𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟒

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬









S02E—
aucun spoiler











             Tout en prenant une profonde inspiration, Emeraude tira les lanières de son corset d’un geste sec. Sa nouvelle colocataire, qui venait de se réveiller, la regardait faire avec des grands yeux navrés. Quelques instants auparavant, elle avait ouvert les portes de l’armoire depuis l’intérieur de celle-ci, arrachant un cri de surprise à la serveuse qui avait oublié son existence.

             Elle leva les yeux au ciel après avoir remarqué l’air désolé qu’affichait la fillette. Elle n’était pas agacée contre elle, seulement vexée par le cri très peu intimidant qu’elle avait poussé. Mais elle ne s’en préoccupait déjà plus, ses mains s’affairant autour de ses oreilles auxquelles elle accrochait des boucles dorées.

             Le soleil était déjà haut dans le ciel. Ou plutôt, il n’allait pas tarder à descendre. Voilà pourquoi la serveuse se préparait d’ores et déjà à entamer son service. Elle s’était levée le matin-même et avait passé la journée —à l’instar des autres— sur le dos de son fidèle destrier à s’entrainer.

             Ses séances ne revêtaient plus le même caractère que celles auxquelles elle s’était elle-même habituée. Plus d’appareil tridimensionnel, de grappin, de sabre ni de cape verte. Elle n’avait plus accès à rien de tout cela maintenant. Elle devait se contenter du canif émoussé de son frère et, quand le patron acceptait —ce qui était rare— de son arbalète. En revanche, jamais il n’avait daigné lui prêter son fusil.

             Elle était bien plus à l’aise avec un arc classique mais se débrouillait tout de même bien avec cette arme. En une semaine de temps, elle était parvenue à toucher une cible en mouvement, ce qui lui avait pris des mois avec le premier objet.

             Aujourd’hui, elle avait tenté de se mouvoir d’arbre en arbre sans appareil tridimensionnel, désireuse de ne pas perdre la main de ce côté-là. Elle en avait bien un dans son placard mais les sabres étaient tous émoussés, le grappin avait trop subi lors de sa bataille avec le titan pour accrocher quoique ce soit et les bouteilles de gaz étaient vides. En d’autres termes : il était inutilisable. D’autant plus qu’elle ne parvenait à poser les yeux dessus sans revoir des masses emmitouflées d’un tissu vert qui n’étaient autre que les cadavres de ses amis.

             Sa tentative n’avait pas eu un grand succès. Après s’être rappé l’avant-bras droit et avoir fait une chute de plusieurs mètres qui la ferait boiter pour quelques jours, elle s’était résolue à faire ce à quoi elle était entraînée depuis fort longtemps. Voler. Elle allait s’infiltrer dans une base de l’armée et leur voler un équipement fonctionnel.

             En attendant, c’est avec une grimace de douleur qu’elle enfonça son pied amoché dans une botte à talon sous le regard éberlué de la fillette. Celle-ci venait tout juste de se réveiller et ne semblait pas être préparée à la vision d’une femme pestant sans pudeur en rangeant sa jambe pleine d’hématomes dans sa chaussure.

— Tu vas rentrer, saloperie, cracha-t-elle, les dents serrées.

             Son vis-à-vis inclina légèrement la tête sur le côté d’un air pensif. Puis, sans quitter Emeraude des yeux, elle prit la parole d’une voix douce et fluette :

— Tu vas travailler ?

             A ces mots, la serveuse tomba à la renverse. Elle avait tiré si fort sur sa botte pour y forcer l’accès de son pied que son équilibre en avait été perturbé. Naturellement, elle s’était effondrée sur le parquet dans un bruit sec qui avait attiré l’attention de sa voisine.

             Aussi, elle eut tout juste le temps de répondre à sa nouvelle colocataire que c’était en effet ce qu’elle comptait faire qu’une voix douce s’éleva depuis la pièce d’à côté, étouffée par le mur épais.

— Emeraude ? Tout va bien ?

             L’intéressée se redressa à l’aide de ses bras puis, après s’être frictionnée le coccyx pour atténuer la douleur liée au choc, rassura Cynthia d’un hochement de tête. Elle réalisa ensuite que la concernée ne pouvait la voir et usa de sa voix. Levi t’aurait déjà expliqué en soixante façons différentes combien ta bêtise dépasse la taille du titan colossal, songea-t-elle amèrement.

             Elle n’appréciait pas le fait qui lui revienne toujours en tête. Sans doute sa colère était-elle trop grande pour qu’elle puisse se défaire de l’image du caporal. Quoi qu’il en soit, à chaque fois qu’elle voyait un soldat, croisait la représentation d’ailes —qui étaient les symboles des bataillons d’exploration—, entendait quelqu’un agir rudement, mentionner les titans, qu’elle se montrait particulièrement stupide ou même simplement pensait à l’avenir des civiles, son visage lui revenait. Comme une image indissociable de son esprit.

             Elle secoua la tête, souhaitant se chasser le noiraud de l’esprit. Pour l’heure, elle n’était pas assez armée pour aller à son encontre et n’aurait pas grandes chances de le tuer. Ils n’étaient même pas dans le même district. Lorsque les titans s’étaient battus à Stohess, dans l’enceinte du mur Sina, elle cherchait alors un emploi à Trost. Puis, il était rentré dans cette ville qui se trouvait dans le mur Rose et elle avait rejoint le centre du territoire humain, dans une banlieue voisine de Stohess. Ils n’allaient donc pas pouvoir se croiser de sitôt.

             Elle se tourna vers la fillette qui demeurait silencieuse. Celle-ci devait profondément s’ennuyer. Mais enfin Emeraude, comment veux-tu qu’une hallucination s’ennuie ? se rappela-t-elle à l’ordre en se remémorant leur conversation de la veille. Aussi, elle se dit qu’elle n’était pas près de partir étant donné que son deuil était loin d’être fait et qu’il lui faudrait donc mieux baptiser l’illusion.

— Hey petite, l’interpela-t-elle. Tu t’appelles comment ?

             L’intéressée, qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis son réveil et se trouvait toujours assise dans l’armoire, haussa les épaules. Emeraude esquissa un faible sourire en la voyant faire. Pas de nom ? Tiens, ça me rappelle quelqu’un, songea-t-elle en regardant les vêtements de son interlocutrice.

             Celle-ci portait un drap qui avait dû, un jour, être blanc par-dessus des vêtements soit trop grands pour elle, soit trop petits. Les manches de son manteau brun lui arrivaient bien avant les poignets, contrairement à sa chemise bleue tâchée de terre qu’elle semblait avoir retroussée mille et une fois. Son pantalon, lui, baillait autour de son ventre amaigri par la famine.

             En regardant son accoutrement, elle se dit qu’elle ne trouverait jamais aucun nom mélioratif à partir de là. Mais la fillette semblait ne pas s’en préoccuper.

— Tu es un membre des bataillons d’exploration, pas vrai ? demanda-t-elle à voix basse, comme s’il s’agissait d’un secret.

             Son interlocutrice soupira en serrant son bandana sur sa tête. Je suis habillée comme une pirate, j’ai l’air de croiser le fer avec ces monstres ? pesta-t-elle intérieurement tandis que la fillette posait un regard émerveillé sur la cape dont elle se servait comme couverture. Emeraude eut alors une pensée pour la véritable propriétaire de cette cape et, au souvenir de la défunte Petra, son cœur s’adoucit.

— C’est une longue histoire, répondit-elle simplement.

             L’autre se contenta d’acquiescer mollement, peu intéressée par ses dires finalement. Si Emeraude n’était pas un soldat, elle ne voyait pas l’intérêt de poursuivre cette conversation. Alors, voyant qu’elle ne comptait pas continuer et sachant qu’elle allait devoir commencer son service sous peu, la serveuse marcha en direction de la porte.

             Seulement, à l’instant même où elle arriva en son seuil, la fillette fit retentir sa voix. Et ce qu’elle déclara lui coupa tout envie de se mouvoir.

— Appelles moi Bosuard. C’est un soldat. J’ai beaucoup écouté ses exploits.

             Emeraude cessa de marcher brutalement et se raidit. Un pied dans le couloir et l’autre dans la chambre, elle s’était arrêtée de sorte à ce que son interlocutrice ne voit pas son visage. Et ce dernier était figé. Ses yeux devinrent humides lorsqu’elle prit conscience de qui elle parlait. C’était un soldat, ne put-t-elle s’empêcher de la corriger intérieurement. Elle déglutit péniblement.

             Pour sûr, Auruo et sa vantardise auraient adoré entendre qu’une fillette vouait une telle admiration à son égard. Il avait eu connaissance du fait qu’elle et l’illusion qu’elle avait d’Eddie s’étaient longuement renseignés sur l’escouade Levi et connaissaient donc par cœur sa composition. Mais elle s’était plutôt prise d’affection pour le caporal et le major que les autres soldats durant son enfance. Si j’avais su, se dit-elle intérieurement. Oui, si j’avais su combien ils se battaient, eux aussi.

             Ne voulant montrer à celle qui n’était pourtant qu’une vision de son esprit que la mention de ce nom lui faisait mal, elle se contenta d’hocher la tête. Puis, ignorant son cœur qui se serrait dans sa poitrine, elle dévala les escaliers en colimaçon qui donnaient sur le bar. Les premiers clients devaient être arrivés.

             Une fois en bas, elle prit un temps pour admirer la salle. Celle-ci était vaste. Les murs en pierre avaient été creusés à divers endroits pour accueillir des foyers permettant d’illuminer la pièce. Ailleurs, des torches étaient accrochées et lustres, suspendus au plafond. Les flammes de ces installations donnaient au lieu un aspect convivial et réconfortant.

             A sa droite, le bar longeait le mur et faisait face à la porte d’entrée maintenue ouverte. Assis à celui-ci, quelques voyageurs s’installaient déjà pour demander au patron une collation. L’homme, un petit rondouillard souriant, la leur servait rapidement tout en écoutant les commandes de ses serveuses.

             Emeraude alla le rejoindre derrière le bar et le salua rapidement, ne voulant le freiner dans sa tâche. Il lui répondit d’un hochement de tête et elle saisit un des plateaux se trouvant à côté d’une bouteille imposante. Puis, après avoir ignoré un sifflement peu flatteur, alla rejoindre l’autre partie de la salle.

             Cette dernière était traversée de tables plus ou moins hautes et longues, de formes différentes pouvant accueillir un nombre divers de clients. Ils n’étaient pour l’instant pas nombreux. Rapidement, elle remarqua Cynthia en train de s’occuper d’un couple et se tourna donc vers un groupe mixte qui venait tout juste de s’installer près d’une torche.

             Les flammes de celle-ci projetaient une lueur ondoyante sur leurs visages, les rendant quelque peu terrifiant. D’autant plus que, sur leur veste en cuir, les sigles des brigades spéciales trônaient. Et les bataillons d’exploration ne s’étaient jamais entendu avec eux.

             La jeune femme se reprit bien vite en secouant la tête. Pourquoi tu penses comme ça ? Tu n’étais même pas un soldat, songea-t-elle en avançant vers eux d’une démarche déterminée. Son plus beau sourire aux lèvres, elle se convint de les accoster comme n’importe quel client.

             Le premier qui redressa la tête à sa venue fut un petit blond aux cheveux coupés courts. Aussitôt remarqua-t-il sa présence qu’il se tourna vers un autre homme. Elle ne put voir le visage de ce dernier qu’il avait dissimulée sous un chapeau. Mais elle s’en fichait bien. Elle était là pour les servir, pas pour les connaitre.

— Qu’est-ce que je leur sers ? demanda-t-elle d’une voix guillerette en s’arrêtant devant eux.

             Une dizaine de tête se tournèrent dans sa direction mais elle n’en tint pas compte. Elle était habituée à cela. Tout comme aux gens qui se taisaient rapidement quand elle arrivait à leur hauteur, ne voulant lui permettre d’entendre leurs histoires sordides.

             Certains lui offrir un sourire, d’autres se contentèrent de jeter un œil au bar pour savoir ce que celui-ci proposait comme boisson. Il y eut un silence assez long durant lequel elle patienta docilement, son plateau calé sous son aisselle et son habituel sourire commercial étirant ses lèvres.

             Elle ne savait ce qui la dérangeait dans ce groupe, peut-être le simple fait qu’ils étaient des brigades spéciales, mais elle n’appréciait pas l’atmosphère qui s’en dégageait. Ce n’était pas les regards noirs que certains lui adressaient ni même la façon dont l’un d’entre eux titillait le cross de son arme à feu. Non. Il y avait autre chose. Quelque chose de sombre.

             Au bout d’un certain temps, une blonde au regard sévère poussa un long soupir, visiblement ennuyée. Puis, sans même un sourire, elle lâcha brutalement :

— Mettez-nous douze pintes. Blondes.

             Un peu surprise par la rudesse de son ton, Emeraude mit quelques secondes à acquiescer. Bien sûr, elle était habituée aux clients rudes et même pervers. Mais cette femme lui avait parlé d’un ton si sec que, l’espace d’un instant, elle aurait juré qu’elle lui en voulait personnellement.

             Décidant de ne pas se miner pour ça —les membres des brigades spéciales étaient connus pour être des imbéciles condescendants pensant être au-dessus de tous— elle ne fit aucune remarque. Puis, elle ouvrit la bouche pour leur demander s’ils désireraient autre chose. Mais elle se fit brutalement devancer.

— Ce sera tout, dit-elle en serrant les dents tout en lui adressant un regard des plus noirs qu’elle fit glisser de ses bottes à son bandana pour la scanner sans pudeur. Merci.

             Emeraude n’apprécia pas le moins du monde sa dernière intervention D’autant plus que son remerciement signifiait ici clairement qu’elle l’incitait à partir et ce, peu poliment. Espèce de garce, je me suis entrainée aux côtés de l’escouade Levi et le caporal lui-même me veut à ses côtés. Si tu savais ce que je peux te faire avec un sabre tu redescendrais tout de suite, fulmina-t-elle intérieurement.

             Mais elle n’en dit rien, se contenta d’hocher docilement la tête avant de rejoindre le bar pour faire passer leur commande. Elle ne pouvait se permettre de perdre son travail à cause d’un client mal élevé. Elle n’était pas la première et ne serait pas la dernière. Mieux valait donc qu’elle se taise.

             La blonde la regarda faire sans lâcher son regard mauvais, ce qui lui attira quelques rires de ses camarades. Eux non plus n’avaient pas compris son comportement grossier. Jamais elle ne s’était adressée de la sorte à Cynthia, celle qui prenait d’habitude leur commande.

             Elle fit taire leurs remarques bon enfant sur sa jalousie d’une simple phrase. Quelques mots qui amenèrent un silence lourd sur l’assistance.

— Cette serveuse, je l’ai déjà vu, dit-elle en sentant sa colère augmenter. Elle parlait à Levi Ackerman au procès d’Eren Jäger.

             A ces mots, tous se raidirent. Puis, d’un même mouvement presque mécanique, ils se tournèrent vers l’homme situé en bout de table. Son chapeau retombait sur son visage, masquant la moitié de celui-ci. Il n’avait pas bougé, comme une statue.

             Le silence s’éternisa durant quelques instants. Puis, toujours sans dévoiler ses traits, il fit résonner sa voix grave. Caverneuse.

— Intéressant. Très intéressant.

 





L'auteur d'SNK ayant été très dur avec Levi qui a VRAIMENT un passé chargé, sachez que je vais tenter, sans toucher à la l'histoire originale, de "l'aider" un peu.

Par ailleurs, j'ai bientôt finir d'écrire cette fanfiction (il me reste plus qu'à écrire les chapitres de la saison 4 et sans doute quelques petites choses se déroulant après la fin).

Après quoi je publierai une autre fanfiction où, toujours sans toucher à l'histoire originale, je retirerais toutes les souffrances du personnage.

(Ça a l'air compliqué mais, si vous la lisez, je vous promets que vous comprendrez. Si j'y pense, je fournirais une explication en commentaire.)

J'espère que vous la lirez et, si vous le faites, que vous l'apprécierez !
(Ça se voit que j'ai pas aimé le traitement qu'a réservé Isayama au personnage ? mdrrr)

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