𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟗
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S03E02
petit spoiler
Précautionneusement, Emeraude vint glisser ses doigts sous le carreau coulissant de la fenêtre. A travers celui-ci, elle pouvait voir le contenu de ce qui n'était plus sa chambre depuis une semaine maintenant. Suite au meurtre qu'elle avait commis, elle avait préféré quitter les lieux.
Au fond à droite, la porte semblait fermée à clé. Elle poussa un soupir de soulagement. Nul ne louait la chambre à l'heure actuelle et ne viendrait donc l'interrompre. Elle regarda à sa droite, tentant de voir si elle pouvait d'ores et déjà localiser l'objet de son intérêt. Rien. Seulement son bureau débarrassé des chutes de parchemin et l'armoire massive, vide de la présence de Bosuard. A gauche, seul son lit se trouvait, dépourvu de draps.
Il n'y avait plus aucune vie. Tout semblait s'être suspendu le jour où, voyant les brigades spéciales affublées autour du cadavre du garçon, elle avait pris la fuite. En s'en allant à la hâte, elle avait vu du coin de l'œil Cynthia qui, vomissant au pied d'un officier qu'elle n'avait pas regardé, semblait profondément choquée d'avoir découvert le corps décapité. Et Emeraude en était désolée.
Aujourd'hui, elle était pourtant de retour. Mais ceci, temporairement. Elle cherchait un objet très important qu'elle ne pouvait se permettre d'abandonner n'importe où. Aussi bien symboliquement que techniquement, elle en avait besoin.
Ses mains sous le carreau coulissant, elle appuya ses pieds contre la façade du bar qui donnait sur la ruelle et hissa la fenêtre afin d'élargir l'ouverture qu'elle avait créée en s'en allant au cas où elle devrait revenir. Son grappin, coincé dans l'interstice plus qu'infime entre la vitre et le mur, bougea quelque peu en sentant sa prise se défaire.
Aussitôt afin de ne pas tomber, Emeraude lança son pied à l'intérieur de la pièce et s'en servit comme substitue du grappin, le calant contre le mur intérieur. Puis, s'appuyant dessus, elle se hissa dans la pièce avant de rembobiner la corde de son grappin. Une fois sur ses deux pieds en sécurité et à l'abris des regards, elle tourna autour d'elle.
Le lieu était assez petit et chercher ne lui prendrait pas bien longtemps. Bien sûr, il lui était venu à l'esprit que Bosuard pourrait l'aider afin d'économiser du temps mais le fait est qu'elle demeurait une vision de son esprit. Tout ce que la fillette faisait, c'était en réalité des actions dont Emeraude ne se souvenait pas. Ainsi, prendre le risque de s'embarrasser d'un poids pour monter jusque là aurait été stupide. D'autant plus que ce même poids n'existait pas vraiment : la jeune femme aurait adapté ses mouvements à la masse ajoutée alors que, en réalité, cette masse n'existait pas. Cela l'aurait forcément conduite à un déséquilibre qui l'aurait menée à une chute.
L'enfant l'attendait donc à un bosquet, là où elles avaient établi un campement. C'était un petit coin de verdure paisible non loin du port. L'endroit était stratégique : elles dormaient loin des regards mais les habitants riches de Sina n'étaient pas loin, ce qui leur permettait de leur faire les poches plus facilement et rapidement.
C'était surtout Bosuard qui s'occupait de cela. Emeraude, elle, évitait de se montrer. Il y avait des moments comme ceux-là où elle oubliait que la fillette était une illusion et l'incombait de tâches. Mais ce qui était remarquable c'est qu'elles avaient chaque soir de quoi manger dans leur assiette. Ce n'était pas comme avec Eddie où, lorsque la jeune femme lui demandait de leur trouver un toit, ils finissaient par dormir dehors.
Elle ne savait comment elles obtenaient donc de la nourriture mais cela lui allait bien. Elle ne voulait pas paraître au grand jour. Suite au meurtre de l'officier —dont elle était coupable— le voisinage du bar était sur les nerfs. Et, elle ne savait comment cela était possible compte tenu de sa grande discrétion, mais les brigades spéciales avaient déjà dressé son portrait et celui-ci était placardé dans les murs de la ville.
Elle avait cru halluciner lorsque, cherchant un riche couple peu regardant sur le devenir de leurs poches, elle s'était rendue compte que derrière eux se trouvait un placard où ses traits étaient dessinés, accompagnés de la mention « recherchée pour le meurtre d'un soldat ».
Ce qui l'avait le plus surprise avait été la précision de son portrait, comme si la personne avait eu le temps de la voir souvent et pendant longtemps. Car elle savait très bien que, même si quelqu'un avait assisté à l'intégralité du crime, jamais il n'aurait pu percevoir aussi précisément ce à quoi elle ressemblait. Tout était allé trop vite, de façon trop violente, dans une obscurité trop dense. Non, la personne qui avait vendu la mèche devait l'avoir surprise sur le fait mais l'avoir reconnue d'avant celui-ci. Sans doute un client du bar, en avait-elle conclu.
Voilà donc où elle était à présent rendue. Recherchée par tous les soldats assoiffés de vengeance et les habitants désireux d'obtenir la récompense, traquer afin de finir en tant qu'exemple. Pendue sur la place publique. Elle eut un frisson de dégoût et se surprit à avoir une pensée.
Cette dernière la fit se raidir. Elle n'avait pas réalisé la signification de son songe jusqu'à ce qu'elle prenne du recul sur celui-ci. Et elle s'en maudit. Tu ne peux pas penser ça ! Tu as décidé de le tuer aussi, n'espère pas pouvoir compter sur lui ! se réprimanda-t-elle.
Car, dans cet état de panique qui ne la quittait pas dès lors qu'elle mettait un pied en ville, dans cette peur constante d'être attrapée et de devoir élargir son panel de victimes pour s'en sortir, un seul nom lui était venu à l'esprit. Celui de Levi Ackerman. Fourrée dans un pétrin comme elle n'en avait jamais connue, elle savait que seuls lui et le major auraient le pouvoir de faire quoi que ce soit pour elle. Mais elle se reprit en se disant qu'elle ne pouvait pas compter éternellement sur les autres.
De toute façon, elle doutait fortement qu'ils prennent fait et cause pour elle vu l'atrocité de son acte. Erwin était un homme droit dans ses bottes qui ne brisait jamais les règles. La seule fois où elle l'avait vu faire quelque chose de moralement répréhensible était lorsqu'il l'avait aidée à s'enfuir après son vol. Mais elle n'était alors responsable que d'un délit mineur. Elle doutait qu'il accepte de se rendre complice d'un crime. De même pour le caporal.
La jeune femme secoua la tête pour se débarrasser de toutes ces sombres pensées. Elle n'avait pas le temps de se morfondre en ces lieux. Si quelqu'un ouvrait la porte, elle était fichue. Il fallait qu'elle agisse vite et trouve la raison de sa venue. Le canif de son frère.
Lorsqu'elle s'était rendue compte qu'elle l'avait perdu, elle avait vidé ses poches, était revenu sur ses pas et avait même parcouru la ville de long en large pour le trouver, qu'importe les dangers que cela représentait. Car il s'agissait de la seule chose qui restait d'Eddie et elle ne pouvait se permettre de le perdre. Elle en avait besoin, ne serait-ce que pour garder la sensation qu'elle n'était pas seule.
Après avoir fait tout cela sans succès, elle avait réalisé qu'elle l'avait surement fait tomber en s'en allant, dans la précipitation. Elle s'était donc décidée à se rendre dans son ancienne chambre pour rechercher l'objet. Elle se doutait que la pièce avait déjà été minutieusement inspectée par les forces spéciales et que le moindre débris sortant de l'ordinaire avait dû être embarqué mais elle espérait qu'ils soient passés à côté. S'exposer à la ville pour si peu pouvait sembler stupide mais elle considérait que le jeu en valait la chandelle.
Elle tourna autour d'elle, regardant d'abord en surface les meubles. Rien. Dans un saut gracieux et léger, elle se mit à plat ventre sur le sol et posa sa joue gauche dessus, regardant sous son lit. Rien. Elle fit de même avec la droite pour détailler ce qu'il se trouvait sous le bureau. Toujours rien. Elle se leva et ouvrit l'armoire pour observer son intérieur. Rien. Elle passa la main sur le sol où dormait Bosuard, veillant à ne rien laisser dans l'obscurité. Rien. Elle tira les tiroirs un à un pour s'assurer que le canif ne s'y trouvait pas. Rien.
Le couteau n'était pas dans cette pièce.
— Fait chier, maugréa-t-elle en serrant les poings.
Elle se sentait coupable. Elle avait perdu tout ce qui lui restait de son frère et ce, juste après avoir commis un acte impardonnable. Elle se rassurait en se disant que c'était pour le bien commun mais cela ne l'aidait pas vraiment. Car elle savait qu'Eddie aurait été déçu d'apprendre qu'elle avait fait une telle chose.
Elle se retourna, prête à s'en aller. Le soleil était haut dans le ciel. Il était midi. Les rues seraient bondées de monde. Mieux valait qu'elle passe en manœuvre tridimensionnelle, là où nul ne la reconnaitrait.
Une fois dans la forêt, elle aviserait de ce qu'il y avait de mieux à faire. Sans doute s'infiltrerait-elle de nouveau dans la base des brigades spéciales pour reprendre ce qui lui appartenait. Peut-être pas. Elle ne savait encore ce qu'elle allait faire mais était sûre qu'elle n'allait pas rester indifférente à cela. Elle récupérerait son bien, quoi qu'il en coûte.
Soudain, alors qu'elle s'apprêtait à repartir par la fenêtre, un fracas assourdissant retentit. Elle se figea. Cela venait d'en bas, comme si quelqu'un venait d'entrer en trombe dans les lieux. Des hurlements retentirent. Il se passait quelque chose de grave.
Elle hésita durant quelques secondes à descendre. Finalement, elle choisit d'ignorer ce qu'il s'était passé et rebrousser chemin. Mieux valait qu'elle ne s'attarde pas dans ces lieux, surtout qu'un tel remue-ménage allait sans doute ameuter les forces spéciales.
Seulement, au moment où elle empoigna son grappin fixé à sa taille pour le lancer sur l'immeuble d'en face, ses mains devinrent moites et elle sentit son cœur battre plus fort. Son instinct. Elle ne savait pourquoi, mais elle savait au plus profond d'elle qu'elle ne devait pas quitter les lieux. Quelque chose en bas l'appelait. Innommable. Inidentifiable. Mais puissant.
M. John, songea-t-elle soudainement. Cela ne pouvait être que ça. Si son sixième sens s'était manifesté de la sorte, le patron du bar était sans doute en danger. Elle pensa alors au sourire chaleureux qu'il lui avait adressé chaque matin du temps où elle avait travaillé ici, à la bienveillance avec laquelle il lui avait offert cet emploi sans ne rien attendre en retour. Et la lâcheté avec laquelle elle s'était enfuie sans un aurevoir. Elle ne pouvait le laisser tomber au milieu des cris qu'elle entendait. Elle lui devait au moins cela.
Précipitamment, elle se rua hors de la chambre. Je vais très certainement regretter cela, pensa-t-elle amèrement en se dirigeant vers les escaliers. Elle dévala les premières marches quatre à quatre, souhaitant les rejoindre au plus vite mais elle ralentit bien vite. Mieux valait qu'elle n'arrive pas trop bruyamment, qu'elle mise sur la discrétion.
C'est donc sur la pointe des pieds qu'elle termina sa descente, profitant du mur bordant l'escalier qui la cachait au reste de la salle. Celui-ci était en bois, décoré à intervalles réguliers de peintures bon marché. Elle s'arrêta sous l'une d'entre elle et tendit l'oreille.
De fortes respirations lui parvenait juste derrière la cloison. Il semblait que certains clients s'y trouvaient. Et, vu la façon dont nul ne parlait mais tous expiraient avec difficulté, elle devina que le mal qui s'était introduit dans l'établissement était encore là. Tout proche.
Un fracas similaire au premier qu'elle avait entendu retentit. Elle décela un bruit de verre brisé et, vu la provenance des sons, réalisa que quelqu'un venait de projeter un objet sur le bar, faisant tomber ses bouteilles. Elle déglutit péniblement. C'est à cet endroit précis que son patron travaillait.
— Je crois comprendre ce qui t'as poussé à rejoindre le bataillon d'exploration, s'éleva soudainement une voix.
La jeune femme se figea. Grave, rocailleuse, caverneuse. Il y avait quelque chose dans ce qu'elle venait d'écouter qui ne la mettait pas en confiance. Elle ressentait, juste à la façon dont l'homme inconnu s'exprimait, qu'il était dangereux. Malfaisant.
Elle s'arrêta aussi sur le contenu de cette phrase. Un membre des bataillons d'exploration ? Ici ? Elle était assez surprise. Il n'était pas courant pour eux de se rendre à Sina. Du moins, sauf quand l'un d'entre eux commettait une faute assez grave pour devoir comparaitre devant la cour martiale.
Il ne lui en fallut pas plus. Qu'est-ce qu'Eren a encore foutu ? soupira-t-elle intérieurement en dirigeant sa main sur son sabre, prête à dégainer.
— On était destinés à croupir dans les bas-fonds, on subsistait au jour le jour, reprit la voix d'un ton très calme. Découvrir que le monde était en fait si vaste a dû te foutre un sacré coup. Mais t'as trouvé une planche de salut.
La jeune femme n'aimait pas ce qu'elle entendait. Non pas les propos tenus, qu'elle n'écoutait que distraitement mais plutôt le caractère que revêtait cette conversation. Cela ressemblait à un règlement de compte.
L'inconnu parlait à priori à un soldat et non au patron. Cela signifiait que ce dernier était pris entre deux personnes sans doute très dangereuses. Et les clients aussi. Tous là au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais elle ne les laisserait pas devenir des dommages collatéraux.
— Tu t'es dégoté un truc à faire, c'est aussi simple que ça. Simple mais essentiel, ce qui fait le sel de ta vie. C'est un passe-temps.
Elle se décolla du mur, dégaina son sabre dans un mouvement silencieux. Puis, sur la pointe des pieds mais les genoux fléchis, prête à bondir sur les assaillants, elle s'approcha de la fin du mur qui donnait directement sur le bar. Il n'y avait pas de porte, l'escalier était ouvert.
— Un passe-temps, répondit un homme d'un ton sarcastique. Faire sauter la tête de mes hommes, c'est le tien ?
Alors qu'elle s'apprêtait à bondir hors de sa cachette, Emeraude se raidit soudainement, incapable de faire le moindre mouvement. Une vague de chaleur venait de s'abattre sur elle et elle sentit son ventre se tordre. Ses épaules s'étaient, quant à elle, affaissée brutalement sous le choc. Elle connaissait cette voix.
Particulièrement grave avec tout de même quelques hautes notes lui donnant cette allure éternellement moqueuse, ce ton désintéressé de tout et cette puissance infinie et inégalée qui émanait de ses seules cordes vocales. Nul doute était possible. L'autre homme était Levi Ackerman.
Figée, elle ne sut que faire. Elle n'eut même pas la présence d'esprit de se rappeler de la promesse qu'elle s'était faite, abasourdie. Mais celle-ci ne tarda pas à lui revenir.
— On peut dire ça. Pour atteindre mon objectif, je fais pas le détail, répondit l'autre. T'hésiterai pas non plus à tuer pour ça, pas vrai ?
Cette dernière phrase fut un déclic pour la jeune femme. Non, il n'hésite pas, songea-t-elle. Lui vint à l'esprit les visages de chaque personne qu'elle avait perdu, défilant dans sa tête telle une ronde infernale. Eddie. Petra. Erd. Gunther. Auruo. Tous morts sous les ordres du caporal.
— Exact.
La réponse de Levi attisa les feux de la colère qui s'éveillait déjà en elle. Elle la sentit crépiter dans ses bras, se répandre dans le moindre de ses muscles et la brûler vivement. Elle avait besoin de se battre, besoin de se venger, besoin de trancher sa chair d'une lame aiguisée. Et elle souhaitait hurler. A mesure que l'incendie de sa douleur cuisait ses nerfs et la faisait suffoquer, elle ressentait l'envie irrépressible de crier si fort qu'elle s'en éclaterait les cordes vocales.
Un coup de feu retentit soudainement. Elle ne l'entendit que partiellement. Comme étouffée par ses émotions, le son ne lui était parvenu que de façon lointaine. On aurait dit qu'elle était derrière une vitre. La cage en verre de ses sentiments.
Mais elle réalisa ce qu'il se passait aussi. Elle n'était pas la seule à vouloir la peau du caporal. Elle ne savait pas qui venait de tirer ce coup de feu mais espéra de toutes ses forces que le noiraud n'ait pas été touché. Car elle ne tolèrerait pas qu'un autre qu'elle se permette de tuer l'homme. Il était sa proie.
— Merci du service, papi.
Elle avait reconnu la voix de sa cible. Il venait sans doute de parler au gérant du bar. Elle devina que M. John lui avait prêté son fusil et que Levi était donc le responsable du coup de feu. Il n'était pas blessé. Tant mieux, je vais pouvoir lui faire la peau en bonne et due forme.
Elle se rua dans les bars juste à temps pour voir sa cible s'enfuir. Il était dos à elle, s'envolant dans les airs à l'aide son système tridimensionnel. Trop concentré à quitter les lieux, il ne fit même pas attention à celle qui le suivait de près.
Mais, s'engouffrant après lui dans le trou qu'il avait créé pour s'en aller, elle esquissa un sourire, resserrant sa main sur son sabre et ouvrant ses bouteilles de gaz. Dix mètres grand maximum les séparaient. Elle les franchirait bien vite.
Tout en décollant du sol, elle garda ses yeux ancrés sur l'homme devant elle. Ses cheveux noir corbeau s'agitaient sous l'impulsion du vent qu'il fendait. Il était dos à elle, elle ne pouvait pas bien voir son expression faciale. En revanche, elle détaillait avec aisance les tâches de sang sur ses vêtements de ville. Et elle se jura de finir le travail.
Et dans les larmes de celui qui est resté, je nettoierais le sang des sacrifiés.
⏂
DÉBUT DE LA PARTIE 3
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