𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS


S01E15
petit spoiler





             La matinée avait été particulièrement mouvementée. Tant et si bien qu’Emeraude ne savait plus où donner de la tête et se contentait de regarder autour d’elle, déboussolée. Sa bouche s’ouvrait et se fermait de façon répétitive.

             Derrière la tour située à Trost où travaillaient les plus hauts dirigeants des trois divisions de l’armée ainsi que des recrues se trouvait depuis peu une construction des plus étranges. Elaborée en un très court laps de temps —une nuit, afin de ne pas terroriser les habitants— une très vaste cage de bois couverte de draps émeraudes accueillait deux titans capturés sur lesquels Hanji avait pratiqué des expériences.

             Enfin, avait accueilli. A genoux au centre de l’enclos devant deux squelettes de quatre et sept mètres, la brune hurlait de douleur en regardant le ciel. Elle pleurait à chaudes larmes. La jeune femme sentit son cœur se serrer à cette vision. Elle appréciait beaucoup la scientifique qui avait su la mettre à l’aise bien vite. Alors, évidement, la voir dans un tel état lui faisait du mal.

— Ce sont des soldats qui ont tué ces précieux spécimens ? demanda Gunther qui se trouvait entre Erd et Emeraude.

             Celle-ci se tourna vivement vers lui, surprise. Bien sûr, elle pouvait comprendre que savoir des titans au centre d’une ville aussi fréquentée que Trost devait déplaire à certains. Mais tous savaient que retenir en captivité ces créatures était important pour leurs recherches. Plus de cent ans après leur apparition, nul ne connaissait encore leur origine ni même leur nature.

— Oui, mais on n’a pas encore découvert le coupable, répondit le blond en fronçant les sourcils. Ils ont été tués à l’aube. Quand la garde s’en est aperçue, ils étaient déjà loin.

             La peur est la pire des armes, se dit-elle en regardant la dense fumée s’échappant de ce qui restait des spécimens. Les soldats arrosaient les os à toute vitesse, essayant tant bien que mal de conserver au moins un échantillon de leur être mais cela semblait peine perdue.

— C’est un plan prémédité qui implique…

             Emeraude n’écouta pas plus longtemps Gunther et tourna les talons, le cœur gros. Elle avait beau détester les titans, elle haïssait bien plus de voir Hanji se tordre de douleur sur le sol. Elle ne savait réellement pourquoi mais la brune appréciait les créatures. Sans doute parce que, tentant de les comprendre, elle avait réalisé qu’elle ne pouvait se permettre de juger ce qu’elle ne connaissait pas.

             Bien sûr, les voir dévorer les siens la rebutait au plus haut point et elle était l’une des plus douées dans l’art de découper leur nuque. Mais, depuis qu’elle les étudiait, elle avait appris à les voir sous un autre angle. Un angle que personne ne comprenait, soit, mais un nouvel angle permettant une vision plus illuminée de ce qui n’était qu’un paquet de sombres mystères.

             Emeraude avait beau ne pas du tout poser le même regard sur les bêtes, elle admirait le point de vue de celle qu’elle espérait devenir son amie. Tu es si unique, Eddie t’adorerait, songea-t-elle en s’éloignant.

             Une fois dos à la triste scène, elle vit tout de suite Eren qui, encapuchonné, échangeait quelques mots avec le caporal. Ce dernier s’en alla immédiatement après vers le reste de l’escouade, sans doute pour les avertir qu’ils allaient s’en aller. Elle le suivit du regard pendant quelques instants avant de reporter son attention sur Eren, peu à l’aise à l’idée que Levi le laisse sans surveillance.

             Aussitôt son attention fut elle de nouveau portée au jeune homme que ses pupilles se dilatèrent subitement. En la fraction de seconde où elle avait quitté le titan des yeux, le major Erwin Smith avait trouvé le moyen de le rejoindre. Et leur position était des plus étranges.

             Positionné juste derrière le garçon, le blond avait posé ses larges mains sur ses épaules et se penchait dans le creux de son cou, semblant lui murmurer quelque chose à l’oreille. Quoique cela ait pu être, Eren ne semblait pas ravi de l’entendre. Malgré la large capuche verte qu’il avait rabattu pour ne pas attirer l’attention, elle arrivait à discerner la peur baignant ses yeux écarquillés.

             Il se tourna quelque peu vers le major qui remua de nouveau les lèvres. Là, ses sourcils se froncèrent.

             Intriguée, Emeraude s’avança en leur direction. Sa curiosité était telle qu’elle en oublia bien vite qui était l’homme aux côtés d’Eren, le héros de son enfance. Ceci dit, s’il est comme l’autre, y’a pas de quoi s’encenser, songea amèrement la jeune femme en pensant au caractère de cochon de Levi.

             Le blond quitta à son tour Eren pour se diriger en direction du caporal qui semblait l’attendre. Réalisant qu’ils allaient tous les deux partir sans le reste de l’escouade, Emeraude pressa le pas. Qu’allaient-ils faire sans Levi ? Si ce dernier ne leur donnait pas l’ordre de rejoindre la base, ils allaient devoir rester plantés là à attendre jusqu’à son retour.

             Oubliant son objectif premier, elle dépassa le major non sans un frisson. Même si elle se doutait que, à l’instar du noiraud, il n’était pas aussi splendide et moralement juste que le laissaient entendre les rumeurs, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir intimidée à côté d’une telle légende. Après tout, il avait été l’un de ses héros d’enfance et modèles.

             Alors elle crut bien défaillir lorsque, avant qu’elle ne parvienne à hauteur du nabot et une fois qu’elle fut arrivée dans le champ de vision du major, celui-ci l’interpella d’une voix ferme :

— Emeraude.

             La jeune femme s’arrêta immédiatement et tressaillit. Levi, qui la voyait nettement puisqu’il attendait que l’homme derrière elle ne la rejoigne, leva les yeux au ciel lorsque ses joues rougirent. Non mais dites moi que je rêve, soupira-t-il intérieurement.

— Oui ? demanda-t-elle d’une petite voix en se retournant vers le blond.

             Là, constatant la teinte cramoisie qu’avait pris sa peau et le ton mal assuré de sa voix, il entreprit de la rassurer.

— Navré, je ne voulais pas vous interpeller si brusquement. Vous êtes bien la sœur du jeune disparu ?

— Oui ! rétorqua-t-elle immédiatement.

             Aussitôt, toute son excitation à l’idée de voir son héros s’évanouit, écrasée par l’importance du sujet qu’il venait d’aborder. Son frère passait avant tout. Et, même si cela ne faisait qu’une journée et demie qu’elle ne l’avait pas vu, l’idée de ne pas savoir où il était, s’il avait de quoi se restaurer, un coin pour dormir ou même, tout simplement, s’il était vivant la travaillait.

— Je ne peux malheureusement pas traiter ce dossier tout de suite, j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. Mais je suis sûr que vous comprenez la situation, déclara-t-il en désignant d’un geste vague les squelettes des titans. Je ne veux pas saper votre moral mais il me semble important que vous ayez une idée nette de la situation et n’attendiez, pour l’instant en tout cas, pas pour rien.

             Son interlocutrice était abasourdie. Pas à cause de la nouvelle, non —elle était déjà au courant de celle-ci. Seulement parce que le major Erwin venait de la traiter avec respect. Il m’a même vouvoyée, se dit-elle en offrant un large sourire au blond qui en fut surpris. Elle qui pensait qu’il allait le décevoir comme le caporal s’avérait être encore meilleur que celui que tous décrivaient.

— Merci de m’en avoir informé. Vous n’étiez pas obligé et c’était très gentil de votre part, lui répondit-elle devant son air décontenancé.

             Le blond hocha la tête d’un air entendu. Puis, estimant que cette information pourrait intéresser la jeune femme, il ajouta :

— Je me rendrais dans votre base sous peu pour traiter de certaines affaires avec les différents chefs d’escouade. Si des précisions sur l’endroit où il pourrait se trouver vous viennent en tête, n’hésitez pas à en dresser une liste par écrit.

             Le sourire qu’elle avait affiché s’effaça aussitôt, surprenant de nouveau le major. Puis, ne faisant qu’accroitre son ébahissement, elle étira à nouveau ses lèvres et plissa ses yeux. Elle est aussi... originale que lui, songea-t-il en y tirant tout de même un étrange sentiment de bien-être. De la nostalgie.

— Vous viendrez ! Génial ! Je préparerai ça naturellement ! assura-t-elle.

— Quand t’auras fini de draguer le major, tu pourras le laisser s’en aller ? intervint une voix lasse derrière eux.

             Surpris, ils se retournèrent aussitôt vers l’origine de ces propos. Devant eux, le visage aussi inexpressif qu’à l’accoutumée, Levi semblait les regarder depuis un petit moment déjà. Il avait sans doute assisté à l’intégralité de leur conversation.

             Emeraude mit quelques secondes à digérer ces mots. Puis, elle éclata d’un rire court, sonore et franc en comprenant ce qu’il venait de dire. Draguer. Il était allé droit au but. Mais il se trompait tout de même.

— Levi, ça s’appelle de la gentillesse. J’en aurais aussi fait preuve avec toi si tu t’étais au moins une fois montré poli, dit-elle simplement avec un sourire moqueur.

             Autant dire que le caporal n’apprécia pas grandement la réponse de la jeune femme. En effet, il n’était pas du tout habitué à ce qu’on le prenne de haut et n’appréciait en plus pas qu’elle le fasse devant son ami. Mais il ne montra rien de son agacement ni même de sa surprise due au fait qu’il ne s’attendait pas à une telle insolence.

— Je ne me rappelle pas t’avoir autorisée à me tutoyer, rétorqua-t-il de sa voix froide et sans émotion.

             Même s’il semblait indéchiffrable, Emeraude devinait aisément ce qu’il se passait dans la tête du noiraud. Cela la faisait presque se sentir comme un être doté de capacités surnaturels étant donné l’énigme qu’il était. Ça fait mal, de goûter au plat que tu as cuisiné, hein ?

             Soit, elle admirait le héros qu’était le caporal-chef. Mais elle était profondément dégoûtée de l’humain qu’il s’était avéré être. Froid, violent, insultant et condescendant. Comme une tâche sur la toile parfaite des mythes et légendes.

— Moi non plus, je ne me souviens pas t’avoir autorisé à le faire.

             Elle ne savait pas pourquoi elle s’emportait maintenant, peut-être parce que voir le caractère d’Erwin l’avait poussée à se rendre compte d’à quel point celui de Levi n’était pas normal. Mais elle avait besoin de lui dire clairement ce qui n’allait pas. Si les autres aimaient être humiliés, c’était leur problème. Elle, elle le refusait.

— Comme tu me l’as si justement fait remarquer, je ne suis pas un soldat. Par conséquent, tu n’es pas mon supérieur. Tu ne peux rien me dire sur ma façon de m’adresser à toi.

             Le major, qui se trouvait juste à côté d’eux, ne dit pas un mot. Suivant la joute verbale des yeux, il ne souhaitait pas intervenir. La conversation ne le concernait en rien et il préférait en être spectateur, détaillant les moindres expressions faciales de la jeune femme.

— Non, mais je peux te trancher la gorge en moins de temps qu’il ne t’en faut pour dire le mot « pétasse ».

             Le blond écarquilla les yeux avant de se tourner vers le noiraud, abandonnant sa précédente tâche. Voilà bien longtemps qu’il n’avait entendu l’homme s’emporter de la sorte. Soit, il n’avait pas haussé le ton et avait conservé son expression indéchiffrable. Mais le choix des mots n’était pas anodin.

             En face de lui, son interlocutrice ne savait trop quoi répliquer, blême. Elle se contenta de le fixer de ses grands yeux, réalisant qu’elle était encore allée trop loin. Après deux tentatives deux meurtres, on part sur une menace de mort… Il y a toujours un danger mais il s’atténue. Est-ce que c’est positif ? tenta-t-elle de se rassurer maladroitement.

— Hors de ma vue, dit simplement le noiraud de son ton indifférent.

             Aussitôt, elle s’inclina poliment et déguerpit. Soit, elle n’aimait pas capituler. Mais elle préférait encore obéir à une injonction que perdre la vie. Alors, naturellement, elle obéit et s’en alla rejoindre Erd.

             Ils la suivirent des yeux. Concentré sur la démarche un peu flageolante d’Emeraude, Erwin ne remarqua pas un seul instant la lueur qui venait de s’allumer dans le regard du caporal. Cette discussion venait d’éveiller quelque chose en lui. Une flamme enfouie qu’il croyait éteinte à jamais.

— Elle est exactement comme lui, murmura le blond du bout des lèvres sans parvenir à détacher son regard de la jeune femme.

             Levi s’assombrit quelque peu.

— Malheureusement, dit-il simplement.

             Un peu surpris par cette réponse, Erwin se détourna d’Emeraude pour observer les traits du noiraud. Même s’il conservait comme à son habitude une expression indéchiffrable, il devina aisément ce à quoi il pensait.

— Je sais que c’est dur. Mais si ta théorie est vraie, cela t’enlèverait une énorme épine du pied.

— Epine qui lui crèverait le cœur.

             Même s’il n’appréciait pas la jeune femme qu’il trouvait agaçante, Levi ne souhaitait à personne de se retrouver autant pris au piège de la sorte. De plus, il ne s’en sentait que davantage coupable. Car, même après tout ce temps, il n’avait pas oublié. Aucun des deux ne l’avait fait.

— J’ai une dette, Erwin. Considérable.

             Le blond acquiesça mollement. Il n’allait pas atténuer inutilement les faits pour le conforter. Le caporal disait vrai sur ce point.

— Dix ans… murmura Erwin, peinant à réaliser tout le temps qui s’était écoulé depuis.

             Mais il se reprit bien vite. Il le fallait.

— Elle le surmontera, elle est forte.

             Même si sa voix était assurée, elle ne parvint pas à convaincre Levi. Pour une unique et excellente raison :






— Quelqu’un de fort ne se retrouve pas dans un merdier pareil.

 








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