𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟔

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS














             Un silence lourd et épais s’était abattu sur les membres du bataillon d’exploration. Le souffle coupé, tous observaient ce qu’il se passait à quelques mètres du corps étendu de Mike, au sommet du mur Sina. Et, les yeux écarquillés, nul ne parvenait à comprendre comment les choses avaient pu se dérouler si vite.

             Un instant, le soldat Emeraude souriait à deux amis. L’instant d’après, elle avait levé violemment ses bras, plantant ses sabres dans la gorge de Marcel et Reiner sans la moindre hésitation.

             Tout avait été trop rapide.

             Pourquoi avait-elle fait ça ? Qu’avait-il bien pu se passer, là-bas, auprès de Mike, pour que ce geste soit le premier qu’elle esquisse en revenant ? Quand avait-elle décidé que les deux soldats lui faisant face, ses amis, ses frères d’armes, devaient mourir ? Et comment avait-elle pu planter si sereinement ses dagues dans leurs gorges après leur avoir souri si gentiment ?

             Ces réponses, seule Emeraude les avait. Oui, debout face à deux soldats avec qui elle avait affronté la mort, son visage balafré et couvert du sang de Mike, ses yeux rougis par des larmes de douleur mais ses traits serrés en une expression déterminée, elle savait. Ses mains ne tremblaient pas, enfonçant sûrement et certainement ses lames dans la trachée de ses vis-à-vis.

             A côté d’elle, à un pas à peine des vêtements déchirés de la jeune femme et de son cœur battant avec rage dans sa poitrine, Eren écarquillait les yeux. Abasourdi, il ne parvenait à détacher son regard émeraude de la scène ni faire le moindre mouvement. Tout était allé très vite. Trop vite.

             Seulement, lorsqu’il voulut décrocher son regard du visage étiré par la rage de la jeune femme, il le vit. Ce changement d’expression. Soudain. Brutal. Presque terrifiant. Sa colère déterminée venait de laisser place à une stupeur sans pareil. Emeraude venait de voir quelque chose. Un élément à même de la surprendre au point qu’elle hausse les sourcils. Et cet élément se trouvait sur les traits de Reiner et Marcel.

             Alors, suivant son regard, il jeta un œil aux deux garçons. Et il comprit. A l’instant même où, malgré les deux lames enfoncées dans leurs gorges, les paupières des soldats s’ouvrirent, il comprit. Cette façon de dévoiler leurs prunelles, leur posture militaire en dépit de ce qu’il se passait et cette douleur au fond de leurs iris, il les avait déjà vu. Lorsque, un mois auparavant, pendant sa première excursion, Emeraude avait tenté de tuer Annie de la même façon et que celle-ci s’était transformée.

             Annie Leonhard était un titan. Reiner et Marcel aussi.

             Il n’eut le temps d’hurler, de verser une larme ou de se jeter sur eux. Au moment précis où ils avaient rouvert les yeux, des crépitements s’étaient faits entendre autour de leur corps et la température avait grimpé en flèche. A présent, parcourant tels des fouets de lumière leurs bras et jambes, divers flashs enflammés les illuminaient. Il connaissait ce spectacle. Il l’avait déjà vu.

             Ils étaient sur le point de se transformer.

— No…, voulut-il dire, mais il fut coupé.

             Les réflexes d’Emeraude avaient toujours été plus développés que les siens. Et, tandis qu’il s’apprêtait à pousser un hurlement de rage à l’encontre des deux hommes, un bras fin où il devinait des muscles rudement entrainés entoura soudain son torse, l’entrainant vers l’arrière. La soldate s’apprêtait à le tirer loin de cette explosion.

             Son grappin déjà propulsé et planter à quelques mètres de leur position, la jeune femme glissa ses mains sur ses bouteilles de gaz tandis qu’une forte déflagration retentissait, signe que leur mutation débutait. Le regard sévère planté sur l’horizon, elle ouvrit les pédales afin de décoller au moment où, violemment, le souffle de l’explosion les propulsait loin des deux titans et qu’une intense lumière aveuglait Eren, qui était resté face à Reiner et Marcel.

             Le garçon vit tout. Alors que le bras solide d’Emeraude l’entrainait loin de l’action, que la jeune femme leur épargnait à tous les deux une mort bien douloureuse en faisant fit de ses blessures et de sa fatigue, il regarda tout. L’expression hargneuse de Marcel, plus douloureuse de Reiner, les volutes de flammes roulant sous leur peau, la noirceur de leur iris lorsqu’ils explosèrent en une fumée de trahison.

             Il avait tout vu. Au même titre que tous les soldats derrière eux.

— Emeraude, non ! tenta-t-il de se débattre lorsqu’il vit ses collègues se ruer sans la moindre hésitation vers les deux traitres. Laisse-moi y aller !

             Mais elle ne l’écouta pas, raffermissant sa prise sur le garçon et mettant toujours plus de distance entre les titans et eux. Du coin de l’œil, il vit Levi et Edward, les sabres aux mains, voler jusqu’aux titans avec un regard déterminé.

— Emeraude, je veux me battre ! dit-il en donnant des coups d’épaule à la jeune femme pour la forcer à le lâcher.

— Et leur donner un moyen de t’enlever !? fulmina-t-elle sans sembler ressentir les coups que lui donnait Eren. Même pas en rêve ! Ils ont pris notre confiance mais on garde notre espoir.

             Sa voix était ferme, tranchante. A un point tel qu’il n’osa rétorquer quoi que ce soit. Mais, tournant légèrement la tête vers elle tandis qu’elle volait toujours plus vite et loin de Reiner et Marcel, il vit la douleur transperçant ses iris. Une souffrance telle qu’il n’en avait jamais vue.

             Que s’était-il passé, lorsqu’elle était allée chercher Mike ?

— Emeraude…, commença-t-il.

             Mais il fut brusquement coupé lorsque, d’un geste aussi brutal que maitrisé, Emeraude le projeta sur le sol. Son souffle s’interrompit brièvement et ses yeux s’écarquillèrent tandis que son postérieur cognait avec force les pavés de l’enceinte de Sina. Et, regardant rapidement autour de lui les maisons, parc et fontaines, il comprit qu’elle ne s’était pas contentée de remonter le mur jusqu’à un point éloigné, non. Elle l’avait caché dans l’enceinte de Sina, aux pieds des remparts, là où les deux titans n’auraient pas l’idée d’aller le chercher.

             Lorsqu’il releva mls yeux vers elle, elle était déjà repartie vers les hauteurs. Sans s’accorder la moindre pause, son corps toujours couvert du sang de Mike et quelques plaies brillant sous la lumière du soleil, elle actionna de nouveau les pédales de ses bouteilles de gaz et remonta le long des remparts dans un vol gracieux et élégant.

             Hébété, Eren ne songea même pas à la rejoindre. Là, assis sur les pavés, le cœur encore secoué par la douleur qu’il avait pu voir dans les yeux de son amie, il n’osa faire le moindre mouvement. Que s’était-il passé, là-bas ?

             Lorsqu’Emeraude arriva à hauteur des autres soldats, ceux-là tentaient d’arrêter les deux titans. De l’autre côté du mur, dans le secteur Rose, une haute silhouette aux courts cheveux blonds et plaques marrones entourant des nerfs rougeâtres était à genoux, agitant ses énormes bras autour d’elle afin de disperser les guerriers. Le titan cuirassé. Et, accroupie au sommet du mur Sina, une silhouette plus trapue à la mâchoire proéminente semblait attendre une attaque. Le titan Mâchoire.

             Ceux qui, il y a deux mois, avaient pénétré Shiganshina. Emeraude se souvenait, maintenant. Ils s’étaient portés volontaires pour aller prévenir les soldats de l’assaut en les réveillant. Mais ils n’avaient sans doute, en réalité, jamais été voir les guerriers et s’étaient plutôt précipités pour briser le mur dès lors qu’elle avait lancé l’alerte. Voilà pourquoi ils étaient arrivés trop tard après cela — ou plutôt, que les titans étaient arrivés trop tôt. Sans le savoir, elle les avait prévenus.

             A cette simple pensée, sa rage ne fut que décuplée.

             Projetant un bras rageur en direction du Mâchoire, elle poussa un hurlement féroce tandis que son grappin se plantait dans le bras du titan. Il l’avait trahi. Il allait en payer le prix fort.

             Marcel se tourna vers le grappin planté dans son bras, abasourdi qu’un des soldats aient réussi à l’atteindre alors que, depuis sa transformation, aucun n’était encore parvenu à l’approcher. Seulement, lorsqu’il remonta des yeux la corde accrochée au grappin et vit la figure enragée d’Emeraude fondant sur lui, il comprit.

             Elle, elle n’était pas comme les autres soldats. Et il n’allait pas s’en tirer indemne.

             Avant même qu’il ne songe à faire le moindre mouvement, une vive douleur le traversa à hauteur de son poignet. Elle y avait planté ses lames. Et, remontant en courant le long de son bras, elle laissa ses sabres plantés dans sa chair qu’elle déchira profondément en avançant jusqu’à son épaule. Elle voulait le faire souffrir à n’en plus finir, qu’il hurle afin d’expier ses péchés.

             Il les avait trahis. Et sa seule rédemption serait la douleur.

             Et, tandis qu’au travers de sa vision brouillée de larmes, Emeraude regardait la chair couverte de sang sur laquelle elle progressait, alors que son esprit ne parvenait à oublier ce qu’il s’était passé, après qu’elle se soit tournée vers Mike, là-bas, tandis qu’elle sentait la peau du titan Mâchoire se déchirer contre ses lames, la voix d’Edward lui revint en tête. Chaude, réconfortante, berçante.

— Je suis les sabres lorsque le mal assaille…

             Atteignant l’épaule de Marcel, elle arracha ses sabres dans un hurlement terrifiant, savourant le sang qui gicla sur elle tandis qu’elle ôtait ses armes. Et, sans lui laisser le temps de souffler, elle s’empara le grappin planté auparavant dans son poignet et qu’elle envoya sur l’autre bras d’un geste féroce.

— …résonnant à jamais dans un monde qu’il entaille…

             A sa taille, elle le sentait, ses bouteilles de gaz était vidée. Mais elle ne comptait pas laisser ce contretemps la freiner. Elle n’avait plus de quoi décoller ? Soit. Elle s’aiderait de ses grappins et sauterait. Même si ses lames étaient émoussées, elle attaquerait sa chair à la main. Même si ses grappins étaient cisaillés, elle gravirait son corps sans matériel.

             Elle se vengerait.

— …les ailes sur mon dos, qu’importe leurs tenailles…

             Alors qu’elle sautait du bras qu’elle venait d’entailler à l’autre, encore vierge, Marcel pencha son visage sur elle. Tournant sa mâchoire proéminente en sa direction, il tenta de la morde, écraser son corps entre ses dents. Mais elle l’esquiva sans moindre mal, atteignant son autre épaule tandis qu’il refermait sa bouche sur du vide.

             Il ne pouvait pas l’attraper. Elle était trop rapide, trop forte, trop agile, trop enragée.

— …resteront miennes jusque dans l’ultime bataille…

             Se servant de la prise de son grappin sur le chair, elle se laissa tomber de l’autre côté de l’épaule de Marcel. Et, chutant sous son bras, elle planta avec un rire féroce ses sabres dans son aisselle, tranchant sa chair le long de ses côtes jusqu’à sa taille.

             Il regretterait de l’avoir trahie.

— …Oh Maria, ohoh Maria, sur mon front, à jamais, son œil brillera…

             Une fois arrivée à sa taille, elle envoya son second grappin se planter dans la cuisse du titan et, sans ôter ses lames de l’intérieur de sa chair, déchira celle-ci sur toute la longueur tandis qu’elle se laissait tomber jusqu’à ses jambes, le sang du titan couvrant celui de Mike sur son corps.

             Elle se vengerait.

— …Oh Maria, ohoh Maria, le souffle des ailes, peut-être un jour, cette larme sèchera

             Animée par une rage monstre, elle ne parvenait à s’arrêter. Marcel et Reiner les avaient trahis. Tous leurs frères d’armes décédés à Shiganshina… C’était eux. C’était de leur faute.

             Ereinté par la douleur, Marcel se laissa quelque peu tomber en arrière. Les jambes toujours ancrées dans le sol, il bascula sur ses fesses, plaçant son ventre de façon presque parallèle au sol.

— …la lame émoussée de l’Humanité…

             Atteignant les cuisses de Marcel, elle ôta de nouveaux ses sabres de sa chair en veillant à le faire de façon aussi douloureuse que possible. Son bras droit, son aisselle gauche jusqu’à sa cuisse droite en passant par son ventre étaient couverts de profondes entailles. La signature d’une femme éreintée par la guerre.

             Le souvenir de sa rage.

— …n’effacera jamais nos espoirs tuméfiés

             Profitant de la nouvelle position de Marcel, elle fit demi-tour et, laissant ses lames progresser le long de sa peau et le griffer ardemment, se mit à courir sur son torse, remontant à sa poitrine. Elle allait le faire souffrir puis l’achever d’un coup à la nuque.

— …et dans les larmes de ceux qui sont restés…

             En arpentant son pectoral gauche, elle veilla à crever assez profondément celui-ci pour atteindre l’espace vide dans lequel son cœur aurait dû se trouver. Elle voulait lui prouver que là était ce dont il avait le plus manqué.

             Un cœur.

— …je lave le sang des sacrifiés…

             Du sang couvrit ses mains quand, à force d’enfoncer trop profondément ses lames dans la chair du titan, elle sentit ses pommeaux cogner la surface de la peau, signe que l’intégralité de son sabre y était incrusté. Mais elle n’en ressenti aucun dégoût.

— …oh Rose, ohoh Rose, je tiens entre mes mains le monde et ses nécroses…

             Puis, elle remonta jusqu’à sa gorge. Juste en-dessous de sa mâchoire. Il tenta bien de la mordre mais, d’une pirouette agile, elle l’esquiva. Et, en guise de représailles, elle planta ardemment l’un de ses sabres sous son oreille.

— oh Rose, oh oh, ma Rose, fais que là-bas, au moins, ils se reposent…

             Lançant son grappin sur le visage de Marcel, elle alla le planter dans son œil, observant avec un sourire satisfait le sang qui en gicla. Elle ne tenta pas d’atteindre sa mâchoire, elle la devinait trop dure pour ses lames. Mais elle n’avait pas besoin d’entailler cette partie de son anatomie pour le briser.

             Et elle devinait déjà sa souffrance immense. Mais elle ne pouvait pas s’arrêter.

— …leurs noms perdus dans l’offensive…

             S’aidant de son grappin planté, elle bondit sur le visage de Marcel. Elle vit son œil valide suivre ses déplacements à mesure qu’elle s’en approchait, prête à en découdre. Et il sut qu’elle n’en avait pas fini avec lui lorsqu’elle surprit la lueur démente qui brillait dans ses yeux.

— …leurs actions pour seul souvenir…

             Il s’était passé quelque chose, là-bas, lorsqu’elle était partie chercher Mike. Quelque chose de s’y terrible qu’il n’y avait qu’en le faisait souffrir qu’elle pourrait le surmonter. Et il le savait.

— …et dans les larmes de ceux qui vivent…

             Son pas était à présent plus lent. Elle ne courrait plus. Marchant sur son visage comme s’il n’était qu’un parterre de fleur, elle souriait légèrement en approchant son seul œil valide. Et il la regardait faire, son cœur tambourinant dans sa poitrine.

             Il n’arrivait plus à bouger. Malgré sa capacité de régénération, elle l’avait pour l’instant trop entaillé pour qu’il parvienne à faire le moindre mouvement.

— …je lave le sang des martyrs…

             Il poussa un beuglement sourd, attirant l’attention de quelques soldats affairés autour du titan cuirassé. Elle venait de transpercer son œil valide de son sabre, laissant le sang gicler de celui-ci et couvrir ses bottes.

             Et, debout sur son front, imbibée d’hémoglobine, elle savoura ce bref instant. Cette seconde précédant la victoire, ce moment juste avant celui où elle lui trancherait la nuque. Il avait souffert, mais pas assez.

             Elle voulait lui laisser le temps de se rendre compte qu’il était sur le point d’être exécuté avant qu’elle ne fasse le moindre geste.

— …oh Sina, ohoh Sina, fais que se dissipe, un jour, l’anonymat…

             Soudain, une détonation.

             Malgré le bruit de la guerre ambiant, tous l’entendirent nettement. Sèche, rapide, forte. Un coup de feu. Et, d’un seul geste, les têtes s’étaient tournées vers l’origine du bruit. Là où se trouvait le titan mâchoire.

             Emeraude eut à peine le temps de réaliser que, se mêlant au sang de Mike et de Marcel, le sien venait d’émerger depuis son propre corps. Elle ne ressentit rien. Pas de douleur ni même de surprise. A vrai dire, la seule chose qui lui permit de comprendre qu’elle avait été la cible de cette détonation fut la façon dont son corps avait sursauté lorsque le projectile l’avait percutée.

             Quelqu’un venait de lui tirer dessus.

             Et, avant même qu’elle ne réalise ce qu’il se passait, son corps chutait en arrière, basculant dans le vide tandis qu’elle ne pouvait se raccrocher à quoi que ce soit, ses bouteilles étant vides.

— …oh Sina, ohoh Sina…

 










 

…l’oubli n’est à l’espoir qu’un assassinat.

 













bon

les pronostiques vitaux sont-ils engagés ?

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