𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟑

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬








S02E—
aucun spoiler





(NDA: prochain chapitre j'aimerai vous parler de quelque chose à la fin)





             Avec un rire enivré, Emeraude s’engouffra dans sa chambre et, soulevant délicatement sa jupe, tendit brutalement sa jambe droite devant elle pour envoyer sa chaussure à l’autre bout de la pièce. Puis, après avoir fait de même avec l’autre, elle exécuta une splendide pirouette, faisant virevolter son bas et se laissa choir sur son lit dans un autre éclat d’ébriété.

             Le décor du lieu était, à l’instar de ses songes durant cette dernière semaine, sombre. Les murs en pierre gris formaient un contraste avec les différents meubles en bois de chêne disposés çà et là. La porte d’entrée donnait sur cette petite salle qui lui convenait bien.

             Sur le mur de gauche, une armoire où elle avait rangé ses peu de vêtements ainsi que son uniforme s’élevait. Cela faisait d’ailleurs quelques semaines que sa cape verte y était restée. Pourrissante. A côté du meuble se trouvait une table lugubre lui faisant office de bureau. Sur celle-ci trônaient divers bouts de parchemin qu’elle avait attrapé ici et là pour s’exercer. En face de ceci, sur le mur de droite, son lit défait où elle riait constituait le dernier meuble de la salle, juste en-dessous d’une fenêtre donnant sur les bars concurrents.

             Son lieu de travail était devenu sa maison. Elle venait tout juste de terminer son service, vêtue de la même tenue que ses collègues. Elle ria de plus belle en se souvenant de ce à quoi elle ressemblait la première fois qu’elle avait mis les pieds dans cet endroit sordide. Alors couverte de sang mais habillée de son plus bel uniforme, elle ne semblait n’être rien de moins qu’un fier soldat.

             Seulement, aujourd’hui, un corset brun serrait sa taille en dessous duquel se trouvait une blouse blanche laissant ses épaules dénudées. Ses jambes, elles, étaient couvertes d’une jupe à volants qui produisait un des plus bels effets lorsqu’elle dansait au rythme des chants de ses clients. Car tel était son quotidien maintenant.

             Chaque soir, un plateau à la main, elle hélait d’une voix peu aimable les différents hommes et femmes passant la porte du bar pour savoir ce qu’ils désiraient boire. Puis, faisant teinter les anneaux accrochés à ses oreilles et ondoyer ses cheveux s’échappant de son bandana, elle exécutait quelques allers retours pour amener aux clients leurs commandes.

             Il ne fallait généralement pas bien longtemps à ces derniers pour devenir ivres. Tapant du pied sur le sol, ils se mettaient alors à chanter d’une voix bourrine quelques chansons aux paroles peu aristocrates. Et, enivrée par la simple idée d’oublier son triste quotidien et se laisser prendre par leur joyeuseté, Emeraude ne tardait pas à les rejoindre en riant aux éclats et dansant tout en continuant son service.

             L’enseigne n’était pas réputée pour être mal famée, seulement pleine d’entrain passée une certaine heure. Et il est vrai que ce lieu n’était pas le genre à accueillir les époux aux visages ruisselants de larmes. Non pas qu’on leur fermait la porte au nez. Plutôt que, après quelques minutes au milieu de chants et rires, ils ne parvenaient plus à rester tristes.

             Le gérant du bar, un sympathique vieil homme au ventre proéminent, était d’ailleurs ravi que la bâtisse ait une telle réputation. Malgré la facilité de communication de ses serveuses, jamais aucune rumeur ne les avait qualifiées de femmes faisant secrètement payer leurs formes. Ce genre de ouï-dire étaient courants et létales pour les affaires. Alors il se réjouissait de voir les jeunes femmes danser chaque soir sans que sa réputation n’en soit inquiétée.

             C’était d’ailleurs la raison pour laquelle Emeraude avait, ce soir, les pieds en compote. Au rythme d’une chanson peu romantique, elle avait frappé et martelé le sol de ses talons toute la nuit. Et, même si elle ne tenait maintenant plus sur ses jambes, elle ne pouvait s’empêcher d’en être réjouie.

— Bim balabim balaba… On est les infidèles, on est les infidèles on montra pas au ciel, chantonna-t-elle doucement en posant sa main sur son bandana pour l’ôter.

             Elle ne savait combien de fois elle avait entendu cette phrase ce soir mais cela ne la gênait pas. Soit, cette mélodie était coincée dans sa tête mais cela lui allait bien ainsi. Elle appréciait l’idée d’insouciance qui s’en dégageait.

— Pourquoi vous chantez ça que quand les gens du Mur sont là ? demanda une petite voix à quelques mètres d’elle.

             Sans abandonner son sourire, la jeune serveuse ferma les yeux. Il est vrai que les clients du bar n’entamaient ce chant que lorsqu’un adepte du culte du Mur —que l’on reconnaissait par la parure qu’ils portaient représentant les trois reines et murs Maria, Rose et Sina— mettait les pieds dans l’enceinte de l’établissement. C’était une façon de leurs dires qu’ils étaient là pour s’amuser et non entendre un discours sur la fin du monde.

— Pour les faire ch…

             Emeraude ne termina pas sa phrase et ouvrit brutalement les yeux. La voix qu’elle venait d’entendre était celle d’une enfant et, même si cela avait été celle d’une collègue, il n’était pas normal qu’elles lui rendent visite aussi tard. Elle se redressa brutalement pour savoir ce que son interlocutrice pouvait bien faire là.

             Assise dans l’armoire dont les portes étaient ouvertes et les vêtements, jetés en vrac sur le sol, une fillette la regardait. Elle s’était emmitouflée de la cape verte que lui avait donné Petra dont la couleur formait un beau contraste avec sa peau ébène. Mais la serveuse ne prit pas le temps de s’attarder pour admirer cet esthétique.

— T’es qui ? s’exclama-t-elle en regardant l’intru qui semblait avoir pris ses aises et venait de s’allonger sur le sol, se servant de son équipement tridimensionnel usé comme oreiller.

             Elle haussa les épaules, visiblement peu désireuse de répondre. Seulement, lorsqu’Emeraude fit mine de se lever pour la déloger de son armoire, elle déclara d’une voix calme :

— Je dors dans le placard depuis deux semaines. J’avoue que je préfère maintenant que tu es là parce que je peux me servir de tes vêtements pour me faire un lit.

             La plus grande haussa les sourcils en poussant une exclamation de surprise. Avait-elle bien entendu ? Cette fillette vivait ici depuis quelques jours avant son arrivée ? Est-ce que ça veut dire que j’ai dormi tous les soirs avec elle sans m’en rendre compte ? songea-t-elle en déglutissant péniblement. Elle n’aimait pas cette idée.

             L’infiltrée semblait bien moins préoccupée par cela que l’hôte. Avec un bâillement, elle réhaussa la cape sur ses épaules et se recoucha plus confortablement sur son lit improvisé sous le regard interdit d’Emeraude. Mais elle est pas gênée, elle !

— Tu veux dire que je n’ai pas remarqué ta présence depuis tout ce temps que je suis ici !? s’exclama-t-elle.

             L’autre se contenta d’hocher la tête avant de fermer les yeux, visiblement fatiguée. Elle la regarda faire, surprise d’avoir pu se montrer si peu observatrice. Seulement, au moment où elle faillit accepter l’idée que cela pouvait s’être réellement passé, elle repensa à Eddie.

             Elle tentait de ne pas laisser son frère dompter ses songes mais c’était assez dur. Quoi qu’elle fasse, ses pensées revenaient toujours au même point. Et, en cet instant précis, visualiser son visage fut comme une illumination pour elle. Mais oui, c’est forcément ça. Après tout, ça suit l’ordre des choses maintenant qu’eux aussi sont morts, songea-t-elle en se tournant vers la fillette qui s’endormait.

— Tu n’es pas réelle, pas vrai ? dit-elle d’une voix attristée. Tu es une simple réaction à la perte d’Auruo, Erd, Gunther et Petra ?

             Son interlocutrice rouvrit les paupières brutalement à ces mots. Puis, elle se redressa et porta finalement ses grands yeux marrons sur la serveuse qui frissonna. Même si elle ne répondit pas à sa question, elle comprit ce que son silence signifiait.

— Je vois… soupira-t-elle amèrement. Au moins, je m’en suis rendue compte.

             La fillette ne dit rien, se contentant de regarder l’expression ennuyée qu’affichait Emeraude. Cette dernière ôta ses boucles d’oreilles avec une moue affligée, attirant l’intérêt de sa nouvelle colocataire qui prit de nouveau la parole :

— Pourquoi tu riais, ce soir ? Généralement, tu pleures.

             La serveuse se figea dans ses gestes, n’ayant pas du tout anticipé une telle question. Puis, battant des cils pour chasser des larmes qui naissaient dans ses yeux, elle s’éclaircit la gorge sans pour autant répondre et continua de retirer ses accessoires, feignant de ne rien avoir entendu à cette question.

             Mais, tout en posant ses bagues sur son bureau, elle se remémora ce qu’avait été ses nuits depuis qu’elle avait rapatrié les corps de ses amis. Seulement une semaine s’était écoulée mais elle avait la sensation que cela avait duré des mois. Même si ses soirées étaient restées les mêmes, ce qui se passait à l’extérieur lui donnait l’impression qu’une année s’était écoulée.

             Deux titans —dont l’un était Eren sous sa forme originel— s’étaient battus en plein Stohess, une ville dans l’enceinte du mur Sina. Les rumeurs disaient que celui ayant été capturé était en fait une humaine dotée des mêmes capacités. C’était tout ce qu’elle avait pu savoir sur le sujet, le dossier étant resté confidentiel. En revanche, elle avait eu vent des nombreuses pertes et entendu certains témoignages sur le fait que le caporal n’avait pas bougé d’un pouce durant la bataille, contrairement à sa nouvelle escouade qui s’était démenée.

             Cela avait considérablement agacée Emeraude qui reconnaissait bien là le comportement de celui qu’elle ne supportait plus. Il n’apprendra donc jamais ? s’était-elle dit en songeant à ses quatre amis et son frère qui étaient morts sous ses ordres. Il reproduisait sans cesse les mêmes erreurs, laissant les corps s’entasser sous ses bottes.

             Elle avait pu ignorer cet évènement, se contentant de continuer son service sans prêter attention aux ouï-dires qu’elle entendait çà et là dans le bar. Seulement, ce soir, elle n’avait pas pu se contenter de marcher la tête droite en faisant mine que cela ne l’atteignait pas. Car la veille ou plutôt très tôt le matin, le mur Rose avait été brisé.

             Toute la soirée, elle avait servi les clients en les écoutant expliquer combien la famine allait s’accroitre et les années à venir seraient rudes. Eux qui vivaient dans le mur Sina était relativement à l’abris —quoi que le combat entre Eren et Annie tendait à prouver le contraire— mais tous les rescapés allaient devoir se confronter à une autre purge des habitants. Et cela la révoltait.

             Tandis que l’aube se levait et qu’elle nettoyait les tables, elle avait quelque peu ruminé les morts de ces derniers jours et ceux qu’elle savait à venir. Tout en récurant le bois d’une chaise, elle avait craché sa fureur et réalisant l’injustice de ce monde. Certains étaient comme voués à mourir tandis que d’autres survivaient. Certains comme les soldats du bataillon d’exploration et les paysans vivant aux extrémités du territoire humain, au plus proche des titans. D’autres comme les riches et les chefs d’escouades qui semblaient toujours s’en sortir indemnes.

             Ou plutôt l'un d’entre eux.

             Furieuse, elle se rappela avec quelle condescendance il s’était permis de la traiter alors qu’il n’avait pas été fichu de protéger ses hommes. Il agissait sans cesse comme s’il était le meilleur de tous mais ce n’est pas le cas. Tu n’es prêt à mourir pour personne mais eux se suicideraient pour toi. Voilà pourquoi tu survis tandis que mes proches s’éteignent un à un, avait-elle pensé en regagnant sa chambre.

             C’est alors que, grimpant les escaliers en ruminant le comportement du caporal, elle avait eu une illumination. Un éclair de folie qui l’avait pourtant conduite à éclater de rire en arrivant dans sa chambre. Une idée qui venait de balayer d’un souffle toute l’obscurité des derniers jours.

             En songeant au sang que le noiraud avait sur les mains, à son frère qui ne rentrerait jamais et à ses amis qu’il avait carrément abandonné en territoire titan, elle avait pris une décision qu’il la remplissait d’une joie telle qu’elle en riait encore. Sous les yeux éberlués de la fillette, elle se laissa de nouveau choir dans son lit, un sourire béat accroché aux lèvres qui trahissait son état d’alacrité.




             Car, ce soir, elle avait décidé de tuer Levi Ackerman.











DÉBUT DE LA PARTIE 2

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