𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S01E14
petit spoiler
Le plafond de la salle de tribunal était une véritable œuvre d'art. Aussi, Emeraude le détaillait avec grand intérêt, elle qui n'avait jamais vu de peinture de toute sa vie. Pourtant, la scène représentée n'était pas des plus simples à regarder : il s'agissait du lynchage d'un homme.
Malgré le graphisme du plafond et le réalisme de cette scène sanglante où une dizaine d'hommes se penchaient, le glaive à la main, sur un autre étendu au sol, elle ne fut pas dégoûtée par la représentation. Non. Elle se contenta de se demander comment les artisans avaient bien pu réaliser une œuvre aussi précise sur un support si difficile.
Le reste de la pièce était géométrique. A une vaste estrade ouvragée étaient assis deux personnes entre qui se trouvait un siège vide destiné au chef des trois divisions, Daris Zackley, qui serait le juge. Derrière eux, au-dessus de la massive structure de bois depuis laquelle il épierait la salle, quatre blasons aux motifs différents avaient été accrochés.
A l'extrémité gauche, représenté par deux épées se croisant, le sigle des jeunes recrues encore à l'entrainement voisinait celui de la brigade spéciale au service du roi, qui était illustrée par une licorne vert foncé à la crinière blanche étincelante. Le troisième, deux roses rouges entrelacées, était le symbole de la garnison. Finalement, fermant la marche comme elles ouvraient celle contre les titans, les ailes bleue et blanche du bataillon d'exploration signifiaient la liberté. Là étaient réunis les quatre corps de l'armée.
Devant ces blasons, l'assemblée était disposée autour d'un carré de marbre vert ressemblant à une place. Celui-ci était vide à l'exception d'un poteau dressé en son centre. Des rangées de personnes entouraient l'endroit, toutes tournées vers lui. En tout, assemblée dans les gradins, une quarantaine de soldats devait être présente.
Au plus près de la scène se trouvaient les officiers les plus importants. Il était donc normal d'y voir Levi Ackerman aux côtés d'un homme le dépassant de plusieurs têtes. Le menton relevé, il fixait ses sévères yeux bleus droit devant lui, visiblement déterminé. Ce trait de personnalité était accentué par sa mâchoire carrée, son nez cabossé et ses épais sourcils broussailleux.
Ceux-ci se froncèrent quelque peu lorsque, balayant la salle du regard, il remarqua Emeraude. Il fallait dire que celle-ci ne passait pas inaperçue.
Au milieu des différents chefs d'escouade du bataillon d'exploration aux visages austères et à la posture droite —à l'exception de Levi qui était directement impliqué dans l'affaire et se trouvait donc en contrebas, loin d'eux— elle gardait le nez levé en l'air, visiblement fascinée par le plafond. Elle n'avait clairement pas l'attitude d'un soldat. De plus, jamais le major ne l'avait vue auparavant.
Alors, que faisait-elle là ?
— Levi ? il interpella l'homme à ses côtés à voix basse. Qui est cette étrange jeune femme ?
L'intéressé se tourna vers le blond avant de suivre son regard. Puis, en voyant de qui il parlait et, surtout, avec quel ridicule elle se démarquait des chefs d'escouade affichant un comportement exemplaire, il poussa un léger soupir. Sans esquisser la moindre expression faciale et conservant son habituel air impassible, il répondit simplement :
— Il semblerait que je me débrouille toujours pour tirer les plus cons du panier.
Le blond allait rétorquer qu'il apprécierait qu'elle quitte la salle étant donné qu'elle n'était visiblement pas un soldat mais un grand fracas les interrompit. Le bruit des portes massives leur signala à tous que celles-ci s'étaient ouvertes. Le silence se fit soudain. Complet.
Deux gardes poussèrent Eren jusqu'à la place vide, s'aidant de leur fusil qu'ils gardaient rivés sur son dos. Lorsque le garçon ralentit quelque peu pour regarder d'un œil terrorisé la vaste salle autour de lui, ils lui ordonnèrent de se magner en posant le canon de leurs armes au creux de ses reins.
Ils atteignirent la place carrée et, pendant que l'un des soldats soulevait le poteau, l'autre força le brun à se mettre à genoux le temps que son collègue replace le poteau entre ses menottes, l'enchainant à l'objet. Une fois ceci fait, ils quittèrent le garçon qui posa un regard déboussolé sur les gradins s'élevant autour de lui.
Face à ce triste spectacle, Emeraude sentit son cœur se serrer. Elle n'aurait jamais cru éprouver la moindre compassion pour un titan mais en le voyant ainsi —chétif, désarmé et apeuré au milieu de tous ces regards inquisiteurs— son ventre se tordit. Alors, ne sachant comment lui donner du courage, elle attendit qu'Eren la remarque pour lui adresser un rapide clin d'œil empli de soutien. Il apprécia ce geste.
Leur attention fut détournée par le bruit d'une porte, moins lourde que la précédente, qui s'ouvrait. Des pas se firent entendre et, entre les deux personnes déjà assises à l'estrade, un vieil homme barbu aux longs cheveux blancs prit place. Il remonta les manches de sa chemise et regarda un instant Eren à travers ses lunettes.
— Bon, nous pouvons commencer.
Dans le silence complet de la salle, il saisit un papier déposé avec soin sur l'estrade à laquelle il siégeait et le parcouru des yeux.
— Tu es bien Eren Jäger ?
Le concerné acquiesça faiblement.
— En tant que soldat, tu as juré de donner ta vie pour le bien commun. C'est exact ?
Il répondit par l'affirmative.
— C'est une situation inhabituelle. La loi ordinaire ne sera pas appliquée et cet arbitrage se déroulera en cours martiale. C'est moi et moi seul qui rendrai la sentence.
A ces mots, la jeune femme se détendit quelque peu. Vu les regards accusateurs que la majeure partie des gens lançait au garçon, si sa sentence avait été une décision collective, il aurait été considéré coupable avant même le début du procès. Tout reposait donc sur une personne qu'elle souhaitait être un homme honnête. Il y avait un espoir.
— Nous allons donc débattre de ton sort. Tu n'as pas d'objection ?
— Non, répondit simplement Eren.
— Tu es bien coopératif. Ça facilitera les choses.
Emeraude entendit une porte s'ouvrir légèrement derrière elle. Elle se retourna et vit Mike et Hanji, qui l'avaient laissée quelques minutes auparavant pour escorter Eren, les rejoindre. La brune lui fit un clin d'œil en posant son doigt sur ses lèvres, avertissant la jeune femme qu'elle ne devait pas lui parler pour l'instant.
— Bon, je vais te parler franchement. Tu t'en doutes, nous n'avons pas pu cacher ton existence. Nous devons donc la rendre publique d'une façon ou d'une autre. Sinon, nous encourrons une menace encore plus grande que les titans. Ce que nous devons décider maintenant, c'est à quel corps d'armée tu vas être confié.
Emeraude baissa automatiquement les yeux vers les rangées se faisant face. A gauche se trouvait le bataillon d'exploration, rendu aisément reconnaissable par la simple présence de Levi au premier rang et à droite se situait donc logiquement la brigade spéciale. Mais, en regardant ceux-là, autre chose attira son attention.
Debout à côté du caporal et le dépassant d'une tête, un homme blond aux traits sévères fixait d'un regard dur les brigades spéciales. Aisément, elle devina de qui il s'agissait. Lorsque le vétéran de son village évoquait Levi Ackerman, un autre nom suivait toujours.
C'est pas vrai, est-ce que je suis vraiment dans la même pièce que le major Erwin Smith !? s'exclama-t-elle intérieurement en écarquillant les yeux. Cela ne faisait même pas vingt-quatre heures qu'elle avait quitté son frère et elle avait rencontré deux héros ayant bercé leur enfance. Si les évènements continuaient de se succéder à ce rythme, elle ne ferait pas long feu. Ses émotions fortes s'enchainaient trop rapidement et ce n'était pas bon pour son cœur.
— Bien, quelle est la position des brigades spéciales ? demanda le juge, la tirant de sa rêverie.
Un homme mal rasé à l'apparence négligée avança de quelques pas. Emeraude remarqua tout de suite ses joues creuses et son regard de fouine mais tenta d'y faire abstraction. Il ne fallait pas juger un livre à sa couverture.
— Moi, Naile Dork, commandant des brigades spéciales, fais la proposition suivante. Nous pensons qu'il faut étudier le corps d'Eren dans les moindres détails, puis le supprimer immédiatement.
J'emmerde cet adage, le livre est fidèle à la couverture, fulmina-t-elle intérieurement en serrant les poings lorsqu'elle entendit ces mots. Comment pouvait-il décemment regarder cet enfant terrifié et proposer une telle issue ? Elle eut un frisson en songeant que de tels hommes étaient en charge de la protection des habitants et du roi.
— Il est vrai que ses pouvoirs de titans ont permis de repousser le dernier assaut, reprit-il, mais son existence même ne fait qu'attiser les feux de la rébellion. C'est pour quoi nous obtiendrons le plus d'informations possible avant de lui faire rejoindre les rangs des soldats tombés pour le bien de l'humanité.
Quelle jolie façon de dire que vous allez le disséquer, immonde fils de pute, songea la jeune femme en posant un regard dur sur le haut gradé.
A côté d'elle, quelques chefs d'escouade lui lancèrent un regard appuyé qu'elle accueillit d'un froncement de sourcils. Venaient-ils de comprendre seulement maintenant qu'elle n'était pas des leurs mais une imposture ? Dans ce cas, ils étaient très peu perspicaces.
Seulement, lorsqu'Hanji se pencha vers elle et lui murmura tout bas, dans le creux de son épaule, d'éviter de penser à voix haute, elle blêmit. Acquiesçant fébrilement, elle tenta d'ignorer les pairs de yeux qui la fixaient à côté d'elle d'un air réprobateur et se maudit d'être aussi empotée.
Au moins, elle se rassurait dans l'idée que personne à part ceux présents juste à côté d'elle ne l'avait entendu. En effet, nul n'avait tourné la tête en sa direction, ce qui lui démontrait que son murmure était heureusement resté inaudible pour la majeure partie de l'assemblée.
— C'est inutile, retentit soudain une voix grave.
Emeraude se tourna vers l'origine du bruit et vit, sur le troisième segment entourant le carré entre les brigades spéciales et le bataillon d'exploration, un homme bien particulier. Il portait une longue robe noire pourvue d'une parure dorée. Cette dernière présentait trois motifs qu'elle ne pouvait correctement voir de là où elle se situait. Mais le col blanc dépassant de son long vêtement la mis sur une piste religieuse, ce que la suite de son discours confirma.
— Il a trompé la vigilance du mur, nous devons le supprimer...
— Prêtre Nick, s'il-vous-plaît, écoutons le bataillon d'exploration, le rappela alors le juge.
Le prête serra les poings en baissant son crâne dégarni mais obtempéra tout de même et se tut. Au grand soulagement de la jeune femme qui n'avait pas supporté les trois secondes qu'avaient duré son intervention. Elle ne savait pas qui il était mais sa hargne envers le jeune Eren lui semblait injustifiée.
— Oui.
Emeraude sentit ses battements de cœur s'accélérer. Erwin Smith venait de parler. Elle allait enfin entendre la voix du fin stratège qu'elle avait toujours souhaité rencontrer.
— Moi, Erwin Smith, fais la proposition suivante en tant que treizième représentant du bataillon d'exploration.
Il dévia ses yeux bleus du juge pour les poser sur Eren et poursuivit :
— Nous, le bataillon d'exploration, souhaitons qu'Eren devienne officiellement l'un des nôtres et nous reprendrons le mur Maria grâce à ses pouvoirs de titan.
La jeune femme sentit son cœur bondir dans sa poitrine à ces mots. Le mur Maria ? Celui que l'humanité avait perdu aux mains des titans, cinq ans auparavant ? Cette proposition dépassait toutes ses attentes.
Nombreux avaient été les problèmes qu'avait engendré la perte de ce territoire et le récupérer ne serait pas du luxe. La famine liée au manque de terre, la surpopulation elle aussi causée par la perte de territoires et les discriminations envers les réfugiés qui épuisent les ressources disparaitraient enfin.
— C'est tout, conclut-il.
— C'est tout ? répéta le juge, faisant écho aux pensées d'Emeraude qui trouvait que c'était déjà un projet ambitieux.
— Oui. Avec ses pouvoirs de titan, nous pouvons reprendre le mur Maria. Ça devrait être notre priorité.
Le juge jaugea le major durant quelques instants.
— Je vois..., dit-il finalement. Et quand vous mettrez votre plan à exécution, vous comptez partir d'où ? Pixis, le mur du district de Trost a bien été complètement scellé ?
Le juge venait de se pencher au-dessus de son bureau, s'adressant directement à un homme chauve d'un certain âge. Celui-ci, le dos droit, était habillé comme Emeraude et ses compagnons à l'exception du fait que le blason sur sa veste n'était pas constitué de deux ailes mais de deux roses. Il était membre de la garnison.
— Oui, il ne pourra plus jamais être ouvert.
Emeraude esquissa un sourire. Cette information jouerait en faveur d'Eren à coup sûr. De plus, l'idée de pouvoir reconquérir des territoires était particulièrement intéressante pour le bien de l'humanité. Elle aimait la tournure que prenait les choses.
— Nous souhaitons partir du district de Karanes, à l'Est, répondit finalement Erwin Smith. Nous irons vers Shiganshina. Nous déterminerons notre itinéraire par tâtonnements.
— Ne vaudrait-il pas mieux fermer toutes les portes maintenant ? s'exclama aussitôt une voix sonore à côté du révérend Nick. Ce sont les seules parties que les titans peuvent détruire ! Il suffirait de les renforcer pour qu'ils ne puissent plus nous attaquer !
La jeune femme comprenait sa position. Les portes étaient en effet les points faibles des remparts, là où les murs de Maria et de Trost avaient été brisés. Mais les condamner empêcherait les bataillons d'exploration de sortir et, avec cela, la possibilité pour l'humanité de récupérer la planète terre dans sa globalité.
— Tais-toi, marchand ! Si nous utilisons les pouvoirs du titan, nous pouvons revenir jusqu'au Mur Maria ! l'interrompit un soldat qu'Emeraude jugea plus censé que lui.
— Nous, on peut plus se permettre de vous laisser jouer les héros comme ça ! rétorqua aussitôt l'homme.
— Tu es bien bavard, gros porc.
Le calme de la dernière voix saisit la jeune femme. Au milieu des cris, sans même hausser le ton, Levi Ackerman avait amené de nouveau le silence dans la salle. Et il fallait dire que son intervention était peu banale... Et peu diplomate.
— Qu'est-ce qui vous dit que les titans vont attendre gentiment que vous renforciez les portes ?
Emeraude se dit que l'homme soulevait un point important. Décidément, la réputation de soldat inatteignable et brutale du garçon n'était pas un mythe. Ce qui la surprenait d'autant plus était la façon dont tous s'étaient tus lorsqu'il avait ouvert la bouche. Jamais elle n'avait vu une personne aussi respectée.
En même temps, il fallait dire qu'avec son regard froid et ses capacités de combat frisant le surnaturel, il inspirait naturellement le respect. En un regard, on savait qu'il était de ceux qu'on ne provoquait pas. Un guerrier redoutable.
— Et ces « nous », c'est vos chers amis qui vous protègent pendant que vous vous empiffrez bien au chaud ? Et ceux qui n'ont rien à manger à cause du manque de terres, vous vous en fichez ? continua-t-il de son air impassible.
La jeune femme acquiesça faiblement, reconnaissante qu'au moins une personne pointe ce problème du doigt. Elle faisait partie des victimes premières de la perte de terre : sa mère était morte en couche car la famine l'avait trop affaiblie pour survivre à une telle épreuve. Elle savait combien les temps étaient rudes pour la population.
Par ailleurs, elle n'appréciait pas qu'une foule de gens bien lotis dans leur appartement spacieux où la nourriture et l'alcool coulaient à flot se permettent de se prononcer sur une décision qui finalement ne les impacterait pas, eux, mais le reste de la population.
— Nous disons simplement qu'il faudrait fermer complètement les portes, rétorqua le marchand qui, visiblement, était à court d'argument.
— Sacrilège ! s'exclama le révérend Nick.
Mais il peut pas fermer sa gueule, celui-là, soupira intérieurement Emeraude en levant les yeux au ciel. Elle n'aimait pas sa voix.
— Le Mur Rose est un don des dieux. Comment osez-vous proposer que des humains en déplacent la moindre pierre ? s'écria-t-il. L'humanité n'a pas le droit, ne serait-ce que d'y toucher !
— Il le faut, pour notre protection !
— Sacrilège !
— Je vous demande de vous taire !
— Pardon ?
Le juge interrompit la dispute en tapant à cinq reprises du plat de la main sur la table. Le silence revint alors et tous se tournèrent vers lui. Emeraude le loua intérieurement, autant agacée par le révérend que par le marchand.
— Vos principes et opinions, vous les exposerez ailleurs, les rappela-t-il à l'ordre d'une voix calme. Eren Jäger, je voudrais vérifier une chose.
Le concerné leva la tête, tout ouïe.
— Te sens-tu capable d'utiliser tes pouvoirs pour le bien de l'humanité comme tu l'as fait, en tant que soldat, jusqu'à présent ?
— Oui, je peux le faire, répondit-il sans la moindre hésitation, arrachant un sourire à Emeraude.
Sa réactivité traduisait sa sincérité. Elle savait qu'elle n'était pas la seule à penser qu'il se montrait honnête dans ses propos. Il voulait réellement défendre l'humanité.
Le juge s'éclaircit la gorge, visiblement peu emballé par sa réponse. La jeune fille fronça alors les sourcils. Comment pouvait-il être dubitatif face aux mots d'Eren ?
— Mais, d'après le rapport de la bataille du district de Trost, s'expliqua le juge, après t'être transformé en titan, tu as dirigé ton poing contre Mikasa Ackerman.
A ses mots, Emeraude sentit toute son affection pour le garçon s'envoler subitement et ses yeux s'écarquillèrent. Elle se souvint qu'Erd lui avait dit, la veille, que la mission avait connu quelques accrocs. C'est ça que tu appelles un « accro », Erd ? s'exclama-t-elle intérieurement.
Maintenant, elle comprenait la méfiance de tous envers le jeune homme. Si la sienne s'était calmée en apprenant qu'il avait rebouché la brèche du Mur Rose, cet évènement ne pesait plus dans la balance. Sous sa forme titanesque, il s'en était pris à une humaine. Il était donc un danger pour les autres.
Emeraude se raidit soudain, plus aussi détendue qu'auparavant. Dorénavant, elle savait que si Eren se transformait ici, il ne resterait pas cordial envers les humains dans la pièce. En effet, elle ne serait plus son allié mais une petite partie d'un gigantesque buffet à volonté. Cela ne l'enchantait guère.
— Mikasa Ackerman ? le juge interpela une jeune fille dans les rangs du bataillon d'exploration.
Une asiatique aux cheveux noirs de jais et raides coupés en carré se tourna vers l'homme. A l'expression qu'elle affichait sur son visage, elle ne semblait visiblement pas enchantée que cette révélation ait fait surface. Sans doute une amie du garçon, songea Emeraude d'un air sévère.
— C'est moi, affirma-t-elle en jetant un regard sévère à la jeune femme debout à sa gauche qui était l'auteure du rapport.
— Est-il exact qu'Eren t'a attaquée après sa transformation en titan ?
Un silence prit place durant quelques secondes où la tension monta d'un cran. Emeraude posait à présent un regard tout autre sur Eren. Les jambes légèrement fléchies et les yeux rivés sur la nuque du garçon, elle était prête à le neutraliser à tout moment. S'il se transformait, ils étaient tous fichus. Elle ne pouvait prendre de risque et devait donc se tenir prête.
— Oui, c'est exact.
Un murmure parcouru l'assemblée et elle sentit quelques personnes se tendre à ses côtés. Comprenant qu'elle n'était pas la seule à ne pas apprécier la tournure que prenait les évènements, elle posa sa main droite sur la rampe, prête à prendre appui dessus pour l'escalader et fourra la gauche dans sa poche intérieure où se trouvait le canif de son frère.
En bas, désemparé par cette information dont lui-même n'avait pas connaissance, Eren balaya la salle autour de lui, cherchant au moins un regard bienveillant dans cette jungle voulant sa mise à mort. Puis, instinctivement, il se tourna vers celle qui lui avait fait un clin d'œil au début du procès, se disant qu'elle saurait le rassurer d'un sourire bienveillant.
Seulement la jeune femme qu'il vit n'avait alors plus rien de l'image de la douce sœur protectrice qu'elle lui avait inspirée plus tôt. Derrière la rambarde où elle était, il devinait aisément quelle position défensive elle abordait. De plus, sa main disparaissant sous sa veste tenait très clairement une arme. Ses pupilles se dilatèrent à cette vision et il en eut le souffle coupé. Là, elle était terrifiante.
Voyant le désemparement d'Eren, le major Erwin Smith suivit son regard et vit alors celui d'Emeraude. Les traits crispés et une lueur animale —presque bestiale— dans les prunelles, il crut défaillir face à ce spectacle.
Ce regard..., se dit-il en la dévisageant un peu plus longuement.
— Un titan restera toujours un titan...
Le blond n'arrivait pas à croire ce qu'il voyait. Sa gorge s'asséchait peu à peu tandis qu'il détaillait la hargne déformant les traits d'Emeraude, la douleur agitant ses membres et, surtout, sa posture défensive qu'il aurait reconnu entre mille.
Eberlué, il contempla la jeune femme durant quelques minutes. Il était si abasourdi que les paroles échangées par les soldats ne devinrent plus qu'un bruit lointain, un bourdonnement incessant, un murmure persistant.
Ceci dura jusqu'à ce qu'il voie nettement les sourcils de celle qu'il observait se hausser un peu et sa main se contracter sur l'arme qu'elle cachait sous sa veste. Là, il se décida à tendre l'oreille afin de savoir ce qui venait de la mettre dans un tel état.
— ...Il s'agissait, certes, de légitime défense, mais un être humain normalement constitué peut-il accomplir une telle chose ?
Là, Emeraude se surprit à être d'accord avec le représentant des brigades spéciales. Non, un être humain normalement constitué ne tuait pas trois personnes à l'âge de neuf ans. Et cela prouvait d'autant plus de quoi Eren était capable. Elle s'était fourvoyée, il était loin d'être un jeune ingénu. Il était aussi féroce que les titans dont parlait le vétéran de son village.
— Peut-on vraiment confier à une telle personne l'avenir de l'humanité ainsi que toutes nos ressources ?
Des murmures s'élevèrent soudain parmi l'assistance. Emeraude les comprenait. La question de l'homme n'était pas anodine ou même idiote. Elle était censée.
La jeune femme entendit un homme hurler qu'il s'agissait d'un titan ayant pris l'apparence d'un enfant pour les duper. Et, sans doute la peur la guidant, elle ne rejeta pas en bloc l'hypothèse et se laissa aller à se demander si cela pouvait être vrai.
C'est à ce moment-là qu'un autre individu pointa Mikasa Ackerman du doigt et l'accusa d'être aussi un monstre déguisé, demandant à ce qu'on la dissèque. Là, l'atmosphère déjà lourde devint électrique et la jeune femme craignit sincèrement qu'Eren se transforme. Il était sorti de ses gongs.
— ARRÊTEZ ! hurla-t-il.
Cette injonction fut le début d'une série de hurlements durant lesquels Emeraude banda ses muscles et sortit son arme de sa cachette, prête à égorger le garçon s'il tentait une quelconque action pour se transformer. Car, au fur et à mesure de ses mots, ses yeux ne cessaient pas de lancer des éclairs et il hurlait toujours plus fort, signe qu'il perdait le contrôle.
— JE SUIS PEUT-ÊTRE UN MONSTRE, MAIS PAS ELLE ! ELLE N'A RIEN FAIT !
— Il ment !
— ÇA NE LA CONCERNE PAS !
— Ils sont de mèche !
— C'EST FAUX !
Ce hurlement, plus fort que les précédents, tétanisa Emeraude. Il va se transformer, on est foutu. Le garçon était clairement incapable de se contrôler et sa rage n'était pas porteuse d'un bon message. Elle craignait le pire.
— Non ce n'est pas vrai, reprit-il plus calmement. Vous cherchez à faire avancer le débat en ne prenant en compte que les hypothèses qui vous conviennent. Et puis, vous tous... Pourquoi avez-vous peur alors que vous n'avez jamais vu de titan ?
Il eut une hésitation, un moment de pause dans son discours où tout le monde retint son souffle, pensant qu'il s'apprêtait à lancer sa mutation. Mais il n'en fit rien.
— Vous qui êtes si puissants, pourquoi ne combattez-vous pas ? Si vous avez trop peur de vous battre pour vos vies, alors aidez-nous au moins...
Même s'il soulevait un point non négligeable, la peur d'Emeraude était bien trop importante pour qu'elle s'y attarde. Elle était simplement terrorisée à l'idée qu'il décide de laisser le titan en lui le supplanter et tuer tout le monde.
— Bande de lâches.
Des murmures se firent entendre, ce qui ne sembla pas lui plaire. Il s'agita sur le poteau avec une telle force que ses chaînes cognèrent le métal dans un bruit sinistre, comme si elles faisaient écho au bruit du titan enfermé en lui qui ne souhaitait qu'une chose : surgir et détruire.
Elle se redressa alors de tout son long, comprenant qu'elle n'aurait pas le temps de bondir jusqu'à lui et adopta une autre stratégie. Posant un pied en retrait par rapport à l'autre, elle plissa les yeux pour évaluer à quelle distance et position exactes se trouvait sa cible.
— TAISEZ-VOUS ET LAISSEZ-MOI FINIR !
Son cri saisit toute la salle qui ne tarda pas à réagir. Mais les réflexes d'Emeraude furent plus rapides. Avant même que les soldats des brigades spéciales ne pointent leur fusil en direction d'Eren pour l'appréhender au cas où il entamerait sa transformation, elle leva son bras armé et l'abattit avec une violence extrême, envoyant son couteau se planter dans la gorge du garçon.
Elle était entraînée et savait pertinemment qu'elle ne raterait pas sa cible. Seulement, sans qu'elle ne sache pourquoi, son arme n'alla pas se planter dans son cou comme escompté. Elle disparut.
Il poussa tout de même soudainement un grognement de douleur et elle vit nettement une de ses dents s'éjecter de sa bouche. Abasourdie, elle cessa de se focaliser sur Eren et regarda autour du jeune homme. C'est là qu'elle comprit.
Juste à côté de lui, la jambe encore levée, Levi se tenait droit, le visage impassible. Est-ce qu'il vient de lui donner un coup de pied à la mâchoire ? se demanda la jeune femme en oubliant immédiatement son couteau mystérieusement disparu.
Comme pour répondre à sa question, le caporal enchaîna avec un autre coup au niveau de son ventre. Il saisit ensuite son col qu'il lâcha pour lui asséner un coup de genoux à l'œil sous le regard effaré de l'assemblée. Ses coups se succédèrent encore quelques temps et, hébétée, Emeraude se pencha vers Hanji pour lui demander à voix basse, couvrant celle de Levi qui prit la parole.
— Me dit pas qu'il m'a demandé de venir pour me montrer ce qu'il m'attend si je dors encore chez vous ? demanda-t-elle d'une petite voix.
Tandis que le caporal parlait, elle observa le visage ensanglanté d'Eren. Ecrasé entre le sol et la semelle de la botte de l'homme, la tête du garçon était parcourue de rougeur qui deviendraient sous peu des hématomes. Sa lèvre était fendue et son arcade sourcilière saignait abondamment.
Ce qui atterra le plus Emeraude fut le flegme et la facilité avec lesquelles Levi l'avait mis dans un tel état. Pas une seule seconde son visage n'avait laissé transparaître la moindre émotion.
Soudain, alors que le garçon était allongé sur le sol, le noiraud recommença à le frapper, arrachant un cri étouffé à la jeune femme. Aussi étrange cela pouvait paraître, elle eut soudain bien plus peur de l'être humain que du titan. Le caporal était terrifiant.
Elle ne prêta plus attention à la moindre parole à partir de ce moment-là, trop atterrée pour se concentrer sur les interventions de qui que ce soit. En effet, maintenant qu'elle voyait le noiraud à l'œuvre, elle comprenait ce à quoi Hanji l'avait faite échapper, le matin-même.
Cette dernière avait répondu à sa question mais Emeraude n'en avait rien écouté, trop abasourdie. Non seulement Levi venait de se mesurer à un titan mais celui-ci ne se défendait même pas. Comme s'il savait que cela était vain. Comme si, face à cet homme, il valait mieux renoncer.
Dans les paroles prononcées par le noiraud, elle ne perçue qu'une phrase. Et celle-ci illustrait bien la situation.
— ...Il ne fait pas le poids contre moi...
Erwin prit la parole pour s'adresser au juge mais, même là, Emeraude n'en écouta rien. Les yeux rivés sur ce titan qui, ensanglanté, gisait sous les pieds du caporal en guise de soumission, elle sentit ses mains trembler.
Elle eut soudain envie de courir loin du noiraud par seule peur d'un jour le froisser et subir sa vengeance. Elle en était à présent sûre : sous aucun prétexte elle ne voulait s'attirer ses foudres.
Le juge prit de nouveau la parole et le caporal se retourna alors vers l'homme. Là enfin, elle se décida à écouter. Elle sentait que la délibération était proche et ne voulait pas manquer le verdict.
— Je n'aurai aucun mal à le tuer s'il le faut. Le plus dur sera de ne pas le tuer.
Le juge lâcha un pouffement amusé, visiblement divertit par la violence du caporal. Puis, il saisit son maillet qu'il abattit d'une main ferme après avoir prononcé ces mots :
— La décision est prise. Eren Jäger est confié au caporal Levi Ackerman.
Autour d'elle, les chefs d'escouade poussèrent de longs soupirs de soulagement mais elle n'en fit rien. Non, elle n'eut aucune réaction. Ni cri de colère, rire nerveux ou larme de peur. Elle était tout simplement pétrifiée.
Car, dès lors que le verdict avait été prononcé, le noiraud s'était tourné vers elle, plongeant son regard d'acier trempé dans le sien. Et, alors que ce simple contact visuel avait déjà suffi à la faire trembler de terreur, Levi avait levé son poing fermé à hauteur de son visage avant de l'ouvrir, dévoilant le couteau qu'elle avait lancé plus tôt en direction d'Eren et que, de toute évidence, il avait intercepté au vol au moment de frapper le titan.
Là, une ombre terrifiante planant sur son visage toujours impassible, il articula des mots qu'elle lut aisément sur ses lèvres.
— On va avoir une petite conversation.
⏂
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