𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟗
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S04E08
petit spoiler
Depuis plusieurs heures maintenant, le dirigeable se déplaçait dans un silence de plomb. Nul ne parlait du moins, presque. La plupart se contentait de regarder la forme située sous un drap blanc tendu dans la pièce principale.
Dan avait passé un bras autour des épaules de Jean. Leurs dos collés contre la paroi du véhicule, ils rivaient leurs yeux humides sur la défunte, peinant à croire ce qu’il s’était passé tantôt. Cela semblait surréel.
Coincés pour plusieurs heures aux côtés de la femme, ils sentaient que leur cœur ne battait qu’avec douleur dans leur poitrine. Des sanglots étouffés se faisaient entendre aux alentours, notamment à leur gauche où Bosuard serrait de toute ses forces un Conny tremblotant dans ses bras.
Le tatoué se tourna vers Jean. Il savait que celui-ci, même s’il ne le dirait jamais, lui était reconnaissant pour le simple geste qu’il exécutait maintenant. Son bras solidement entouré autour de ses épaules, le maintenant éveillé dans une heure où tout s’effondrait, il lui faisait savoir qu’il ne l’abandonnerait pas.
Lui et sa collègue se sentaient coupables. En cette nuit où tous pleuraient le décès d’une amie chère, ils avaient eu la chance de récupérer celle qu’ils croyaient perdue à jamais. Alors, demeurant aux côtés de ceux qui en avaient le plus besoin, ils se sentaient illégitimes de laisser exprimer leur peine face au corps à jamais endormi.
Seulement, comme s’il avait entendu ses réflexions silencieuses, Jean lâcha soudainement à voix basse sans détourner ses yeux de Sacha :
— Tu as le droit de pleurer, Dan. Elle comptait pour nous tous.
L’intéressé, à ces mots, sentit le creux dans sa poitrine gagner en profondeur. Il pinça fermement ses lèvres entre elles pour retenir le cri rageur qui venait de naitre au plus profond de lui et rabattu son bras libre sur le corps du châtain pour clôturer cette étreinte. Aussitôt, il le sentit se détendre contre son torse et des larmes vinrent imbiber le tissu de son haut.
Là, lové à l’abris des regards, Jean hurlait sa peine au travers de sanglots étouffés. Et le tatoué, jetant un autre regard à la défunte allongée sous ce linge blanc, lâcha une larme tandis que ses épaules se mettaient à trembler.
— Je suis tellement désolé, laissa-t-il filer de sa gorge étranglée par l’émotion. Je suis tellement désolé de ne pas être arrivé plus tôt.
Car Emeraude, laissant son sixième sens diriger son cœur, avait nettement senti la catastrophe qui s’apprêtait à survenir. Mais elle était montée trop tard à bord du dirigeable, ne leur laissant pour réconfort que de durs mots à l’intention de l’enfant.
Dans une pièce voisine, elle y repensait d’ailleurs maintenant. Assise sur une chaise faisant dos à la table, seule décoration de la pièce, elle fixait le vide des yeux. Même si elle ne connaissait pas personnellement Sacha, elle sentait au plus profond d’elle que la jeune femme n’aurait pas apprécié de la voir intimider une fillette de la sorte.
Et, à l’instant où une force monumentale était montée en elle, qu’elle s’était penchée vers la meurtrière avec le désir fou de venger les hurlements que poussaient ses amis, elle avait senti quelque chose la retenir. D’une douceur incomparable. Comme une main sur son épaule.
Elle avait alors compris qu’elle n’avait pas le droit de souiller la mémoire d’une si belle personne en commettant en son nom un acte si atroce que celui qu’elle s’apprêtait à exécuter. Elle s’était donc levée et avait quitté la pièce sans un regard pour les enfants.
Un grincement assez long la tira de ses réflexions. Tournant la tête vers l’entrée, elle y vit alors Levi, debout devant la pièce où Eren et Sieg étaient attachés. Il ferma la porte derrière lui, coupant net à toute intrusion extérieure. Il voulait être seul avec elle. Après tout ce temps.
Le dos plaqué contre la chaise dont le dossier lui-même touchait la table, elle garda sa tête orientée en sa direction, le détaillant. Il n’avait pas changé. Du moins, presque pas. Quatre années s’étaient écoulées mais il demeurait l’éternel noiraud au regard d’acier qu’elle avait toujours connu. A l’exception du fait peut-être que ses iris semblaient s’être ternies. Elle détourna les yeux.
A ce geste, il se décida enfin à se mouvoir. Quittant la porte, il se déplaça en sa direction, faisant virevolter la cape qu’elle lui avait laissé avant de s’en aller comme une voleuse, emportant avec elle ses rares moments de paisibilité.
— Où étais-tu pendant tout ce temps ?
Peut-être était-ce l’ébranlement de la savoir vivante ou encore la peine de devoir encore encaisser la mort d’un de ses hommes. Mais la voix et le ton du caporal furent bien plus secs que ce à quoi tous deux s’attendaient.
Elle ne cilla pas et conserva son regard ancré devant elle, loin de lui. Il s’était arrêté quelques mètres sur sa droite et cela lui allait bien ainsi. Elle ne savait pourquoi une douleur si grande la cuisait dans sa poitrine, comme un besoin de pleurer qu’elle avait nourrit durant des années loin de lui et qu’elle sentait prête à exploser maintenant qu’elle le retrouvait enfin. Mais elle devinait aisément que s’il faisait un pas de plus en sa direction ou croisait son regard, elle ne se retiendrait pas.
— Ce ne sont pas tes affaires, répondit-elle simplement, gardant sa position droite sur son siège.
Mais ce ton ferme, la jeune femme l’abandonna bien vite lorsqu’en une fraction de seconde à peine, elle sentit deux bras frôler les siens et vit du coin de l’œil deux mains se poser de chaque côté d’elle sur la table, l’encadrant fermement. En face de son regard soudain vacillant se trouvait un torse et elle dut basculer sa tête en arrière pour voir l’homme.
Elle réalisa alors combien, en un instant, il s’était rapproché. Légèrement penché au-dessus d’elle, projetant son aura réconfortante sur elle. De sa position, elle ne voyait que sa mâchoire finement sculptée, son nez tracé avec précision et ses hématites qu’il gardait sur elle comme si rien d’autre n’avait jamais existé.
Ils étaient proches. Très proches. A un point qu’ils n’avaient jamais connu. Ses avant-bras touchaient ses épaules et, prise dans une chaleur étouffante, Emeraude n’osait respirer de peur que sa poitrine se presse alors contre son torse. L’atmosphère était lourde, bouffante. Et la température avait grimpé.
Lorsqu’il ouvrit la bouche, elle ne put détacher ses yeux de ses lèvres. Et lui eut du mal à s’empêcher de contempler sa gorge que, de par sa position, elle lui exposait. La peau douce de son cou semblait l’appeler. Irrésistiblement. Avec une telle force qu’il ne réalisa même pas qu’il n’avait jamais ressenti tels émotions.
— Qui crois-tu être pour me parler de cette façon ? demanda-t-il simplement de sa voix grave et profonde.
Elle eut un frisson. Là, enchainée à ses prunelles, son corps touchant quasiment le sien et ses paroles se déversant en une caresse sur sa chair, elle eut le sentiment de recommencer à vivre après des années de sursis.
Il ne lui avait pas laissé saisir la moindre chance de fuir ses hématites et gardait son regard intense rivé en sa direction. Chaque pore de sa peau suintait un étrange nectar que leur simple contact visuel lui faisait goûter.
Elle laissa filer un soupir entre ses lèvres et il sentit ses mains devenir moites sur la table qu’il serrait. A chaque respiration, son buste manquait de rentrer en contact avec celui d’Emeraude, faisant drastiquement augmenter le feu qui cuisait au creux de ses reins.
Face à celui-ci, il sentit sa froideur habituelle fondre peu à peu. Peut-être le temps aidant, il avait oublié qu’il ne parvenait à demeurer indéchiffrable en présence de la jeune femme. Et, malgré son absence prolongée, il ne lui avait fallu qu’un simple souffle pour que ses sensations s’éveillent, encore plus fortes qu’auparavant.
— Et qui crois-tu être pour me prendre de haut ? répondit-elle sans interrompre leur contact visuel.
A ces mots, il sentit peu à peu le feu en lui laisser place à une chaleur moins ardente et plus paisible. La tension dans l’air baissa d’un cran et ses poumons se remplirent à nouveau correctement d’air. Une phrase. Un sarcasme dissimulé. Et, surtout, un retour à une époque qu’il croyait révolue.
Il ne lui avait fallu que ça pour recouvert la paisibilité qu’il avait pu rencontrer par le passé en présence d’Emeraude.
Alors, lui offrant un de ses rares sourires sans se douter une seconde de la folie qu’avait engendré ce geste de la poitrine de son vis-à-vis, il leva sa main droite de la table et vint la poser délicatement sur sa tête.
Là, la jeune femme crut défaillir. Ce contact, simple, dénué de toutes connotations, simplement emprunt d’une douceur que le monde qu’elle avait découvert l’avait poussé à regretter, venait de propager en elle un sentiment de bien-être dense et réconfortant.
— Tchh… C’est bon de te revoir, dit-il simplement.
Ses muscles se détendirent un à un sous ce toucher d’une tendresse qu’elle connut alors pour la première fois. Jamais elle n’aurait cru Levi Ackerman capable d’une telle douceur. Mais, debout devant elle tel le bouclier dont elle avait eu besoin, ces dernières années, il semblait lui dire de ce simple geste qu’elle n’était plus seule.
Une larme coula sur sa joue. Il fit mine de ne pas l’avoir vu. Il savait que cela n’avait rien à voir avec la douleur et ne voulait pas l’embarrasser en soulignant ce que, au vu de son caractère dur, elle trouverait gênant.
Il sentit tout de même un torrent de sentiment déferler en son ventre, redonnant vie à son corps qu’il ne croyait plus fonctionner que pour se battre. Telle une machine de guerre. Il avait retrouvé celle qui l’avait poussé à se lever le matin durant un an et avait apporté un peu de lumière à sa quête sombre sur Paradis.
En y repensant, ses yeux se voilèrent quelque peu. L’absence d’Emeraude et Erwin avait été particulièrement rude à affronter. Et, ce soir, il devait dire au revoir à deux autres personnes.
Remarquant l’ombre planant dans ses iris, la jeune femme sentit son cœur se compresser quelque peu. Il ne la regardait plus, elle, mais un point dans le vide. Un cheminement de pensées l’avait mené à une réflexion plus dure que les autres. Réflexion qu’elle avait comprise.
— Je n’ai jamais eu confiance en lui mais toi, oui.
Ses pupilles s’agitèrent dans leur orbite et il sembla s’éveiller, les posant sur elle. Sa main n’avait pas quitté son crâne, comme s’il avait besoin d’une connexion physique avec elle.
Il savait de qui elle parlait.
— Tu n’as pas simplement perdu Sacha, ce soir. Mais aussi Eren.
Elle sentit à la façon qu’il eut soudain de raffermir sa prise sur sa tête qu’elle avait vu juste. Oui, deux amis avaient disparu ce soir. Une jeune femme pleine de vie qui avait su égayer le quotidien morne de l’escouade et celui en qui il avait jadis placé tant d’espoirs.
Même s’il ne laissa rien paraître sur son visage, elle sentit soudain le caporal se tordre quelque peu, comme si la plaie du poignard qu’avait figé le titan dans son dos était trop cuisante pour qu’il demeure statique. Il avait sincèrement voué de l’affection pour Eren qui l’avait trahi. Purement et simplement.
Son cœur se serra à cette vue et sa haine envers le garçon n’en fut que décuplée. Elle ne supportait pas l’idée qu’on fasse du mal au noiraud. Ces quatre dernières années, elle n’avait parfois maintenu les yeux ouverts que pour être sûre que ceux-là le revoient un jour.
Alors, maintenant qu’elle constatait les sévices qu’il avait infligé au guerrier de jadis qui n’était aujourd’hui plus qu’une âme blessée, la lame du canif de son frère la démangeait. Je n’aurais jamais dû partir, se dit-elle.
— Je sais à quoi tu penses, retentit soudain sa voix grave. Mais il en est hors de question.
Emeraude n’eut aucune réaction à ces mots. Elle n’était pas surprise par ses paroles et le contraire l’aurait en réalité étonnée. Plus qu’un garçon auquel il s’était attaché, Eren était le visage de l’espoir, celui pour lequel tant de personnes étaient mortes.
Tous deux se turent un instant, revoyant défiler sous leurs yeux sans qu’ils ne le veuillent le visage des martyrs. Ils s’arrêtèrent sur celui d’Erwin, le cœur gros.
— Le tuer reviendrait à effacer le sacrifice des autres, dit-il en ôtant sa main du crâne de la jeune femme.
Même si elle n’avait pas formulé cette demande, il avait ressenti ses pensées comme si leurs âmes étaient liées. Et son idée avait fissuré quelque chose dans leur cocon qui le poussa à rompre tout contact physique avec elle et s’éloigner de quelques pas. Ils eurent froid tous les deux mais firent mine de n’avoir rien remarqué.
Mais, comme si son corps lui-même le réclamait, elle saisit soudain son poignet. Le même que celui qu’il avait abaissé en retirant sa main de son crâne. Il se figea alors, dos à elle et les yeux rivés sur le sol. Elle aussi orientait son regard en cette direction.
Elle n’aimait pas ce qu’elle s’apprêtait à dire.
— Si tu laisses ce garçon poursuivre son but, dit-elle d’une voix tremblotante en raffermissant sa prise sur sa main, Sacha ne sera pas la dernière.
Elle le sentit se raidir au creux de ses cinq doigts. Il savait qu’elle ne mentait pas sur ce point, qu’elle lui livrait simplement son ressenti le plus profond des choses et que celui-ci n’était pas erroné.
Mais éliminer le sacrifice de tous d’un coup de sabre était trop lui demander. Il avait trop perdu en voulant sauver le garçon pour se résoudre à l’éliminer aujourd’hui.
Alors, tirant d’un coup sec sur sa main pour se défaire de sa prise ferme, il finit de quitter la pièce sans un mot ni regard. Elle n’opposa pas plus de résistance, sachant pertinemment qu’il refuserait de revenir sur une telle décision.
Elle ne lui en voulait pas. Malgré les larmes imbibant ses yeux face au terrible pressentiment qu’elle avait vis-à-vis du titan, elle ne lui en voulait pas. Elle était l’une des rares personnes face à qui il acceptait de laisser voir ses émotions. Alors elle savait combien ce qu’elle lui demandait était rude.
Basculant de nouveau la tête en arrière, elle laissa une larme couler sur sa joue. Mais, malgré le chemin douloureux de celle-ci, elle s’autorisa à laisser un sourire étirer ses lèvres. Un rictus qui illumina son visage pour une unique raison.
— Mes amis, nous allons nous revoir bientôt.
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aujourd'hui, j'écris le dernier chapitre du tome 1 qui m'a mis dans un EXCELLENT mood, surtout la dernière phrase !
j'espère que vous l'apprécierez tout autant et que la longueur de cette fanfiction ne vous embête pas trop 😅
je ne sais pas encore combien de chapitres constitueront le tome 2 mais il y en aura BEAUCOUP moins je vous rassure et les rapprochements entre Emeraude et Levi seront bien plus visibles et récurrents
sinon, avez-vous des théories sur la façon dont ce tome 1 va se terminer, sachant que les 4 saisons se trouvent dedans ?
et qu'est-ce qu'il va bien pouvoir se passer dans le tome 2 ?
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