𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟔

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬








S02E—
aucun spoiler










             Avec un frisson, Emeraude rabattit un peu mieux les pans de sa cape verte sur son corps. Elle s’y était prise tardivement et n’avait nettoyer les tâches de sang sur son uniforme que le matin-même. Il était donc encore mouillé par endroit, la faisant grelotter.

             Le soleil brillait pourtant, décomposant ses rayons sur la splendide ville de Sina. Mais cela ne suffisait pas à sécher les tissus. Alors elle se contenta d’ignorer cette désagréable sensation, observant l’architecture médiévale de la tour de contrôle des brigades spéciales.

             Elle était similaire à celle des bataillons d’exploration, située dans la ville de Trost. Construite à la manière d’un château fort, sa surface était lisse, régulièrement perturbée par la présence de fenêtres carrées. Le première étage se terminait par des remparts encerclant une tour qui montait dans les airs. Celle-là était surmontée d’une autre tour encore plus fine qui marquait le dernier étage. Elle n’était décorée que par des touches vert émeraude ici et là mais son apparence était simple.

             Elle tranchait d’ailleurs avec le reste des bâtiments dans la rue. Leur architecture romane composée de moulures élaborée, arcades et hautes fenêtres ne ressemblait en rien à la base qu’Emeraude surveillait depuis plusieurs minutes. Cette dernière était plus grise, stricte et sévère. Militaire.

             Devant son entrée, deux gardes restaient figés en une posture immobile et imperturbable. Tels de dociles soldats de plombs. Mais la jeune femme savait qu’il n’en était rien. La raison pour laquelle elle avait choisi de venir voler son équipement à cet instant précis reposait sur le manque de professionnalisme de quatre personnes.

             Les deux premières, qui semblaient garder sagement la porte, ne pouvaient tolérer de travailler une minute de plus que le temps qu’on leur imposait. Ainsi, qu’importe le fait que leurs successeurs ne soient pas là, ils partaient dès lors que le cadran solaire indiquait midi. Et cela n’allait pas tarder.

             Les deux derniers passaient le plus clair de leur temps à s’alcooliser au bar où travaillait Emeraude. Chaque mercredi et vendredi, elle les voyait partir en catastrophe de l’établissement à l’heure où ils devraient être déjà arrivés à leur poste. Elle savait donc que, dès lors que les deux gardes maintenant présents s’en iraient, elle ne disposerait que de vingt minutes pour trouver la salle de réserve et voler un équipement tridimensionnel.

             Son uniforme ne lui servirait en aucun cas à entrer. L’identité de chaque soldat était contrôlée avant qu’il pénètre l’enceinte du bâtiment. Seulement, une fois dans la base, nul ne la soupçonnerait d’être une intru vu sa tenue. Elle se fondrait dans la masse, quand bien même le sigle dans son dos n’était pas celui des brigades spéciales.

             Bientôt, les deux soldats se tenant à l’extrémité des deux portes ouvertes commencèrent à se mouvoir. Celui de droite parla, elle le vit au mouvement de ses lèvres. L’autre bougea légèrement la tête pour mieux l’entendre. Puis, il fit de même de l’autre côté pour regarder la rue. L’autre bougea plus franchement, se penchant carrément pour observer les alentours.

             En le voyant faire, elle esquissa un sourire. C’est pour bientôt. Elle rabattit prudemment sa capuche sur son visage pour dissimuler son identité. Si les choses venaient à se compliquer, elle serait heureuse que nul ne parvienne à dresser un portrait correct d’elle.

             Celui de droite quitta enfin sa posture de garde, exécutant deux pas en direction de l’autre. Celui-ci l’imita tout en lâchant une phrase dans un rire sonore. Elle devina qu’il venait de l’inviter dans une maison close. Elle reconnaissait la rougeur qui teintait ses joues.

             Elle les suivit du regard lorsqu’ils s’en allèrent pour s’assurer qu’ils ne la verraient pas. Lorsqu’elle les vit prendre un virage et disparaitre à l’angle d’une rue, elle sut que la voie était libre et se mit donc en route, tête baissée afin de préserver son identité.

             Elle arriva sans encombre devant la bâtisse. La clé est de ne pas ralentir le pas, te montrer confiante de sorte à n’attirer l’attention de personne. Devenir quelqu’un de lambda, se répéta-t-elle en franchissant l’arcade.

             La vive luminosité de la rue sous les feux de midi diminua brutalement. Il n’y avait pas de fenêtre dans le hall, l’obscurité y était dense. Ses yeux mirent du temps à s’habituer à ce changement d’éclairage mais elle ne ralentit pas le pas pour autant. Sans se presser, elle marcha de façon confiante. Si elle hésitait trop, son comportement aurait l’air suspect.

             Tout en avançant, elle détailla le hall qu’elle parvenait enfin à discerner dans la pénombre. Il était simple, rustique. Pas d’accueil : ceux qui venaient ici savaient ce qu’ils cherchaient. Il ne servait que d’accès à différent escaliers situés à droite et à gauche au fond, quelque peu illuminés par des torches. Les premiers montaient, les seconds descendaient. Elle opta pour la deuxième option.

             Lorsqu’elle avait dû nettoyer le QG du bataillon d’exploration, Levi avait insisté sur ce point : les équipements devaient impérativement être rangés au sous-sol. Elle lui avait demandé pourquoi, ce à quoi il avait répondu que c’était toujours rangé de cette façon, de sorte à ce que, en cas d’attaque, les soldats sachent où se rendre sans avoir à trouver un de leurs supérieurs pour obtenir ce renseignement.

             Elle se dirigea donc naturellement vers la deuxième cage d’escaliers qu’elle emprunta. Elle n’avait pour l’instant rencontrer personne et c’était mieux ainsi. Si son chemin continuait d’être désert, alors elle n’aurait aucun problème à se faire. Tout irait très vite.

             Les marches étaient petites, à peine plus large que sa semelle et les torches étaient si éloignées que, par endroit, elles n’étaient pas illuminées. Il n’y avait pas non plus de rampes. Autant dire qu’elle avançait de façon très prudente pour ne pas glisser.

             Elle descendit durant un certain temps, comptant le nombre de lumière qu’elle croisait pour se repérer. Si jamais elle était poursuivie au retour, elle pourrait ainsi se faire une idée de la distance qui la séparait du hall.

             Passée la douzième torche, elle voulut poser son pied gauche sur une autre marche mais celui-ci atterrit sur une surface plane. Elle réalisa alors qu’elle était arrivée. Il faisait encore plus sombre que dans le hall et il lui fallut donc un moment pour parvenir à discerner quoi que ce soit.

             Au bout de quelques secondes, elle parvint enfin à voir quatre portes disposées à égale distance les unes des autres. Chacune était frappée des différents cigles des corps de l’armée. Auruo disait donc vrai, chaque base à des réserves pour les autres corps de l’armée. Elle s’en réjouit. Elle ne serait pas allée bien loin avec les fusils des brigades spéciales.

             Naturellement, elle se dirigea vers la porte où se dessinaient deux ailes, une bleue et l’autre, blanche. Là se trouvait le matériel des bataillons d’exploration. Elle préférait se rendre dans cette pièce, elle ne savait si les appareils tridimensionnels des autres brigades étaient formés de la même façon que ceux auxquels elle était habituée.

             Ainsi, elle posa la main sur la porte. Pour la même raison que celle justifiant l’emplacement des réserves, elle n’était jamais fermée. En cas d’attaque, les soldats non-armés ne pouvaient se permettre de chercher une personne ayant accès aux salles et laisser ainsi de l’avance aux titans, le temps qu’ils trouvent les clés.

             Cela fut une aubaine pour la jeune femme qui put entrer rapidement dans la salle. Celle-ci n’étant pas illuminée par des torches, elle ne vit rien de ce qui se trouvait en son sein. Mais elle décida de ne pas prendre le risque d’éclairer la salle. Si quelqu’un était amené à descendre et voyait une inhabituelle lueur en bas, elle aurait bien plus de chances de se faire prendre.

             Elle s’enfonça prudemment dans la salle jusqu’à sentir une masse butter sa botte. Elle appuya sa jambe contre celle-ci et sentit une forme rectangulaire monter jusque sous son genou. Il s’agissait d’une de ces boites en bois où était entreposée une partie des uniformes.

             Elle glissa sa main sur la surface et, lorsqu’elle sentit un relief, s’arrêta. De ses doigts libres, elle saisit le canif émoussé de son frère qu’elle amena près de la vis qu’elle venait de sentir. Au-dessus d’elle, une fente se trouvait. Elle y glissa la lame avant de soulever celle-ci d’un mouvement sec.

             Un bruit de grincement suivit d’un claquement retentit. Elle avait réussi à ôter une première vis. Il ne lui en faudrait retirer qu’une autre pour soulever le couvercle et avoir accès à son contenu. Elle sentit ses paumes devenir moites. À tout moment, quelqu’un pourrait faire irruption dans la salle.

             Elle enleva la deuxième vis de la même manière qu’elle avait éliminé la première et fourra sa main dans la boîte. Son contenu était facilement reconnaissable : en cuir et souple, il s’agissait de lanières et sangles servant à attacher les différents éléments de leur système tridimensionnel.

             Elle en extirpa un avant de replacer précisément le couvercle sur la boite, de sorte à ce que son vol ne soit pas flagrant. Elle ôta sa cape qu’elle posa dessus. Puis, saisissant l’accoutrement, elle l’enfila d’un geste automatique. D’abord, elle fit glisser la culotte de cuir par-dessus son pantalon clair. Puis, elle se sangla solidement au niveau de la taille et de la poitrine. D’un geste habile, elle fixa ensuite une par une les lanières au niveau de ses jambes.

             Elle avait fait cela rapidement, Petra lui avait enseigné comment. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver les deux derniers matériaux nécessaires pour compléter son appareil. Elle décida d’augmenter la cadence. Elle ne pouvait pas se permettre d’y passer la journée.

             Elle fit glisser sa main sur la boîte devant elle et la fit défiler sur la surface jusqu’à en toucher une autre. Ceci fait, elle tâta le couvercle qu’elle ouvrit de la même façon que précédemment. Seulement, après y avoir enfoncé sa main, elle constata qu’il s’agissait encore de sangles.

             Des voix se firent entendre. Elle se raidit. Son rythme cardiaque augmenta. Elle sentit la température faire de même. Elle prit une inspiration, se détendit. Cela venait d’au-dessus. Rien à craindre. Il fallait tout de même qu’elle se presse. Si on la trouvait ici, elle irait sans aucun doute en prison pour vol et effraction.

             Plusieurs boites qu’elle ouvrit s’avérèrent décevantes. Au bout de la cinquième, elle se décida à aller de l’autre côté de la pièce. Ils les regroupent sans doute par contenu. Elle se dirigea vers le mur de droite et ôta un premier couvercle avant d’y plonger la main. Bingo. Elle avait reconnu la forme cylindrique des bouteilles de gaz.

             Elle en extirpa quatre et en fixa deux sur elle. Il lui fallait faire des réserves. Elle se dirigea ensuite sur le mur de gauche et trouva les sabres. Elle n’en prit que deux lots qu’elle fixa. Il ne fallait pas non plus qu’elle s’alourdisse inutilement.

             Avant de partir, elle passa une main sur chaque sangle qu’elle tira pour vérifier qu’elles étaient bien fixées. Si ce n’était pas le cas et qu’elle se mettait à sauter de toit en toit, elle mourrait à coup sûr.

— C’est bon.

             Elle saisit sa cape qu’elle enfila par-dessus son accoutrement puis plia les genoux et tendit la main vers les deux autres bouteilles. Elle les saisit au moment où un grincement retentit derrière elle. Elle eut une sueur froide.

             Au moment où elle se demanda si elle n’avait pas halluciné, l’obscurité fut soudain illuminée. Quelqu’un venait d’entrer avec une torche. Elle était grillée.

— Qui êtes-vous ?

             C’était une voix d’homme. Très grave. Sans doute avait-il son âge. Elle leva les yeux. Une seule ombre se découpait sur le mur. Il était seul. Facilement maitrisable.

             Sans lui laisser le temps de reprendre la parole ou faire un pas en sa direction, elle se retourna. Vu l’uniforme qu’elle portait, il ne devait pas s’attendre à tomber sur un ennemi et n’avait sans doute pas dégainer son arme.

             C’est à cela qu’elle pensa lorsque, en se tournant vivement vers lui, elle lui asséna deux coups successifs à l’aide des bouteilles de gaz assez lourdes et l’assomma quelque peu, profitant de l’effet de surprise. Sans lui laisser le temps de se redresser, elle le dépassa en courant et rejoignit les escaliers. Il fallait qu’elle se dépêche. Il allait donner l’alerte.

             Alors qu’elle gravit la première marche, elle coinça les deux objets qu’elle avait utilisé comme armes entre sa poitrine et son bras gauche. Il lui faudrait le droit de libre si elle souhaitait se défendre correctement. Puis, tout en s’assurant que sa capuche dissimulait bien son visage, elle entreprit de compter les torches qu’elle croisait.

             Un. Elle entendit des pas derrière elle, il la suivait. Deux. Il hurla soudainement d’une voix forte qu’une intrue avait pénétré le bâtiment. Trois. Elle le sentit s’approcher, son système tridimensionnel l’alourdissait. Quatre. Sa cape frôla la main de l’homme, il était tout proche. Cinq. Il cria de plus belle. Six. Elle entendit un remue-ménage depuis l’étage du dessus, ils l’avaient sûrement entendu. Sept. S’ils parvenaient au hall avant elle, elle était faite comme un rat. Huit. Elle sentit soudainement une prise tirer sur sa cape et, même si elle continua d’avancer, elle devina qu’il l’avait saisie et ne comptait pas la lâcher. Neuf. Sans se retourner, elle plia son genou et le tendit ensuite violement vers l’arrière puis il lâcha sa prise. Dix. Elle l’entendit tomber dans les escaliers en poussant des jurons. Onze. Elle s’en était débarrassée. Douze. La sortie était tout proche.

             Lorsqu’elle débarqua dans le hall, c’est avec un vent de panique qu’elle constata qu’elle n’était pas seule. Tous équipés de système tridimensionnel, une dizaine de soldat s’approchaient de sa position depuis l’entrée du bâtiment. Quelques mètres les séparaient.

             Ils avaient veillé à boucher la sortie pour qu’elle ne s’échappe pas. Malins, songea-t-elle en les voyant s’approcher d’elle. Seulement ils avaient sous-estimé sa capacité à prendre des risques inconsidérés. Et elle décida alors d’en prendre un.

             Au lieu de planter son grappin dans le plafond pour passer par-dessus les gardes et sortir, elle prit une autre initiative. Derrière elle, le garde était en train de remonter et, devant elle, une dizaine d’autres s’approchaient. Elle ne pourrait pas les affronter seule. Mais il existait une autre sortie.

             A toute vitesse, elle courut jusqu’à l’escalier juste en face, celui qui montait aux étages. C’était stupide, cela la menait au restant des gardes et hauts-gradés. Elle se jetait dans la gueule du loup. Mais c’était aussi son seul espoir.

— SUIVEZ-LE !

             Des cris retentirent derrière elle. Mais, comme ils avaient anticipé le fait qu’elle tente de s’enfuir par l’entrée, c’est là qu’ils s’étaient positionnés. Aussi, le temps qu’il rejoigne les premières marches, elle avait déjà atteint la huitième torche.

             Elle jeta un œil derrière elle puis esquissa un sourire victorieux. Elle les distançait. Ils s’engouffraient tour à tour dans le petit espace qu’était la cage d’escalier mais elle était déjà loin. Elle venait de dépasser la dixième torche.

             Soudain, lorsqu’elle se retourna vers le haut des marches, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Situé en son sommet, un soldat la regardait, ayant été attiré par les cris. Et il ne s’agissait pas de n’importe qui.

             Elle savait qu’il l’avait reconnu. Vu sa position, elle était obligée de lever la tête en avançant et il avait donc nettement vu ce qu’il se trouvait sous sa capuche. Pourtant, il ne laissa paraître aucune émotion trahissant ce qu’il ressentait vis-à-vis de cela. Elle avait dépassé la onzième.

             Tout en se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir faire pour parvenir à dépasser le major Erwin Smith, elle avança. Elle ne survivrait pas à un duel avec lui, elle devait trouver un moyen de le contourner. Il la regardait faire sans bouger, n’amorçant même pas un geste pour l’arrêter.

             Soudain, alors qu’il ne restait plus qu’un mètre entre eux et qu’elle venait de dépasser la douzième torche, il recula. Si elle ne comprit pas lorsqu’elle le vit disparaitre de son champ de vision, elle ne s’en préoccupa point. S’il était parti, elle avait peut-être une chance de s’en sortir.

             Elle atteignit la dernière marche et, par extension, le premier étage au moment où un bruit de verre brisé retentit. Surprise, elle leva la tête sans pour autant ralentir la cadence —elle ne pouvait se permettre de le faire. Et ce qu’elle vit la sidéra.

             Le bras tendu vers la fenêtre cassée devant lui, la major avait visiblement lancé une pierre dans celle-ci, créant une ouverture. Il se tourna vers elle. Leur regard se croisèrent. Ses prunelles bleu électrique étaient allumées d’une vive lueur. Comme à la guerre.

— SAUTE ! lui hurla-t-il.

             Elle n’hésita pas et obéit. De sa main libre, elle dégaina son grappin qu’elle lança sur le toit situé juste devant elle, en contrebas. Elle bondit par le trou qu’Erwin avait fait et, habituée au maniement du système tridimensionnel, s’échappa tout de suite de la tour.


             Elle n’accorda aucun regard au major mais lui était reconnaissante. Il venait de l’aider. Il venait de la sauver.

 



Cette partie étant la plus courte, je vous annonce que les deux derniers chapitres seront publiés demain.

En revanche la troisième est relativement longue puisque certains chapitres prennent place durant l'ellipse de deux mois se trouvant au début de l'épisode 11.

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