𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS










             La nuit était tombée depuis une poignée d’heures et le silence se faisait pesant sur la table. Quelques hululements de chouettes et chants de cigale venaient animer cette absence de bruit se prolongeant depuis quelques minutes maintenant.

             Assis en face du caporal-chef, Eren faisait de son mieux pour ne pas croiser son regard d’acier trempé. Alors, promenant ses prunelles autour de la pièce vaste, cela allait faire un peu plus de trente secondes maintenant qu’il en épiait les moindres recoins.

             Baigné dans une obscurité à laquelle ses iris tendaient à s’habituer, le réfectoire de ce qui n’était autre que l’ancienne base des bataillons était assez large. Du moins, les ténèbres profondes tendaient à lui donner une allure infinie.

             De part et d’autre de la pièce jusqu’au plan de travail situé en son fond face à la porte, diverses tables longues de bois bruns s’étendaient. Sur le carrelage taupe et froid de la salle, elles s’y trouvaient, encadrées par diverses chaises ligneuses rangées avec soin après l’intensif nettoyage qu’ils avaient fait subir au château.

             Derrière le garçon, hors de son champ de vision, un plan de travail certifié d’une mosaïque blanche et noir constituant le mur venait de leur servir à préparer les thés qu’ils avaient bu en discutant de l’assaut de Shiganshina. Et, au-dessus du meuble, donnant sur les jardins baignés de la lumière de la lune, une vitre encastrée dans la pierre formait la fenêtre de cette agréable pièce.

             Mais Eren n’en voyait rien alors, reportant son attention vers les bougies fondantes au milieu de la table, il écouta distraitement les soldats poursuivre sur les entrainements qu’il serait judicieux de mettre en place tout en observant la coulure de la cire de la bougie tomber le long de celle-ci jusqu’au bois qu’elle vint tâcher.

             Des mèches jaillissaient pour chaque flamme dont la lueur vacillante réchauffait ces lieux rendus froids par les sujets abordés. Des nouvelles capacités d’Eren —qui le chamboulaient d’ailleurs énormément— au massacre de Shiganshina en passant par le verdict positif tombé le matin-même, il ne savait plus où donner de la tête.

             Sa tête le lançait d’ailleurs encore atrocement suite aux multiples coups que lui avait assené Levi après qu’Edward ait tirée son ainée les ayant interrompus hors de la salle où se tenait le procès. La conversation tourna d’ailleurs soudainement vers cette dernière.

— La mettre au trou pour la punir est une bonne idée car cela permet de montrer qu’il n’y a pas de favoritisme dans nos rangs, dit le blond tandis que, posant la pulpe de ses doigts sur le sommet cylindrique de sa tasse, son supérieur buvait une gorgée de thé. Mais je ne pense pas que l’y laisser un mois soit pertinent.

             Eren se raidit à ces mots. Un mois ?

             Autour de lui, Auruo, Petra, Gunther et Erd ne semblaient pas bien surpris par les mots du soldat. A vrai dire, le brun se demanda pourquoi lui-même avait été frappé de stupeur à cette phrase. Après tout, il s’agissait de Levi Ackerman. Et le noiraud n’était pas connu pour faire dans la dentelle.

             Mais il y avait quelque chose de préoccupant dans cette situation. Et il ne mit pas bien longtemps avant d’identifier de quoi il s’agissait. Pressant sur ses épaules comme le faisait sur son crâne la quantité d’évènements astronomiques s’étant enchainés ces dernières vingt-quatre heures, il pouvait nettement sentir la force écrasante de la culpabilité le faire ployer.

             Si l’Extralucide se retrouvait à présent enchainée solidement à la cellule lui ayant servi de chambre de repos, cela n’était la faute, selon Eren, que d’une seule personne. Lui-même. Déterminée, elle s’était précipitée hors de son coma pour le défendre du pied du noiraud et devait maintenant en pâtir.

             Cette situation lui laissait un goût amer sur la langue.

— C’est bien le cinquante-troisième rapport en trois ans à l’encontre de ta sœur ? répondit simplement Levi, sachant pertinemment qu’un tel argument ferait mouche.

             Le désir de protection d’Edward envers la jeune femme était parfaitement compréhensible mais, contrairement à ce que le soldat pouvait bien s’imaginer, elle bénéficiait déjà de certains privilèges. En effet, aucun autre membre des brigades d’entrainement n’aurait été accepté bien longtemps avec un tel manque de discipline.

             Mais le blond était un scientifique réputé que beaucoup souhaitait voir devenir chef d’escouade à son tour. Même s’il n’était pas suivi d’un nom de famille, son prénom inspirait le respect. Alors se permettre de renvoyer sa jeune sœur —qui était en plus un élément fort prometteur— n’était pas passé par la tête de l’administration une seule seconde.

             Cependant, Eren ne put s’empêcher de grimacer à la remarque du caporal. A vrai dire, le rapport qu’il avait écrit deux heures auparavant était le cinquante-quatrième. Le soir précédant le massacre de Shiganshina, alors que tous fêtaient joyeusement leur nouveau grade, Keith avait été attiré dans la chambre des femmes de la 104ème brigade à cause d’une odeur fort répugnante.

             Et celle-ci n’était autre que la viande maintenant avariée que Sacha et leur ainée étaient aller subtiliser au poste de contrôle des brigades spéciales une semaine et demie auparavant, occasionnant un conséquent remue-ménage.

             Alors, tandis que la femme voyait le jour se lever en gagnant cette ville qu’elle s’en allait défendre de l’envahisseur, son instructeur grattait furieusement le papier.

             Mais Eren ne jugea pas utile de revenir sur cet incident. A vrai dire, il savait que la seule façon d’aider son amie serait de mettre en valeur ses qualités qu’elle avait nombreuse. Alors il se racla faiblement la gorge, attirant l’attention de tous.

             Auro se tenait à sa gauche, juste avant Petra elle-même positionnée à la droite de Levi lui faisant face. Entre ce dernier et Erd situé face à la rousse, Edward s’était assis à l’envers sur une chaise au coin de la table et adoptait une position bien peu militaire, ses bras s’accoudant au dossier du meuble et ses jambes trainant loin devant lui sur le sol. Finalement, Gunther terminait cette assemblée, son regard noir posé à droite d’Eren.

             Ce dernier eut du mal à déglutir en constatant avec quelle synchronisation chacun de ces visages s’était tourné vers lui soudainement. Un frisson le prit. Ces six pairs de yeux n’appartenaient pas à n’importe qui. Il s’agissait de l’élite parmi l’élite. L’escouade Levi. Alors se voir si brutalement confronté à leur prunelle le désarçonna quelque peu.

             Mais il poursuivit. Il le fallait. Pour elle.

— Sans l’Extralucide…

— L’extra quoi ? le coupa brutalement Edward en fronçant les sourcils en sa direction.

             Le noiraud se contenta de lever la paume de sa main en direction du blond, lui intimant de laisser le brun poursuivre. Celui-ci croisa alors les prunelles d’acier du caporal et eut un frisson.

             De la façon qu’avait ses fins sourcils d’aiguiser les lames de son regard à celle dont ses lèvres se pinçaient si subtilement lorsqu’il émettait sans le montrer son opinion, tout était terrifiant chez cet homme. Mais il surmonta sa peur et, se tournant vers le visage plus doux de Petra, poursuivit ce qu’il avait à dire.

             Son amie avait besoin de lui.

— Elle n’est pas la plus obéissante mais, avec tout le respect que je vous dois, caporal, elle est réellement l’une des plus douées. Et si on la laisse enfermer un mois, elle n’aura pas le temps de se familiariser aux détails de la mission et ce sera du…

— Qu’est-ce qui te fait dire que je comptais l’emmener avec nous ? le coupa brutalement la voix du noiraud.

             Désarçonné, Eren se tut dès lors qu’il entendit les réverbérations grondantes dans les paroles du caporal. Tout en retenue, la simple puissance de ses lames ainsi que celle de son grade étaient pourtant là. Roulant en volute dans ses mots.

             Et il ne sut trop quoi répondre à une telle interruption.

             Pas une seule seconde il n’avait songé à la potentialité que Levi puisse écarter la jeune femme de cette mission. Tout simplement parce que, sauf tout le respect qu’il vouait à l’homme, une telle action ne pouvait être qualifiée que d’une seule façon.

             Stupide.

             La jeune femme excellait dans tous les domaines, faisant d’elle un élément aussi précieux que rare. De sa fluidité au maniement des sabres à sa précision au tir à l’arc en passant par ses réflexes développés au combat rapproché et rapidité au système tridimensionnelle sans oublier, bien évidemment, son instinct hors du commun, elle était l’un de ces soldats que bien des escouades s’arracheraient plus tard.

             Alors, oui. L’écarter de cette mission serait stupide.

             Mais, même s’il le pensa très fort, Eren ne se permit pas de formuler ceci. Tout simplement parce qu’il tenait à la vie. Ce qui ne semblait pas être le cas de tous ici.

— Levi, tu es con.

             Si le brun se raidit brutalement en entendant les mots d’Edward, le restant de la tablée demeura tout à fait détendu. Et, lorsqu’il déglutit péniblement au travers de sa gorge sèche en cherchant désespérément le regard d’Erd, Gunther, Petra ou Auruo, il réalisa à leur mine détendue qu’il n’avait pas réellement de quoi s’en faire.

             Et, en effet, au moment où il osa tenter un regard en direction des deux hommes, aucun ne semblait bien miné par la phrase du blond. Levi gardait son éternelle expression impassible rivée sur sa tasse à présent vide tandis qu’Edward se tordait sur sa chaise tel un gamin de cinq ans gavé de sucre.

             Les folles pulsations cardiaques survenues dans la poitrine du brun s’amenuirent quelque peu et, ne laissant le temps au blond de relancer une autre de ces répliques aussi frappantes que surprenantes, il poursuivit ses dires.

— On a toujours pu compter sur elle, dit-il simplement.

             Là, il attira le regard des quatre soldats les plus proches de lui. Auruo demeura assez froid dans son expression faciale mais il vit une certaine compassion traverser les prunelles d’Erd, Petra et Gunther. Car ces trois-là avaient tout à fait compris ce qu’il se passait dans la tête du brun pour avoir eu vent des évènements du procès.

             Il se sentait coupable.

— Elle n’a vraiment pas un caractère facile, concéda-t-il en premier lieu pour ne pas s’attirer les foudres du caporal qui ne le regardait d’ailleurs pas le moins du monde. Elle est insolente, brutale et assez intimidante.

             Son regard se fit moins net et, sans même s’en rendre compte, il détourna les yeux du noiraud pour se replonger dans quelques vieux souvenirs datant de trois ans auparavant, un sourire à peine perceptible sur les lèvres qui sut attendrir la rousse.

— Elle m’a très souvent menacé de mort et je suis convaincu que ce n’était pas des paroles en l’air, poursuivit-il en parvenant cette fois-ci à s’attirer un regard adouci d’Edward, le blond adorant sa petite sœur et plus particulièrement ce côté assez surprenant de sa personnalité.

             Il déglutit péniblement tout en continuant de ressasser certaines images. Il en existait des plus douloureuses que d’autres. Mais toutes avaient un point commun : cette forte tête qu’il avait longtemps trouvée antipathique s’y démarquait toujours avec brio.

             Oui, elle l’avait aidé. Tous, à vrai dire. Et ce, plus d’une fois. Alors il estimait que l’heure était venue pour lui de lui rendre la pareille.

— Mais elle a toujours été là pour nous tous, poursuivit-il. Lors de l’épreuve des cordes coupées qui fait généralement tant de morts, elle a sauvé tout le monde et cette journée qui aurait dû être macabre ne s’est solvée que par des quantités astronomiques de recalées. Mais tous étaient vivants.

             Gunther se redressa quelque peu sur son siège. Bien sûr, il avait entendu parler de cet exploit. Mais, ayant pour habitude de ne pas donner crédit aux rumeurs, il ne s’en était pas vraiment préoccupé.

             Cependant, maintenant qu’il en avait la confirmation, il lui tardait de rencontrer cet étrange personnage dont il ne connaissait même pas les traits ni de prénom fixe mais qui semblait imprégner bien des conversations.

— A chaque fois qu’il y a eu un danger, elle était là et…

             La voix d’Eren mourut peu à peu dans sa gorge. Il savait pertinemment que, malgré les innombrables anecdotes sur les actions de cette guerrière ainsi que la cause de son surnom, le caporal n’était nullement impressionné par la femme. A vrai dire, même si Edward lui-même lui certifiait depuis toujours son existence, il n’accordait même aucun crédit à la thèse de son sixième sens.

             Il se doutait donc naturellement que ce qu’il venait de déclarer, surtout à un soldat ayant déjà sauvé tant de vies, était rentré dans une oreille et ressorti aussitôt par l’autre. Mais il ne comptait pas se laisser abattre.

             Soit, le regard de Levi toujours détourné de sa personne le décourageait fortement, ce manque de considération l’amenant même à douter du fait qu’il l’écoutait. Cependant, il lui restait une dernière carte à jouer.

             Et pas des moindres.

— C’est elle qui nous a prévenu de la chute du Mur Maria.

             Là, il eut l’effet escompté. Du moins, presque.

             Sa phrase s’abattit comme une faux sur la tablée, violente. Ses paroles suivirent un silence si dense qu’il en devint presque assourdissant et, sans même les regarder, il perçut aisément chacun de ses camarades venant de se raidir dans leur geste.

             Tous semblaient avoir retenus leur souffle. Leurs poitrines s’étaient figées, le temps aussi. Et, tandis qu’Eren se sentait étouffer sous la soudaine lourde atmosphère des lieux, il sentit aisément deux hématites brûlantes se fixer sur lui depuis l’autre bout de la table.

             Il était parvenu à attirer l’attention de Levi. Mais quelque chose en lui lui disait que cela n’était pas forcément une bonne chose.

             Et, en effet, lorsqu’il vit du coin de l’œil la lenteur avec laquelle Edward se tourna vers le caporal, comme s’il prenait toutes les précautions du monde pour ne pas froisser quelqu’un qu’il avait pourtant traiter plus tôt de con, il réalisa qu’il avait de quoi s’en faire. Car la température avait grimpé en flèche, plus personne ne disait mot et l’aura naturellement brûlante du noiraud semblait crépiter autour de lui.

             Il déglutit péniblement.

— Allez-y, ordonna brutalement la voix du caporal sans que celui-ci ne quitte ses yeux du brun.

             Aussitôt, ce dernier entendit divers raclements de chaise autour de lui, signe que quatre de ses six interlocuteurs venaient de quitter brutalement leur emplacement. Mais il ne prêta pas bien attention à leurs bruits de pas s’éloignant précipitamment, étouffant sous la prise des yeux d’acier de l’homme.

             Il ne l’avait pas quitté un instant du regard. Eren pouvait le sentir même s’il gardait ses yeux bleus irrésistiblement collés sur la cire fondante abimant la table, ne voulant affronter ces iris létales.

— Oh, Eren, soupira soudain la voix plaintive d’Edward. Je sais que tu as tenté d’aider ma sœur en disant cela.

             Le garçon se figea. Le silence de plomb, les multiples raclements de chaise, l’escouade s’en allant précipitamment et le ton profondément ébranlé du blond. Tout cela n’était dû qu’à sa dernière phrase et il le savait.

             Mais qu’avait-il dit de si mal ?

— Je ne comprends pas, fût-t-il simplement capable de murmurer d’une voix faible.

             Le regard de Levi sur sa personne se fit plus insistant mais il continua de l’ignorer, souffrant tout de même quelque peu de la brûlure qu’infligeaient ses rétines sur son lobe frontale. Seulement il ne pipa mot là-dessus, se contentant de fixer ses iris sur la flaque de cire séchant à côté du socle de la bougie.

             Et, lorsque le caporal reprit la parole, ce fut le calme de sa voix qui l’ébranla. Car rien n’était plus effrayant qu’un homme en colère au ton si apaisé.

— Vois-tu, Eren, commença-t-il simplement tandis qu’Edward se tendait, si on exclue les voyantes, farfadets et autres petits lutins, il n’y a qu’un seul type de personne qui peut connaitre les actes des ennemis avant que ceux-là ne les commette.

             La gorge du brun se serra et il écarquilla les yeux. Il avait compris. Mon dieu, qu’ai-je fais ? ne put-t-il s’empêcher de se sermonner en réalisant le pétrin dans lequel il venait de fourrer son amie en tentant de l’aider.

— Ton amie n’est pas une voyante…, poursuivit simplement le noiraud d’un ton cassant.

             Le titan pressa avec force ses paupières entre elles. Il ne voulait pas qu’il finisse sa phrase, il savait que le caporal se fourvoyait sur ce point et ne pourrait supporter qu’il s’avise de proférer une telle accusation.

             Mais l’homme était sûr de ce qu’il affirmait. Et ce fut d’ailleurs pour cette raison que, continuant de darder ses hématites venimeuses sur le visage souffrant de son interlocuteur, Levi acheva son propos avec une certaine brutalité :








— …juste une vulgaire traitresse.

 









du coup si un jour vous vous sentez cons dites-vous que t/p - emeraude a été renvoyée dans le passé pour sauver ses alliés et que ces mêmes personnes l'ont mise en zonzon

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