𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟓

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬





S04E06
aucun spoiler






4 ans plus tard

             La nuit était tombée sur Mahr mais la ville ne semblait pas endormie. Flânant gaiement dans les rues, quelques familles profitaient de la fraicheur nocturne en laissant leurs regards glisser sur la voûte céleste, admirant les étoiles qui peignaient la voie lactée. Nul doute n’était possible : aucun ne s’attendait aux terribles évènements qui surviendraient bientôt.

             Derrière eux, la rumeur d’une voix se faisait entendre à des pâtés de maison à la ronde. Quelque peu déformée par la puissance du micro que son possesseur maintenait devant ses lèvres, elle s’élevait dans le ciel, captant l’attention des hauts dirigeants des quatre coins du monde formant le public.

             Légèrement en retrait, un homme observait le spectacle depuis un appartement dont la fenêtre donnait sur la scène. Celle-ci se voyait constamment traversée de faisceau lumineux à mesure que la pièce de théâtre se déroulait. Ses yeux ambrés détaillaient d’ailleurs les lueurs rougeâtres avec attention.

— Dan, bouge ton cul, cingla une voix particulièrement sèche derrière lui.

             Aussitôt, il tourna son visage en direction de la personne venant de l’interpeller, provoquant un léger frémissement dans ses longs cheveux amassés en un chignon assez lâche. Mais celle lui faisant face ne s’attarda que sur le bâton de la sucette qui dépassait de ses lèvres charnues.

             Son sourcil noir se haussa, étirant sa bouille jadis enfantine en une moue désapprobatrice. Il dut réprimer une grimace à ce spectacle. Quatre années étaient passées mais, plus Bosuard grandissait, plus elle adoptait les expressions faciales d’Emeraude. Et elle ne s’en rendait pas le moins du monde compte.

             D’ailleurs, elle passait le plus clair de son temps à penser à tout sauf à leur amie. Ses méninges ne tournaient plus que pour les missions qu’on lui assignait, sa quête de protéger l’île Paradis. Aussi s’impatienta-t-elle relativement rapidement lorsqu’elle vit la montagne de muscles tirer la sucrerie de sa bouche avant de l’y fourrer à nouveau.

— DAN ! l’interpella-t-elle en haussant le ton. Bouge ton gros cul.

             Il leva les yeux au ciel tandis que, retirant le chargeur de l’arme à feu qu’elle tenait, Bosuard vérifiait son nombre de balles. Elle n’avait pas seulement appris à reproduire ses expressions faciales. Son langage grossier revenait maintenant souvent dans la bouche de l’adolescente.

             Mais ce n’était pas du goût de tout le monde.

— Oi, oi, oi, retentit une voix particulièrement grave depuis la pièce d’à côté.

             La jeune femme se figea, tournant ses yeux en amande vers Dan qui s’était emparé d’une lance foudroyante qu’il vérifiait contentieusement comme l’exigeait la procédure. Ainsi, il ne vit pas le regard auparavant réprobateur de Bosuard qui se faisait maintenant implorant. Ou plutôt, s’efforça de ne pas le regarder pour se venger.

             Voyant les bras tatoués du garçon se tendre à mesure qu’il analysait son matériel, elle comprit qu’il ne comptait pas lui offrir une quelconque aide et lui cracha un surnom peu élogieux avant de se tourner vers l’homme l’ayant interpellée.

             Il se tenait dans l’encadrement de la salle de bain de l’hôtel, ses hématites puissantes rivées sur le sourire penaud qu’affichait l’adolescente. Mais, malgré celui-ci, il savait qu’elle ne regrettait en rien ses paroles vulgaires. Cela allait bientôt faire quatre ans qu’il la rappelait à l’ordre chaque jour pour celles-ci.

             Serrant un peu mieux la cape verte de son amie sur ses épaules, l’homme s’avança dans la chambre où les deux se préparaient à lancer l’assaut. Il n’était pas du tout à l’aise avec l’idée de laisser une gamine d’une quinzaine d’années y prendre part mais, au bout de six missions qu’il lui avait formellement interdit de rejoindre et où elle avait quand même trouvé le moyen de se faufiler, il comprenait que ses injonctions étaient vaines.

             Ce n’était pas les capacités de Bosuard qui le faisait douter quant à l’idée de la laisser prendre part à une mission mais plutôt le souvenir d’Emeraude. Elle tenterait de m’étriper si elle voyait cette mioche tenir cette lance foudroyante.

             Cette dernière, constatant que le regard de Levi s’était adouci, était retournée à ses précédentes occupations. Elle savait que l’heure décisive approchait et ne voulait être en retard. Même si elle avait connu meilleures directives.

— Quand je pense au merdier qu’on va mettre pour un connard égocentrique coincé dans sa crise d’adolescence, maugréa-t-elle.

             En plus d’un langage peu noble et d’expressions faciales troublantes, Bosuard tenait aussi de son ancienne amie son aversion pour Eren Jäger, cause de la venue des bataillons d’exploration sur le territoire Mahr.

Bosuard ! la rappela à l’ordre le tatoué.

             Dan, de son côté, se montrait moins catégorique. Même s’il était aussi peu à l’aise que le reste des troupes à l’idée de mener cette intervention, il était davantage disposé à comprendre le titan.

— Quand je pense au bazar qu’on va mettre pour un connard égocentrique coincé dans sa crise d’adolescence, la corrigea-t-il.

             Enfin, tout était relatif.

             Levi poussa un soupir. Ses sabres étaient affutés, ses réserves de gaz pleines. Il n’avait plus qu’à regarder discrètement par la fenêtre la suite des évènements. Car là était la raison précise pour laquelle la fine équipe que lui et les deux autres formaient depuis trois ans n’était pas sur des toits comme le restant de son escouade mais cachée dans une chambre d’hôtel avec vue sur le théâtre improvisé en plein air.

             Ils devaient être aux premières loges pour localiser leurs assaillants. Ils étaient les plus à mêmes —avec Mikasa qui était réquisitionnée sur un autre poste— de vaincre les titans que possédait la ville et qui surgiraient. Surtout Dan qui, plus le temps passait, plus il montrait d’étonnantes capacités de combat.

             Avant de s’approcher des carreaux, il accorda un regard à Bosuard. Elle était fin prête, à une exception près. Et, bien qu’habitué à son habituel petit manège précédant chaque bataille, il devait avouer qu’il s’en trouvait toujours dérouté.

             Sous l’expression affligée de Dan et le regard fermé de Levi, elle vint attacher ses box braids en un imposant chignon qu’elle inspecta ensuite soigneusement dans son miroir de poche. Tournant quelque peu la tête pour voir sa coiffure sous tous les angles, elle admira la façon qu’avaient les lumières du dehors de se refléter sur les perles de métal plates entourant par endroit ses nattes.

             Puis, saisissant un rouge à lèvres vermeil parmi les armes à feu disposées sur le matelas et qu’elle débouchonna d’un geste technique mais rapide de la main, elle entreprit de passer le tube sur sa bouche, colorant celles-ci délicatement. Puis, elle le referma en pressant ses croissants de chair entre eux avant de regarder le résultat.

             Malgré les trois années depuis lesquelles ce trio fonctionnait ensemble, Dan n’était toujours pas habitué à un tel spectacle. Et, comme d’habitude, il ouvrit la bouche en fronçant les sourcils. Et —comme d’habitude aussi— elle ne lui laissa pas le temps de parler.

— La jalousie, ça donne des pointes fourchues.

             Aussitôt, le garçon se tut en affichant une mine renfrognée. Levi ne prit pas la peine de lever les yeux au ciel. Jamais —à l’exception d’Hanji qui était un sacré numéro— il n’avait connu plus atypiques que ces deux-là mais cela lui allait bien.

             Même s’il demeurait le caporal-chef de l’escouade portant son nom, il avait eu tendance à passer davantage de temps aux côtés du duo de terreur que formaient Dan et Bosuard ces derniers temps. Bien sûr, il était tout aussi investi dans les missions que menaient les autres et y prenait part à chaque fois. Seulement lorsqu’il s’agissait de former des petits groupes d’intervention, ces trois-là terminaient toujours ensemble. Il y avait une certaine synergie entre eux.

             Sans doute la perte d’Emeraude avait dû jouer là-dedans. Quoi qu’il en soit, même s’il ne viendrait pas à l’esprit du noiraud de les qualifier d’amis, il lui arrivait de se sentir bien en leur présence. Etat qu’il n’aurait jamais cru atteindre suite à la disparition de la jeune femme et d’Erwin.

             Soudain, le tirant de ses pensées, la porte de la chambre s’ouvrit, attirant leur regard. Ils savaient de qui il s’agissait, ils avaient convenu qu’elle leur rende visite dans la soirée. Alors, lorsqu’ils virent ses traits serrés dans l’encadrement de la porte, ils ne furent pas surpris.

             La nouvelle venue n’attendit pas que Levi lui demande de prendre la parole, que Bosuard face une remarque sur sa fausse barbe ou encore que Dan enfourne une énième confiserie dans sa bouche.

— Le Mâchoire et le Charrette sont neutralisés. L’assaut ne va pas tarder à débuter.

             Tous acquiescèrent. Ils attendaient ces informations pour se mettre en place. L’adolescente saisit une arme automatique dans une main avant de s’emparer du grapin de son système tridimensionnel, Dan fit de même en accordant un autre regard au spectacle en contrebas qui n’allait pas tarder à virer au cauchemar et Levi serra discrètement les pans de la cape qu’Emeraude lui avait donné, trois ans auparavant.

             Seulement, à l’instant même où il s’apprêtait à se tourner vers les deux autres pour rejoindre la fenêtre qu’ils traverseraient, Jelena ajouta une phrase à ses propos. Quelques simples mots qui semblèrent anodins pour tous mais sonnèrent quelque peu le caporal :

— Si vous vous retrouvez acculés, ne vous inquiétez pas. On a prévu des renforts.

             Il se raidit et, ses yeux s’écarquillant, se tourna vers les sabres qu’il tenait déjà. Des renforts ? Son cœur s’emballa au souvenir de sa dernière conversation avec Emeraude mais il se reprit bien vite, ce n’était pas le moment de penser à ça.

             Non seulement ils se préparaient à mener une offensive sanglante mais il savait que les propos de Jelena n’avaient rien à voir avec son amie. Pour une raison simple. Comment pourrait-elle parler d’elle puisque…

             Mais ses pensées furent brutalement interrompues par un éclat de lumière particulièrement lumineux qui l’éblouit. Sa rétine le brûla soudain et il plaça sa main sur ses yeux par réflexe mais il savait très bien ce qu’il venait de se passer.

             Le bruit violent d’une déflagration avait retenti. Assourdissant, tétanisant, il avait sifflé dans ses tympans avec une violence telle qu’il n’entendit plus le bruit de ses pensées ou même de son cœur cognant contre sa cage thoracique.

             Le sol à ses pieds trembla et il ne perdit pas un instant. S’élançant vers la fenêtre brisée sur le coup de l’explosion, il alla rejoindre Dan et Bosuard qui, assis sur celle-ci, regardaient attentivement les alentours. Ils avaient ordre de demeurer cachés jusqu’à ce que leurs cibles arrivent. Car ils doutaient que le Mâchoire et le Charrette demeurent enfermés bien longtemps.

             Atteignant l’endroit où ils se trouvaient, il prit place à leur côté et suivit leur regard. Des cris fusaient en bas ainsi que des pleurs et il sentit son cœur s’affaisser quelque peu dans sa poitrine. Il songea qu’Emeraude avait eu raison de le mettre en garde quant au garçon. Il aurait mieux fait de l’écouter. Car, aujourd’hui, ils se voyaient contraints de prendre part à une tuerie de masse.

             Observant la silhouette haute d’une quinzaine de mètre d’Eren sous sa forme titanesque, ils ne purent ignorer le monticule de cadavres sur lequel les larges pieds de la créature se tenait. Adultes, vieillards, enfants. Il n’avait rien épargné.

             Les corps s’entassaient déjà sous les blocs de béton tombés lors de la transformation du garçon. Du troisième étage de la bâtisse, malgré la distance, ils pouvaient nettement les voir. Et, sachant qu’ils ne pouvaient faire rien d’autre qu’attendre le signal, ils se retrouvèrent contraints d’assister au triste spectacle de personnes innocentes hurlants de terreur ou même de tristesse face aux cadavres devant eux.

             Partout, ils voyaient la mort embaumer les lieux de son lot de souffrance. Sous les décombres, des bras ou jambes sectionnées dépassaient parfois. Beaucoup couraient, tentant d’échapper à un mal qui s’était abattu sur eux sans qu’ils ne soient responsables de rien. Sur leur route, animés par le seul désir de survie, ils piétinaient d’autres déjà blessés.

             Dan déglutit péniblement. Il se souvenait encore de la perte du mur Maria, dix ans auparavant. Il lui était donc dur de regarder ce spectacle tout en sachant qu’il en était à l’origine. Je ne vaux pas mieux qu’eux, se dit-il au moment où une fillette, appelant sa mère avec force, disparut soudainement sous une lourde pierre lui tombant dessus.

— J’aurais jamais cru dire ça un jour mais je suis contente qu’elle ne soit plus là pour assister à une telle chose, déclara Bosuard d’une voix faible.

             A ses côtés, les deux hommes se raidirent mais ne la contredirent pas. Elle avait raison. Et, comme pour appuyer son propos, elle ajouta avec un spasme d’effroi :



— Emeraude, tu as de la chance d’être morte.

 















DÉBUT PARTIE 4

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top