𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟑
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
— On va avoir une sérieuse conversation, toi et moi.
Légèrement voutée, Emeraude se tourna vers Levi en massant son épaule endolorie. La poigne de l’homme avait été ferme. Trop ferme. Elle pouvait d’ores et déjà deviner l’hématome se formant sur sa peau.
Et, tandis qu’il croisait ses bras sur sa poitrine, la foudroyait de ses hématites étincelantes en tâchant de garder un air impassible, elle sentit la colère la prendre. La même que lorsqu’il s’en était allé la veille, la laissant seule. La même que lorsqu’il avait déclaré avoir honte de ce qu’il s’était passé. La même que lorsque les soldats s’étaient mis à parier sur son identité. La même que lorsqu’il n’avait daigné lui prêter la moindre attention.
La même. Une colère noire teintée des reflets verdâtres de l’humiliation.
— Non, répondit-elle d’une voix grondante.
— Non ? répéta Levi, partagé entre la colère et la surprise.
— Non, trancha-t-elle, massant toujours son épaule tandis que ses yeux dévisageaient avec hargne l’homme.
S’il sembla embarrassé, cela ne dura qu’un court instant. Aussitôt eut-elle pris la parole qu’il se redressa, un certain agacement dans les yeux. En sa présence, il ne parvenait plus à dissimuler ses émotions, on pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert.
Et il était furieux.
— N’essaye même pas de me donner des ordres, lâcha-t-il d’une voix trop calme en avançant d’un pas.
— N’essaye même pas de m’intimider, répondit-elle du même ton en se redressant de toute sa hauteur.
Sans le moindre spasme ni tremblement d’hésitation, elle fit un pas en direction du noiraud, amoindrissant considérablement la distance entre eux. Et, la voyant faire la tête haute, il ne put dissimuler l’éclair de surprise qui traversa ses yeux gris.
Quelques centimètres les séparaient encore et, s’élevant dans l’air tel un feu crépitant, une chaleur consumante les prit d’assaut. La tension entre eux s’était haussée en une fraction de seconde et l’atmosphère ne cessait de s’épaissir à mesure qu’ils se fusillaient du regard.
Il était en colère ? Bien. Elle aussi.
— Evite de m’agacer, Emeraude, c’est un conseil que je te donne, murmura-t-il d’une voix si fébrile qu’elle pouvait presque sentir la violence le déchirant.
— Sinon quoi ? répondit-elle en inclinant légèrement la tête, un sourire aussi mauvais qu’attristé aux lèvres. Tu te glisseras sous mes draps cette nuit et me collera un couteau sous la gorge ?
Levi se raidit, incapable de répondre quoi que ce soit. Difficilement, il contint le torrent d’émotions puissant qui menaçait de traverser ses yeux à mesure qu’il les plongeait dans ceux de son interlocutrice.
Elle ne cillait pas, ne tremblait pas. Même plus, elle ne tentait pas de cacher la force des sentiments qui l’animait. Il les voyait très bien. Tous. La tristesse. La rage. La honte. On eut même cru qu’il s’agissait là, non pas de la douleur d’un égo blessé mais d’un cœur brisé.
Comme si, elle qui ne lui avait pourtant que rarement adressé la parole, souffrait de la même manière qu’une personne qui l’aurait aimé.
Et, en voyant l’ampleur de son mal, il se dit qu’il devrait mettre cartes sur table, avouer la vérité. Qu’il serait mieux pour eux deux qu’il confesse ne pas comprendre ce qu’il s’était passé la veille et être en train de paniquer car tout était allé très vite, trop vite. Qu’il admette qu’il ne la connaissait que trop peu et, même s’il avait passé un bon moment, se sentait mal à l’aise d’avoir connu son premier baiser et sa première expérience sexuelle avec une inconnue. Qu’il avoue qu’il n’avait pas honte d’elle ni de leur étreinte mais de ce qui avait précédé, des quelques minutes où il avait tenté de la tuer.
Qu’il lui explique qu’il avait passé la nuit à se demander si elle avait vraiment souhaité qu’ils s’embrassent et se caressent ou si elle avait cédé par peur qu’il ne recommence.
Qu’il la regarde et déclare qu’il avait honte, non pas d’elle, mais de lui. Car il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il aurait dû s’en aller plus tôt, qu’il avait profité d’un moment où se sentait mal en point et qu’il ne parvenait plus à se regarder dans le miroir.
Mais il n’eut le courage de dire tout ça.
— Je te donne une occasion de parler calm…, commença-t-il, tentant de rassembler son courage pour apaiser la situation.
— Une occasion de parler ? répéta-t-elle dans un rire jaune.
Il ferma la bouche, déglutissant péniblement. Il n’aimait pas voir les larmes perler dans son regard tandis qu’elle s’efforçait de rire pour ne pas trahir sa peine.
— Et moi, je t’en ai donné combien, des occasions de parler ? demanda-t-elle, reculant d’un pas pour s’empêcher de lui sauter au cou et l’étrangler.
Il la regarda faire sans ne rien dire.
— Lors de notre première rencontre, quand j’ai tenté de t’empêcher de tabasser Eren, tu aurais pu me parler. Mais tu ne l’as pas fait et a préféré me laisser croupir dans un trou à rat. Lors de notre deuxième rencontre, quand j’ai voulu te prévenir de ce qui allait se passer pendant notre première excursion, tu aurais pu me parler. Mais tu ne l’as pas fait et a préféré me laisser gérer les choses seules et frôler un tête-à-tête avec la faucheuse trois fois de suite. Lorsqu’Edward a parlé de Dan et de ses poisons, tu aurais pu me parler. Mais tu ne l’as pas fait et a préféré contacter son supérieur, ce qui l’a poussé à agir vite et tenter de me tuer. Lorsque j’ai essayé de te parler de cette nuit, tu aurais pu me parler. Mais tu ne l’as pas fait et a préféré dire que je te faisais honte.
Une larme roula sur sa joue. Elle craquait.
— Levi, JE NE T’AI DONNÉ QUE ÇA, DES OCCASIONS DE PARLER !
Son cri, brutal, sembla amener un silence de mort dans l’intégralité du château. Et Levi sentit son cœur se serrer en voyant la peine qui déformait les traits de la jeune femme.
— Alors maintenant que je te donne une occasion de te taire, lâcha-t-elle d’une voix fébrile avant d’hurler à nouveau, BORDEL DE MERDE, SAISIE-LA ET FERME-LA !
Il ne pipa mot. Non pas qu’il n’osait pas, plutôt qu’il était abasourdi. Il revoyait l’étrange mélange de peur et de détermination qui allumait son regard, la première fois qu’ils s’étaient vus au tribunal mais aussi la terreur dans ses yeux lorsqu’elle avait tenté de le prévenir de la tragédie qui les attendait pour leur première excursion ainsi que l’immense tache de sang qui s’étendait sur sa chemise de lin, la veille et la honte dans son regard, le matin-même.
Elle était épuisée.
— Tais-toi, reprit-elle d’une voix plus douce, presque éteinte. En fait, ne me parles plus.
Elle ne le regardait pas. Les yeux rivés sur le sol, sa poitrine se soulevant difficilement, elle ne levait même plus les yeux en sa direction.
Alors, songeant que, sans même le vouloir, il avait déjà commis bien trop de dégâts, il ne répondit point. S’il pouvait tenter quelque chose pour replacer sur ce visage déjà creusé par les cernes le sourire qu’elle affichait avant aux côtés de ses camarades, il le ferait.
Bientôt, il la vit s’en aller. Toujours sans un regard pour lui, elle tourna les talons et se mit à marcher en direction du pont-levis abaissé. Elle avait besoin d’air frais. Il la suivit du regard quelques instants, puis craqua.
Il n’avait peut-être pas tenté de comprendre ses sentiments. Mais elle non plus ne s’était jamais interrogée sur ce qu’il ressentait.
— Tu n’es qu’une sale égoïste, lança-t-il alors qu’elle s’apprêtait à mettre un pied dehors.
Sur le seuil du portail, elle s’immobilisa quelques instants. Puis, tournant légèrement la tête vers la droite, elle répondit sans le regarder :
— Tu as raison. Je ne suis qu’un sale monstre d’égoïsme…
Elle leva enfin les yeux vers lui, le transperçant de ses iris blessées.
— …qui se regarde dans le miroir.
Puis, sans un mot de plus, elle reprit sa marche, sortant de son champ de vision. Il ne tenta pas de la suivre, prit de court par sa dernière phrase. Un monstre d’égoïsme qui se regarde dans le miroir. Il soupira. Elle n’avait pas tort, dans le fond.
Ils étaient tous les deux de beaux connards. Sans doute était-ce pour cette raison qu’ils s’étaient plus, d’ailleurs.
Soudain, il entendit des pas dans son dos. Quelqu’un venait. Il reconnut cette démarche lente et rythmée. Erwin Smith. Il se tenait derrière lui.
— Dois-je accéder à sa requête ?
Dire que le caporal n’hésita pas serait mentir. Durant une fraction de seconde, il s’imagina ce que serait la vie si elle restait dans sa brigade et sous ses ordres, qu’elle serait obligée de le côtoyer chaque jour et qu’ils seraient bien amenés à se parler et à régler leurs différends.
Mais, aussitôt, son visage couvert de larmes lui revint en mémoire ainsi que sa dernière phrase. Un monstre d’égoïsme qui se regarde dans le miroir. Elle avait besoin d’une pause. Qu’importe combien il voulait s’expliquer, qu’importe à quel point il pensait qu’elle était en tort, qu’importe sa certitude qu’elle ne lui avait fait tous ses reproches que pour ne pas se rendre compte qu’elle n’en voulait en réalité qu’à elle-même et non à lui.
Qu’importe. Mieux valait qu’elle le haïsse, lui, qu’elle.
— Oui, répondit-il simplement. Je ne la veux plus dans ma brigade.
— Comme tu le sais, j’ai promu Edward la nuit dernière donc je l’enverrai dans sa brigade ainsi que la plupart des recrues avec qui elle s’entrainait.
Le caporal acquiesça mollement.
— Mais je ne veux plus jamais de scènes comme celle-ci. Nous sommes soldats, pas comédiens, avertit le blond en se plaçant à côté de Levi, fixant le portail qu’il n’avait pas quitté des yeux, celui qu’elle avait franchi en partant.
— Je pense que ses sentiments l’auraient empêchée de faire du bon travail, tenta de la défendre le noiraud. Être éloignée de moi lui permettra de prouver ses capacités.
— Si elle se permet de refaire une scène comme celle-ci, elle quittera les bataillons.
Le caporal se raidit, il n'aimait pas cette idée. Mais Erwin termina sa phrase :
— En revanche, si elle fait ses preuves, elle aura sa propre brigade.
Levi se redressa subitement.
— Tu comprends ce que ça veut dire, n’est-ce pas ?
Oui, il comprenait. Pour le bien d’Emeraude, qu’il s’agisse de sa carrière professionnelle ou de sa santé mentale, il allait devoir s’en éloigner.
Cette conversation avait été leur dernière.
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c'est pas l'amour fou hehe
bon, prochain chapitre, début de la saison 2
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