𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝐎

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS











— Tu…refuses ?

             Les bras croisés à hauteur de sa poitrine et le dos collé à son bureau, Erwin répéta la phrase qu’Emeraude venait de prononcer, un sourcil haussé en une moue interrogative. En tant d’années de carrière, jamais encore il ne s’était retrouvé face à une personne refusant de devenir caporal.

             Seulement, le dos droit et les mains jointes dans le dos, la concernée acquiesça, corroborant ses dires. Non, le major n’avait pas mal compris ce qu’elle disait. Elle ne souhaitait pas accepter cette promotion.

             Autour d’eux, quelques têtes étaient tournées en leur direction. Les différents chefs d’escouade, comme à chaque nomination d’un des leurs, se retrouvaient assis dans le bureau d’Erwin. Emeraude n’avait d’ailleurs pas pris le temps de détailler celui-ci, ne voulant se laisser l’opportunité d’être intimidée par ce lieu respirant le pouvoir et la force.

             Mais elle sentait le parquet de bois sombre verni sous les semelles de ses bottes, voyaient la vaste fenêtre située derrière la major et laissant filtrer un vent délicat qui soulevait le rideau tiré couleur pourpre veillant à préserver la chaleur. Du fait que le tissu obstruait la lumière forte du soleil, la luminosité dans la pièce était assez tamisée, renforçant l’atmosphère lourde y aillant déjà pris place.

             A sa gauche, assis à une table de bois clair posée sur un tapis, Edward, Hanji et Levi patientaient. Emeraude ne put s’empêcher de se dire que, lorsqu’elle avait intégré les bataillons et durant quelques mois, Dita et Mike s’asseyaient aussi à leur côté au réfectoire.

             Ses paupières se fermèrent. Le corps de Mike amputé d’un bras, la venue du titan bestial, la bataille contre lui, la main de ce monstre ramassant le soldat comme une poupée chiffon, ses doigts arrachant ses jambes, les longues minutes a tenter de remonter son corps sur le cheval, le corps de celui du soldat gisant après le passage du titan, son sabre tranchant sa gorge, les larmes de Mike face à cette vision, le retour à la base, sa visite à l’homme, son couteau perforant son cœur, les gants qu’elle portait depuis pour ne pas avoir à affronter le sang sur ses mains.

« Il y a une différence entre sauver quelqu’un de la mort et le condamner à vivre. »

             Alors pourquoi se sentait-elle si coupable ? Et pourquoi Levi l’avait-il regardée avec tant de dégoût dans les yeux ?

             Jamais elle n’oublierait l’expression faciale qu’il avait affiché ce jour-là. Elle lui avait fait regretter la période où il gardait un air impassible en sa présence. Elle aurait préféré qu’il lui mente avec un visage insondable plutôt qu’il lui montre la vérité au travers de ses iris teintées de déception.

             Elle ouvrit de nouveau les yeux.

— Et puis-je savoir pour quelle raison ? demanda-t-il après un long silence.

             Elle hésita un instant avant d’admettre la vérité.

— J’ai la sensation de voler la place de Mike.

— Mike… Zacharias ? demanda Erwin en se décollant de son bureau, faisant un pas en direction de la femme et projetant son ombre intimidante sur elle. L’homme que tu as assassiné, tu parles bien de ce Mike ?

             La soldate se raidit instantanément. Bien sûr, elle savait que tous dans cette pièce étaient au courant de ce qu’il s’était passé, elle et Levi avaient même écrits deux rapports là-dessus qui concordaient en tout point, preuve qu’aucun d’eux n’avait menti.

             Alors, étant donné l’explication cachée derrière son geste — à savoir que Mike lui-même lui avait demandé d’agir de la sorte — elle ne s’était pas attendue au ton accusateur que venait d’employer le blond.

             Et, de toute évidence, son frère non plus.

— Erwin ! le rappela à l’ordre Edward avec force.

— Caporal Edward X, je suis votre major. La prochaine fois que vous vous permettrez de me parler de la sorte, je vous mettrais au trou, tonna la voix grondante du blond sans que celui-ci ne détache ses yeux bleus perçants de la femme devant lui.

             A l’exception de Levi, tous dans la pièce semblèrent sonnés par la réaction d’Erwin. Car, depuis le temps que durait leur amitié, jamais il ne s’était permis de remettre à sa place Edward en se servant de l’argument de leurs grades. Il avait toujours souhaité faire savoir à ses proches qu’il ne se considérait pas comme étant au-dessus d’eux.

             Seulement, aujourd’hui, quelque chose avait changé. Et cela était lié au fait que la sœur de son ami venait de tuer l’un de ses plus proches frères d’armes.

— Alors, Emeraude, je me répète, reprit-il en avançant d’un pas de plus, pénétrant la sphère privée de la jeune femme. Qu’as-tu à dire sur ton acte ?

             Peut-être fut-ce la condescendance avec laquelle il se penchait vers elle. Ou alors la méchanceté dont il venait de faire preuve envers Edward. Ou même la sensation profonde que sa réaction était injuste.

             Mais, confrontant son regard sans sourciller, elle répondit simplement :

— J’ai à dire que je ne vous ai jamais autorisé à me tutoyer.

             Un éclair de surprise passa dans les yeux du blond, aussitôt éclipser par de la colère. Seulement il ne dit rien et se contenta de reculer, rejoignant l’arrière de son bureau pour y saisir quelques papiers administratifs. Emeraude sentit un certain soulagement à l’idée que le meuble soit entre eux.

             Seulement, à sa gauche et plus oppressant encore que le regard d’Erwin, elle sentait la présence de Levi. Elle savait qu’il ne la regardait même pas. Mais ce qu’elle ne savait pas, en revanche, c’était si cela l’apaisait ou l’attristait.

             Elle ne voulait plus revoir les yeux emprunts de dégoût qu’il avait posé sur elle. Mais elle souffrait aussi du fait qu’il l’ignore.

— Vous allez devenir chef d’escouade, c’est un ordre, reprit Erwin en se redressant, un dossier épais en main — ses rapports disciplinaires. Nous sommes en sous-effectif, ce n’est pas le moment de faire la fine bouche.

Mikasa est extrêmement douée. Sa force de caractère inspirera les jeunes recrues autant que ses exploits, elle fera mieux l’affaire, répondit-elle, l’agacement commençant à naitre en elle face au comportement du blond qu’elle considérait encore, jusqu’à quelques instants, comme une figure amicale.

— Je vais vous redire la même chose qu’à votre frère, mademoiselle Emeraude X, Extralucide, Sans-Nom, Peste ou quelque soit le surnom derrière lequel vous vous reconnaissez. Je suis votre supérieur, mes ordres ne se discutent pas.

             Un instant, la jeune femme songea à son véritable prénom et nom de famille, ceux qu’Edward lui avait confiés. Elle avait le sentiment qu’il s’agissait d’un grand secret qu’elle ne pouvait se permettre de révéler — pas quand sa mère avait tant fait pour l’effacer. Mais ses pensées quittèrent très vite cette idée.

             Elle n’appréciait pas le moins du monde la tournure que prenait cette conversation.

— L’escouade d’Edward et celle de Levi va se retrancher dans un lieu que nous garderons secret le temps qu’Eren maitrise suffisamment son titan, poursuivit le blond. Vous, de votre côté, serez affectée auprès du restant des bataillons et Hanji restera avec vous pour vous évaluer.

             Les yeux d’Emeraude s’écarquillèrent. Jamais elle n’avait été aussi humiliée.

             D’abord, on l’isolait. Jean, Sacha, Marco, Petra, Erd ou même toutes les personnes avec qui elle prenait chacun de ses repas lui seraient retirées. Elle allait être contrainte à se retrouver auprès des autres escouades qui se moquaient déjà tant d’elle suite à sa nuit avec le noiraud. Seule. Sans personne sur qui se reposer. Pas même son frère.

             Et en plus, prétextant l’évaluer, on lui collait une nourrice !? Jamais aucun chef d’escouade n’avait été surveillé après sa nomination, ce n’était absolument pas la procédure normale. En réalité, Erwin ne lui offrait pas une promotion mais une punition. Voilà pourquoi, contrairement à tous les autres, elle n’avait pas la possibilité de la refuser.

             Son menton se mit à trembler. Elle comprenait la douleur d’Erwin. Vraiment. Mais n’avait-il pas la sensation d’aller trop loin ?

— Ce n’est pas en m’isolant que vous allez faire revenir Mike, osa-t-elle dire, ses sourcils se fronçant.

             Elle sut qu’elle avait fait mouche quand il se retourna, affichant une mine furieuse, et haussa le ton :

— Je ne cherche pas à faire revenir Mike mais à empêcher les autres de subir le même sort que lui !

             Le silence qui s’abattu suite à sa phrase fut lourd. Violent. Comme une claque. Et, si elle n’avait pas entendu le minuscule cri de surprise qu’avait poussé Hanji, elle aurait sûrement cru avoir rêvé cette phrase.

             Mais il l’avait bien dite.

             Les yeux d’Emeraude se baissèrent sur les bras intacts du major. Le temps d’un instant, elle regretta d’avoir, au cours de leur mission datant du matin-même, empêché au major de perdre son bras droit. Des larmes remplirent ses yeux tandis qu’elle se disait qu’elle aurait dû laisser ce foutu titan refermer sa mâchoire sur lui et lui arracha un membre.

             Et elle maudit la douleur qui transperça sa voix, la faiblesse que tous entendirent lorsqu’elle répondit soudain, incapable de garder une allure forte :

— Comment pouvez-vous dire une chose pareille ?

             Elle se sentait pathétique. Depuis longtemps, elle avait compris qu’il ne valait jamais montrer sa douleur dans ce genre de situation, qu’il était meilleur de faire croire que les paroles qu’on nous lançait ne nous affectaient pas. Et elle avait appliqué cette règle à mainte reprise. Lorsque Levi avait dit avoir eu honte d’elle, lorsque les soldats s’étaient rendus compte qu’elle était la femme ayant couché avec lui. Tout le temps.

             Mais là, elle n’y arrivait plus. Une larme roula sur sa joue. Comment pouvait-il la regarder dans les yeux et affirmer qu’elle serait capable d’assassiner ses amis ?

— Le rapport d’Ymir stipule que tu as délibérément laissé Historia Reiss aux mains d’un titan ce matin pour la faire chanter, il me semble que c’est une preuve suffisante, répondit-il d’une voix lourde.

             Ses mains se mirent à trembler dans ses gants. Le titan bestial arrachant les jambes de Mike. Sa lame égorgeant son cheval. Son couteau se plantant dans son cœur. La vie quittant ses yeux. Le regard emplit dé goût de Levi.

             S’en était trop.

             D’un geste rendu aisé par l’habitude, elle porta ses mains aux lourds étuis accrochés à sa taille. Sans aucune précaution, elle les défit. Ils chutèrent un à un au sol dans un fracas immense. Le bruit attira l’attention de tous dans la pièce, même Levi qui la regarda pour la première fois.

             Sous le regard insistant de ses supérieurs, elle jeta ensuite avec force ses bouteilles de gaz sur le parquet puis la ceinture où se trouvait sa corde et ses grappins. Ensuite, avec une rapidité déconcertante, elle ôta chaque lanière de cuir emprisonnant son uniforme, veillant habituellement à répartir le poids de son système tridimensionnel et les laissa rejoindre le reste de son attirail, au sol.

— Que faites-vous ? demanda Erwin, déconcerté, tandis qu’elle ôtait la cape qu’elle avait été si fière de porter et la jetait à son tour sur le parquet.

             Une chemise blanche rentrée dans un pantalon beige. Point de système tridimensionnel ou écu de l’armée. Un vêtement de civile.

— Je quitte les bataillons, répondit-elle simplement, le cœur en miette dans sa poitrine.

             Elle crut voir une lueur de surprise passer dans les yeux du blond mais n’y prêta pas attention. Car, dès lors qu’elle se redressa vers lui, sa voix grave et autoritaire retentit de nouveau dans la pièce :

— Bien… Levi.

             Elle n’eut le temps de faire le moindre mouvement que de longs et fins doigts se refermèrent sur ses poignets habillés de gants. Malgré le tissu, elle sentit une décharge électrique à ce contact physique. Il ne l’avait plus touché depuis leur nuit passée ensemble.

             Mais elle déchanta bien vite lorsqu’elle sentit la main de Levi tirer la sienne dans son dos et faire de même avec l’autre pour qu’elle rejoigne la première. Elle connaissait cette position.

— Qu’est-ce que vous faites !? s’exclama-t-elle, paniquée, tandis que le cliquetis mécanique de menottes retentissait dans la pièce.

— En tant que membre du bataillon d’exploration, je pouvais vous protéger et faire taire cette action, expliqua Erwin. Mais, si vous n’êtes qu’une civile, je me vois contraint de vous soumettre à un procès pour l’assassinat d’un soldat.

             Les muscles d’Emeraude se raidirent tandis qu’elle sentait les bracelets se resserrer autour de ses poignets. Son cœur battait avec force dans sa poitrine et elle tenta de se débattre par réflexe mais la poigne de Levi la maintenait fermement en place.

             Levi. Elle avait la sensation qu’il venait de planter un couteau entre ses omoplates.

             Un raclement de chaise retentit à sa gauche et elle vit une silhouette se relever brutalement.

— Erwin, tu vas trop loin !

             Emeraude fut surprise de reconnaitre la voix d’Hanji. Surtout parce que jamais elle ne l’avait entendue se mettre en colère. Sa prise de position lui mit un peu de baume au cœur mais ne l’apaisa pas entièrement. Car Erwin se contenta de l’ignorer.

             D’un pas lent, semblable à un prédateur, il s’approcha d’elle. Ses iris glacées la transperçaient de part en part tandis que son ombre intimidante l’engloutissait. Elle fut tellement impressionnée que l’envie de reculer la prit. Mais elle se ressaisit en se rappelant de qui se trouvait dans son dos.

             Elle était cernée par des hommes que, durant son enfance, elle avait admiré de toute son âme et, durant ses premiers mois en tant que soldat, elle avait aimé de différentes manières.

             Elle se sentait trahie.

— Est-ce que ce revirement de situation vous pousserait à reconsidérer votre choix ? demanda Erwin en envahissant son espace personnel, se positionnant juste devant elle.

             Elle savait pourquoi il faisait cela. Il voulait la mettre dos au mur, la forcer à obéir à son ordre. Bien sûr, il ne souhaitait pas la jeter en prison puis passer une corde autour de son cou. Mais elle savait qu’il n’hésiterait pas à la faire enfermer si elle lui désobéissait et désertait. Elle était tout à fait consciente que le meilleur choix à faire était encore d’accepter que sa colère passe sous l’œil attentif d’Hanji qui la surveillerait.

             Seulement il n’avait pas été là lorsqu’elle avait abattu ces quatorze titans. Il n’avait pas été là lorsqu’elle s’était retournée et était tombée sur Mike, allongée à côté de son propre bras. Il n’avait pas été là lorsque le titan bestial avait surgi derrière lui. Il n’avait pas été là lorsqu’elle l’avait affronté et s’était moqué de lui. Il n’avait pas été là lorsqu’il avait ramassé le corps de Mike et arraché ses jambes en guise de représailles pour ses railleries. Il n’avait pas été là lorsqu’elle avait égorgé son cheval. Il n’avait pas été là lorsqu’elle n’avait cessé de lui parler sur le chemin du retour pour le maintenir en vie. Il n’avait pas été là lorsque Mike l’avait suppliée de le tuer. Il n’avait pas été là lorsqu’elle avait planté son couteau dans son cœur. Il n’avait pas été là lorsqu’elle avait passé la nuit entière à se frotter les mains sous l’eau. Il n’avait pas été là lorsqu’elle avait enfilé ses gants de cuir, réalisant qu’elle ne pourrait plus jamais affronter la vision de ses paumes sans voir dessus le sang de Mike.

             Il n’avait pas été là. Nul n’avait été là. Elle avait affronté cela seule.

             Alors, haussant un regard enragé en direction du blond penché vers elle, elle lui cracha au visage en guise de réponse.

             Il y eut un silence. Tous accusèrent le coup en voyant le visqueux molard qui couvrait la joue du blond glisser le long de celle-ci. Il contracta la mâchoire, signe qu’il se contenait, et déclara simplement à Levi :

— Emmènes-la.

             Le noiraud obtempéra et, tandis que tous deux se dirigeaient en dehors de la pièce, Erwin rejoignit son bureau. Il ouvrit le premier tiroir qu’il trouva et en extirpa un bout de tissu avec lequel il essuya sa pommette, non sans une grimace de dégoût. Le grincement de la porte retentit puis un faible claquement, ils étaient sortis.

             A sa droite, il sentit une présence.

— Erwin ? appela Edward d’une voix timide.

             Le blond se tourna vers lui afin de l’encourager à parler. Mais il n’eut le temps de faire le moindre signe qu’une vive douleur la prit là où Emeraude lui avait craché dessus et sa tête bascula sur le côté ainsi que le haut de son corps.

             Il eut à peine le temps de réaliser que son ami venait de lui flanquer une droite que des pas retentirent dans la pièce, signe qu’il s’éloignait. Le bruit de la porte grinçant lui fit savoir qu’il s’apprêtait à partir.

             Mais, juste avant de la claquer derrière lui, Edward lâcha d’une voix rude :









— Va te faire foutre.

 















spain without s.

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