𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟑


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬



S03E18
grand spoiler





             Il semblait être autrui.

             Debout sur les vestiges de ce qui avait été le titan bestial, couvert d'un sang chaud qui ne le répugnait même plus. Aujourd'hui, il ne pensait pas à la saleté. Son esprit était même à des années lumières de tout ce qui était exent de rage.

             De sa lame, il s'était acharné sur la bête, animé par la seule force de sa colère face à la scène qu'il avait surprise tantôt. Creusant des tranchées dans la chair du monstre, il avait réalisé qu'aucune d'entre elles ne ferait revenir son ami.

             Et ceci l'avait poussé à blesser toujours plus profondément, toujours plus longuement la créature. Il avait voulu la voir à l'agonie, qu'elle hurle sa peine sans discontinuer, que son corps devienne un fardeau dont nul ne pourrait le sauver, devenant même plus lourd que le poids des décès que le caporal portait sur ses épaules.

             Seulement, pris dans ce torrent de flammes, il avait fait une erreur. Un simple écart dont il ne faisait d'ordinaire jamais preuve mais que, en ce jour si sombre, il n'avait pu oublier. Oui, le corps propulsé de son ami encore en tête, il avait abandonné ses émotions à ses sabres.

             Et, dans l'espoir de le faire toujours un peu plus souffrir, il lui avait donné du temps. Un temps qui lui avait été bénéfique.

             Face à lui, se déplaçant rapidement sur ses quatre pattes, un titan d'environ quatre mètres de hauteur venait de le doubler, l'habitant du bestial coincé délicatement dans la bouche. Et, s'enfuyant en emportant l'homme barbu, il s'éloignait de Levi à toute vitesse.

             Ne laissant pas un seul instant de répit au feu le cuisant déjà intérieurement, il se redressa brusquement vers les titans qui cernaient avant le bestial. A la droite de celui-ci s'était trouvé un certain nombre de ces créatures —qu'il avait abattu en venant— tandis qu'à sa gauche en demeuraient encore d'autres dont il devait s'occuper s'il souhaitait poursuivre la bête sans encombre.

             Seulement à peine se fut il tourné vers ces nouvelles cibles qu'un détail l'interpella. Elles étaient moins. Beaucoup moins que ce qu'il avait compté au départ. En effet, plus que trois étaient encore debout. Et il ne tarda pas à comprendre pour quoi.

             Tout autour de lui s'élevait une épaisse poussière semblable à de la brume qu'avaient soulevé les multiples jets de pierre et qui rendait sa vision partiellement obstruée. Mais, dans ce voile grisâtre, il distingua bien vite une ombre noire et furieuse s'y découpant.

             Jaillissant soudain de cette opaque cachette, la silhouette fondit sur les trois derniers titans dans un hurlement de rage assourdissant. Un cri tel que Levi n'en avait jamais entendu, pas même lorsqu'elle avait ressenti la fin d'Erwin, plus tôt.

             Non, ce cri n'était rien de plus que l'hymne à la liberté, le désir de s'affranchir de chaines qu'il avait tenté de lui imposer afin de la protéger, le chant d'une guerrière prête à tout pour se délivrer du poids des décès pesant sur ses épaules.

             Alors, à peine vit-il cette trainée couleur émeraude dans le ciel passer derrière les créatures en provoquant des giclées de sang qu'il sentit quelque chose s'animer en lui. Le désir de poursuivre, de se venger, de vaincre.

             Une fraction de seconde passa avant qu'ils ne tombent tous les trois sur les genoux, faisant trembler la terre. Mais Levi ne s'arrêta pas pour les regarder tout comme elle ne marqua aucun temps d'arrêt pour s'assurer qu'il allait bien. Car il fallait d'abord qu'elle tue celui qu'elle considérait à présent comme son pire ennemi.

             Tirant rageusement sur sa pédale de gaz, elle envoya avec force son grappin dans le mur à quelques mètres d'elle afin de le suivre, lui qui venait de l'escalader. Levi l'imita une fraction de secondes plus tard. Mais il lui sembla que, contrairement à Emeraude qui n'avait plus de yeux que pour sa peine, il était à même de réaliser que quelque chose clochait.

             Et, en effet, ils ne se déplaçaient pas assez vite. D'ici une minute, toutes leurs réserves de gaz seraient épuisées et ils ne pourraient bouger. Leur temps passé à protéger les nouvelles recrues des titans les plus chétifs avait eu un impact considérable sur leurs ressources qui n'étaient pas prévues pour autant d'action.

             Alors, lorsqu'ils se retrouvèrent sur le sommet du mur, seul lui put avancer. Debout dans le sang de ces ennemis, le visage déformé par la rage et les yeux allumés d'une lueur nouvelle, plus forte que ce qu'il n'avait jamais pu afficher à la face du monde, il se plaça au bord du mur.

             Là, malgré la hauteur du rempart, il laissa la semelle de sa chaussure glisser le long de sa bordure afin de chuter dans le vide, ne prêtant pas une seule seconde attention à ses réserves de gaz. Non, toutes ses pensées étaient absorbées par l'homme qui, en contrebas, discutait avec Eren comme s'il ne venait pas tout juste de tuer froidement des centaines de personnes dont Erwin.

             Emeraude, de son coté, ne fit pas le moindre mouvement. Du moins, presque. Si ses pieds n'avancèrent pas, que son regard ne s'arrêta pas sur Levi encore animé d'une rage folle et qu'elle ne dit le moindre mot, elle écarta en revanche lentement les doigts.

             Là, debout sur le mur, montrant le dos aux cadavres de centaine de personnes dont les parents ne soupçonnaient pas une seconde l'état à l'heure actuelle et faisant face aux maisons délabrées et calcinées autour d'elle, ignorante du nombre de morts qu'il y avait eu de ce côté-là, une larme coula sur sa joue.

             Cinq ans auparavant, dans ce lieu précis qu'elle regardait, son frère avait poussé son dernier soupir. Et, aujourd'hui, la mort était venue cueillir un autre de ses proches.

             Son cœur se souleva difficilement. A l'époque des contes murmurés avant de dormir, la guerre avait eu à ses yeux ce côté héroïque et libérateur qui l'avait poussée à s'entrainer toujours plus, redoubler d'efforts et de hargne dans sa quête d'indépendance. Mais, au bout du compte, tout cela n'avait rien d'une sympathique histoire pleine de gloire.

             Elle qui avait tant admiré le caporal-chef plus jeune réalisait à présent pourquoi son aversion envers les congratulations de la population était si poussée. Parce qu'il n'y avait rien de gratifiant à rentrer à la maison. Non. Pas quand d'autres restaient allongés dans l'herbe et une mare de sang.

             Levi, se dit-elle soudain, ta première impression sur moi était la bonne. Ses doigts écartés laissèrent tomber ses sabres qui s'écrasèrent sur le sol en un bruit métallique. Edward. Gunther. Son père. Petra. Erwin. Erd. Auruo. Je ne suis pas faite pour être soldat.

             Soudain, la tirant de ses songes, un mouvement à proximité du caporal attira son attention. Assis sur le toit en face d'Eren qui semblait bien proche d'un objet carbonisé —qu'elle identifia vite comme étant un corps— elle perçut un homme escaladant la surface de la maison.

             Son cœur rata un battement. Solidement accroché sur le dos du nouveau venu, Erwin gisait. Et, malgré l'importante flaque de sang qu'il laissait sur son chemin, elle vit ses lèvres s'entrouvrirent légèrement et sentit une larme de joie coulée sur sa joue.

             Il est vivant.

             Sans perdre un instant ni prendre le temps de ramasser ses lames gisantes au sol, elle s'élança à toute vitesse vers le bord du mur et, une fois qu'elle eut atteint celui-ci, sans même se soucier de ses chances de survies, bondit en tapant d'un pied rageur le sol jusqu'à la toiture où tous se trouvaient.

             Fendant l'air en quelques secondes même pas, elle se servit du peu de gaz lui restant afin de se réceptionner convenablement et, sans se préoccuper des mots plus que secs que s'échangeaient Eren et Levi, se rua sur le blessé.

             Aucun des deux autres ne sembla remarquer sa présence, trop occupés à défendre corps et âmes leur point de vue, manquant presque d'en venir aux mains à plusieurs reprises. Mais elle ne les écouta pas, se fichant bien du fait que le marmot voulait sauver Armin tandis que le caporal penchait davantage pour son ami.

             Non, elle ne s'en préoccupa pas. Le seul important à l'heure actuelle à ses yeux était Erwin. Il fallait qu'elle prenne connaissance de l'ampleur des dégâts.

             Se ruant sur l'homme allongé, elle ne fit même pas attention au soldat qui l'avait trainé jusque-là et qui s'écarta sur son passage. Obnubilée par l'état du major, elle préféra ne porter intérêt qu'à la plaie béante au niveau de son abdomen.

             N'osant toucher celle-ci de peur d'aggraver la situation, elle se posa à genoux à droite de l'homme qu'elle détailla minutieusement afin de s'entretenir intégralement de son état. Mais ce moment lui fut davantage douloureux qu'autre chose.

             Si un certain soulagement avait pris possession d'elle en le voyant respirer, elle sentit son cœur se fendre en constatant l'ampleur des dégâts. Il n'est pas mort mais pas loin, se dit-elle, la gorge serrée.

             Rien ni personne ne pourrait médicalement le tirer des blessures qu'il présentait. Son visage habituellement austère était raillé de débris l'ayant griffé, une large tâche de sang ne cessait de s'étendre, habillant son torse et ses yeux s'agitaient de telles façons sous ses paupières qu'elle eut le sentiment qu'un démon étrange le hantait. Celui des amis qu'il ne tarderait pas à rejoindre.

             Celui des martyrs.

             Dans cet état, une seule chose pourrait le tirer d'affaire. Un élément auquel Emeraude ne s'était pas intéressée, une maudite seringue à laquelle elle n'avait prêté que peu de son attention et ce, pour une seule raison. Parmi ses proches amis et à l'exception peut-être d'Hanji, aucun ne voudrait cela. Oui. Que ce soit Erwin, Levi ou même elle, tous savaient que nul parmi eux ne souhaiterait devenir un de leur pire ennemi.

             D'une main tremblante, elle vint agripper celle inerte d'Erwin en laissant ses yeux détailler son visage dur. Là, en ignorant les spasmes de ses paupières ainsi que ses égratignures, elle parvenait presque à croire qu'il dormait.

             Autour d'elle, elle sentit les mouvements et hurlements se faire plus intenses et violents. D'autres personnes étaient arrivées et semblaient se démener pour faire valoir leur point de vue mais elle n'en avait que faire. Car elle venait de faire un choix.

             Ses épaules tremblèrent. Elle avait compris. Mais de sa gorge serrée ne filait aucun son. Car la peine l'étreignait si fortement que même sa respiration devenait sifflante. Ce choix était douloureux mais il lui semblait évident.

             Elle comprenait la douleur de Levi et Hanji, leur désir de sauver le major. Outre les bienfaits que celui-ci apporterait à l'humanité, il était surtout question —même s'ils tentaient d'en faire abstraction— d'un ami qu'ils souhaitaient garder à leurs côtés.

             Mais elle ne voulait pas le forcer à rester. Non. Pas si cela signifiait le condamner à vivre et pas lui donner une nouvelle chance. Malgré ses avertissements, il était allé au Front, en dépit de toutes les possibilités qu'il aurait pu avoir d'éviter ce combat où même de se cacher comme elle, il avait fait le choix de se comporter tel le héros qu'elle avait toujours connu.

             Il connaissait les risques et avait combattu. Il était évident qu'il était prêt à mourir. Alors elle ne pouvait décemment pas le forcer à rester. Pas quand il était si proche de trouver enfin la paix. Elle n'était simplement pas capable de persévérer dans son égoïsme au point de le rappeler dans un combat dont il ne verrait peut-être pas la fin.

             A quoi bon le contraindre à vivre lorsque, de par ses actions, il avait depuis longtemps mérité le droit de mourir ?

             Ses mains tremblaient. Non pas par amour pour Armin mais au contraire par amour pour le major, elle venait de faire le choix de le laisser mourir.

             Le calme était revenu. Elle releva lentement la tête. Seul Levi était encore là. La seringue à la main, il fixait son ami d'un regard qu'elle n'avait encore jamais vu sur lui. Car il avait toujours su masquer à quel point la vie l'avait brisé.

             Point de larme ou même traits tirés, seulement une ombre persistante sur ses hématites. Et elle se maudit de se redresser quelque peu lorsqu'il avança en sa direction. Le noiraud était son ami et, dans ses moments de faiblesse, elle se risquait même parfois à envisager l'idée qu'elle l'aimait. Mais elle n'hésiterait pas à se battre avec lui s'il s'avisait de poursuivre son geste.

             Mais elle n'eut le temps de faire quoi que ce soit qu'il s'immobilisa de lui-même. Lentement, son regard se tourna vers Armin et il sembla pris d'une profonde réflexion. Elle détourna le sien vers Erwin, préférant profiter des tous derniers moments de vie à ses côtés, même si ceux-là étaient bien trop douloureux à regarder.

La mer..., entendit-elle murmurer.

             Elle déglutit péniblement avant de demander d'une voix affaiblie par les sanglots :

Quoi ?

             Elle avait gardé son visage rivé vers le major et Levi ne lui adressait pas non plus le moindre regard. C'était simplement trop dur.

De l'eau salée. Une très grande étendue, murmura-t-il d'une voix à peine audible. Armin dit qu'elle recouvre la majeure partie de la planète.

             Dans ses larmes, elle pouffa. Le sel était si cher dans l'enceinte des murs que cette idée lui semblait saugrenue. Une denrée aussi rare ne pouvait pas imprégner une eau. Et, pensant à cette dernière, elle esquissa un autre sourire entre ses sanglots. Elle qui n'avait vu que des canaux et lacs jusqu'ici se demanda s'il était même possible qu'autant d'eau existe en dehors des remparts. Là, juste derrière le mur Maria.

             Son cœur se souleva. Combien de ses amis auraient aimé assister à un tel spectacle ?

             Soudain, la tirant de sa rêverie, Erwin leva sa seule main valide, attirant l'attention d'Emeraude ainsi que de Levi qui s'était accroupi de l'autre côté du corps sans qu'elle ne s'en rende compte.

Monsieur, monsieur... Sommes-nous... sûrs... qu'il n'y a pas d'humains... derrière les murs..., murmura la voix du major.

             Le noiraud se raidit. Elle le sentit faire mais ne dit rien. Il avait compris. Tout comme elle. Erwin avait vécu une vie héroïque mais, même s'il n'avait pas trouvé réponse à la majeure partie de ses questions, il devait accepter l'idée que le faire échapper à la mort maintenant serait attaché un boulet supplémentaire à ses pieds.

             Levi se crispa. Sa main se referma un peu plus sur la seringue. Elle leva la tête vers lui. Ses yeux ternes fixaient le corps de son ami. Et elle devina à la simple façon qu'il avait de ne pas le montrer combien il souffrait en cet instant. Et elle savait pourquoi.

             Alors, posant une main chaleureuse sur son épaule, elle murmura les exacts mots qu'il avait besoin d'entendre :

Il a le droit de s'en aller, je te l'assure.

             Sous ses cinq doigts, elle sentit son épaule tressaillir. Il leva ses profondes hématites vers elle, trouvant un peu de réconfort dans l'idée qu'elle était saine et sauve. Puis, regardant le sourire penaud mais mouillé de larmes qu'elle affichait, il comprit définitivement quelle était la meilleure option.

             Lorsqu'il se leva, elle ne le suivit pas du regard mais garda ses yeux ancrés sur l'endroit précis où se trouvait son visage, comme pour figer le temps. Immobiliser le cadran solaire à l'instant précis où il existait encore un espoir de le ramener dans cette seringue. Car, une fois celle-ci injectée dans le sang d'Armin, ils ne pourraient plus rien faire.

             Malgré l'évidence qu'elle ne pouvait nier, à savoir que son ami devait maintenant s'en aller, une partie d'elle lui hurlait de le garder, de le forcer à rester. Simplement pour tenir le coup.

             Elle se baissa vers lui, laissant une larme choir sur sa joue et laver quelque peu le sang dessus. Puis, se penchant à son oreille tandis que Levi plantait plus loin l'aiguille dans la peau d'Armin, elle murmura :

Assure-toi qu'ils aient tous trouvé la paix.

             Et, au moment où l'explosion précédant la transformation du nouveau titan faisait trembler le toit de la maison, elle raffermit sa prise sur la main d'Erwin et regarda son visage paisible. Une autre larme roula sur sa joue et un sourire étira ses lèvres qu'elle posa tendrement sur son front. Elle venait de faire un autre choix.

             Oui, penchée au-dessus de son ami mourant, elle avait pris une décision qu'elle ne regretterait pas et le savait.



             Elle non plus ne rentrerait pas à la maison ce soir.










étant donné que nous avons passé les 5k de vues (merci beaucoup d'ailleurs, ça me fait tellement plaisir !!!!) je fais mon habituel double update et publié mes deux chapitres clôturant la partie 3 ce soir <3

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