𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟑𝟏


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬




S03E03
petit spoiler





             Emeraude boitait maintenant. Même si la balle de la veille ne l’avait qu’effleurée, elle n’en avait pas moins brûlé sa peau et créé une blessure, bien que superficielle. Elle avait tenté de se soigner maladroitement en se rinçant dans l’eau d’une rivière et fixant une étoffe en guise de compresse. Mais elle craignait fortement une infection que son système de pansement précaire favorisait.

             Hanji saurait quoi faire, elle, songea la jeune femme en baissant un peu plus la tête pour qu’on ne voit pas son visage. Depuis la veille, elle n’avait eu de cesse de penser à sa vie à la base. Un temps révolu. Et, en réalisant la présence d’autres soldats auprès de Levi, la jeune femme s’était sentie terriblement seule. Même si elle tentait de ne jamais y songer, la scientifique et surtout leurs petites discussions peu intéressantes lui manquaient.

             Au moins, elle avait Bosuard. Plus le temps passait, plus la fillette apparaissait comme une entité autonome dans son esprit. Parfois, elle en oubliait même qu’il s’agissait d’une illusion, l’enfant se montrant si indépendante d’elle.

             La veille, par exemple, lorsqu’Emeraude était rentrée blessée dans leur campement, elle avait vu un arc posé sur son lit improvisé. Sa compagne de route lui avait dit qu’elle l’avait volé, ce qui avait impressionné la jeune femme à cause de la taille de l’arme. Il ne s’agissait pas là d’une petite pomme aisément dissimulable sous une veste mais bien d’un objet énorme.

             Quoi qu’il en soit, elle le portait maintenant, par-dessus sa cape longue d’hiver cachant son système tridimensionnel. La corde pressait sa poitrine et sa taille tandis que le bois s’étendait derrière elle, le long de son dos. Son carquois était fixé sur son épaule droite et elle avançait, tête basse.

             La fillette à côté d’elle se montrait bien moins mystérieuse. Emeraude ne lui avait pas demandé de prendre soin de dissimuler ses traits compte tenu du fait qu’elle n’était pas réelle. Alors elles marchaient maintenant côte à côte, prête à aller faire les poches des habitants de Sina.

             Soudain, elle vit devant elle une foule dense regroupée au milieu de la rue. Il devait y avoir une vingtaine d’habitants et un murmure bourdonnant s’élevait d’entre leurs rangs. Ils bloquaient la route mais cela ne la gêna pas. Elles allaient s’arrêtée ici.

— Regarde, elle interpella Bosuard. La cible idéale.

             La fillette acquiesça et elles se dirigèrent vers la masse. C’est aussi la meilleure cachette possible pour moi, songea Emeraude en passant entre deux hommes qui ne lui adressèrent aucun regard. Tous fixaient un point au centre de la ronde qu’ils formaient, elle s’y tourna naturellement.

             Seulement elle était trop petite pour parvenir à voir quoi que ce soit. La tête baissée, elle posa une main sur l’épaule de l’homme devant elle en passant, lui murmurant un bref « excusez-moi » tout en fourrant ses cinq autres doigts dans sa poche où elle retira ce qui semblait être deux pièces.

             Elle poursuivit son manège sur cinq autres personnes, prétextant s’excuser en les dépassant pour les voler plus confortablement. Elle était à l’aise avec ses gestes, savait quoi faire. Après tout, c’était de cette façon qu’elle et Eddie s’étaient nourris durant des années.

             Elle arriva finalement sur la ligne de personnes donnant directement sur la scène. Et celle-ci était particulièrement macabre. Trois masses couvertes d’un linge blanc signalait la présence de corps. Autour de l’un d’entre eux, deux femmes pleuraient à chaudes larmes.

— Regardez, le voilà ! s’exclama une voix masculine dans l’assistance.

             Le brouhaha qu’émettait le groupe venait de s’intensifier. Emeraude se tourna naturellement dans la même direction qu’eux pour comprendre ce qu’il se passait. Elle écarquilla les yeux.

— C’est Erwin ! affirma une autre voix.

             En effet, le dos droit et le regard sévère, le major se tenait devant deux hommes des brigades spéciales. Si elle crut d’abord qu’il s’agissait de gardes du corps, elle réalisa bien vite à la façon dont ils tenaient leur fusil et le regardait qu’il était en réalité leur prisonnier.

             Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Le blond était un haut-gradé reconnut et renommé pour les services qu’il avait rendu à l’Humanité. Ses missions avaient beau être sanglantes, il obtenait des résultats. Il faisait ainsi la fierté des bataillons d’exploration. Et il était aussi connu pour être droit dans ses bottes, elle doutait qu’il soit responsable d’un quelconque crime.

             Il s’arrêta, jaugea le corps étendu sous ses yeux, celui entouré de femmes pleurant. Un éclair traversa ses yeux bleus. De l’incompréhension. Même de là où elle était, la jeune femme le vit nettement. Le major ne savait absolument pas ce qu’il s’était passé.

— J’imagine que tu reconnais cet homme, Erwin, lança un membre des brigades spéciales qu’elle se souvenait avoir vu au tribunal.

             Emeraude prit un peu plus de temps pour observer les traits de la tête dépassant d’un des voiles blancs. C’était un homme gras d’environ une cinquantaine d’années qui avait une calvitie plutôt avancée. Les yeux fermés, il ne donnait pourtant pas l’impression de dormir, sa peau pâle étant couverte de sang qui trahissait ce qu’il avait subi. Un homicide.

— Directeur de la compagnie Reeves, répondit la voix grave d’Erwin. Dimo Reeves.

             A ce moment-là seulement, elle réalisa qu’une des manches du major n’était pas remplie. Sa veste brune au sigle du bataillon d’exploration cachait relativement bien ce qui semblait avoir été une amputation. Sans doute son bras avait-il été arraché par un titan. La jeune femme déglutit. Il y avait eu une autre exploration extra-muros, alors. Est-ce qu’Hanji s’en est sortie ? songea-t-elle immédiatement.

— Hier dans la même rue Eren Jäger a été enlevé par plusieurs de ses employés, reprit le membre des brigades spéciales.

             La jeune femme leva les yeux au ciel. Mais il en a pas marre de se faire kidnapper, celui-là ? Elle avait eu vent —par Bosuard— que les titans colossal et cuirassé l’avaient déjà enlevé, quelques semaines auparavant. Elle était décontenancée par la capacité du jeune homme à se métamorphoser, non pas en monstre gigantesque, mais en une réplique pathétique du cliché de la demoiselle en détresse.

— Mais c’était en fait un faux rapt combiné par Reeves sur ordre du bataillon afin de se soustraire à l’injonction de livrer Eren aux autorités.

             Emeraude fronça les sourcils en levant vivement la tête, découvrant son visage sans même s’en rendre compte. Ce n’était pas le genre des bataillons d’exploration. Une telle machination n’aurait pas pu se faire. Pas sous les ordres de personnes aux codes moraux rigides comme Hanji, Mike, Levi et Erwin. Elle n’y croyait pas une seconde.

             Elle se tourna vers le blond pour observer ses traits. Il tentait visiblement de contenir son désemparement. Mais elle le connaissait assez pour savoir qu’il ne comprenait pas non plus grand-chose à la situation.

— Après quoi, son rôle terminé, Reeves a été réduit au silence par le bataillon. Et ses assassins sont désormais en cavale avec Eren, termina l’homme.

             Emeraude fronça les sourcils avant de chercher Bosuard des yeux. Elle sentait que quelque chose de pas net se tramait et qu’elle devait s’en aller au plus vite. D’autant plus qu’elle portait la cape des bataillons d’exploration sur les épaules, ceux-là contre qui se nourrissaient des soupçons de meurtre.

— Une histoire bien construite, commenta simplement Erwin.

             Là seulement, le major dévia son attention de son interlocuteur pour pouvoir regarder le corps étendu. Mais il n’eut le temps de le faire qu’un visage attira son attention dans la foule. Les sourcils froncés et les traits tirés en une expression déterminée, elle semblait avoir considérablement changé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Il lisait dans ses yeux le désir de se battre, c’était une véritable guerrière.

             Emeraude ? songea-t-il, surprit de la voir en ces lieux. Il n’avait plus eu de nouvelles sur ses actions depuis un moment. Il savait que Levi lui cachait quelque chose à propos de cela mais n’avait pas souhaité insister, ayant bien comprit combien le départ de la jeune femme lui faisait mal. Il ne savait pourquoi compte tenu du fait qu’ils n’étaient pas proches mais elle semblait lui manquer.

             Elle finit par croiser son regard. Leur échange visuel fut court. Intense. Une fraction de seconde. Un éclair. Ils se savaient là mutuellement. Ils le brisèrent pour ne pas attirer l’attention.

— Les actes de votre régiment reviennent à monopoliser le pouvoir d’Eren, ce qui enfreint l’article 6 de la Charte de l’Humanité. Tu en connais les termes, reprit l’homme calmement.

             Erwin mit quelques instants à se remettre de ses émotions. Savoir Emeraude ici ne l’enchantait guère. Elle était déjà traquée pour un crime où il doutait fortement de sa culpabilité mais portait en plus une cape des bataillons. Elle n’allait pas faire longs feux.

— « Privilégier ses intérêts personnels met en péril la survie de l’humanité », je crois, cita-t-il finalement.

             Son interlocuteur acquiesça.

— Tout à fait.

             Emeraude remarqua alors Bosuard qui fit de même avec elle. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle lui fit signe de venir. La fillette obtempéra dans la plus grande discrétion.

— Sur la base de cette infraction, j’ordonne donc l’arrestation de tout le bataillon, déclara l’homme devant la foule attentive.

             Le regard encore fixé sur l’enfant, la jeune femme se figea brutalement. Ces mots venaient de la percuter de plein fouet. Avait-elle bien entendu tout le bataillon ? Est-ce que toutes les personnes qu’elle connaissait étaient réellement devenus des ennemis de l’Etat ?

             Elle se souvint alors de la veille, du combat plus que particulier qui avait opposé les bataillons d’exploration aux brigades spéciales. Elle était alors tellement obnubilée par le désir de supprimer Levi qu’elle ne s’était pas attardée sur le plus important : le corps de l’armée du roi s’attaquait à un autre. Elle réalisait maintenant ce qui était pourtant d’une évidence insultante : il s’agissait d’un coup monté par la monarchie.

             Du coin de l’œil, elle vit la main d’Erwin s’agiter quelque peu. Il avait conservé le bras le long de son corps et ne remuait que faiblement les doigts. Elle réalisa alors que ce geste lui était destinée. Il lui ordonnait de s’en aller. Pour son bien.

             Sachant pertinemment que courir loin d’eux maintenant attireraient l’attention des soldats autour, elle se décida à sortir de façon spectaculaire. Bosuard arriva tout juste à sa hauteur qu’elle saisit son grappin et ouvrit ses bouteilles de gaz.

— Accroches-toi à moi, ordonna-t-elle.

             La fillette obtempéra immédiatement et elles décollèrent subitement du sol, arrachant des cris de surprises aux individus en contrebas. Les soldats, surpris par le panache de sa sortie, mirent quelques secondes avant de dégainer leurs armes, trop concentrés par la vitesse à laquelle elle s’élevait dans les airs.

             Erwin la vit lancer son grappin et sut qu’il était trop tard pour les brigades spéciales. Elle était bien trop intelligente et agile pour qu’ils ne la cernent, d’autant plus qu’elle avait pris de l’avance. Jamais vous ne la rattraperez, elle est trop douée.

Après tout, elle est l’une des nôtres.

 






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