𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟗


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬




S03E12
petit spoiler


             Assise sur un banc de bois, Emeraude affichait une mine soucieuse que Levi ne souligna pas, comprenant le malaise de la jeune femme. A vrai dire, il ressentait le même. Une journée complète s’était écoulée depuis la mise en garde qu’elle avait formulée à l’égard d’Erwin et rien n’avait changé.

— J’ai eu beau le menacer de lui briser les jambes, il n’en a rien eu à faire, expliqua-t-il en rivant ses yeux gris perçants ses genoux. Et il savait pourtant combien j’étais sincère.

             Balançant sa tête en arrière d’un mouvement vif, Emeraude laissa ses yeux se perdre sur le haut plafond de la pièce avant de clore les paupières, tentant de digérer la nouvelle. Après avoir confié au major ce qu’elle ressentait, qu’il lui ait formellement indiqué qu’il n’en tiendrait pas compte, elle avait mis sa fierté de côté et s’en était allée parler au noiraud.

             Celui-ci avait été réceptif à son message. L’un des nombreux défauts de la femme étant la place conséquente que prenait son égo, il savait combien ravaler sa fierté, oublier les tensions entre eux et venir lui demander de l’aider avaient dû lui coûter. Alors, si elle avait fait cet effort, cela signifiait que le danger était réel. Et grand.

             Les pupilles du caporal vinrent soudain se poser sur la jeune femme. Elle ne s’était pas assise à côté de lui. Comptant à l’origine s’enquérir de savoir s’il avait pu discuter avec le major, elle n’avait fait que se rattraper maladroitement à la première chaise lui tombant sous la main lorsqu’il lui avait révélé que leur discussion avait eu lieu, sans ne rien avancer.

             Ainsi, assis depuis plus d’une demi-heure dans la chambre du noiraud la veille de la reconquête de Maria, ils ne disaient mot. Du moins, leurs paroles étaient rares.

             Levi se tenait sur son lit simple, une couchette similaire à celle des autres soldats. En face de lui se trouvait l’armoire dans laquelle tous ces vêtements étaient soigneusement rangés les uns à la suite des autres. A droite de celle-ci, juste avant la porte, une chaise qu’occupait la jeune femme lui faisait face.

             Il ne voyait d’elle que sa nuque tendue par le basculement de son crâne en arrière. Cette vision l’hypnotisa durant un long moment. Il caressait de ses yeux sa chair dénudée, sentant quelque chose en lui s’éveiller face à cette gorge.

             Soudain, ses joues ainsi que ses entrailles s’échauffèrent et il sentit chaque pore de sa peau suinter. Surpris par la soudaine réaction de son corps, il pensa d’abord à un empoisonnement. Ses membres semblaient pris de fièvres et il suait à grosses gouttes. Mais, bien vite, il réalisa qu’en se détournant de la femme pour regarder ses mains moites, son corps s’était apaisé.

             Intrigué, il releva les yeux vers elle au moment où elle reprenait une position normale, attirant son attention sur ses yeux perçants qu’il pouvait à peine voir à travers ses paupières presque closes. Son corps fut de nouveau pris de chaleur mais cette fois-ci, l’endroit qui le cuit le plus fut son bas-ventre.

             Là, il réalisa que ses réactions n’avaient rien à voir avec une maladie quelconque.

             Dans la vie de tous les jours, il aimait poser sur elle le regard protecteur d’un homme chargé de la mission de perpétuer une promesse. Oui, à l’ordinaire, il ne voyait en elle que la sœur d’Edward que celui-ci tenait pour seule raison de vivre et qu’il se devait donc d’aider à son tour.

             Mais il réalisait maintenant, face à la femme qu’elle était, que sa mission était dernièrement quelque peu biaisée. En effet, rares étaient les fois où il pensait encore à son défunt ami en la regardant. Et, même s’il aimait la qualifier de cette même façon, il savait qu’il ne la considérait pas au même titre qu’Erwin ou Hanji.

             Non, il la regardait avec des yeux bien différents. Et, enfin, il commençait à comprendre les raisons pour lesquelles il ne supportait pas l’idée qu’elle soit en danger, sentait son cœur s’emballer lorsque leurs regards se croisaient, réalisait un peu plus chaque jour qu’il serait prêt à enfreindre l’article six de la Charte de l’Humanité pour elle et, surtout, qu’il se disait que si elle était en danger, il trahirait aussi cette fameuse promesse.

             Oui, s’il en allait de la vie d’Emeraude, il refuserait d’être soldat et imiterait ses hommes en devenant un martyr.

             Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle s’était redressée. Il écarquilla les yeux. Elle lui adressa un sourire se voulant réconfortant. Il sentit ses entailles se tordre. Elle reprit lentement une expression moins joviale. Il déglutit péniblement.

             Est-ce que ça m’est vraiment arrivé, à moi ? songea-t-il en serrant les poings. Suis-je réellement…

— Trompée.

             Se redressant vivement, le caporal fit de son mieux pour se reconcentrer sur la femme. Un seul mot. Deux syllabes. Elle avait su capter son attention. Comme toujours lorsqu’il s’agissait d’elle.

             Patientant quelques instants silencieusement, il lui signifia ainsi implicitement qu’il souhaitait qu’elle étaye son propos, ce qu’elle fit sans même lui adresser un coup d’œil, perdue dans ses pensées.

— Mon instinct n’est pas infaillible, dit-elle en se levant brutalement. Je me suis sûrement trompée ! Mais oui ! C’est ça !

             Un sourire aux lèvres, elle se mit à faire les cent pas dans la pièce à toute allure sous le regard appuyé de Levi qui lui, était bien loin d’être aussi réjoui. Tout simplement parce qu’il craignait que la femme ne retombe dans de vieux travers.

             Alors, ignorant sa tête qui lui criait que de tels mots étaient trop rudes, il lâcha de son habituel voix glacée :

— Inutile de te rappeler ta prédisposition à nier la réalité.

             Touché.

             Elle s’arrêta brutalement dans sa marche, quelque peu saisie par cette déclaration. Lui tournant le dos mais pourtant à un mètre à peine de lui, elle sentit son regard brûlant sur sa nuque, inquisiteur et incandescent. Et sa gorge s’assécha subitement.

             Elle aurait pu rester fidèle à la fille qui avait constaté la mort de l’ancienne escouade et se retourner violemment contre lui, s’insurgeant d’une telle remarque. Oui, elle aurait pu. Mais elle n’en fit rien.

             Levi avait raison. Nier l’évidence ne servirait qu’à repousser l’échéance. Jamais son sixième sens ne l’avait dupée. Du jour où, tombant de son cheval, elle avait réalisé la mort d’Edward à celui où, le lendemain d’une douloureuse prise de conscience, elle avait poussé un hurlement sonore au cœur de l’ancienne base des bataillons d’exploration à l’instant même où quatre de ses amis trouvaient la mort.

             Et, même si cela lui coûtait de l’admettre, les chances que son pressentiment soit infondé étaient quasiment nulles. Elle le savait, au plus profond de son être. Tout comme l’homme qui n’avait décroché son regard de ses omoplates le savait, lui aussi.

— Qu’importe la situation, je serais toujours davantage enclin à faire confiance à ton instinct qu’au mien.

             Elle sourit amèrement. Jamais la fillette en elle n’aurait cru haïr un compliment du caporal-chef Levi Ackermann. Mais aujourd’hui, c’était le cas.

             Ses jambes se firent tremblantes tandis que, gardant le dos tourné vers le noiraud, elle rivait des yeux mouillés en direction de la porte d’entrée. Derrière celle-ci, elle pouvait nettement entendre le brouhaha des soldats fêtant leur départ pour cette mission. Mais elle n’était pas d’humeur à faire la fête.

             Immobile, ne voulant regarder l’homme de peur qu’il ne voit la larme qui coulait à présent sur sa joue, ses membres agiter de soubresauts pendant depuis son buste, elle ne parvenait à digérer ce qu’elle comprenait pourtant bien.

             Mais il le fallait. Et sans doute fut-ce parce qu’elle le savait qu’elle déclara soudain d’une voix fébrile, aussi peu audible qu’un murmure.

— Je ne suis pas sûre de pouvoir survivre à une autre perte.

             Là, comme si son corps souhaitait se joindre à ses mots, ses jambes déjà flageolantes cédèrent soudain sous son propre poids et elle sentit le sol se dérober sous ses pieds. Epuisée par le seul poids de ce sixième sens qu’elle haïssait, elle ne tenta le moindre mouvement pour se rattraper.

             Seulement, au lieu de s’écraser contre le parquet mal lustré de la chambre du caporal, ses genoux demeurèrent quelques instants de plus dans les airs. Sentant une pression nouvelle passant sous le creux droit de sa taille et une autre l’entourant pour l’enserrer de l’autre côté, elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Lui était toujours là pour ses hommes, finalement.

             Alors qu’un bon mètre les séparait encore quelques instants auparavant, il n’avait pas quitté ses yeux d’acier de ses omoplates et s’était jeté en sa direction dès lors qu’il avait vu le premier vacillement incertain de son corps. Usant de ses légendaires réflexes que jalousaient et admiraient bien des soldats, il s’était propulsé afin de lui éviter une chute douloureuse.

             Une fois qu’il l’eut immobilisée dans les airs, figeant son corps à une certaine distance du sol et penchant son visage au-dessus du sien, il sentit les battements de son cœur accélérer. Ce n’était pas la première fois qu’il voyait un visage d’aussi près mais le sien, oui.

             Les paupières presque closes et la respiration sifflante, elle se tenait là, au creux de ses bras. Mais il n’eut même pas le temps de s’attarder sur la façon dont ses entrailles régissaient à cette proximité que son éternel côté terre-à-terre le reprit : l’heure n’était pas au romantisme, elle était de toute évidence souffrante.

Emeraude ? appela-t-il à voix basse, ne voulant la brusquer.

             Il avait déplacé sa main droite sous son crâne pour mieux le soutenir. Aussi sentit-il faiblement celui-ci remuer juste avant qu’elle ne déclare d’une voix presque éteinte sans ouvrir ses paupières crispées.

— C’est rien. Tout va bien.

             Aussitôt eut-elle murmuré ces mots qu’il réalisa un peu plus combien elle était mal en point et la souleva de terre. Allongée dans ses bras forts, elle poussa un soupir de soulagement en sentant son étreinte se resserrer autour d’elle lorsqu’il la releva. Sans même pouvoir parvenir à identifier les composants de celle-ci, elle se sentait apaiser par son odeur.

             Il se retourna afin de la déposer dans son lit dont il ne se servait jamais, occupant toujours une chaise pour dormir. D’un geste délicat, prenant soin de maintenir sa tête immobile, il la plaça au creux du matelas avant de reculer, souhaitant lui donner de l’espace. Seulement, dès lors qu’il fit un pas loin d’elle, il l’entendit grelotter.

             Croyant à un coup de froid, il s’empressa de tirer une nouvelle couverture de l’armoire, ne voulant la déranger en prenant celle située sous son corps, et la déposa soigneusement sur elle, veillant à ce que pas un centimètre d’elle à partir de son menton ne soit découvert. Si elle grelotta moins, elle ne put s’empêcher de se dire que cette chaleur n’était pas la même que celle du caporal. Pas assez réconfortante.

             En bas, les rires avaient monté en intensité, ponctué régulièrement de hurlements que, jusque-là, Levi n’avait pas entendu, trop concentré sur la jeune femme. Seulement, dès lors qu’il la vit froncer péniblement les sourcils suite à un cri, son sang ne fit qu’un tour.

             Se redressant brutalement, il laissa la chaleur à laquelle il était le plus familier l’envahir. Là n’était plus le désir. Seulement la colère. Il ne savait qui se permettait de pousser de tels hurlements aussi tard mais, ce soir plus qu’à l’ordinaire, il ne les tolèrerait pas.

             Son parfum quitta la pièce et, même s’il prit grand soin de ne faire aucun bruit en ouvrant la porte, elle le sentit s’en aller. Reste, songea-t-elle alors. Mais il était trop tard. Telle l’ombre glissant sur la nuque des titans, il avait déjà filé.

             Il mit si peu de temps à dévaler les escaliers qu’il crut presque ne pas l’avoir fait. Sa colère, déjà bien présente du fait qu’il ne supportait pas de voir la jeune femme souffrir, ne cessait de s’accroitre à mesure qu’il s’approchait de la source de cris et que le volume de ceux-ci amplifiait.

             Alors, lorsqu’il déboula dans la cantine vivement éclairée et vit, au milieu de tablées hurlantes et riantes, Eren et Jean se coller des coups de poing dans de sonores cris, sa colère déjà bien présente monta d’un cran. Avec tout ce boucan, jamais elle ne trouverait le repos. Un tel volume était intolérable.

             Il ne franchit la distance les séparant que d’un pas. Pas qu’il termina en levant un pied rageur dans le ventre du titan qui fut propulser quelques mètres plus loin. Sans laisser le temps à son adversaire de réaliser ce qu’il se passait, il fit de même avec lui, l’envoyant entre deux tables.

             Aussitôt, les cris et rires s’évanouirent pour le plus grand plaisir de Levi. Recouvrant son habituel air impassible, il leur lâcha simplement de sa voix grave :

— Vous faites trop de raffut. Au lit.

             Ses yeux balayèrent l’assemblée saoule pataugeant dans des marres de bières. Réprimant un haussement de sourcils condescendant digne d’Emeraude, il ajouta simplement :




— Et nettoyez tout ça.

 







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