𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟐
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
Lorsqu’Emeraude se leva, le lendemain, ce fut avec un nœud dans le ventre qu’elle se prépara. Qu’il s’agisse du moment où elle retira les draps du lit et qu’elle les posa sur le seuil pour le personnel d’entretien, de celui où elle alla se laver comme Levi le demandait ou de celui où elle s’habilla, pas une seule seconde elle ne songea pas à ce qu’il s’était passé la veille.
Elle revoyait les pupilles dilatées du caporal fixant son corps dénudé, réentendait son souffle saccadé à son oreille, ressentait le parfum de sueur et fièvre qui embaumaient alors les lieux, se rappelait de la sensation de ses mains glissant entre ses jambes. Mais, surtout, elle ne parvenait pas à oublier le moment où il avait quitté la chambre sans un mot.
Descendant les escaliers sans grand enthousiasme, la soldate songea à la dure journée qui l’attendait. Entre réparer le matériel endommagé suite au combat à Stohess, interroger Dan sur l’identité de son père, laver les écuries et s’entrainer, le tout en la charmante compagnie de Levi, elle n’était pas vraiment sûre de pouvoir tenir jusqu’au bout.
Les couloirs étaient silencieux, les soldats devaient déjà s’être réunis pour le petit-déjeuner. Ses amis l’attendaient sûrement, loin d’imaginer où et avec qui elle avait passé la nuit.
Arrivant au rez-de-chaussée, elle eut tout juste le temps de songer qu’elle gardait finalement un bien amer souvenir de cette soirée. Soit, elle avait ressenti un orgasme si puissant qu’elle s’était crue, le temps d’un instant, portée au ciel. Mais, en songeant au froid qui l’avait parcourue en le voyant partir, elle se disait que le jeu n’en avait pas valu la chandelle.
Cette pensée eut à peine le temps de traverser son esprit que son cœur s’arrêta dans sa poitrine, ratant un battement. Ses paupières s’écarquillèrent et son souffle se coupa. Il était là. Devant elle. Celui qu’elle aurait aimé ne pas croiser.
Levi Ackerman.
Posté devant la porte fermée du réfectoire, il resserrait les sangles de son appareil tridimensionnel. De sa posture arquée, il faisait ressortir les muscles de ses bras et Emeraude ne put s’empêcher de se dire qu’il était attrayant.
Approchant de sa position, elle hésita à rebrousser chemin. Elle ne pourrait entrer dans le réfectoire sans qu’il la voie. Seulement, à peine l’idée de reculer effleura-t-elle son esprit qu’elle la balaya. Elle n’allait pas commencer à le fuir. Ce n’était pas à elle de pâtir de cette situation. Il était parti comme un lâche après leur nuit et ce n’était sûrement pas elle qui allait en prendre le blâme.
— Caporal, dit-elle d’une voix froide en inclinant légèrement la tête en guise de salutation.
Il sursauta légèrement, visiblement pris de court.
— Emeraude…, répondit-il d’une voix hésitante.
Un silence embarrassant prit place entre eux durant quelques instants. Elle tenta de le briser.
— Ecoutez, pour hier…
— Je ne veux pas en parler, l’interrompit-il, catégorique.
Surprise, elle haussa les sourcils.
— Vous ne voulez pas en parler ?
Les traits de Levi étaient impassibles, comme à son habitude. Il était impossible pour la jeune femme de deviner le contenu de ses pensées.
— C’est exact, je ne souhaite pas en parler, trancha-t-il d’un ton très solennel.
Seulement, en voyant la surprise sur le visage de la soldate, il comprit qu’il n’allait pas vraiment pouvoir s’en tirer comme ça. Alors, laissant un peu plus d’expression animer son visage, il se remit à parler avec embarras.
— Ecoutez, j’ai déjà suffisamment honte comme ça, je…
— Honte ? répéta-t-elle, abasourdie.
Et, à l’instant même où il vit l’ombre attristée qui traversa ses yeux, à la seconde où elle se redressa, tentant d’agir comme si ce mot ne l’avait pas touchée, il ressenti un pincement au cœur. Il s’était mal exprimé. Très mal exprimé.
Elle haussa fièrement le menton, comme si cela ne la touchait pas. Mais il savait qu’elle mentait.
— Attendez, ce n’est pas ce que je…, commença-t-il en faisant un pas en sa direction.
— J’en ai assez entendu, caporal, le coupa-t-elle en ouvrant la porte du réfectoire d’un geste trop brusque pour ne pas être animé par la colère.
Aussitôt, la forte lueur du soleil la saisit ainsi que le brouhaha ambiant. Sans un mot de plus à l’égard du noiraud, elle referma la porte derrière elle, le cœur douloureux. Honte, répéta-t-elle intérieurement, ce mot lui faisant l’effet d’un coup de poignard.
Puis, prenant une grande inspiration, elle redressa vivement le menton. Elle n’allait pas se laisser abattre par un connard prétentieux. D’autant plus que rien ne les liait. Ils ne discutaient jamais, n’avaient pas de relation privilégiée. Elle n’était pas attachée à lui. Seule sa fierté en avait pris un coup. Pas son cœur.
Du moins, ça, c’est ce dont elle essayait de se convaincre.
Remontant les tables jusqu’à celle du fond où ses amis étaient déjà attablés, elle eut bien du mal à garder sa contenance. Où qu’elle passe, qu’importe les camarades qu’elle dépassait, elle avait l’impression d’entendre son nom dans toutes les bouches, que tous s’étaient mis à parler de lui. Elle se sentait oppressée.
Et, quand elle arriva à sa table, tirant lourdement sa chaise pour s’assoir à côté de Jean, cela ne s’arrêta pas.
— On parle du caporal, là, pas d’Edward ! Personne n’est proche de lui ! s’enquit la voix d’Ymir, visiblement très investie.
— Je maintiens que je trouve cette conversation tout à fait déplacée, résonna celle de Mikasa, la jeune femme étant visiblement agacée.
— Tout le monde en parle, ça va ! se justifia Conny en accompagnant ses mots d’un vague geste de la main.
— Parler de quoi ? demanda Emeraude, intriguée malgré elle.
Jean se tourna vers elle, la gratifiant d’un sourire en guise de salutation. Puis, hilare il expliqua d’une voix calme :
— Hier je suis passé devant la chambre du caporal parce que j’avais cru entendre une femme appeler à l’aide. Et quand je suis arrivé, il était allongé sur le lit au-dessus de quelqu’un mais j’ai pas vue qui c’était. En tout cas elle hurlait fort, putain ! J’ai cru qu’elle allait briser les vitres ! Et clairement c’est pas à l’aide qu’elle appelait !
Les muscles d’Emeraude se raidir, une vague de sueur la prit.
— Du coup, comme tout le château l’entendait gueuler, tous les soldats parient sur qui était avec lui.
Aussitôt eut-il fini sa phrase qu’il se tourna vers les autres, prêt à renchérir sur le pari. Elle, de son côté, sentit une vague de chaleur la submerger. Ses muscles semblèrent s’atrophier et elle sentit ses yeux la piquer. Tout le château l’avait entendue, Levi venait de la jeter comme si elle n’était qu’un vulgaire déchet et maintenant, ils pariaient.
Mikasa, assise face à elle, remarqua son changement d’attitude et comprit. Elle n’avait pas besoin de mot. La détresse dans le regard d’Emeraude lui suffit.
— Ça sert à rien de débattre sur le sujet, on aura jamais la réponse, tenta-t-elle de tempérer, en vain.
— Ouais mais c’est drôle ! rétorqua Auruo avec un rire gras.
Emeraude ferma les yeux, repensant au mot de Levi. Honte.
— En tout cas on peut pas dire qu’il sache pas se débrouiller avec son engin, vous avez entendu comme elle hurlait ! éclata de rire Erd.
Honte.
— Putain et puis elle a honte de rien, hein ! A plein poumons ! ajouta Auruo.
Honte.
— Ce que je comprends pas c’est la porte ouverte, résonna la voix d’Ymir. C’est un genre de fantasme ?
Honte.
— Ecoutez, je pense pas que ce soit très utile de parler de ça, elle doit pas se sentir très bien non plus maintenant que tout le monde est au courant, contesta Eren.
Honte.
— La ferme, Eren, répondit Jean d’une voix bourrue. Et puis t’as qu’à aller la trouver un peu, toi aussi, histoire qu’elle te décoince.
Honte.
— Oh, caporal…, imita Conny dans un gémissement qui fit rire l’assemblée.
Honte.
— Vous pensez qu’on la conna…
Interrompant Sacha, Emeraude se leva de sa chaise dans un grand fracas. Son geste brusque fit tomber le siège en arrière, s’attirant les regards de l’intégralité de la tablée mais elle ne s’y intéressa pas.
C’était trop.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Jean, intrigué.
Mais elle ne lui répondit pas. A vrai dire, elle n’accorda d’attention à personne, gardant les poings serrés le long de son corps. Elle ne savait plus où elle en était entre la colère et la honte mais une dense chaleur l’avait envahi.
Se retournant dans le brouhaha ambiant, elle ne réfléchit pas longtemps avant de fondre sur la table des caporales. D’un pas furieux, elle joignit la tablée où Mike, Hanji, Edward, Erwin et Levi mangeaient paisiblement. Levi.
Il l’avait humiliée.
— Je veux changer d’escouade, annonça-t-elle d’un ton autoritaire en arrivant à leur hauteur.
Tous les regards se tournèrent vers elle. Là où la plupart affichait de l’incompréhension, le noiraud laissait voir une telle indifférence qu’elle s’en sentit encore plus blessée. Il ne donnait même pas l’impression de la voir.
Comme si elle était transparente.
— Et pourquoi cela ? demanda Erwin d’un ton calme en regardant la façon qu’avait la soldate d’assassiner le caporal-chef de son regard.
Et, à cet instant précis, ce dernier fit une grossière erreur.
Car, alors que tous autour d’eux pariaient sur l’identité de celle qui avait hurlé son grade toute la nuit, tandis qu’il l’avait rejetée plus tôt comme si elle ne valait rien, alors même qu’elle était rongée par la honte et avait envie de disparaitre sous terre, il se permit de plonger une cuillère dans le bol qu’il avait sous les yeux et se remettre à manger, comme si de rien n’était. Reprenant son petit-déjeuner sans lui accorder la moindre attention.
Et, là, Emeraude sentit toute sa retenue fondre comme neige au soleil. De quel droit se permettait-il de l’humilier de la sorte ?
— Parce que j’estime qu’il serait indécent qu’Ackerman utilise sa langue pour me donner des ordres alors qu’hier soir, elle se trouvait sur mes seins.
Aussitôt, un silence s’abattit sur les lieux. Pas seulement la tablée devant elle se tut mais bien tout le réfectoire. Car, emportée par sa colère, elle n’avait fait attention à la force avec laquelle elle venait de lâcher sa phrase. Et tous l’avaient entendue.
Immobiles, plus personne n’osait bouger. Sous ses yeux, Mike regardait son assiette, celle-ci lui paraissant soudain très intéressante, Hanji haussait un sourcil interrogateur en direction du caporal, Edward regardait celui-ci en serrant le poing et Erwin ne pipait mot, sa cuillère encore en suspens dans sa main.
Même les mouches n’osaient pas voler tant l’atmosphère était pesante. Tout le monde avait entendu sa phrase.
Le premier à rompre le silence fut la voix lointaine d’un soldat, au fond de la salle, qui tenta de chuchoter pour ne pas se faire entendre. Mais, dans le silence assourdissant des lieux, tous n’écoutèrent que lui.
— J’avais raison, c’est elle. Vous me devez dix pièces d’or, les mecs.
Immédiatement, Emeraude se retourna vers l’origine du son, crachant avec hargne :
— Je vais te les fourrer dans le cul, tes dix pièces d’or, tu vas les sentir pass…
La coupant brutalement dans sa phrase, une prise de fer se referma brutalement sur son bras. A peine se fut elle tournée et eut-t-elle croisé le regard traversé de rage du caporal Ackerman que celui-ci la tira dans le réfectoire.
Il était furieux. Cela se sentait dans la façon qu’il avait de la saisir à sa suite. Et, soudainement apeurée par l’immense colère noirâtre qu’elle venait de voir dans les yeux du noiraud, elle ne songea même pas à opposer une forme de résistance lorsqu’il dépassa les tables.
S’arrêtant devant la porte qu’il ouvrit dans un geste si furieux qu’elle claqua contre le mur, il projeta Emeraude d’un geste brutal dans le couloir avant de refermer dans un fracas derrière lui.
La soldate, prise au dépourvu, se massa quelque peu le bras en se retournant vers lui. Une vague de sueur froide la prit lorsqu’elle comprit qu’elle était allée trop loin. Et cette certitude ne fit que s’accroitre quand ses yeux croisèrent ceux, assombris par la colère dans laquelle elle l’avait plongé, du caporal.
La foudroyant du regard, il lâcha d’un ton sec :
— On va avoir une sérieuse conversation, toi et moi.
⏂
disons que les choses ne se sont pas passées comme convenues...
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