𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟗

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS



















             Les torches projetaient leurs lueurs orangées sur les murs des cachots. La pierre noircie par la crasse en apparaissait plus douce, presque polie par les flammes. Mais cette délicate luminosité tamisée ne suffisait pas à apaiser l’étrange et douloureuse atmosphère étouffante des lieux.

             Accroupie sur les dalles poisseuses, juste devant une cellule, elle regardait l’intérieur de celle-ci. Au fond de la cage, assis sur un matelas rongé par les mites et posé sur un sommier de fer rouillé, un garçon semblait patienter.

             En silence, elle l’observait. Quelques semaines maintenant séparaient leur retour d’excursion à Shiganshina et, accessoirement, la dernière fois qu’elle avait vu Eren. Alors, depuis un mois passé dans cette cellule, il avait déjà considérablement changé. Et elle ne savait point si elle appréciait ou détestait ce qu’elle voyait présentement.

             Les jambes trainantes au sol, ses coudes plantés dans ses genoux et ses avant-bras pendant devant eux, il s’était tassé. Son dos était légèrement vouté, de sorte à ce qu’elle ne puisse distinguer son visage derrière ses cheveux maintenant assez longs pour dissimuler ses traits tels un rideau noir.

             Elle le voyait dans sa posture, il était épuisé. Mais elle le sentait dans son aura, la façon qu’il avait eu de ne pas réagir à sa venue, de demeurer stoïque lorsqu’elle s’était accroupie devant les barreaux de sa cage, il avait considérablement muri.

             Quelque chose avait changé. Et, sans même expliquer comment, elle savait que cela était encore plus profond que le rappel de leur ancienne vie.

— Bonjour, Eren, appela-t-elle simplement, un brin de malice dans la voix.

             Il ne répondit point, ne bougea pas. Elle n’en fut pas surprise.

             L’obscurité dans cette cellule submergeait sa silhouette, lui conférant une allure presque démoniaque. Malgré sa position voutée, il semblait émaner de lui une grande puissance. Et elle devinait, derrière ses cheveux raides, un visage déterminé.

— J’ai cru comprendre qu’un paquet de choses s’étaient déroulées, pendant mon absence, poursuivit-elle sans s’inquiéter du silence du brun.

             Elle promena son regard sur le couloir poisseux autour d’elle et les quelques autres cellules voisinant celle d’Eren durant quelques minutes. Là-bas étaient enfermés ceux qui, durant une autre vie, s’étaient rangés du côté du brun.

             C’était étrange mais elle s’en souvenait s’en réellement s’en souvenir. Dans son esprit, elle savait que des gens comme Floch avaient pris parti pour le titan mais elle était incapable de se remémorer des moments précis de cette autre vie.

             Qu’importe. Elle ne savait de toute façon pas si elle le voulait. Elle avait la nette sensation que découvrir tous ces souvenirs lui feraient plus de mal que de bien.

             Edward. Petra. Auruo. Gunther. Erd. Sacha. Hanji. Erwin. Marco. Jean. Conny. Ymir.

             Là-bas, elle les avait tous perdus.

— On peut pas vous laisser seuls deux minutes, commenta-t-elle en haussant un sourcil réprobateur, cognant son index plié sur les barreaux comme pour tester leur résistance.

             Un gloussement franchit ses lèvres.

— Enfin… Façon de parler… Toi tu m’as l’air d’avoir été seul un paquet de temps, rit-t-elle de manière enfantine, tentant de cacher son sourire derrière sa main.

             Il ne bougea toujours pas. Elle ne s’en formalisa pas le moins du monde. Elle savait qu’il l’écoutait.

             Quelques secondes s’écoulèrent et son rictus s’évanouit. Elle reposa les yeux sur lui, sentant le calme revenir quelque peu après sa blague de mauvais goût. Elle s’apprêtait à évoquer un sujet sérieux et souhaitait qu’il s’en rende compte.

— Comme tout le monde, je suppose, je suis venue chercher quelques explications, lança-t-elle en agrippant les barreaux, coinçant sa tête entre eux pour mieux regarder le garçon toujours immobile. Histoire de comprendre ce que mes souvenirs me faisant défaut ne me permette pas de réaliser.

             Il n’était qu’à deux mètres d’elle, au fond de cette cellule. Son tee-shirt noir commençait à bailler autour de son corps amaigri et elle dut réprimer un frisson. Elle se souvenait de la période où elle avait été enfermée à Stohess, de la faiblesse qui l’avait prise ainsi que la sensation de mourir à petit feu.

             Elle ne souhaitait cela à personne.

— Hey, trou du cul, interpella-t-elle en reculant de quelques pas.

             Le soldat posté à quelques mètres d’elle, précisément au pied de l’escalier menant à l’entrée des cachots, mit quelques secondes avant de réaliser qu’elle s’adressait à lui. Après tout, à la seule exception d’Edward, nul ne se permettait d’interpeller les soldats de cette façon, à l’ordinaire.

             Peut-être l’idée de protester le traversa-t-il. Mais, sûrement, elle s’envola de son esprit dès que, regardant cette silhouette habillée d’une cape émeraude, il reconnut la jeune femme qui avait humilié l’un de ses collègues, peu de temps avant leur excursion à Shiganshina.

             Oui, lorsque son ami avait lancé en travers du réfectoire qu’elle avait obtenu une promotion en couchant avec le caporal Ackerman, elle avait eu une réaction telle que tous s’étaient sentis passés l’envie de lui chercher des poux.

             Elle était la deuxième meilleure soldate de l’Humanité. D’après les rumeurs, son fiancé était le premier. Son frère était le médecin de la base — ce qui signifiait que, si l’on voulait obtenir des remèdes soignant véritablement, mieux valait faire attention avec lui. Et le major, malgré les disputes entre lui et la jeune femme dont beaucoup avait été témoin, n’avait jamais cessé de défendre son autorité dans son dos.

             Sans doute ne le savait-elle pas ni ne l’apprendrait, d’ailleurs. Mais quelques personnes présentes dans les cellules voisinant celles d’Eren l’étaient car elles s’étaient permises d’insinuer devant Erwin que (T/P) avait eu une promotion grâce à ses nuits en compagnie du noiraud.

             Qu’importe les horreurs qu’il avait pu déclarer et faire suite à la douleur du deuil, il n’en demeurait pas moins son ami. Il avait pu l’oublier par le passé. Mais la peur de la perdre lors de leur retour à Shiganshina lui avait suffi à s’en souvenir.

             Bien sûr, elle n’oublierait pas ce qui lui avait injustement fait subir suite à la mort de Mike ni même ce que Levi lui-même avait fait. Mais elle savait maintenant qu’elle avait aussi mal agit, dans son ancienne vie, en apprenant la mort de Petra et Erd. Tout comme, plus jeune, elle avait prononcé d’infâmes accusations à l’égard d’Edward en apprenant le décès de ses parents.

             Mais un jour, tous comprendraient que, même si leurs actes étaient des erreurs, l’erreur était humaine. Et, lorsque quelqu’un sent son monde s’écrouler avec un proche disparaissant, il est stupide de la blâmer d’essayer de se raccrocher à quelque chose.

             Même si ce quelque chose est de la haine pour une personne ne la méritant pas. De la colère envers un bouc émissaire.

             Une façon de continuer à se regarder dans le miroir malgré le fait qu’il n’ait pas réussi à sauver son ami. Reprocher à un autre ses propres torts.

             C’était humain, voilà tout. Et tous l’avaient fait.

— Oui, caporal ? répondit le soldat, non sans une grimace d’agacement.

— Trouvez Petra Raille et demandez-lui de monter faire couler un bain dans ma chambre. Dites-lui « s’il-vous-plait ». Et envoyez Auruo amasser un plateau repas qu’il montera aussi dans ma chambre.

             Elle marqua une brève pause.

— Ne lui dites pas « s’il-vous-plaît », à lui.

             Le soldat mit quelques instants avant de s’exécuter, assez mal à l’aise. Soit, elle était hiérarchiquement supérieure à ces personnes et pouvait leur donner des ordres mais ils demeuraient plus anciens qu’elle dans la brigade. Alors, évidemment, il se voyait mal s’élancer vers eux pour transmettre ses instructions.

             Mais, d’un autre côté, en voyant la détermination avec laquelle elle se tenait debout, la lueur des flammes dansant sur sa peau, son regard froid tourné vers lui malgré les innombrables bandages couvrant son corps, il sut que protester n’était pas dans ses options.

             Alors, inclinant légèrement la tête, il lâcha finalement après un bref instant de flottement :

— Oui, madame.

             Elle le regarda enjamber les marches derrière lui avec précipitation, un sourire en coin étirant ses lèvres à mesure que sa silhouette se rapetissait. Et, quand il arriva au sommet des marches et disparut derrière la porte, elle se tourna de nouveau vers la cellule.

             Eren n’avait pas bougé. Du moins, presque. Son dos demeurait voûté et ses coudes, posés sur ses genoux mais il avait redressé la tête.

             Il la regardait, maintenant.

             Sous deux sourcils épaissis, ses yeux émeraudes semblaient transpercer l’obscurité. Ils brillaient avec vivacité malgré la fatigue se lisant sur son visage décomposé. Il semblait terne dans sa façon d’être. Comme usé par le temps et les ténèbres.

             Mais surtout usé par les souvenirs.

— Tu t’es décidé à me parler ? demanda-t-elle en sortant une clé lourde de sa cape verte.

             Les pupilles du garçon se rétractèrent à la vue de cet objet. Il le reconnaissait. Son cœur se mit à battre plus intensément et il le fixa avec ardeur, partagé entre ce qu’il souhaitait et ce qu’il devait faire.

             Et il sentit son sang affluer avec d’autant plus de hargne dans ses veines lorsqu’il comprit ce qu’elle comptait faire.

— Arrêtes-toi, lâcha-t-il simplement tandis qu’elle dirigeait la clé à hauteur de la serrure.

             Elle se raidit. Sa voix l’avait surprise. Rauque. Eteinte. Enrouée.

             Elle pouvait affirmer que cela faisait plusieurs semaines qu’il n’avait prononcé le moindre mot. Il s’était évertué de se taire, s’en était d’ailleurs excellement bien sorti. Malgré la soif et la faim, la peur et la solitude, il avait laissé le monde tourné autour de lui, reculant dans sa cellule.

             Alors pourquoi lui parler maintenant ? D’autant plus pour l’empêcher de le délivrer ?

— Pourquoi tu…, commença-t-elle, les sourcils se fronçant.

             Mais sa voix mourut dans sa gorge tandis qu’elle serrait d’autant plus fort la clé entre ses doigts. Elle venait de comprendre. Et Eren sut qu’elle avait réalisé la vérité à l’instant même où il remarqua ses yeux s’écarquillant.

— C’est toi qui as demandé à être enfermé…

             Il ne répondit rien. Elle n’ajouta pas plus de mots. Ils se fixèrent une poignée de secondes dans le blanc des yeux, incertains quant à ce qu’ils devaient dire.

             Jamais elle ne l’aurait cru capable de s’infliger une telle peine. Mais pourquoi ? A l’époque, s’il avait déclenché le Grand Terrassement, une raison se cachait sans doute derrière cela ? Une raison qu’il comprenait ?

             Avait-il réalisé qu’il était en tort ? Non. Elle en doutait. Car quelque part, tous ceux s’étant battus contre Eren eux-mêmes avaient saisis les raisons de son geste. La quête de liberté.

             Et un soupçon de vengeance, peut-être.

             Un silence s’installa entre eux. Elle ne savait comment agir et se contentait de le regarder, légèrement surprise. Et, lorsqu’il sentit ses iris se faire trop insistantes sur son visage, il se décida enfin à prendre la parole.

— Je me souviens… de tout.

             Elle ouvrit la bouche, ne sachant trop quoi répondre. Mais, voyant le regard perdu dans le vide du brun, elle réalisa qu’il fallait qu’elle se taise.

— J… je…, commença-t-il d’une voix affaiblie. Je me souviens vraiment de tout.

             Là, elle comprit.

             Contrairement à eux tous, il était capable de se remémorer exactement ce qu’il s’était passé, à l’époque. Il pouvait revoir les cadavres des siens, réentendre leurs hurlements de terreur, sentir à nouveau l’odeur de putréfaction, se souvenir du goût métallique du sang dans sa bouche, songer à la sensation de leurs peaux froides sous ses mains.

             Oui. Il se souvenait vraiment de tout.

— Je sais pourquoi j’ai fait ça, annonça-t-il fermement. Je me souviens de ce que je ressentais, de la peur en moi. Je t’assure que je n’oublie pas la colère qui m’animait et le désir d’offrir enfin la liberté à laquelle nous avions tous aspirés.

             Le visage ferme, elle l’écoutait patiemment. Elle l’entendait dans les très légers oscillements de sa voix qu’il essayait de dompter, ses émotions étaient encore vives dans sa poitrine.

             Et, malgré ces anciennes années oubliées et celles qu’il avait revécues par la suite, plus que jamais, il était un enfant projeté dans un monde trop cruel.

— Tu sais, tu n’avais pas eu besoin de me le répéter pour que je comprenne les raisons qui te poussaient à me haïr, admit-il. J’en ai toujours eu conscience, dans le fond.

             Le sourire douloureux qu’il afficha soudain perça le cœur de la jeune femme qui ne sut quoi répondre.

— Comment demander à une personne qui a perdu toute sa famille et ses amis au combat d’accepter l’idée que les soldats se devaient de mourir pour moi ? Comment espérer ne pas être haïs par une femme qui avait perdu ce qui lui restait pour ma propre survie ? Comment accepter qu’on trouve normal que les membres du bataillon se sacrifient pour une seule personne ?

             Elle sentit un spasme la prendre. Là, à l’instant, elle aurait juré avoir aperçu un éclat dans le regard d’Eren. Une larme.

             Mais elle n’en dit rien, se contentant de l’écouter jeter ce qu’il avait sur le cœur.

— Et, au cours de ces quatre ans où tu es partie, j’ai pensé énormément à toi, tu sais. J’ai peu à peu réalisé que tu avais raison. Que ce n’était pas à eux de se sacrifier pour moi, poursuivit-il. Comme tu me l’as si bien dit lors de notre première discussion en tête-à-tête…

             Un gloussement triste s’échappa de ses lèvres :

— … « Ils sont l’Humanité. »

             Elle haussa les sourcils. Avait-elle vraiment dit cela ? Peut-être. Sans doute. Elle savait au fond d’elle que, au cours de cette autre vite, elle et Eren ne s’entendaient pas bien.

             Même si les raisons demeuraient floues dans son esprit.

— C’est pour ça que j’ai décidé de leur rendre la pareille, reprit-il. Tant parmi eux étaient morts en martyr pour moi. Et il était de mon devoir de faire de même pour ceux ayant survécu.

             Elle vit ses yeux s’écarquiller légèrement tandis qu’il fixait toujours le vide, en proie à de vifs souvenirs.

— Oui, j’ai fait le choix de mourir pour eux. Mourir d’une façon à leur apporter enfin la liberté. Qu’il s’agisse de la paix car aucun autre peuple n’existerait encore pour se mesurer à eux. Ou de la paix car tous auraient trop peurs d’eux pour s’en prendre à eux.

             Il marqua une brève pause.

— Ou même de la paix car le monde aurait vu mes frères se battre contre moi.

Elle n’y tint plus et glissa la clé dans la serrure. Un cliquetis mécanique retentit mais il ne sembla pas le remarquer. Son esprit demeurait obnubilé par ce passé effacé.

             Celui qui les avait tant marqués.

— C’était douloureux, tu sais, d’avancer sur ce monde si vaste. J’ai eu le temps de penser longuement pendant que je flottais au-dessus des titans colossaux.

             Elle ouvrit la grille et pénétra la pièce à pas de loup. Il n’avait toujours pas relevé les yeux vers elle. Il n’était sans doute même pas conscient qu’elle était là.

— J’ai eu le temps de songer au fait que je faisais cela pour eux, mais que cela les blessait. J’ai eu le temps de songer à ceux qui sont morts pendant ma progression, admit-il. Ne crois pas que je n’ai pas eu mal en voyant ce que je faisais à des personnes parfois innocentes.

             Là, elle vit nettement la larme qui dévala sa joue. Alors, doucement, elle approcha de lui.

— Mais la vérité c’était que parlementer durant des heures n’aurait pas assurer qu’on ne nous fasse aucun mal et qu’on ne nous envahisse pas ! s’exclama-t-il, ses yeux toujours fixés dans ses propres souvenirs et sa voix commençant à devenir plus aigüe. Et même s’ils avaient signé un papier stipulant qu’ils ne nous feraient pas de mal, dis-moi qui, dans tous ces pays qui nous haïssaient tant, les auraient réellement empêchés de nous assaillir s’ils l’avaient souhaité !?

             Elle sentait ses doigts trembler à mesure qu’elle réduisait la distance entre eux.

— C’est ça ! insista-t-il. On ne pouvait pas faire confiance à leurs beaux mots ! Il fallait agir ! C’est pour ça que je l’ai fait ! Et j’ai eu raison de le faire ! Alors…

             Sa voix s’éteignit soudain dans sa gorge tandis qu’elle arrivait à sa hauteur. Elle vit le voile sombre qui couvrit ses yeux émeraudes. Il sembla enfin remarquer où elle se trouvait. Elle se tenait debout devant lui. Le visage du garçon arrivait à hauteur de son ventre, tant et si bien qu’il dut tordre le cou pour la voir.

             Et, en rejetant la tête en arrière de cette façon, chassant ses cheveux de son visage, il ne lui laissa qu’une vue dégagée sur la douleur qui tordait ses traits et embuait son regard.

— Alors…, reprit-il tandis que ses yeux baignaient à présent dans des larmes. Alors pourquoi je me sens tellement coupable ?

             A ces mots, elle sentit son cœur flancher. Là était la raison pour laquelle il avait tenu à être enfermé durant ce mois. Ce n’était pas pour s’empêcher d’enclencher le Grand Terrassement, non.

             C’était pour se punir de l’avoir fait.

             Elle sentit un étau resserrer sa gorge en voyant les larmes roulant sur les joues du garçon. Il semblait si jeune mais à la fois si vieux. Si innocent mais si criminel. Si pur mais si tâché.

             Si émouvant mais si rebutant.

             Alors elle ne sut vraiment ce qui la poussa à agir comme elle le fit à ce moment-là. Oui, elle ne comprit pas réellement pourquoi elle passa soudain sa main sur la nuque d’Eren et posa son crâne sur son ventre, le poussant à enfouir ses pleurs contre elle. Elle ne put expliquer pour quelle raison elle garda ensuite une main sur sa tête et se servit de l’autre pour lui caresser les omoplates dans un geste apaisant.

             Peut-être car, au fond, elle le comprenait.

             Lorsqu’elle l’entendit soudain étouffer en sanglot contre son abdomen, qu’elle sentit ses bras musclés s’enrouler autour de sa taille pour l’étreindre, qu’elle vit son corps se secouer à cause de ses pleurs, elle faillit flancher.

             Mais, quand elle entendit ce qu’il ne cessait de murmurer contre elle, elle ne tint plus :

— Je suis désolé, je suis tellement désolé. Je suis vraiment sincèrement désolé. Je…

             Là, elle sentit des larmes rouler à leur tour sur ses joues, dévalant son visage pourtant ferme. Son expression faciale semblait impassible mais les gouttes dévalant sa peau depuis ses yeux rouges la trahissaient.

             Elle aussi, était désolée. Désolée d’avoir contraint Eren, avec tous les autres soldats, à endosser un tel fardeau.

— Eren…, prononça-t-elle d’une voix étranglée, ses doigts se baladant parmi ses cheveux dans un geste apaisant.

             Elle ne savait réellement trop quoi dire. Son cœur se comprimait dans sa poitrine et un étau ne cessait de se resserrer autour de sa gorge.

— …Ne te rends pas coupable d’être le fruit d’une guerre que tu n’avais pas choisi.

             Elle sentit les bras entourant sa taille se serrer davantage sur elle et les larmes du garçon imbiber sa cape.

— Et ne crois pas un seul instant que le fait qu’ils se soient battus contre toi les a poussés à oublier qui tu étais et qui ils aimaient, assura-t-elle.

             Elle marqua une brève pause.

— Tu étais mon bouc émissaire comme j’ai été celui d’Erwin à la mort de Mike ou Levi a été le mien à celle de Petra et peut-être que tu as aussi été celui d’autres mais…, elle hésita un instant, sa gorge la brûlant. Au fond, nous savons tous la vérité…

             Une autre larme roula sur sa joue et, malgré elle, son visage se tordit à cause de la tristesse. Brusquement, elle bascula la tête en arrière, tentant de se redonner une certaine contenance.

             Et, au travers de la douleur, elle afficha un sourire presque heureux.

— Tu n’es peut-être qu’un gamin geignard et égocentrique, mais ce gamin insupportable est mon ami.

             Elle sentit des sanglots secouer son torse.

— Et tu es un bon ami, Eren. Quelqu’un dont je suis fière et quelqu’un que je défendrais.

             Les gémissements du brun se firent plus bruyants sur ces derniers mots.

— Nous avons tous commis des erreurs. Et c’était égoïste de ma part de te reprocher les tiennes car, là où je n’ai jamais vu que mon propre intérêt, toi tu t’es toujours dressé pour tes proches, admit-elle.

             Les bras d’Eren se refermèrent encore davantage sur sa taille, comme si elle était une bouée qu’il ne comptait pas lâcher.

— Tu es véritablement l’espoir de l’Humanité, petit. Et tu as honoré ce titre.

             Après ces derniers mots, il ne répondit pas. Toujours enfoui contre le ventre de son amie, blotti dans les bras de cette femme qui l’avait tant haï par le passé, il se sentait bien. Car il connaissait assez le caractère de cochon de cette soldate pour savoir qu’elle n’était pas du genre à ménager autrui.

             Elle était sincère. Il pouvait la croire.

             Et c’est précisément ce qu’il fit le choix de faire.

             Durant plusieurs minutes, un silence apaisant prit place entre eux. Solidement accroché à la taille de son amie, ses yeux se calmant peu à peu ainsi que ses spasmes, il laissa le temps les apaiser, trouver un minimum de répit. Rassuré par les mouvements qu’elle exerçait sur le haut de son dos et son crâne, il s’autorisa même un sourire apaisé.

             Et, une fois leurs émotions légèrement calmées, elle déclara finalement :








— Maintenant tu viens manger et te laver ou je t’en colle une, trou du cul.








***









             Au diable les protocoles, elle avait tiré Eren de cellule sans en informer personne et s’en fichait bien. Qu’importe la paperasse qu’elle était censée remplir, les demandes qu’elle devait formuler.

             Si quelqu’un avait un problème avec sa décision, qu’il vienne la voir.

— Euh… Caporale, commença le brun, hésitant. J’ai peur que Levi s’en prenne à moi si jamais il découvre que…

— Si Rumpletitiskin tente quoi que ce soit, je lui retire encore quelques centimètres, le coupa-t-elle ardemment.

             Non seulement son désir de protéger le brun n’en était ressorti que plus vif après leur discussion. Mais l’absence de Levi durant un mois avait forgé en elle une certaine rancœur qui la poussait à se montrer acerbe quand on l’évoquait.

             Et Eren dut l’entendre car, marchant docilement à côté d’elle dans le couloir le plus en hauteur de leur base, il se dirigeait vers sa chambre sans un mot.

             Elle y avait fait préparer un bain et un repas pour qu’il se remette de ses émotions suite à son séjour en captivité. Et, même si elle savait qu’il se l’était infligé lui-même, elle espérait qu’il recouvre rapidement des forces. Ainsi, elle comptait bien l’installer dans la chambre la plus confortable des lieux — la sienne — et avait décidé de renvoyer Edward de sa propre piaule pour lui piquer la place dans les nuits à venir.

             Plus que quelques mètres les séparaient de la porte close de sa chambre. Mais, derrière celles-ci, des cris étouffés attirèrent bientôt leur attention.

— Attends, arrêta-t-elle Eren en plaçant un bras devant lui, s’arrêtant à quelques pas de sa pièce.

             Il obtempéra et ils tendirent l’oreille, les sourcils froncés. Aux aguets, ils réalisèrent bien vite que ces cris n’avaient rien d’appels de détresse. Au contraire, on eut dit différentes personnes lâchant des slogans.

             Et, quand ils réalisèrent quel était le slogan en question, ils écarquillèrent les yeux en même temps.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce merdier…, commença-t-elle.

— Je crois qu’ils crient « pénis », caporale.

— Non, tu crois ? rétorqua-t-elle aussitôt avec véhémence en lui jetant un regard noir.

— Oh… C’était pas une vraie question…, réalisa-t-il. 

             Sans se soucier davantage d’Eren, elle ouvrit la porte à la volée. Et la scène qui s’offrit alors à elle fut pour le moins déconcertante.

             Debout sur son lit, une fillette devant être âgée d’une dizaine d’années sautait à pieds joints. Une robe ample rose crème entourait son corps menu, contrastant avec sa peau ébène. Et de jolies tresses parcourait son crâne joufflu tandis que ses yeux marrons rieurs fixaient un homme aux pieds du matelas.

             Celui-ci, tourné vers elle, serrait les poings avec un grand sourire. Elle reconnut la carrure imposante et le chignon noir de Dan, derrière lequel se découpait la silhouette de la perche blonde qui lui servait de frère. Edward se tenait dans l’encadrement de la fenêtre.

             Et leurs occupations étaient pour le moins…étrange.

PÉNIIIIS ! hurla le scientifique avec force, une veine palpitant sur son front tandis qu’il poussait énormément d’ardeur dans sa voix.

PÉNIIIIIIIS ! lâcha le noiraud avec encore plus de force en contractant chacun de ses muscles.

             Abasourdie, Eren ne sut quoi dire. Sa supérieure, en revanche, prit la parole au moment où la fillette sautant sur le lit s’apprêtait à hurler à son tour.

— Je peux savoir ce qu’il se passe, ici ? lâcha-t-elle.

             Aussitôt, tous se raidirent dans leur geste. L’enfant arrêta de sauter sur son lit, Dan se tourna vers elle et Edward haussa légèrement les sourcils.

             Celui-ci fut d’ailleurs le premier à prendre la parole :

— Oh ! Dan est venu te promettre qu’il ne te voulait aucun mal et Bosuard a envie de te revoir depuis le moment où elle a récupéré ses souvenirs ! lança-t-il avec un sourire.

             Bosuard. Ce nom tilta dans l’esprit de la jeune femme. Et il lui évoqua une chaleur telle qu’elle ne put s’empêcher de jeter un regard au visage de la fillette. Oui. Elle lui était familière. Et elle savait au fond d’elle — en plus des quelques souvenirs qu’elle avait récupéré — que cette enfant avait compté pour elle.

             Mais elle ne s’y attarda pas, occupée par autre chose.

— Et vous me prouvez votre bonne foi en hurlant « pénis » dans ma chambre ? demanda-t-elle, un sourcil haussé.

— Ah, non, ça c’est juste un jeu pour patienter ! répondit Dan avec un large sourire. Celui qui hurle le plus fort à gagner.

             Si elle fut ravie de voir l’apaisement sur le visage moins maigre et plus coloré du noiraud par rapport à la dernière fois où ils s’étaient vus, elle ressentit une tout autre émotion en voyant avec quel air détendu il lui expliquait son petit jeu.

— Et donc tu joues à ça…avec une enfant ? demanda-t-elle, appuyant son regard sur Bosuard.

— Oh, ça va, elle en a vu d’autres, se défendit Dan en levant les mains de chaque côté de sa tête comme s’il était en état d’arrestation. Elle a buté mon père, je te signale.

             Et le pire était qu’il ne semblait pas du tout gêné par cette nouvelle. Il l’avait littéralement annoncée comme s’il discutait de la météo.

— Ouais, je l’ai planté, ce connard, approuva-t-elle en effectuant un geste victorieux, brandissant le poing, arrachant un sourire anormalement attendri au fils du concerné.

             (T/P) ne put s’empêcher d’hausser les sourcils en se tournant vers elle :

— Toi, tu n’as aucune chance de devenir une adulte normale.

— Est-ce que ça m’intéresse ? rétorqua l’enfant sans se démonter.

             Abasourdie, la caporale ne sut quoi répondre durant quelques instants. Cela faisait longtemps qu’on ne lui avait pas autant manqué de respect. Elle se contenta d’un soupir avant de se tourner vers son frère, changeant de cible :

— Et toi t’invites un gars qui a essayé de me tuer dans ma chambre ? Tu vas pas mieux, hein !?

— Il a payé la tournée à la taverne ! se défendit-il avec véhémence, semblant croire fermement en son argument.

             Elle n’en croyait pas ses oreilles. Et, sentant la présence d’Eren dans son dos, ne souhaita pas non plus faire l’effort de comprendre. Elle était fatiguée et devait encore s’occuper du titan.

— On en reparlera plus tard. Dehors. Tous, tonna-t-elle entre ses dents.

— Mais…, tenta de protester Edward.

— DEHORS !

             Son cri dut être convaincant car, aussitôt, elle vit Bosuard descendre en toute hâte du lit suivie par Dan et Edward. Le bruit de la porte retentit bientôt derrière elle, signe qu’ils l’avaient fermée et s’en étaient allés.

             Quelques secondes s’écoulèrent et elle se tourna vers Eren. Celui-ci affichait une mine quelque peu déconcertée. Il n’avait sans doute pas saisi entièrement ce qu’il venait de se dérouler.

             Et, avant même qu’elle prenne la parole, des éclats de rire retentirent de l’autre côté de la porte. Elle n’eut aucun mal à reconnaitre les trois personnes qu’elle venait de chasser et qui, visiblement, avaient attendues de sortir de la pièce pour se laisser aller et pouffer comme des enfants.

             Sauf qu’ils ne semblaient pas réaliser à quel point les murs étaient fins. Et ils ne réalisaient sans doute pas qu’elle les entendait très bien.

— J’ai dit, DEHORS !

             Aussitôt, les éclats reprirent mais s’éloignèrent, montrant qu’ils courraient dans le couloir. Elle leva les yeux au ciel. Bosuard n’avait peut-être qu’une dizaine d’années, Edward avait 29 ans et Dan, 26.

             Il était peut-être temps qu’ils arrêtent leurs enfantillages.

             Quelques secondes s’écoulèrent et, une fois certaine qu’ils étaient partis, elle reporta son attention sur le brun. A la lueur du jour filtrant par la fenêtre dans son dos, elle vit encore plus nettement les cernes violacés sous ses yeux et le creux de ses joues.

             D’un geste de la main, elle désigna la porte de la salle de bain située face à son lit.

— Tes affaires y sont ainsi qu’un bain prêt. Prends le temps qu’il te faut, déclara-t-elle.

             Jetant un regard vers la porte, il acquiesça.

— Merci, caporale. Vraiment.

             Avec un faible sourire, elle le congédia. Il se dirigea alors vers la pièce qu’il ouvrit mais, au moment où il s’apprêta à refermer derrière lui, elle l’interpella une dernière fois.

— Oh, et Eren !

             Il se retourna vers elle, la main posée sur la poignée.

— Oui ?

— Moi, c’est (T/P).

             A ces mots, il sourit. Un rictus tendre et sincèrement apaisé. Elle le lui rendit et il ferma la porte derrière lui.

             Durant de longs instants, elle fixa celle-ci, resongeant à leur discussion dans les cachots. Les mots d’Eren lui avaient fait mal. Elle avait ressenti l’étendu de sa souffrance et la comprenait d’ailleurs maintenant.

             Qu’importe ce que l’avenir leur réservait, elle le protègerait.

             Sans doute cette pensée lui coûta plus que ce qu’elle n’aurait cru car une larme roula soudain sur sa joue. Puis une autre. Elle ne cessait de se remémorer sa conversation avec Eren, la sensation de son visage chaud et imbibé de larmes contre son ventre, celle de ses bras autour de sa taille et l’immense culpabilité dans sa voix.

             Et cela la peinait profondément. A un point tel que ses larmes devinrent bientôt de violents sanglots qu’elle étouffa tant bien que mal en plaquant sa main sur sa bouche. Ils avaient tous tant perdu, dans cette ancienne vie.

             Et, à présent, elle était terrifiée à l’idée que cela se reproduise.

— Je ne veux pas les perdre, murmura-t-elle dans sa main, ses épaules se secouant.

             Soudain, calmant les spasmes de ses dernières, un torse chaud et musclé vint se coller à son dos. Elle n’eut le temps de réagir que deux bras développés enroulèrent bientôt sa taille dans une étreinte chaleureuse et un parfum de parchemin et cire de bougie empli son nez.

— Et tu ne les perdras pas…, retentit une voix envoûtante juste sous son oreille, son souffle chatouillant sa peau.

             Son cœur se mit à battre avec ferveur et elle sentit aussitôt ses sanglots s’apaiser. C’était lui. Elle n’avait pas eu besoin de le regarder, la simple façon qu’avait son corps de se détendre à son toucher lui suffisait.

             Oui. C’était bel et bien lui. Il était revenu.

— …J’y veillerais personnellement.








             Levi Ackerman était revenu.

 


















azy elle est trop mims leur relation
à eren et elle mtn

juste vous vous souvenez comment
elle voulait toujours le démarrer
dans le tome 1 ptdrrr

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