𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟒


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS














             Sous le ciel gris, une petite centaine de capuches vertes se découpait. Droits sur leurs chevaux, les sens en alerte, les soldats de cette nouvelle excursion promenaient un regard attentif autour d’eux, sentant que cette « attaque-éclair » commanditée par Erwin prenait une tournure bien trop éloignée de leurs attentes.

             Plusieurs minutes s’étaient déroulées depuis que leurs montures s’étaient arrêtées à Shiganshina, juste devant le mur Maria donnant sur un territoire inexploré. Et, maintenant qu’ils se trouvaient dispersés dans des allées au sol brisé, entre les maisons couvertes de lierres et éventrées, sur des rues jonchées de morceaux de toiture, ils attendaient les ordres patiemment.

             Quelques mois seulement s’étaient écoulés, éloignés de cette ville envahie par les titans de Marcel et Reiner. Ceux-là, ensemble, avaient réuni leur force pour briser le premier mur. Et, plus tard, lorsque la soldate autrefois appelée Emeraude avait libéré Ymir de leur emprise, celle-ci avait confié aux armées qu’ils auraient dû s’en prendre aux deux portes à l’aide de son titan, le colossal, mais que celui-ci avait disparu de leurs rangs la veille de leur départ pour rejoindre l’intérieur des murs. Leur plan s’était alors vu entravé.

             Grâce au témoignage de la brune, les chefs d’escouade savaient dorénavant que Reiner, Marcel et le titan dit bestial que la soldate avait rencontré venaient bel et bien d’un endroit éloigné du leur, en dehors des remparts. Et, foulant le sol de Shiganshina aujourd’hui afin de retrouver la demeure d’Eren et en ouvrir la cave, ils s’apprêtaient à découvrir la vérité précise sur l’endroit d’où ils étaient originaires.

             Cependant, depuis les quelques minutes qu’ils s’étaient arrêtés sur leurs chevaux, Edward, Levi, (T/P) et Hanji, derrière Erwin, nul ne bougeait. Personne n’avait exécuté le moindre geste en direction de l’ancien habitat du brun et ils savaient pourquoi.

             Ils attendaient.

             Il ne s’agissait que de secondes avant que leurs ennemis ne sortent de leur cachette, leurs dents plantées dans leur main, et les prennent en chasse. Or ils ne voulaient révéler leurs intentions aux trois titans en se déplaçant jusqu’à la maison du garçon avant d’avoir combattu ces bêtes.

             D’autant plus que, tous cachés sous leurs capes, ils ne voulaient partager l’exacte position du titan et le laisser se faire enlever. Il valait mieux éviter qu’ils se mettent donc tous à se mouvoir et se séparent les uns des autres, laissant au trio la possibilité de comprendre où pouvait être affecté le garçon en analysant simplement les groupes formés.

             Mais les secondes s’écoulaient et un murmure inquiet s’élevait dans les rangs derrière eux.

— Vous pensez qu’ils peuvent être cachés dans les maisons ? demanda Edward, promenant ses yeux bruns dans les alentours.

             A sa droite, sa sœur s’empêcha de faire de même, voulant dissimuler un maximum son visage, et se contenta de darder un regard insistant sur les omoplates cachés sous le tissu vert du major, devant elle. Elle pouvait deviner les contours symétriques de son visage légèrement orienté en avant, ses pensées tournant à l’intérieur de son crâne tandis qu’il évaluait les possibilités de réussite du plan.

             A sa gauche, un mouvement attira son attention. En se tournant légèrement, elle croisa le regard d’acier du noiraud assis sur son habituel cheval brun. Ses yeux dévisageaient avec ardeur la jeune femme, tentant de s’assurer si elle se portait bien. Alors, les joues chaudes, elle hocha simplement la tête et il fit de même afin de la remercier pour cette réponse.

             Elle se sentait bien, à ses côtés. A l’aube de la plus dangereuse mission possible, alors qu’ils s’apprêtaient à découvrir l’origine de tant de mystères, elle ne trouvait réconfort que dans l’idée qu’il se tenait juste là, pas loin. Et aussi dans celle — dont elle avait honte tant elle était égoïste — qu’il était trop doué pour risquer de mourir aujourd’hui.

             Alors, avec un sourire qui arracha un battement de cœur particulièrement violent à Levi, elle articula ces mots :

— On rentre ensemble ou on ne rentre pas.

             Elle le vit acquiescer et dut lutter contre l’envie de saisir la main avec laquelle il tenait les rênes de son destrier. Car, dans leur dos, une centaine de paires de yeux était fixée en leur direction, attendant les ordres. Et ils ne voulaient pas laisser voir ce qui les liait.

             Ils préféraient garder un certain jardin secret. Qu’il s’agisse de leur couple, de l’envie non formulée de quitter l’armée bientôt et même le véritable prénom de celle que tous appelaient Emeraude, ils ne voulaient rien partager. Se contenter de garder dans leur cœur un semblant de vie privée.

             Seul Edward était au courant. Mais, étant donné qu’il passait son temps à s’abreuver de ragots sans jamais les divulguer, partant du principe que, citant ses mots « personne ne confie ses secrets à quelqu’un qui les répète partout », ils étaient certains qu’il se tairait. Et, en ce qui concernait le prénom de la soldate, il ne l’avait de toute façon jamais appelée que par le surnom « trou du cul » et n’envisageait pas de changer son fusil d’épaule.

— On peut me répondre ou je vais me faire foutre ? répéta Edward d’une voix plus forte en constatant que tous avaient ignoré sa première question.

— Deuxième option, rétorqua Levi, arrachant un sourire moqueur à la jeune femme.

— Hé ! Comment tu parles aux grandes personnes, toi ?

— Surveilles ton langage, gamin, asséna aussitôt le noiraud.

— C’est pas de ma faute si ton seul moyen d’atteindre ta taille adulte est de te transformer en titan.

— Je vais te tuer, tu le sais, ça ?

— Attention, hein ! le réprimanda le blond d’une voix infantilisante. M’oblige pas à aller chercher ta mam…

— Edward ! le rabroua sa sœur, ses yeux écarquillés fixés sur le garçon.

             Celui-ci réalisa son erreur et leva les yeux au ciel.

— Mais pourquoi tous vos parents sont morts aussi ! s’exclama-t-il, visiblement agacé.

— Les nôtres aussi le sont, je te signale ! s’exclama-t-elle.

— Ouais, et justement, je te le reproche aussi !

— Remarque, tu peux les insulter, commenta la jeune femme en le pointant du doigt, regarde l’horreur qu’ils ont pondu !

             Médusés, les soldats dans leur dos assistaient à l’échange. Dans le silence angoissant de cette mission, ils peinaient à comprendre comment le blond et sa sœur parvenaient à rester aussi détendus.

             Levi, Hanji et Erwin, eux, qui connaissaient Edward depuis dix ans, n’étaient pas franchement étonnés.

— S’ils nous avaient pas repérer avant, maintenant c’est fait…, résonna une voix dans leur dos, un jeune roux aux regard de fouine.

— TA GUEULE ! rétorquèrent-ils ensemble en se retournant, arrachant un soupir las au major qui se disait que, décidément, ils n’étaient pas sortables.

             Levi eut envie de lever les yeux au ciel, se disant qu’il serait prêt à sacrifier bien des choses pour les lèvres de la jeune femme mais que celles-ci débitaient un nombre de conneries incroyable à la minute.

— Une centaine de soldats en rang en plein dans la ville, ils nous ont de toute façon déjà repéré, Floch.

             Là-dessus, dans un accès de maturité désarçonnant, Edward tira la langue en direction du dénommé Floch, arrachant un haussement de sourcil médusé du noiraud qui se demanda immédiatement par la suite pourquoi il était étonné d’assister à une telle scène. Après tout, le blond n’avait jamais agi en soldat.

— Mais ce n’est pas une raison pour se donner en spectacle devant ses subordonnées.

— Je te trouve bien bavard pour quelqu’un qui couche sans protection, Levi, cingla-t-il en réponse.

             Aussitôt, un bruit de verre brisé retentit, attirant l’attention de tous, y compris d’Erwin jusque-là silencieux, sur eux. Et, en voyant le bras de la femme tourné vers son frère, son pied droit dépourvu de chaussure et la vitre de la fenêtre de la maison située derrière Edward brisée, ils réalisèrent qu’elle venait de balancer sa chaussure sur le garçon.

             Agacé, le major ouvrit finalement la bouche :

— Vous réalisez tout de même que cette conversation va figurer dans le rapport des cent-quatre-vingt-deux soldats ici présents ?

— S’ils survivent.

— Merci de ton soutien Levi.

             Il y eut un bref silence. Derrière eux, les soldats dévisageant leurs chefs se dirent qu’Edward et sa sœur l’adoptaient par pur respect. Mais, parmi eux-mêmes, tous savaient qu’ils pinçaient actuellement violemment leurs lèvres pour s’empêcher de rire.

             Car le noiraud, sans même le faire exprès, venait tout simplement d’être hilarant en trois simples mots.

— J’aurais jamais cru dire ça un jour, soupira la major. Soldat Emeraude, je vous prierai d’aller chercher la chaussure que vous venez de lancer pour que nous puissions commencer la mission.

             Non sans un soupir exagéré — afin de montrer à l’homme qui l’avait jetée en prison qu’elle lui en voulait toujours — la concernée quitta sa monture.

             Le tissu couvrant ses pieds s’humidifia quelque peu au contact du sol froid de Shiganshina. Claudiquant légèrement sous les regards des soldats derrière eux qui devaient sûrement remettre une bonne partie de leur vie en question en songeant qu’elle était leur supérieure hiérarchique, elle dépassa la monture d’Edward.

— Bon sang je vais devoir te dire combien de fois de pas passer derrière les chevaux !? cingla-t-il.

             Arrivant à hauteur de la vitre brisée, là où sa chaussure reposait toujours, le cuir de celle-ci étant planté dans un morceau de verre, elle se retourna vers le blond sans prêter attention à sa main récupérant sa botte.

— Et moi je dois te dire combien de foi de fermer ta grande… AÏE !

             Sentant son cœur rater un battement en entendant cette expression de douleur provenant de la jeune femme, Levi se tourna immédiatement vers elle, prêt à dégainer. Et, en découvrant la scène s’offrant à lui, il ne parvint qu’à déglutir péniblement.

             Recroquevillée en avant, sa main tendue derrière elle et lacérée, elle n’avait toujours pas ôté son bras de la fenêtre et, laissant les débris s’incruster dans sa peau, fixait le sol sans donner l’impression de le voir.

Il déglutit péniblement. Il connaissait ce regard.

             Elle avait eu le même avant de lui parler de Kuchel, le lendemain de leur première rencontre.

             Et, en effet, tétanisée par ses propres pensées, elle peinait à respirer en repensant à la phrase que lui avait dévoilé Armin avant de se condamner dans l’abysse du Chemin. Il lui avait demandé de comprendre et utiliser ses vrais pouvoirs.

             Elle était la Gardienne du Chemin mais n’était pas censée voyager dans celui-ci. Non. Sa seule action était un connecteur entre les titans et celui-ci. Alors, en prenant conscience de ce lien, elle pouvait les manipuler, les situer.

             Elle déglutit péniblement. A une dizaine de mètres d’elle, sans même le regarder, elle ressentait l’intense chaleur d’une présence liée à elle. Eren. Et, de même à quelques pas plus loin, celle d’Ymir la tiraillait au niveau de sa poitrine.

             Ses paupières se fermaient tandis qu’elle comprenait. Elle était la gardienne du chemin. Alors, en se connectant à celui-ci, elle pouvait aussi se connecter aux titans liés à lui.

             Et ainsi connaitre leur position géographique.

             Elle déglutit péniblement. Elle savait à présent où se trouvaient Reiner et Marcel.

— (T/P) ? appela la voix grave et chaude de Levi.

             Il l’avait appelée par son véritable prénom, ignorant le fait que d’autres les écoutaient. Il s’en fichait. Il se fichait de tous.

             Il n’avait de yeux que pour elle et son expression alarmée. Quelque chose était en train de se produire. Il le savait.

             Et, quand elle remontra les yeux vers lui, plantant ses prunelles intenses dans les siennes, happant l’acier de ses iris dans les profondeurs des siennes, il ne put que déglutir péniblement. Son estomac se souleva et il comprit ce qu’il devait faire.

             Soudain, comme si elle n’avait qu’à le couvrir de ses pupilles pour le pousser à une action, comme si le lien des Ackerman, lorsqu’il trouvait la personne vraiment destinée à l’autre, se révélait plus puissant que tout, elle sut lui parler à lui seul sans ouvrir la bouche. Ce n’était pas de la télépathie. Non. Simplement une compréhension profonde de l’autre.

             On eut même dit que leurs âmes étaient sœurs.

             Nul n’osa faire le moindre mouvement. Les soldats se contentaient de les dévisager, pressentant dans leur soudain changement d’attitude un affrontement proche.

— Et dans les larmes de ceux qui vivent, commença-t-elle en ôtant lentement son bras des débris, ne quittant pas ses yeux.

— Je lave le sang des martyrs, finit-il en apportant ses doigts à ses bouteilles de gaz et soutenant cet intense contact visuel.

             Erwin eut tout juste le temps de se tourner vers eux que le sifflement aigu de leurs bouteilles brisa le silence tendu jusque-là installé.

             Au-dessus des marres de visages de soldats, comme deux oiseaux aux ailes invisibles de la liberté, ils s’élevèrent bientôt. Leur cape verte se souleva autour de leurs corps encadrés par le carquois de leurs lames, ils se dessinèrent sur le ciel gris comme un salut aux sacrifiés.

             Leur silhouette était un hurlement vengeur. Et la voix le poussant était celle des martyrs.

             A Mike. A Nanaba. A tous.

             La soldate fut la première à agir. Dans un cri de rage, elle s’empara des boomerangs accrochés à sa ceinture. Et, son buste se tournant en un geste gracieux, elle projeta les lames sur le mur, à quelques dizaines de mètres dans son dos.

             Dans un mouvement aussi rapide que synchrone, ils fondirent ensemble en direction de leur cible, rattrapant les boomerangs au moment où ils cognaient la surface dure des remparts. Le choc retentit en un bruit sec, cassant. Précédant un spectacle des plus déroutants.

             A l’exact endroit où les boomerangs avaient percuté le mur Maria, un morceau de celui-ci s’étendant sur une dizaine de mètres s’écarta soudain de la surface, s’en décrochant. Puis, dévoilant deux silhouettes accroupies, elle s’échoua en contrebas. Comme le pétale d’une fleur fanée.

             A l’intérieur, quatre yeux bruns encadrés de mèches blondes et châtains s’écarquillèrent en apercevant leurs cachettes révélées. Reiner et Marcel, qui s’étaient jusque-là cru à l’abris, dissimulés dans le mur, réalisèrent leur erreur.

             Les deux soldats qui venaient de les débusquer étaient véritablement les meilleurs de l’humanité. Et bien de toute l’humanité.

             A partir du moment où ils avaient lié leur force l’un à l’autre, acceptant l’idée que leurs lames devaient se mouvoir ensemble, le destin des titans avait été scellé. Ils n’avaient eu la moindre chance.

             Marcel n’eut le temps de réagir, une vive lueur éclaira soudain l’endroit exiguë dans lequel il s’était retranché, l’aveuglant au moment où il distinguait la silhouette des deux soldats s’approchant. Une bombe flash, songea-t-il. Une vive douleur le saisit à la rétine et il tomba à genoux, désarçonné. La tête transpercée par la brûlure de cet éclat, il ne parvint même pas à hurler ni penser quoi que ce soit.

             A ses côtés, il entendit Reiner faire de même dans un hurlement de douleur sourd.

             A l’extérieur, le duo avait rabattu leur bras sur leurs yeux pour se protéger. Et, même si la lumière demeurait intense, ils savaient qu’ils ne devaient pas perdre une seule seconde.

             Le noiraud fut le premier à agir. Fermant les yeux pour se protéger de la bombe flash qu’il venait de lancer dans leur cachette, il se guida à l’aide de seulement quatre de ses sens lorsque, fondant entre leurs ennemis, dans l’espace laissé entre leurs corps, il écarta brutalement les bras, ses lames tendues au bout de ses mains, et trancha leurs cuisses dans une sensation visqueuse qu’il apprécia.

             Dans son dos, d’un geste aussi rapide que maitrisé, sa compagne projeta les boomerangs qu’elle venait de récupérer, les envoyant se planter dans les épaules du blond sans regarder celui-ci afin de se protéger de la lumière. Et, quand les lames tranchèrent nettement ses bras, les amputant, elle fit de même à l’aide ses deux sabres sur ceux de son compagnon.

             Le fer fendit la chair. Le goût de la vengeance.

             L’obscurité revient peu à peu, la laissant distinguer la silhouette du noiraud, debout entre les bustes et têtes des deux titans. Ceux-là, les yeux écarquillés, gisaient sur le sol, encore choqués par la rapidité de leurs actions.

             Tout s’était déroulé en moins de dix secondes.

             Et, lorsque, se tournant vers elle, Levi croisa son regard victorieux, elle s’autorisa un sourire réjoui :

— Plus qu’un connard à attraper, maintenant.

             Mais, comme si sa phrase avait scellé une malédiction, celle-ci fut immédiatement suivie d’une succession de bruit sourd et tétanisant. Comme une rafale d’hurlements. Des éclats de lumière. Le feu de la guerre. L’appel des combats.

             Ils se raidirent.

             Ils écarquillèrent les yeux, continuant de se regarder tandis que, abasourdis, ils réalisaient ce qu’ils venaient de se passer, à quoi correspondaient ces explosions. Dans leur dos, tandis qu’ils criaient encore victoire, un instant auparavant, une centaine de titans venaient de se transformer.







             Eux qui avaient juré laver le sang des martyrs dans ce combat réalisèrent qu’ils s’apprêtaient, au contraire, à le verser davantage.

 













désolée d'avoir disparu pendant deux jours !

j'ai eu du mal mais j'ai pu boucler ce chapitre aujourd'hui, j'espère qu'il n'a pas l'air trop bâclé (surtout la scène du combat qui est vraiment brève)

en tout cas merci pour votre gentillesse !!!

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