𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟕𝟓
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S04E15
aucun spoiler
— Dis-moi, Levi. A la distribution des neurones, t’étais parti pisser ?
Un roulement des yeux. Ce fut tout ce qu’Emeraude obtint suite à cette remarque. Mais elle s’en contenta. Car, même si elle devinait qu’il retenait un soufflement amusé du nez, elle savait aussi combien ce qu’il faisait actuellement était important pour lui.
Même s’il s’agissait de la plus grosse idiotie qu’elle ait jamais pu voir.
— Donc, si je résume bien, dit-elle en plantant ses coudes dans ses genoux pour soutenir mollement sa tête de sa main, tu viens de coincer une bombe particulièrement chatouilleuse dans le corps d’un mec et tu restes à côté en espérant qu’elle n’explose pas ?
Ils se trouvaient à l’orée de la forêt partiellement incendiée —à cause de leur attaque fulgurante de tantôt— dans laquelle ils venaient de livrer bataille contre une quarantaine de titans dont un doté d’intelligence. Ce dernier se trouvait d’ailleurs à leurs pieds.
Autour d’eux, un vaste terrain d’herbes s’étendait en continu, plongé dans l’obscurité d’un ciel gris et s’arrêtant à l’entrée du bois derrière eux. Il commençait à partir d’un ruisseau à leur droite. Ils avaient d’ailleurs choisi d’arrêter la charrette sur laquelle ils se trouvaient à cause de ce point stratégique. Ils ne savaient pas encore combien de temps ils allaient garder leur otage et préféraient donc rester à proximité de cette ressource vitale.
Debout dans leur véhicule exigu de bois frappé par une pluie torrentielle, Levi se redressa quelque peu pour darder un regard visiblement exaspéré en sa direction.
— Elle n’explosera pas. Je lui ai clairement expliqué qu’au moindre mouvement, il y passerait. Il va se tenir à carreaux, déclara-t-il de sa voix froide et grave.
Les fesses posées sur un des bords de la charrette, Emeraude attarda son regard sur l’homme dont le caporal parlait en plissant les yeux pour le distinguer au travers des gouttes de pluies. Et celui-ci était en piteux état. Si triste qu’elle aurait presque pu avoir de la pitié pour lui s’il n’avait pas réduit le bataillon d’exploration tout entier à dix malheureuses personnes lors de leur dernière rencontre.
Jamais elle n’oublierait le corps couvert de sang et les entrailles partiellement exposées en plein jour d’Erwin Smith. Ce spectacle lui avait fait de la peine. Beaucoup de peine. Encore plus lorsqu’elle avait réalisé que, à l’instar de tous les autres soldats, ils allaient devoir laisser son cadavre sur place.
Mais quatre ans plus tard, alors qu’elle rentrait à Paradis à bord de l’aéronef, Dan lui avait confié que le caporal était parti rechercher lui-même la dépouille de son ami qu’ils avaient enterré dignement. Et cette action lui avait mis un peu de baume au cœur.
Alors, maintenant qu’elle posait ses yeux sur le corps profondément mutilé de cet homme odieux, elle ne pouvait retenir un léger sourire. Elle se fichait des hurlements qu’il avait poussé lorsque, saisissant la lame que Levi tenait, elle l’avait personnellement abattue sur le haut de ses jambes, l’amputant de ses membres inférieurs. Même plus, elle avait apprécié la souffrance dans ses cris.
Elle n’était pas comme Levi. Quand lui se contentait d’enfouir la douleur au plus profond de son être, elle la rendait avec violence. Sans doute était-ce pour cette raison qu’ils formaient une si bonne équipe en tant de guerre.
Quoi que, face au haussement de sourcil qu’elle effectua en regardant le barbu grimacer de douleur, le caporal se permit de douter de la synergie entre eux. Et, connaissant son amie, il demanda simplement d’une voix calme :
— Tu as un mauvais pressentiment ?
Quittant des yeux Sieg une seconde, elle darda son regard profond sur le noiraud un instant avant de le reporter sur l’homme. Sans bras ni jambe, ses traits matures tordus tandis que la forme cylindrique du missile était enfoncée dans son corps et laissait voir ses entrailles se presser autour de l’arme, il semblait compliqué d’imaginer qu’une personne souffrant autant puisse se maintenir immobile.
De nouveau, elle regarda Levi. Celui-ci sentit un frisson le parcourir. Là, assise de façon nonchalante, son visage fixé dans sa main tandis que seuls ses pupilles bougeaient, elle présentait un flegme inhabituel. Et particulièrement attirant.
Il se reprit. L’heure n’était pas à ce genre d’observations.
— Juste un sentiment.
Il inclina la tête, souhaitant en savoir plus. Elle laissa alors filer un soufflement de nez amusé. Comment faisait-il pour ne pas voir ce qui n’allait pas dans cette scène ? Sans doute son désir de vengeance l’aveuglait trop.
Là, debout à un simple pas de leur otage gisant à ses pieds, il gardait le menton haut et fier comme si son action était intelligente, attendant sa réponse. A côté d’une bombe. Elle leva les yeux au ciel.
— Je suis époustouflée.
Elle eut droit à un haussement de sourcils surpris et ne s’arrêta même pas sur le fait qu’il ait laissé voir une expression faciale de façon si nette sur son visage. A vrai dire, en sa présence, cela faisait bien longtemps qu’il ne s’efforçait plus d’être un masque froid et indéchiffrable.
Même si elle était loin de pouvoir affirmer être capable de lire en lui comme dans un livre ouvert, elle le comprenait néanmoins bien mieux que n’importe qui. A l’exception d’Hanji.
La scientifique, à défaut de ne pas comprendre certains codes sociaux et en apparaitre aliénée, saisissait très facilement les modèles complexes de réflexion. Comme l’énigme qu’était Levi.
— Je suis époustouflée de constater que le soldat le plus stupide des bataillons, contrairement au sondage mené il y a quatre ans, n’est pas Jean Kirstein.
Feignant d’être agacé par une condescendance qu’il avait pourtant appris à supporter et aimait même maintenant, le caporal leva les yeux au ciel avec un soupir. Puis, détachant ses hématites de la figure ennuyée de la jeune femme, il les fixa sur Sieg. Celui avait gardé les yeux clos depuis qu’ils étaient entrés dans cette charrette.
Son cœur se serra dans sa poitrine. Il savait très bien que, même si elle ne l’avouerait jamais, Emeraude lui lançait ces piques pour le distraire quelque peu. La tâche qu’il devait mener à bien aujourd’hui était lourde. Pleine de sens. Il s’agissait de la dernière mission qu’Erwin lui avait confié.
Il ne pouvait se permettre de la rater.
Alors, malgré le ton léger de ses échanges avec la jeune femme, il dut bientôt laisser le nuage gris qui ne l’avait pas quitté en son absence planer au-dessus de sa tête. L’homme sous ses yeux lui avait pris l’un des êtres qu’il avait de plus cher. Il ne le laisserait pas s’en tirer indemne.
— Tu peux t’en aller, si tu as trop peur, dit-il simplement d’un air plus sombre au bout de quelques instants.
La jeune femme ne répondit pas tout de suite. Bien sûr, elle avait vu le torrent d’émotion qui venait de passer sous les prunelles du noiraud. Et elle avait presque pu voir sur la surface de ses yeux ses derniers souvenirs en présence d’Erwin. Elle ne savait ce qui lui faisait le plus de mal : le décès de son ami ou la douleur irréversible que cet évènement avait laissé dans le cœur de Levi.
Depuis les premières répliques teintées d’une pointe de jalousie sur sa relation avec le major —comme la fois où le blond lui avait expliqué certains détails quant à sa recherche sur la disparition de son frère et que le noiraud avait interrompu leur échange en accusant la jeune femme de draguer son ami— elle avait compris quelque chose qui avait sans doute échappé au caporal. Mais cette chose, elle ne comptait pas la lui révéler. Pas maintenant que cette nouvelle lui apporterait plus de souffrances qu’autres sentiments.
Elle en était convaincue, les sentiments de respect que tous avaient cru voir de la part du caporal envers le major n’avaient longtemps été que de l’amour. Un amour aujourd’hui impossible. Mais un amour qui avait existé.
Au cours des derniers mois précédant le décès du blond, elle avait constaté ce qu’elle avait cru être des tensions. Mais, plus tard, elle s’était simplement rendue compte que les sentiments inavoués du noiraud s’étaient à ce moment-là mués en une solide et franche amitié. D’autant plus forte qu’une partie de sa construction reposait sur le désir passé de s’enfermer dans l’étreinte de l’autre.
Elle eut un soupir triste. Elle avait parfaitement conscience du fait qu’elle éprouvait pour Levi un sentiment autre que de l’amitié, même s’il ne lui viendrait pas à l’esprit de le désigner comme étant de l’amour. Pourtant, pas une seule seconde elle n’avait éprouvé une quelconque forme de jalousie envers la relation qu’ils les liaient l’un à l’autre.
Tout simplement parce que, du vivant d’Erwin, l’ombre qui obscurcissait à présent le regard du noiraud n’existait pas. Et, quand bien même le blond avait disparu sans que le caporal n’éprouve plus rien d’autre que de l’amitié pour lui, il n’en demeurait alors pas moins que son plus proche camarade. Son frère d’arme.
Alors, se redressant précautionneusement, la jeune femme fit un pas en sa direction. Il ne releva pas la tête, se contentant de darder ses yeux d’acier sur le corps gémissant de leur proie. Et, d’une main tremblante, elle vint presser son épaule.
— Si t’es à court d’idées pour le torturer, appelles-moi.
Là-dessus, il sentit ce contact chaud et réconfortant se défaire de sa peau et l’entendit s’éloigner. Les yeux toujours rivés sur le bestial, il s’autorisa pourtant un sourire intérieur à travers la douleur le déchirant. Il savait que la phrase que venait de prononcer Emeraude était une façon pour elle de montrer son affection mais cela n’en demeurait pas moins originale.
Il n’en fut pas gêné. Au contraire. Levant enfin la tête pour la darder sur les omoplates de la jeune femme ayant franchit le ruisseau et marchant une dizaine de mètres plus loin, il eut un soupir de réconfort. Après tout, c’est bien son caractère atypique qui me plait autant chez elle, non ? se dit-il intérieurement tandis qu’elle s’arrêtait dans sa marche pour regarder autour d’elle.
La jeune femme avait vu juste dans le fait que jamais le caporal n’avait pris le temps de s’attarder sur les sentiments qu’il avait nourris pour Erwin par le passé. En revanche, Emeraude avait su le mettre dans de tels états parfois qu’il s’était longuement questionné sur ce qu’il pouvait bien ressentir vis-à-vis d’elle.
Lorsqu’il la côtoyait régulièrement, la réponse était assez garnie mais relativement simple. Comme un gâteau. L’affection qu’il lui vouait était entourée d’une couche dense d’agacement, saupoudrée très légèrement d’admiration.
Seulement, lorsqu’elle s’en était allée, ne lui laissant qu’une cape pourtant sale pour seul souvenir, il avait compris que jamais il n’avait considéré quiconque comme elle. Même ses sentiments pour Erwin, pourtant forts, n’égalaient pas le vide qu’il avait ressenti loin d’elle.
Quelques mois après son départ, il avait surpris l’intégralité de son escouade lorsqu’il avait secoué verbalement Eren qui, partant d’une bonne intention, avait tenté de laver la cape de la jeune femme. Puis, réalisant que son dégoût de la saleté ne concordait pas avec son besoin de garder l’odeur de cette femme à proximité, il avait réalisé que quelque chose d’anormale se produisait en lui quand il s’agissait d’elle.
Cependant, ce ne fut qu’aujourd’hui, alors que Sieg gémissait à ses pieds et qu’il l’observait, une dizaine de mètres plus loin, qu’il parvenait enfin à comprendre pourquoi son cœur battait si fort dans sa cage thoracique quand il la voyait, ce qui pouvait bien justifier les frissons parcourant son corps quand elle le saisissait ou encore l’appel irrésistible que formait ses lèvres dès lors qu’elle parlait.
Soudain, il la vit se retourner vers lui. Mais il n’eut le temps de formuler intérieurement le sentiment qu’il éprouvait à son égard. Non. Parce que, dès lors qu’il vit son visage tordu d’effroi et réalisa qu’elle s’élançait en sa direction en courant, il sut.
Elle avait eu raison. Comme toujours.
— LEVI, cria-t-elle d’une voix éraillée, déchirant le calme de cette journée
Ses yeux ne purent se détacher de cette femme avançant à toute allure en sa direction. Il n’eut même pas la présence d’esprit de bouger. Non, toutes les ressources de son corps étaient tétanisées par une unique pensée.
Voulant l’atteindre pour le prévenir, elle s’était approchée. Beaucoup trop. Et il eut tout juste le temps de réaliser qu’une si courte distance ne lui laissait que peu de chances de survie avant que le bruit assourdissant d’une déflagration ne résonne dans la clairière.
La bombe venait d’exploser.
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hier, alors que je venais de faire un double update pour vous remercier des 8k vues, nous avons atteint les 1k votes !
je suis vraiment heureuse de voir que cette histoire vous plaît (j'arrête pas de me répéter mdrrr)
mais ça me fait vraiment plaisir et je tenais à vous remercier, voilà pourquoi je publie deux chapitres, aujourd'hui aussi !
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