𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟐


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬



S01E20
aucun spoiler




             Il se tenait là, debout derrière son bureau et face à la fenêtre, silencieux. Il ne savait depuis combien de temps il tenait cette position. Des minutes. Des heures, peut-être. Mais il ne s’en préoccupait pas. Son esprit était ailleurs. Loin.

             Détaillant la cour du château sous ses yeux, la vaste étendue d’herbes, le puit en contrebas et, bien plus loin, le sentier menant à la rivière, il se souvenait. La situation était grave et sa présence était demandée ailleurs mais il ne se pressait pas. Il avait besoin de rester ainsi encore quelques temps.

             De ses yeux gris, Levi observa le paysage sous ses yeux et lui trouva quelque chose de fade. Vide. Qu’importe le nombre de soldats qui traversait son champ de vision en toute hâte face à l’urgence de la situation actuelle, il ne pouvait s’empêcher de se dire que ce spectacle n’avait rien d’intéressant.

             Il aurait préféré voir Auruo et Petra se disputer aux alentours des écuries, Erd et Gunther discuter bien plus paisiblement en s’asseyant aux bords du puit et Emeraude s’allonger à leurs côtés pour rattraper ses nuits. Mais il n’en était rien.

             Ce n’était pas habituel pour lui de s’arrêter ainsi après le décès d’un de ses hommes. Non pas qu’il ne ressentait rien face à cela, plutôt qu’’il avait appris à toujours aller de l’avant. Mettre un pied devant l’autre sans ne jamais se retourner. Mais aujourd’hui, il n’y arrivait pas.

             Jamais il n’avait perdu tant de personnes qu’il estimait d’un coup. Et, malgré ce qu’il avait pu dire en rentrant de mission la veille à un soldat, cela le minait de ne pas pouvoir les enterrer dignement. Même si les quatre défunts n’étaient pas ses amis, il avait apprécié sa collaboration avec eux et aurait apprécié pouvoir leur rendre un dernier hommage. En bonne et due forme.

             De plus, un autre fait le minait. Et ce fait portait le surnom d’Emeraude. Chaque fois qu’il fermait les yeux, il réentendait les dernières paroles qu’elle lui avait déclarées, voyait la façon dont la douleur tordait alors ses traits et sentait de nouveau ses mains cognant son buste. Elle aurait préféré que j’y reste, songea-t-il encore.

             Il ne savait pourquoi il était tant blessé. Elle n’était pas la première à penser une telle chose de lui et, même si personne avant elle ne l’avait formulé à haute voix, il s’en était toujours douté et fiché. Mais il y avait cette fois-ci quelque chose de différent. Cela venait d’Emeraude.

             Il songea alors à son frère, Eddie. La façon dont son sourire si grand plissait ses yeux et son visage fin lui donnait une allure déterminée et fière. Celle-ci tranchait pourtant avec sa manière de parler si douce et tendre. Le caporal se souvint d’ailleurs de ce qu’il lui avait dit la première fois qu’ils s’étaient parlés.

             Levi n’était alors pas très bavard —ce qui n’avait pas changé avec le temps. Sous l’impulsion d’Erwin qui l’avait sorti des bas-fonds, la ville souterraine où il avait grandi, il s’était retrouvé affublé de l’uniforme des jeunes recrues et parqué dans un bungalow avec ce qui était par la suite devenu sa brigade. Puis, il était devenue soldat affirmé et avait connu l'expérience d'entraîner à son tour une brigade.

             Dans celle-ci se trouvait le jeune Edward que tous surnommaient Eddie. Il passait le plus clair de son temps à parler de sa petite sœur, à un point que le noiraud avait voulu étriper celle-ci sans même la connaitre, agacé de l’entendre la décrire en boucle. En quelques heures, il avait tout su d’elle : elle était dotée d’un sixième sens hors du commun, aimait la nature, visait incroyablement bien, lui avait demandé de ne pas être un martyr et n’avait pas de prénom.

             Alors, même si cela ne faisait à ce moment-là qu’une demi-journée que les différents membres de la brigade s’étaient rencontrés et que Levi, malgré qu'il était leur instructeur, n’avait toujours pas adressé la parole à quiconque, il s’était soudainement retourné vers Edward :

— Dis-moi, ça te dérangerait de fermer ta gueule ? avait-il demandé d’une voix calme.

             C’était les tous premiers mots qu’il avait prononcés en tant qu'instructeur de leur brigade et la première fois que le blond avait entendu sa voix. Autant dire que leur relation n’avait pas démarré du bon pied.

             Malgré cela, lorsque Levi s’était plus tard retrouvé en danger de mort, Edward avait été le seul à tendre la main en sa direction. Et cela, il ne l’oublierait jamais.

             Se détachant de la cour, il baissa les yeux vers sa main, observant une vieille cicatrice maintenant blanche. Elle datait de ce jour. Tu m’as sauvé la vie et je n’ai pas pu te rendre la pareille. Je te jure que ta sœur bénéficiera à jamais de ma protection, songea-t-il amèrement.

             Car là était ce qui le gênait tant. Il avait une dette depuis dix ans qu’il n’avait pas pu rembourser du vivant d’Edward. Seulement, maintenant qu’il avait une chance de montrer sa reconnaissance à son défunt ami, il ne cessait de commettre des actes l’éloignant d’Emeraude.

             De la façon condescendante qu’il avait eu de la traiter à la promesse qu’il avait refusé de faire et n’avait de toute façon pas tenu de ramener ses amis à la maison, il n’avait pas cessé de merder. Et, maintenant qu’il la savait loin, il avait le sentiment de perdre Edward une seconde fois.

             Soudain, le tirant de ses pensées, des cris fusèrent dans la cour et un brouhaha conséquent s’éleva. Etant donné qu’ils devaient livrer Eren demain aux autorités compétentes pour qu’elles décident de son sort, il imagina un instant que la garde spéciale était venue plus tôt que prévu. Mais, en regardant en contrebas, il comprit qu’il n’en était rien.

             Les soldats étaient figés, regardant tous un point que Levi ne pouvait voir de là où il était : l’entrée du château. Il entendit des pas résonner précipitamment dans le couloir et la porte de son bureau s’ouvrit dans un fracas immense. Là, il sut que ce qu’il se passait était grave : personne n’entrait jamais dans son bureau sans toquer.

             Il se retourna et vit Hanji, les mains agrippant ses genoux pliées et tentant de reprendre son souffle. Ses lunettes étaient posées de travers sur son long nez et de sa queue de cheval jaillissaient de nombreuses mèches brunes. Elle avait couru et ce, très rapidement. L’urgence était sans précédent.

             Il ne changea rien à son expression faciale, se contentant de conserver les traits indéchiffrables que tous lui connaissaient si bien. Seulement la scientifique le connaissait assez pour savoir qu’elle allait devoir lui donner des réponses et ce, très vite. Elle se redressa après plusieurs inspirations.

— Quelqu’un vient d’abandonner une charnière devant le château ! s’exclama-t-elle.

             Là, le caporal ne put contenir sa surprise même si celle-ci resta discrète. Ses yeux s’ouvrir un peu plus et il inclina légèrement la tête sur le côté. Une quoi ? répéta-t-il intérieurement, hébété. Jamais dans sa carrière il n’avait entendu une telle chose.

             Sans un regard à l’intention d’Hanji, il la dépassa d’un pas énergique et sortit de son bureau. Là, il se tourna vers la gauche et rejoignit les escaliers en quelques pas. Son sang affluait dans ses tempes, trop de choses s’étaient déroulées ces deux derniers jours et il commençait à saturer. Il avait besoin de se défouler et sentait qu’il ne tarderait pas à le faire. Il était pourtant le premier à dire qu’il fallait savoir gérer ses émotions mais une partie de lui n’arrivait plus à le faire correctement depuis sa rencontre avec Emeraude.

             Il dévala les escaliers sans une réponse aux soldats qui le saluaient. Il fallait qu’il se rende compte lui-même et au plus vite de ce dont son amie venait de l’informer. Quel taré va abandonner une charnière à proximité de soldats armés jusqu’aux dents ? Car il n’y avait pas de doutes possibles pour lui : une charnière était une menace de mort.

             Il arriva au sombre couloir menant au portail ouvragé marquant l’entrée du château. Etant donné que ce dernier était ouvert, les rayons du soleil filtraient dans le long corridor et nul n’avait donc allumé de torches. Il faisait jour, il devait être en fin de matinée.

             Il traversa cette pièce sombre en ressassant ce qu’il s’était passé ces deux derniers jours. Il n’était pas dans ses habitudes de faire cela mais, là, il ne pouvait pas s’en empêcher. Il s’agissait de la sœur d’Edward. Il n’avait pas remboursé sa dette.

             Lui et Erwin avaient finalement raconté la vérité à Emeraude au sujet de son frère avant de partir en mission extra-muros. Là-bas, les quatre amis de celle-ci étaient décédés et ils avaient dû abandonner leur corps. Tant et si bien que, à leur retour, il avait dû expliquer à la jeune femme qu’ils n’étaient pas avec eux, ce qui l’avait mise dans une colère noire et l’avait poussée à quitter les lieux. Le major avait envoyé un soldat la suivre qui était venu au rapport le matin-même : elle semblait avoir frappé à la porte de tous les bars de Trost pour obtenir un travail. Et, tandis qu’il se faisait du mouron sur l’avenir qu’elle aurait, un imbécile venait d’abandonner une charrue pleine de cadavres devant leur base.

             Il jura.

             Arrivé au pont-levis, il s’engagea sur celui de pierre en cherchant l’objet de son intérêt des yeux. Il ne tarda pas à le trouver. Seulement, dès lors qu’il le vit, sa colère mourut subitement dans son être. Il avait remarqué quelque chose qui le poussa à ralentir le pas sans pour autant s’arrêter.

             La charrue n’était attachée à aucun animal. Seule, comme laissée à l’abandon, elle était remplie de masse empaquetée dans un tissu qu’il connaissait bien. Il s’agissait de l’étoffe dans laquelle on enserrait les cadavres morts au combat par respect pour eux. Il déglutit avec peine en réalisant de qui il s’agissait.

             La veille, en rentrant de mission, ils avaient été confrontés à deux titans qui n’avaient pas tardé à les rattraper. Le poids mort de leurs camarades les alourdissant, ils s’étaient résignés à la jeter sur la route pour aller plus vite. En tout, sept corps avaient été abandonnés. Et il en comptait exactement sept dans la charnière.

             Cette dernière ne se trouvait plus qu’à un mètre de lui, il serra le point. Franchissant ce pas le séparant des défunts, il remarqua le bras de l’un d’entre eux dépassé d’une étoffe mal fixée. Ou plutôt, un empaquetage qui avait été récemment détaché. Il déglutit péniblement.

             Il ne savait pourquoi elle —car il savait que c’était elle qui avait fait cela— avait eu besoin d’ouvrir le linceul de cette personne mais le fait est qu’elle l’avait mal refermé. Et du tissu dépassait une main blanche où se dessinait la marque d’une morsure sous le pouce. Il s’agissait de l’un de ses hommes.

             Il n’eut aucun hoquet, ne laissa point couler de larmes. D’une main assurée, il se contenta de saisir le membre dépassant et le remettre dans le tissu, le préservant à la vue de tous. Puis, après avoir posé un regard reconnaissant sur ceux qui étaient finalement rentrés à la maison, il murmura faiblement :




— Merci, Emeraude.

 










FIN DE LA PARTIE 1

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