𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔𝟏
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S03E15
petit spoiler
Les bottes solidement plantées sur des briques rouges composant le toit de ce qui avait jadis été une maison, Emeraude fixait son regard déterminé dans celui, rouge, du bestial se tenant bien plus loin. Jamais elle ne l’avait vu auparavant. Mais elle n’était pas déçue du spectacle.
Imposant, il s’élevait sur une quinzaine de mètres. A côté de son corps démesuré couvert de fourrure, ses fins bras et jambes ne ressemblaient qu’à deux longs fils pendant quasiment au sol. Son regard de sang la fixait. Il l’avait repérée et elle le savait.
Peut-être des kilomètres les séparaient-ils mais ils voyaient clair l’un en l’autre. Debout au milieu d’une dizaine d’autres titans vertigineusement hauts, il était avec eux les barreaux d’une cage qu’ils avaient fermés. Les soldats ne pourraient pas fuir et ils le savaient très bien.
Dans cette arène, ils venaient tout juste de lâcher les lions ou, autrement dits, les plus petites de ces bêtes. Enfin, du moins, cela concernait le secteur Maria auquel Levi, elle et les jeunes recrues venaient d’être affectés. De l’autre côté, là où se trouvait le cuirassé, Hanji, Eren et les autres étaient prêts.
Seulement, malgré la situation, la possibilité qu’ils y laissent la vie, Emeraude ne put s’empêcher de laisser un sourire déformer ses lèvres. Posté à côté d’elle, Levi en fut quelques peu surpris, écarquillant les yeux.
Et elle s’expliqua ainsi :
— J’ai l’impression que ce gros toutou va regretter d’être venu.
Le noiraud eut un temps d’arrêt. Soit, ils n’étaient pas dans la meilleure des postures. Mais, simplement par confiance en ses capacités et celles de son amie, il ne put qu’acquiescer. Ils venaient d’hériter de la charge de lui faire la peau. Et nul ne les arrêterait dans ce dessein.
Planté en haut du mur, Erwin Smith les regarda inspecter calmement les alentours. Les plus jeunes recrues avaient été chargées de protéger les chevaux afin d’avoir un moyen de quitter les lieux. Eux devaient les couvrir et, surtout, éliminer le titan bestial.
Soudain, Levi sentit Emeraude se tendre à ses côtés. Il se tourna vers elle. Les paupières closes sous la capuche de Petra, ses traits étaient détendus. Il reconnut là le visage qu’elle avait lorsqu’elle soumettait ses cinq sens aux évènements alentours. Quelque chose était là. Elle le sentait et il le savait.
— Deux titans à l’Est. Des jeunes recrues un peu plus loin.
Elle ouvrit les paupières. Leurs regards se croisèrent. Ils acquiescèrent. Ils n’avaient eu besoin de mot pour se comprendre.
Ouvrant leur bouteille de gaz d’un même geste sec, ils appuyèrent sur la pédale et s’envolèrent immédiatement, fendant les airs. Leurs capes laissèrent une trainée vert émeraude dans l’air qu’Erwin, du haut de son rempart, accueillit avec un acquiescement satisfait. Il avait bien fait de les placer ensemble.
Ils franchirent plusieurs pâtés de maison en quelques secondes avant de voir, en face d’eux, la rue concernée. A leur droite, des jeunes recrues poussaient des couinements affolés en déplaçant leurs montures tandis qu’à gauche, deux monstres avançaient. Ils arrivaient aux croisements de plusieurs routes.
Levi fondit à toute vitesse sur eux, sabres sortis. Emeraude, elle, détourna brutalement sa trajectoire en arrivant à leur hauteur. Le noiraud ne le souligna pas, ayant assez confiance en ses capacités pour savoir qu’une bonne raison motivait cela.
Et en effet, à peine se retrouva-t-elle suspendue dans les airs dans une position parallèle au sol devant le nez des titans qu’elle leur montra bien vite le dos, faisant face aux recrues tétanisées par la peur qui avaient cessées de bouger les chevaux.
Là, leur arrachant un couinement de surprise, elle dégaina d’un geste rapide deux lames puis les envoya en leur direction. Lançant dans un mouvement furieux les sabres, elle décrocha en même temps les pommeaux de la partie coupante dans un geste furtif.
Les pommeaux restèrent donc dans ses mains tandis que les lames continuaient leur course folle. En ligne droite, elles passèrent au-dessus les recrues qui les suivirent des yeux, désarçonnées qu’elle ne s’en prenne pas aux titans mais à un être invisible derrière eux.
Retentit alors un vacarme assourdissant, comme de lourds bruits de tambour qu’ils ne connaissaient que trop bien. Il s’agissait des pas que produisaient les monstres lorsqu’ils courraient.
Et en effet, alors que les lames s’apprêtaient à poursuivre leur course effrénée dans le vide, un déviant surgit soudain depuis la rue croisant la leur, coupant leur trajectoire. Mais il n’eut le temps d’aller bien loin.
Comme si le tir d’Emeraude avait été calculé au millimètre près, les sabres vinrent se planter dans le point faible précis du titan au moment où il traversait leur champ d’action. Les lames se figèrent dans sa nuque avec une force telle que tous virent un épais morceau de sa chair s’éjecter de cet endroit dans un bain de sang.
Derrière elle, profitant du moment d’inattention des recrues, Levi s’était occupé des deux autres titans d’un habile coup de sabre. Ainsi, d’un même geste, ils envoyèrent leur grappin sur un toit voisin avant de rejoindre celui-ci.
Les recrues ne leur prêtèrent pas attention, concentrées sur le déviant assassiné par Emeraude et qui venait de lourdement tomber sur ses genoux. Sans même voir ni entendre la bête, elle avait su lancer ses sabres assez tôt et à une hauteur assez haute pour qu’ils se plantent avec précision dans le seul point faible de son corps énorme alors que nul ne soupçonnait même qu’une créature apparaitrait à cet endroit dans les prochaines secondes. Était-ce seulement humain, un tel sixième sens ?
Erwin, de son côté, avait assisté à toute la scène. Avec un sourire satisfait, il songea rapidement à ce qu’Edward leur avait un jour confié sur sa sœur.
Avant cet épisode, Levi passait le plus clair de son temps à lever les yeux au ciel en présence du garçon. Mais, cette nuit-là, le noiraud avait subi la perte de nombre de ses hommes lors d’une mission. Et, s’il avait tenté de le cacher, ses émotions l’avaient quelque peu coupé.
Ayant été élevé dans les bas-fonds, le jeune homme avait longtemps cru pouvoir affronter les pires situations de crises. Alors, lorsqu’il avait pris la tête d’une escouade et du subir les premiers durs moments à expliquer à un père que sa fille ne rentrerait pas, il avait d’abord eu du mal à dissimuler ses émotions.
Bien sûr, nul ne l’avait jamais vu s’égarer dans la tristesse mais certains comme Hanji et Mike avaient su la déceler, contrairement à aujourd’hui où il agissait comme une armoire à glace.
Cette nuit-là avait donc été rude. Assis à une table du réfectoire de leur base, sa garde baissée et ses pensées concentrées sur les cinq hommes qu’il avait perdus en quelques heures, il n’avait absolument pas fait attention à l’ombre terrifiante se dessinant derrière la sienne. Du moins, jusqu’au dernier moment.
Un bruit avait retenti. Puis un cri. Il s’était retourné et ce qu’il avait alors vu l’avait laissé sans voix.
Situé entre lui et un membre de son escouade dont le visage était ravagé de larmes, Edward luttait contre l’intru. Ce dernier tenait alors dans ses mains un sabre qu’il s’était de toute évidence apprêté à abattre sur la nuque du caporal.
Le noiraud, regardant les mains du frère d’Emeraude serrer avec force la lame de l’assaillant malgré ses paumes saignantes tant les coupures étaient profondes, avait alors réalisé qu’il lui avait sauvé la vie et, de surcroit, en mettant la sienne en jeu.
Le visage baigné de larmes, il avait hurlé sous les yeux ébahis de Levi qu’il comprenait la peine de son ami mais que celui-ci ne devait pas tenir le chef pour responsable. Seulement, fou de rage, l’assaillant n’avait qu’appuyé davantage sur son arme, aggravant les blessures d’Edward afin de le forcer à lâcher prise.
Le noiraud s’était alors levé et, d’un mouvement vif comme l’éclair, presque imperceptible, avait saisi à son tour la lame à main nue et l’avait tirée loin du blond, l’empêchant de se blesser davantage. Puis, d’un coup habile, avait abattu le pommeau sur la tête de son agresseur afin de l’assommer.
Plus tard, alors que Levi était venu remercier le garçon tandis qu’Hanji lui faisait de solides bandages et Erwin venait prendre sa déposition, il s’était répandu en excuse. Un peu surpris, le noiraud lui avait demandé pourquoi il lui demandait pardon alors qu’il lui avait sauvé la vie, ce à quoi le jeune homme avait répondu que, à sa place, le flair développé de sa sœur aurait senti l’attaque avant qu’elle ne survienne et nul n’aurait été blessé.
Le caporal ne gardait de ce jour que deux choses : une cicatrice blanchâtre sur la main ainsi qu’une dette envers le garçon.
Alors, des années après, c’est avec un fin rictus qu’Erwin se remémora ce moment. Tu avais raison, Edward. Quel flair incroyable.
Se posant sur le toit et observant les lames rangées dans ses étuis, Emeraude se maudit intérieurement. Si elle avait toujours su économiser son gaz, les lames étaient une autre paire de manche. Perdre deux recharges en une attaque n’était pas une bonne nouvelle.
— Cet instinct hors de commun m’étonnera toujours, retentit une voix à côté d’elle.
Elle lui offrit un faible sourire amusé en le regardant essuyer violemment la tâche de sang sur son visage. Il avait horreur de la saleté. Peut-être même plus que des titans.
Seulement elle n’eut pas le temps de lui répondre qu’il se redressa soudain et, portant son regard sur un point derrière elle, hurla soudainement :
— Magnez-vous d’éliminer le menu fretin avant que le bestial arrive ! cingla-t-il aux recrues qui n’avaient toujours pas bougé, médusées par la spectaculaire attaque du duo. Et pas de pertes dans nos rangs, compris ?
Emeraude promena son regard aux alentours. Les recrues semblaient avoir du mal à maitriser ces titans. Or ceux-là étaient les plus petits gabarits. La suite s’annonçait très mal. Comment maitriseraient-ils ceux faisant une quinzaine de mètres ?
— Les faibles meurent trop vite, retentit soudain la voix du caporal. Qu’ils restent sur la touche.
Se redressant, quelque peu surprise par cette intervention, elle suivit son regard et tomba sur le major qui, le dos droit, examinait l’opération en cours. Elle savait qu’il lui en voulait d’avoir laissé sa curiosité dépasser le danger qu’il encourait. Amputé dans un endroit où les ennemis —nombreux— exploitaient la moindre de vos faiblesses, il ne semblait pas bien parti.
Même sans le légendaire sixième sens d’Emeraude, tous pouvaient comprendre que maigres étaient les chances que cela se finisse sans accro.
Soudain, alors qu’elle s’apprêtait à s’élancer sur d’autres créatures, son corps s’immobilisa de lui-même et elle sentit sa langue s’épaissir dans sa bouche. Ses battements de cœur augmentèrent et elle dut se pencher légèrement.
Levi, intrigué, se tourna vers elle alors qu’il s’apprêtait à quitter le toit. Elle eut tout juste le temps de murmurer un mot. Un seul.
— Bertholt.
Aussitôt, un hurlement grave sonore retentit depuis l’autre côté du mur. Aucun n’eut de mal à reconnaitre la voix du titan cuirassé. Et, d’un seul et même geste, comme s’ils avaient compris ce qui allait se produire, le noiraud et son amie se tournèrent vers le titan bestial.
Il avait déjà bougé son grand corps hirsute et s’apprêtait à lancer son bras avec force. Dans sa main, ce qui ressemblait à un tonneau se trouvait enfermé. A l’intérieur, ils y devinèrent le titan colossal. Et, sans que nul ne puisse rien y faire, il projeta l’objet dans le ciel.
Traversant le territoire Maria où le duo se trouvait, il dépassa le mur sur lequel demeurait Erwin pour finir sa course de l’autre côté. Tous le suivirent du regard, le cœur battant. Leurs yeux s’élevèrent vers la voûte céleste, impuissant face à cette charge qui s’apprêtait à s’abattre sur Shiganshina.
— Cours Hanji, cours, murmura Emeraude en le voyant retomber de l’autre côté.
Immobiles, debout en équilibre sur cette toiture, Levi et elle observaient le tonneau. En suspens, ils semblaient s’être échappés du temps. Nul ne pouvait intervenir ou les tirer de là, leurs yeux irrémédiablement ouverts suivaient cette course semblant être un aller simple pour la mort.
Là, un grand silence prit place parmi les deux camps. Même le vent sembla se taire. Des secondes passèrent, peut-être des minutes ou même des heures. Et, au terme de celles-ci, Emeraude laissa filer entre ses lèvres :
— Il est là.
A peine Levi eut-il le temps de se tourner vers elle qu’une violente déflagration retentit. Malgré la hauteur du mur, c’est sans aucun mal qu’ils perçurent l’éclair violent qui zébra soudain le ciel, projetant sa lumière incandescente sur les alentours. De là où ils étaient, ils reçurent tout de même le souffle de l’explosion, le bruit assourdissant de celle-ci et, plus que tout, des hurlements.
Dans l’enceinte de Maria, tous se raidirent à ces derniers. Le titan colossal allait apparaitre. Mais combien des leurs venaient de disparaitre ?
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