𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟔

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS





S01E14
petit spoiler





             Cela allait faire cinq bonnes minutes que les différents chefs d’escouade du bataillon d’exploration —excepté Levi qui s’était retiré pour s’entretenir avec Erwin Smith— avaient escorté Eren jusqu’à l’extérieur. Emeraude, elle, se situait depuis dans le hall du tribunal.

             Des étoiles dans les yeux, elle promenait son regard émerveillé autour d’elle, détaillant l’architecture du palais de justice. Le sol en marbre couleur émeraude lui rappelait la cape que revêtait le bataillon d’exploration. Sans doute était-ce pour ça qu’elle se sentait si à l’aise dans ce lieu pourtant austère.

             Les murs blancs aux moulures élégantes étaient ornés, à distance égale, de tableaux. Sur chacun d’entre eux, des scènes mettant en valeur les différents corps de l’armée étaient dépeintes. Tantôt des soldats de la garnison regardant deux puissantes roses jaillir du sol pour enrouler le mur, tantôt de fiers membres des brigades spéciales chevauchant des licornes devant le splendide roi. Il y avait même une représentation des jeunes recrues, une épée dans chaque main qu’ils gardaient le long de leur corps, fixant la population souriante depuis un toit.

             Mais l’œuvre qui attira le plus son attention fut sans nul doute celle avoisinant une double porte vitrée donnant sur les bureaux administratifs. Sur celle-ci, debout devant le mur, six soldats habillés de capes vertes se tenaient fièrement. Leurs visages dissimulés sous une capuche, ils semblaient tout de même fixer un point loin devant eux. Des titans. Sur le rempart qu’ils protégeaient, l’ombre de deux ailes splendides se découpaient à la lueur de ce qui semblait être un incendie les entourant.

— Woaw…, murmura la jeune femme en admirant de quelle façon était représenté le bataillon d’exploration.

             Là plus que jamais, en voyant le courage de ce qui n’était autre que des êtres faits de pigments, elle eut envie d’être l’une des leurs. Elle se sentit comme l’une des leurs.

             Le dos droit et les yeux brillants, c’est avec fierté qu’elle bomba le torse, faisant ressortir le sigle de ce corps d’armée qui était brodé sur sa veste. Et, même si elle n’avait pas encore suivi les entraînements, elle ne se sentait pas le moins du monde comme une imposture. Là était sa place.

             Soudain, la tirant de sa rêverie au moment où elle s’apprêtait à effectuer un salut militaire, un mouvement attira son regard dans le reflet des portes vitrées menant à l’administration. Malgré l’obscurité de celles-ci, elle n’eut aucun mal à reconnaitre le caporal —grâce à la taille de celui-ci— qui marchait en sa direction.

             Le dos droit et le visage impassible, le rythme de ses pas était militaire. Il ne donnait ni l’impression d’être pressé, ni la sensation qu’il était détendu. Comme à son habitude, il était indéchiffrable.

             Pourtant, Emeraude sut que quelque chose n’allait pas. A l’instar de bien des personnes ayant été élevées à l’état sauvage ou à proximité des animaux, les connaissances scolaires qu’elle n’avait pas reçues avaient été compensées par le développement de son instinct. Elle avait ce que certains appelaient un sixième sens.

             En une fraction de secondes, elle se retourna en pliant son bras gauche. Ne suivant que ses sensations et impressions, elle referma ses cinq doigts sur eux-mêmes un instant après. Puis, le cœur battant, elle baissa les yeux vers son poing serré.

             Dans celui-ci, dépassant légèrement, la lame du canif de son frère brillait. Avec stupeur, la jeune femme constata que la pointe de celui-ci touchait le cuir de sa veste au niveau de son épaule. Une seconde de plus et elle aurait été poignardée.

             Levant la tête vers le caporal, elle fronça les sourcils. Encore blême du au choc de ce qu’il venait de se passer, elle interpella d’une voix fébrile le noiraud qui venait de lancer le couteau.

— Et si je l’avais pas arrêté !? s’exclama-t-elle devant le regard froid du garçon.

             Celui-ci ne lui répondit pas, conservant son air indéchiffrable qui effrayait tant la jeune femme. En voyant cette expression et constatant qu’il ne comptait pas lui offrir une explication, elle réalisa qu’il n’avait pas le moins du monde soupçonné qu’elle puisse intercepter la lame. Il pensait qu’elle allait se la prendre et ça ne l’avait pas arrêté.

             C’est quand même la deuxième fois qu’il essaye de me tuer en douze heures qu’on se connait, songea la jeune femme tandis qu’une grosse goutte de sueur coulait le long de sa tempe. Elle qui avait vu la raclée qu’il avait mis à Eren vingt minutes avant ne se sentait pas forcément à l’aise avec l’idée d’être dans les disgrâces du noiraud.

             Ce dernier, les bras le long du corps, s’arrêta à quelques mètres d’Emeraude. Puis, conservant sa voix calme et grave —presque ennuyée—, il déclara dans le hall vide du tribunal :

— Hanji m’a fait part du fait que tu étais sans-abris et n’avais pour seule famille que ton frère disparu. Vu ta situation financière qui ne te permet même pas de t’offrir un toit, tu n’auras jamais les ressources suffisantes pour le retrouver.

             La jeune femme sentit les battements de son cœur s’accélérer. Elle n’avait jamais envisagé les choses sous cet angle mais il était vrai que jamais les brigades spéciales n’accepteraient de lui fournir l’identité des résidents de leur district sans un pot-de-vin. La remarque du noiraud était censée.

             Ses yeux quittèrent le visage de son interlocuteur et, le poing toujours serré au niveau de son épaule, elle jeta un coup d’œil au canif d’Eddie. Était-ce là tout ce qu’elle verrait du jeune homme à présent ? Son injonction remontant à la veille était-elle les derniers mots qu’elle lui adresserait jamais ?

             Elle aurait beau sillonner les districts dans tous les sens, ratisser large et plus en détail, chercher son frère reviendrait à tenter de trouver une aiguille dans une botte de foins. Et elle ne savait honnêtement pas si elle aurait la force mentale de tenir jusqu’à leurs retrouvailles.

— Tu resteras avec l’escouade le temps que le major retrouve ton frère. Bien entendu, cette affaire est le cadet de ses soucis donc ne t’attends pas à le revoir demain.

             Même si sa dernière phrase était rude, la jeune femme sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine et elle afficha un large sourire étincelant. Levi n’eut pas la moindre réaction à ceci, sans doute déjà ennuyé par leur conversation.

             Elle qui avait cru avoir été conviée à ce procès pour que le caporal lui donne un aperçu de ce qui l’attendait si elle s’avisait de remettre les pieds dans sa demeure fut particulièrement surprise par cette nouvelle. Même si elle savait pertinemment que c’était Erd, Petra et Hanji qui avaient pesé dans la balance et non lui.

— Ne t’emballes pas, tu t’occuperas de l’entretien.

             Emeraude haussa vivement les sourcils. Elle n’avait pas le moins du monde songé que la proposition du caporal signifiait qu’elle intégrerait son escouade. Elle n’avait absolument pas le niveau pour ne serait-ce qu’espérer rejoindre les bataillons d’exploration. Alors devenir un membre de ce qui n’était autre que l’élite et l’élite était, pour ainsi dire, inespéré.

             J’ai l’impression que ce nabot veut juste saquer mon moral, songea la jeune femme en durcissant son regard. Comme à son habitude, son interlocuteur n’eut pas la moindre réaction face à ce brutale changement d’expression.

— Durant l’entraînement de trois ans des jeunes recrues, certains y laissent leur peau. Tu en aurais fait partie. Alors n’espère pas non plus graver des échelons et finir dans nos rangs. Tu resteras femme de ménage.

             Emeraude serra les poings. De quel droit se permettait-il de s’adresser à elle de la sorte ? S’il ne souhaitait pas la prendre en charge, il pouvait aussi rejeter la demande de ses subalternes et la laisser sur le bas-côté ! Il était clair qu’il n’appréciait pas l’idée de s’incomber de sa présence alors pourquoi se forcer à le faire ? Depuis quand Levi Ackerman s’embarrassait ainsi ?

             De plus, ses propos venaient de la toucher. Elle qui souhaitait intégrer les bataillons d’exploration ne digérait absolument pas l’idée qu’une des légendes de ce corps de l’armée lui affirme qu’elle ne survivrait même pas à l’entrainement.

— Vous ne savez rien de mes capacités, rétorqua-t-elle en regardant ses pieds, assez en colère pour lui répondre mais trop effrayée pour le regarder dans les yeux.

             Là, elle vit ses bottes bouger. Il avança de deux pas puis laissa entendre ce qui semblait être un rire. A peine perceptible, sans doute laissé filer la bouche fermée et clairement sarcastique, ce son avait résonné.

             Face à celui-ci, elle redressa le regard, se demandant combien de temps il allait se payer sa tête. Là, elle vit pour la première fois un de ses traits se tirer. En effet, il avait relevé le coin de sa lèvre en un rictus moqueur.

— Tu prends la mouche à une simple remarque. Penses-tu qu’un bon soldat soit celui qui contrôle ses émotions ou se laisse dominer par elles ?

             Il avait planté ses yeux gris dans les siens. Semblables à deux hématites, ils étaient froids. Même si on les devinait profonds, il les habillait d’un voile si opaque qu’on ne pouvait rien tirer d’eux. Un peu comme il parvenait à dissimuler sa dangerosité derrière son impassibilité.

             Leur contact visuel la brûlait. Il était particulièrement intense. Bien sûr, il ne coûtait aucun effort à l’homme. Mais elle ne s’était jamais retrouvée face à face avec une personne dont les pores suintaient la puissance et la rage. Toutes en retenue, elles étaient pourtant là. Si perceptibles qu’elles en devenaient presque palpables.

             Et c’était pour cette raison que tous se taisaient lorsqu’il ouvrait la bouche, qu’ils s’inclinaient lorsqu’il passait et tremblaient à ses moindres mouvements. Le caporal Levi Ackerman était terrifiant. Tout simplement.

— Je vous ai simplement répondu. C’est le principe d’une conversation, non ?

             Trop loin, tu vas trop loin, se dit la jeune femme sans parvenir à soutenir plus longtemps son regard. Ses entrailles se tordirent douloureusement dans son ventre et ses mains devinrent moites. Après sa remarque plus qu’insolente, elle craignait le pire.

             Mais elle n’avait pu s’en empêcher, les propos du noiraud l’avait piquée à vif.

— Qu’est-ce qui te fait croire qu’il s’agit d’une conversation ?

             Emeraude fronça les sourcils en gardant ses yeux rivés sur le sol, un peu surprise par cette réponse. Elle s’était plutôt attendue à ce qu’il lui flanque un coup de genoux dans le ventre et la traine par les cheveux jusqu’aux portes depuis lesquelles il l’aurait projetée dans les escaliers.

— Lorsque je te parle, je n’attends pas à ce que tu répondes. A ce que je sache, jamais je ne t’ai donnée le droit de le faire.

             Elle écarquilla les yeux. Venait-il vraiment de lui dire qu’elle était interdite de prendre la parole à moins qu’il ne l’exige ? Elle déglutit péniblement. Même si le vétéran de son village l’avait prévenue quant à la rigidité du code militaire, elle ne se sentait pas vraiment à l’aise maintenant qu’elle y était confrontée.

             Elle finit tout de même par hocher la tête, gardant les yeux rivés sur le sol. Plus que par respect de la hiérarchie, elle obéissait à celle-ci par simple crainte de représailles. Ils ne faisaient que parler et son cœur battait à tout rompre tant il l’intimidait.

— Mais tu sembles te croire sincèrement maitre de tes émotions…

             Il marqua une pause sans bouger cette fois-ci, conservant sa position à un mètre de la jeune femme. Et cela allait très bien à cette dernière.

— Sais-tu pourquoi je t’ai demandé de venir ici ?

             Elle ne répondit pas. Il ne lui en avait pas donné l’ordre. Au lieu de ça, elle se contenta de garder la tête baissée comme un bon petit soldat. Et jamais elle ne s’était sentie aussi humiliée de sa vie.

— Je voulais voir si, justement, tu étais capable de contrôler tes émotions. Si tu pouvais contrôler ta peur ou…

             Elle leva enfin la tête, observant ses traits. Si son visage, comme son ton, demeurait froid et indéchiffrable, elle devina pourtant la suite de la phrase. Il fixait le couteau qu’elle tenait dans son point. Alors c’était un test ? Il voulait voir comment je réagirais face à Eren pour me tester ?

             Partagée entre la colère de ne pas avoir anticipé cela et l’amertume à l’idée que Levi avait donc deviné comment elle se comporterait, elle serra les dents. Elle se maudissait de s’être montrée si manipulable.

— …Ou si tu chierais dans ton froc face à un titan enchaîné et cerné des meilleurs soldats des différents corps de l’armée.

             Avec un pincement au cœur, Emeraude comprit ce qu’il avait voulu dire tantôt. Non seulement elle s’était laissée dominée par la peur mais elle n’avait en plus pas fait confiance à ceux qu’elle espérait devenir, un jour, ses collègues. Deux erreurs qu’un bon soldat ne pouvait se permettre de faire.

             Pourtant, quelque chose s’éveilla en elle. Instinctivement, une pensée lui vint à l’esprit. Elle était si forte qu’elle ne parvint à la refréner et, oubliant ce que pourrait lui causer tant d’insolence, elle garda son regard ancré dans celui de son interlocuteur et lâcha, le menton relevé :

— Vous ne leur faite pas confiance non plus, pas vrai ?

             S’il ne laissa transparaître aucune émotion, le caporal ne resta pas pour autant imperméable à sa remarque. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Tout comme avec le couteau tout à l’heure, elle sait viser juste, songea l’homme sans pour autant esquisser la moindre expression faciale.

— Lorsque la situation atteignait son point le plus critique, vous vous êtes levé et avez tabassé Eren pour leur prouver qu’il pouvait, contrairement à ce qu’ils pensaient, se contrôler. Ce n’est pas parce que vous doutiez de leurs capacités comme moi, mais parce que vous n’aviez pas confiance en leur jugement. Pas vrai ?

             Erwin a raison, elle est exactement comme lui… Peut-être plus directe, pensa-t-il en l’entendant s’exprimer si naturellement. Elle savait qui il était, cela se voyait dans la façon qu’elle avait de le craindre. Pourtant, elle ne semblait pas pouvoir manquer une occasion de l’ouvrir bêtement. Oui, exactement comme lui... Une grande gueule.

             Jugeant que la discussion prenait une tournure bien trop personnelle, il décida de l’écourter en révélant une dernière information.

— Le cas Jäger entraine quelques changements. Toutes les escouades auront le même QG qui se situe en zone rurale. C’est là-bas qu’on va se rendre, jeune fille.

             Sans lui laisser le temps d’acquiescer, il tourna les talons et entama une marche en direction de la sortie. Son interlocutrice —qui avait déjà été mise au courant de leur déménagement par Erd la veille— ne fut nullement surprise par cette révélation.

             Non, ce qui l’avait interpellée était quelque chose d’une tout autre nature.

— Caporal ! dit-elle en levant les yeux vers l’homme qui s’en allait. Si vous ne savez pas comment m’interpeller, appelez-moi Emeraude !

             Le noiraud ne ralentit pas le moins du monde sa marche ni se tourna vers elle pour lui montrer qu’il l’avait écoutée. Elle savait pourtant que c’était le cas.

— Inutile, répondit-il de sa voix impassible.

             La jeune femme fronça quelque peu les sourcils. Levi franchit les portes ouvertes en lançant d’un ton monotone :








— Je ne compte pas t’adresser la parole.







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