaient comme le meilleur de l'Humanité, cet homme attirant bien des blagues couvertes d'admiration comme celle stipulant que les murs avaient été construits pour protéger les titans de ses lames aiguisées, le silence que s'était évertué de conserver son frère sur l'homme l'avait confortée dans ses multiples questionnements sur l'homme dont elle ne connaissait rien à l'exception des rumeurs.

             Seulement, maintenant qu'elle voyait le teint blême de son fraternel qui se retourna subitement à la menace de Keith, elle déglutit péniblement. Si l'imbécile jovial lui servant de famille tremblait à la simple référence au caporal, elle n'était pas forcément ravie à l'idée de le rencontrer. Ce mec est sans doute un grand malade, se dit-elle tandis qu'Edward sans allait aussi rapidement qu'il était venu sous le regard contenté de leur instructeur qui le connaissait assez pour savoir qu'il s'apprêtait à perturber en beauté cette journée solennelle.

             Et, à l'instant même où il se mit en marche, un détail frappant attira l'attention de tous. Oui. L'intégralité des soldats et futurs soldats présents remarquèrent un détail surprenant. En effet, sur le pantalon beige de l'uniforme de l'homme, à l'exact hauteur de sa fesse droite, une large empreinte de pied noirâtre salissait son vêtement, signe qu'il s'était pris un coup de botte particulièrement violent.

             Le sang de la jeune femme ne fit qu'un tour. Elle n'appréciait pas qu'on s'en prenne à son frère. Et elle devinait, au teint blême qu'il avait affiché à sa mention, qui était responsable de cela. Légende ou pas je vais lui faire bouffer le sol à ce bouffon, se dit-elle intérieurement en voyant la marque bouger à mesure que les muscles du blond se tendaient sous ses mouvements.

— Je vois qu'il s'est déjà chargé de la remettre en place, rit faiblement Keith en s'attirant un regard noir de la jeune femme que, fort heureusement pour elle, il ne remarqua pas.

             Là-dessus, il quitta la jeune femme. L'intervention d'Edward l'avait interrompu dans ses habituels « hurlements formateurs », comme il aimait les appeler et il se voyait maintenant contraint de chercher sa prochaine cible des yeux qu'il trouva rapidement en la personne d'un châtain assez grand au visage allongé.

             D'un pas rapide, il rejoignit le garçon qui, deux rangs devant, scanda alors avec force qu'il souhaitait rejoindre les brigades spéciales. La jeune femme ne prit même pas le temps de retenir son nom, « Jean », qui rentra dans son oreille droite et fila par l'autre. Un mouvement à sa plus proche gauche venait de retenir son attention.

             Tournant la tête sans rompre son salut militaire, suffisamment secouée par Keith et l'embarras que son frère lui avait collé pour se tenir à carreaux, elle posa ses yeux sur sa voisine. Aussitôt, elle croisa deux grandes iris brunes d'une extrême vivacité s'agitant rapidement dans leurs orbites à mesure qu'elle observait les alentours. Accompagnant ses coups d'œil, son visage aux joues rondes suivait le mouvement, emportant sa haute queue de cheval touffue dont s'échappaient de nombreuses mèches brunes dans son geste. Mais là n'était pas ce qui retint le plus l'attention de la jeune femme.

             Figée dans sa main droite qu'elle aurait dû poser sur son cœur, une patate d'où s'échappaient de grandes vapeurs se trouvait solidement serrée entre ses cinq doigts. De profondes morsures montraient que la jeune femme l'avait déjà entamée. Et l'aliment était sans nul doute volé. Son cœur rata un battement. Mais elle est complètement folle ? songea-t-elle en écarquillant les yeux face à tant d'insolence.

             Mais la concernée, au contraire, ne semblait pas voir de problèmes dans son comportement. D'ailleurs, lorsque ses grands yeux bruns croisèrent ceux de sa voisine la fixant avec intensité, un large sourire vint hausser ses pommettes avant qu'elle ne darde un regard hésitant sur l'aliment, voyant avec quel intensité l'inconnue le fixait.

             Alors, après quelques secondes passées à se convaincre de ne pas se montrer égoïste et se rappeler les paroles de son père sur la famine, la jeune femme reporta finalement son attention sur son vis-à-vis. Et, confondant sa stupeur face à tant d'audace avec de la faim, elle tendit une main hésitante en direction de la jeune femme.

             Puis, esquissant un simple sourire chaleureux qui, malgré l'habituelle froideur de la sœur d'Edward, mit du baume au cœur de cette dernière, elle déclara :








— Tu veux une patate ?













FIN DE LA PARTIE 4

FIN DU TOME 1

le prologue de TOME 2 arrivera demain

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