𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟓

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬







S02E07
grand spoiler







             Bosuard se tenait assise sur le lit, ses mains menues manipulant les cordes usées de l’appareil tridimensionnel qu’Emeraude avait volé pour affronter le titan. La serveuse ne s’en préoccupait pas. Il était déjà inutilisable donc elle ne craignait pas que l’enfant ne l’abime.

             Tout en se rappelant les activités et tour de gardes des soldats de la base la plus proche —celle des brigades spéciales— elle réfléchit à un moyen de s’y infiltrer. Le lendemain, comme tous les vendredis et mercredis, les sergents Annerlt et Frankliest, deux bruns portés sur la boisson, prendraient la relève à midi. Ils avaient toujours vingt minutes de retard du fait que le bar qu’ils fréquentaient jusque là —et qui n’était autre que celui auquel Emeraude travaillait— se trouvait à une vingtaine de minutes de la garde.

             Si elle parvenait à convaincre Cynthia de prendre son service du midi en échange de quoi la jeune femme assurerait celui du soir, elle pourrait s’éclipser assez longtemps pour s’infiltrer dans la base. Etant donné qu’elle avait toujours l’uniforme de soldat que lui avait donné Hanji, elle ne risquait pas de se faire arrêter à l’entrée. Le plus dur serait tout de même d’accéder aux réserves. Car elle ne savait absolument pas comment s’y prendre.

             Serrant le corset autour de sa taille, elle lâcha un long râle plaintif qui attira l’attention de la fillette. Elle détourna le regard du grappin qu’elle tenait et se focalisa sur la serveuse, pinçant ses lèvres brunes en la voyant tirer autant sur les cordages de son accoutrement.

— Tu es sûre que tu pourras enchaîner le service de ce soir et le vol demain midi ?

             L’enfant était bien plus loquace que lors de leur première rencontre, une semaine auparavant. Elle et Emeraude discutaient longuement, la jeune n’appréciant pas l’idée que ses hallucinations perdurent mais trouvant réconfort dans celle d’avoir enfin de la compagnie.

             Elle ne savait comment son esprit fonctionnait. Même si elle avait conscience que Bosuard n’était pas réelle, l’illusion ne se dissipait pas. Il lui arrivait même que, au cours d’une conversation, la petite lui apprenne des choses qu’elle ne savait pas, comme s’il s’agissait d’une autonomie capable de vivre indépendamment de son esprit. Ce qui était impossible compte tenu du fait qu’elle était création de celui-ci.

             Si Emeraude avait commencé par trouver cela étrange, elle s’était alors rappelé que c’était ce qu’il s’était produit avec Eddie par le passé à plusieurs reprises. Il avait volé de la nourriture pour eux, l’avait soignée, avait récolté des informations. Toutes ces choses qui lui laissaient alors à penser que quelqu’un se tenait forcément avec elle, qu’elle n’avait pas pu acquérir seule des informations.

             Hanji lui avait alors parlé de la thèse de l’inconscient. Selon la scientifique, elle avait commis de nombreuses choses sans s’en souvenir, par automatisme. Comme certains ne se souviennent pas de s’être étiré en se levant le matin car ils considèrent cela banal et leur cerveau l’efface, elle avait volé de la nourriture, parlé à autrui souvent sans en garder la moindre trace. Infinies étaient les actions qu’elle avait inconsciemment commises en pensant qu’Eddie s’en était chargé.

             C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle n’avait plus dormi dans une maison depuis des années. Elle avait réellement délégué à son frère la tâche de se trouver des abris où se retrancher l’hiver mais, étant donné que celui-ci était une illusion, il n’avait rien pu faire de tel.

— Il le faut, murmura Emeraude.

             Elle comprenait donc pourquoi certaines de ses discussions avec Bosuard lui donnaient l’impression qu’elle ne se parlait pas à elle-même mais bien à quelqu’un d’autre. Lorsque la fillette lui racontait des anecdotes sur le monde extérieur, ce devait être des conversations qu’elle-même avait inconsciemment perçu durant son service et ne se remémorait que maintenant.

             Comme par exemple le fait que le titan colossal était réapparu au mur Rose. Ce dernier était assez étrange. Des titans s’étaient baladés dans son enceinte mais aucune brèche n’y avait été décelée, comme s’ils venaient de l’intérieur. Cela rappelait à Emeraude ce qu’il s’était passé dans son village : là non plus, personne n’avait pu identifier l’origine des créatures les ayant attaquées. Car Rose n’avait pas non plus été brisé cette fois-là. Cette situation présentait de nombreuses zones d’ombre.

             Quoi qu’il en soit, selon la fillette, aucune victime humaine n’était à déplorer. Contrairement à la première fois où le titan colossal était réapparu et avait permis à ses congénères d’envahir Trost, il ne s’était rien produit de tel la veille. Cependant, sa métamorphose regorgeait d’informations précieuses.

             Et c’est de celles-ci que les filles étaient en train de discuter avant que l’enfant n’interrompe son ainé pour lui demander si elle parviendrait à tenir le coup le lendemain. Aussi, Emeraude s’empressa de lui rappeler le sujet initial de leur conversation.

— Tu disais qu’ils sont humains ? Je veux dire, se reprit-elle, qu’ils sont des humains pouvant se transformer comme Eren ?

             Au grand damne de la serveuse, Bosuard acquiesça à ces mots. L’autre n’aimait pas cette idée. Elle avait effectivement craint, lorsqu’elle avait appris la véritable nature du garçon, que ces créatures puissent se cacher partout. Mais sa peur était maintenant réalité.

             Elle saisit son bandana noir pour le serrer autour de son crâne tout en frissonnant. Il y en a combien se cachant parmi nous, au juste ?

— Ils étaient deux soldats qui servaient dans la même brigade qu’Eren. Il y en avait aussi une autre selon le garde que j’ai écouté mais elle serait, d’après eux, inoffensive.

             Emeraude soupira. Quatre titans au sein d’un groupe destiné à les éliminer. A ce stade, ce n’était plus une taupe mais une taupinière. Les bataillons semblaient presque être un lieu amical et chaleureux pour les créatures de ce genre. Elles y prospéraient et y proliféraient même.

             En saisissant ses boucles d’oreilles, la serveuse déclara que cela faisait beaucoup pour une seule et mêle brigade. Ce à quoi la fillette répondit sans grande conviction :

— Je ne parlais que de ceux ayant rejoint les bataillons d’exploration. Dans leur brigade, la 104ème, il y en avait encore une autre. C’est contre elle qu’Eren s’est battu à Stohess.

             La jeune femme se raidit à ces mots. Elle savait exactement de qui Bosuard parlait. Avant de quitter Levi et le reste des soldats, elle était passée dire au revoir à Hanji. Celle-ci lui avait raconté rapidement les circonstances de la mort de ses amis.

— Je crois qu’il la surnommait…

— Le titan féminin, de son vrai nom Annie Leonarth, parmi les dix meilleurs de la 104ème brigade d’entrainement. A rejoint par la suite les brigades spéciales.

             Immobile, les yeux vitreux et les bras le long du corps, elle avait débité ces paroles de façon mécanique. Telle une machine, elle avait listé les caractéristiques de cette personne qu’elle n’avait eu de cesse de ruminer depuis la mort de ses amis. Car elle était celle qui les avait tués.

             La fillette, remarquant son changement soudain d’attitude, ne dit rien. Elle ne savait pas ce que sa colocataire avait vécu mais, à en croire l’état de son vieil uniforme et son équipement tridimensionnel, ce devait être terrible. D’autant plus qu’elle avait remarqué la lueur de fureur qui s’allumait dans ses yeux lorsqu’on parlait de titans.

             Cependant, il lui arrivait de combiner à ce regard enflammé une autre posture. Parfois, elle serrait les poings, contractait sa mâchoire comme pour ne pas hurler et respirait férocement afin de se calmer. Et cette façon de se comporter propre aux animaux enragés ne lui prenait que lorsqu’on mentionnait les titans dotés d’intelligence.

— Bosuard ? appela-t-elle de sa voix rendue fébrile par la colère.

             L’intéressée tourna la tête, montrant que sa colocataire avait toute son attention. Alors, tout en rangeant son pieds pris de spasmes de rage dans sa botte, elle lui demanda sans lui accorder un regard, trop concentrée à contenir sa fureur :

— Si tu entends parler de l’existence d’une autre de ces choses intelligentes… commença-t-elle.

             Elle se redressa sous les yeux quelque peu intimidés de la fillette. Jamais celle-ci ne l’avait vu dans un tel état et, même si elle savait pertinemment qu’elle ne lui ferait aucun mal, elle déglutit péniblement. Chacun de ses pores irradiait le désir de destruction. Elle souhaitait se venger. Plus que tout.

             Elle prit plusieurs profondes inspirations pour se calmer, sachant que son service commençait bientôt et qu’elle ne pouvait se permettre de s’y présenter sous cette forme. Il lui fallut de longues respirations pour que les spasmes agitant ses bras s’atténuent enfin.

— Préviens-moi.

             Elle s’en alla alors vers la porte de sa chambre qu’elle ouvrit. Le soleil n’allait pas tarder à se coucher, signe que certains clients devaient déjà être là depuis un moment. Il fallait qu’elle les rejoigne et prête main forte à ses collègues dans les plus brefs délais.

             Néanmoins, elle prit le temps de s’arrêter sur le seuil de la porte. Sans se retourner vers l’enfant, elle dévia tout de même son visage vers la gauche pour qu’elle comprenne qu’elle s’adressait bien à elle.

— Aucun n’en réchappera.

             Plus qu’une menace, que des paroles lancées en l’air pour se défaire d’un sentiment de colère. C’était une promesse. Cinq ans auparavant, l’apparition du titan colossal au mur Maria avait conduit à la mort de son frère. Et, quelques semaines auparavant, la venue de celui féminin avait été fatale pour quatre de ses cinq amis.

             Il ne lui restait plus qu’Hanji. Et, même si elles n’auraient plus l’opportunité de se parler, elle ne comptait pas les laisser la lui prendre. Elle promettait qu’elle la protègerait.

             Sur cette pensée, Emeraude quitta la chambre d’un pas décidé. Mais elle n’eut même pas le temps de fermer la porte derrière elle que la voix de Bosuard s’éleva, timide. Malgré toute la réserve qu’elle avait entendu dans le ton de la fillette, ses mots suffirent à la serveuse pour rebrousser chemin.

— Il y en a effectivement un.

             Sans se soucier davantage de son retard, la jeune femme esquissa un sourire terrifiant. Puis, se retournant, elle entra de nouveau dans sa chambre et ferma la porte derrière elle, marquant le caractère confidentiel de leur entrevue.

             Elle lança un regard à Bosuard qui triturait toujours le grappin.










— Je t’écoute.















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