𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟖

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬


















             Se dessinant dans son sillage telle une trainée la sublimant, le sang jaillissant de la nuque des deux titans qu’elle venait d’abattre éclata en éclaboussures derrière elle au moment où elle ramenait ses deux lames de chaque côté de son corps en s’éloignant de sa cible. Celle-ci venait d’être neutralisée. Cela avait été rapide.

             Mais rien n’était encore terminé.

             Autour d’elle s’étendaient de vastes terrains d’herbes parfois pourvus d’arbres. En contrebas, le sol fut soudain pris de tremblements profonds lorsque les deux monstres qu’elle venait d’abattre s’effondrèrent sur eux-même mais elle n’en tint pas compte. A sa droite, obstruant l’axe d’éclairage du soleil et assombrissant donc les lieux, le pire était à venir. Et elle savait qu’elle aurait du mal à affronter tant d’assaillants seule.

             Ses mains fermées autour des pommeaux qu’elle maintenait levés à hauteur de sa taille, elle songea aux deux autres armes aussi situées au niveau de sa ceinture. Et, tandis qu’elle se retournait vers ses nouveaux ennemis d’un geste fluide et aisé, ses yeux vinrent s’arrêter sur les détails de leur groupe sans qu’elle ne songe à regarder en arrière.

             Elle connaissait les ordres et savait qu’ils ne l’avaient pas attendue. Ce n’était pas de la méchanceté ni de la lâcheté, ils ne pouvaient simplement pas se permettre de le faire. Lorsqu’un soldat quittait sa position de lui-même, il se condamnait à un combat solitaire aux prises avec la faucheuse en personne. Et, pour le bien de tous, nul ne venait l’aider.

             Pas une seule seconde elle ne regretta son geste. Si elle avait intégré les bataillons, suivi tant d’années d’entrainement, écrit tant de missives pour en savoir plus sur ses illustres figures et quitter de la sorte leur cortège sans une once d’hésitation, cela avait avant tout été pour venir en aide à ses frères et sœurs d’armes.

             Alors, sans même un dernier coup d’œil vers ceux que, par son geste, elle sauvait, Emeraude leva un fier menton en direction des titans.

             Une dizaine de mètres seulement les séparaient. Leur taille, contrairement à ceux de la première vague, n’était pas toujours la même. Trois d’entre eux ne faisaient que quatre mètres tandis que le reste montait à une hauteur de quinze. Elle maugréa. Cela rendait l’usage des boomerangs plus compliqués mais elle s’en accommoderait.

             Face à elle, ils avançaient. Courant sur ce parterre auparavant paisible, faisant trembler le sol jusqu’au cœur de la terre, ils franchissaient les derniers mètres les séparant. Qu’importe leurs visages, leurs traits humanoïdes ou particulièrement monstrueux, leurs énormes yeux où se reflétaient tant de derniers soupirs et cris, leurs dents visibles dans leur bouche béante et élargie en un sourire ayant été la dernière vision de tellement de valeureux soldats, elle n’avait pas peur.

             Là, flottante à une centaine de mètres du sol, elle les affrontait de son simple regard. Son menton relevé en leur direction, elle dardait d’intenses iris sur eux, fière. Et sous son visage aux traits serrés se dessinait un corps dont les muscles demeuraient tendus et raides. De part et d’autre de son dos droit se voyaient à la lueur du soleil les reflets de ses différentes lames, sublimant la silhouette si grandiose de cette combattante.

             Ses yeux s’agitèrent dans leur orbite. Plus que cinq mètres les séparaient. L’affrontement était imminent. Pourtant, elle était calme. Son souffle régulier joignant des battements de cœur paisibles. La vision de ces monstres fondant sur elle ne l’effrayait pas.

             Non pas car elle pensait survivre. Plutôt car elle savait qu’elle allait commettre le plus de dégâts possibles avant de pousser son dernier soupir.

             Et cette simple pensée la réjouissait.

— Leurs noms perdus dans l’offensive…, murmura-t-elle simplement en plaçant ses lames dans leur étui dans un geste précis et sec.

             Ses actions s’enchainèrent en un éclair de temps.

             Au moment où ses doigts s’écartèrent des pommeaux de ses sabres rangés, elle les dirigea d’un geste aisé et rapide sur des points situés légèrement au-dessus d’eux. Ses bouteilles de gaz. Et, chose que Carlos Juan lui avait pourtant maintes fois dit de ne pas faire afin d’économiser ses réserves, elle attrapa ses pédales qu’elle bloqua en une position ouverte, s’assurant une constante grande vitesse de déplacement.

             Aujourd’hui, il n’était pas question de gaspiller le moins possible de ressources mais de les utiliser à bon escient. Car elle avait eu le temps de compter ses ennemis et, seule face à quinze titans déviants, elle ne pouvait pas réellement affirmer qu’elle faisait le poids. Alors, qu’importe la rapidité avec laquelle elle se trouvait acculée, elle pourrait utiliser et utiliserait ces dernières minutes à bon escient.

             Aussitôt eut-elle coincé ses pédales que son cœur sembla se soulever dans sa poitrine jusqu’à remonter dans son œsophage. La gravité. Lorsqu’elle chutait où marquait un départ trop rapide, la jeune femme avait toujours cette sensation qu’elle avait appris à aimer. Et elle venait soudain de fondre à une vitesse anormale jusqu’aux titans l’approchant.

             Elle se jetait dans la gueule du loup.

— …leurs actions pour seuls souvenirs…, poursuivit-t-elle en saisissant ses boomerangs.

             Ses bras se croisèrent devant son visage au moment où elle franchit les derniers mètres la séparant des deux monstres les plus proches d’elle. Et, évaluant la distance entre ses mêmes êtres, elle ouvrit violemment les bras, relâchant ses armes.

             Un sifflement aigu retentit quand les projectiles quittèrent leur position, s’éloignant en arcs de lumière dans les airs. Sans un regard pour eux, elle replaça ses mains en croix sur sa taille afin de ressortir ses sabres et s’occuper des deux monstres situés au plus proche d’elle.

             Seul un mètre les séparait maintenant. Ils n’avaient pas eu le temps de la voir approcher.

— …et dans les larmes de ceux qui vivent…

             En un instant, elle se retrouva derrière eux. Un clignement de paupières avait suffi à ce qu’elle entre dans la sphère titanesque, en dépassant le corps de deux premières bêtes semblant être la porte au monde des cauchemars.

             Mais ne se laisserait pas tomber dans les bras d’Hadès sans n’opposer aucune forme de résistance.

             Ses mains, croisées sur sa taille, s’ouvrirent brutalement lorsqu’elle arriva à hauteur de leur nuque. Dans un tintement sonore, elle extirpa les lames de leur carcan en ouvrant violemment les bras. Ce geste fluide amena ses sabres à s’abattre immédiatement sur la nuque des deux êtres situés à sa gauche et sa droite au moment où elle les extirpa de leur étui.

             Et, non sans un sourire, elle entendit le sol trembler sous la chute des quatre titans abattus par ses boomerangs à l’instant même où le sang de ses deux autres ennemis s’échappa en éclaboussures conséquentes de leur nuque.

             Cinq secondes s’étaient écoulées. Six titans s’étaient effondrés.

— …je lave le sang des martyrs.

             Se retournant dans un geste fluide, la jeune femme présenta son dos face au sol et son ventre au ciel, avant de s’enfoncer un peu plus parmi les hautes ombres des titans. D’un geste habitué, elle tendit ses deux mains au-dessus d’elle, prête à réceptionner les boomerangs à l’exacte endroit qu’elle rejoindrait dans un instant.

             Seulement, à l’instant même où elle songea à cela, son cœur rata un battement. Du coin de l’œil, elle vit distinctement une ombre plus insistante que les autres arriver à gauche d’elle. Et, lorsque ses prunelles se tournèrent vers cette source d’obscurité, elle constata avec un soupir pénible qu’un des monstres tendait en sa direction une large main encrassée par la mort.

             Elle était proche. Bien trop proche. A un point tel qu’Emeraude eut tout juste le temps de se dire qu’elle ne pourrait l’esquiver qu’une douleur déchirante lui transperça l’épaule.

             Saisie, elle ne songea même pas au boomerang qui venait de filer au-dessus de son bras sans qu’elle ne l’attrape. Car ce même bras venait de percuter le doigt de la bête avec une violence telle qu’elle eut la sensation qu’on le lui avait arraché.

             Un craquement sinistre retentit à hauteur de son épaule gauche tandis que ses doigts de la main droite venaient de se refermer par automatisme sur eux-mêmes. Mais la douleur la transperçant lui soulevant tant le cœur, cette déchirure était si grave qu’elle n’eut aucune pensée pour le boomerang qu’elle venait de sauver tandis que l’autre lui avait échappé.

             Son corps chutait.

             Prise par la douleur, elle avait eu pour dernier réflexe de couper son gaz afin de quitter la hauteur à laquelle les plus hauts titans pouvaient l’atteindre. Mais, désireux et voraces, elle devinait que les trois plus petits l’attendaient sagement juste-dessous d’elle, leurs gueules béantes tournées en sa direction et leurs regards illuminés d’une lueur nouvelle.

             Oui, elle sentait leur souffle chaud sur son dos tombant. Leur haleine pestilentielle embaumait son corps meurtri tandis que ses yeux, imbibés de larmes de douleur, voyaient nettement la figure de celui venant de lui déboiter l’épaule se pencher au-dessus d’elle, l’observant sombrer parmi ses ennemis.

             Mais elle n’avait pas dit son dernier mot.

— Va crever, enflure.

             Et, à l’instant même où ces mots filèrent d’entre ses lèvres à l’intention du seul en ces lieux l’ayant blessée, sa seule main valide fendit les airs à toute vitesse. Ses doigts s’écartèrent vivement, laissant filer son boomerang dans un sifflement aigu jusqu’à ceux situés juste en-dessous d’elle.

             Sa main s’empara alors d’un de ses sabres situés à sa taille qu’elle avait rangé par réflexe et l’extirpa de son étui dans un tintement métallique. Quatre secondes. Elle ne pouvait décrire comment mais elle savait que c’était le temps exact qui la séparait de la fenêtre d’action qu’elle aurait pour tuer son assaillant.

             Quatre. Ses vêtements épousaient la forme de son corps, se plaquant sur celui-ci en suivant le mouvement de sa chute. Trois. Un éclat brilla à quelques mètres d’elle, signe que le boomerang tomberait bientôt. Deux. Une ombre surgit soudain à sa droite, le corps d’un titan. Un. Il n’aurait le temps de se retourner, elle atteignait sa nuque.

             Le sol trembla. Deux des plus petits venaient de s’effondrer sous la force de son boomerang. Et, à l’instant même où le dernier de leur taille les vit chuter, elle tendit sa lame en direction de sa nuque dans un hurlement sonore.

             Le sabre s’arqua dans les airs tel un funeste dessin, traçant les contours d’une victoire. Et, sans faiblir en intensité, la lame vint bientôt percuter une surface dure qu’elle trancha avec netteté sous le sourire satisfait de la jeune femme.

             Lorsque le sang jaillit soudain de la nuque de son ennemi, l’éclaboussant par sa chaleur et sa matière, elle n’émit la moindre expression de dégoût. Non, au contraire, elle était fière.

             Trois titans abattus. Six plutôt. Il ne lui en restait plus que six sur les quinze.

             Loin au-dessus d’elle, entre les têtes dodelinantes de cinq bêtes s’amassant autour de son corps chutant, elle pouvait distinguer le ciel. S’étendant en un drap bleu, l’éther se dessinait autour d’elle. Une splendide voûte céleste où reposaient ses frères.

             Ce combat, elle le menait pour eux.

             Ses doigts lâchèrent soudain son sabre. Elle savait qu’il ne retomberait pas loin de ses deux boomerangs et ne pouvait le tenir plus longtemps. Car elle ne disposait que d’une seule main pour empêcher son corps de s’écraser sur le sol et devait donc laisser son arme s’échouer pour se servir d’elle.

             Le sol trembla à un mètre en-dessous d’elle au moment où, d’un geste franc et rapide, elle tira sur la pédale de ses réserves. Son corps se souleva un peu plus dans les airs, de quelques centimètres environ, avant de rejoindre la terre ferme, imitant le dernier titan qu’elle avait tué et qui venait de s’effondrer.

             Ne voulant atterrir en position allongée —ce qui la mettrait dans une posture bien fragile— la jeune femme bascula son corps en avant, pointant ses pieds vers le sol. Leur plante épousa bientôt la dureté quelques peu atténuée par l’herbe du parterre tandis que, naturellement, ses genoux se pliaient de sorte à ce qu’elle atteigne le sol.

             Elle n’avait pas le temps de penser ni d’évaluer la situation. Seule en contrebas, elle était vulnérable. Mais ses armes les plus mortels s’y trouvaient aussi alors elle n’avait eu d’autres choix que de rejoindre cet endroit.

             Seulement elle sentait les ombres de ses ennemis sur elle à mesure qu’elle se penchait sur le sol et approchait ses boomerangs situés à quelques centimètres seulement de ses pieds. Ils s’apprêtaient à l’attraper. Elle devrait faire vite.

             Sa main droite se referma sur un premier objet au bord tranchant. Et d’un geste aussi maitrisé que rapide, elle projeta son seul bras valide dans les airs avant de le reposer au sol. Un sifflement aigu strida dans ses oreilles, signe qu’elle avait bel et bien lancé son premier boomerang, lorsque la deuxième arme vint rencontrer ses doigts se promenant parmi les chatouilleuses herbes.

             De nouveau, son membre vint fendre les airs et, lorsque ses phalanges s’écartèrent, elle entendit déjà le bruit de la lame entaillant la chair d’un des monstres. Le combat touchait à sa fin. Peut-être gagnerait-elle, finalement ?

             Aussitôt sa main eut-elle relâcher la deuxième arme qu’elle vint se poser sur une pédale à sa taille, l’actionnant. Ses vêtements se plaquèrent sur son corps à une grande vitesse tandis que ses pieds quittaient le sol tremblant sous ses pieds. Les deux titans visés par son premier boomerang venaient de s’effondrer.

             D’un geste assuré malgré son handicap, la jeune femme leva les yeux vers le ciel, détaillant ses ennemis. Seuls trois demeuraient dans son champ de vision mais elle savait pourtant qu’ils étaient quatre en tout. Les deux s’approchant d’elle par la gauche seraient bientôt fauchés par le deuxième projectile mais le propriétaire de la main située juste au-dessus de son corps et l’empêchant de voir le ciel, lui, devrait mourir sous sa lame.

             Un mètre séparait les phalanges du monstre de son visage. Sa main valide vint s’enfermer sur son pommeau déjà fixé au sabre. Son corps s’inclina sur le côté. Une centaine de centimètres avant l’impact. Elle dévia soudain sa trajectoire. Lui, non.

             La main du titan poursuivit sa course dans le vide tandis qu’elle de dépassait par la droite à toute allure. La lame enfermée solidement dans sa main, elle fixa un regard déterminé sur l’épaule située devant elle. Quelques secondes les séparaient. Mais sa trajectoire n’était pas la bonne.

             Un problème se présentait. L’autre main du monstre arrivait par la droite, son bras gauche à elle était immobilisé car blessé tandis que le droit tenait sa lame. Elle devait pourtant saisir au moins un de ses grappins afin de dévier sa route, éviter le titan tentant de l’attraper et rejoindre sa nuque.

             Ses yeux s’écarquillèrent. Trois secondes avant qu’il ne soit trop tard. Mais elle avait une idée.

             D’un geste assuré et brutal, sa main rejoignit sa mâchoire qu’elle ouvrit brutalement. Et, figeant son pommeau entre ses dents qu’elle referma dessus avec intensité, elle rabattit immédiatement ses doigts sur sa ceinture, dégainant un grappin plus vite que l’éclair. Puis, tout aussi rapidement, elle le projeta devant elle, à un mètre à peine de sa position.

             Ses doigts s’écartèrent au moment où, violemment, elle sentit une force au niveau de son bassin la tirer vers l’avant. Derrière son dos, l’ombre de la main titanesque se refermant sur le vide, là où elle se tenait encore un instant auparavant, la fit frissonner. Mais elle garda les yeux rivés sur l’épaule du monstre.

             Sa prise y était figée et elle se dirigeait vers elle. Lorsqu’elle passa au-dessus d’elle, sa mâchoire s’écarta, laissant tomber son arme qui atterrit dans sa main. Et, sans même qu’elle ne raffermisse sa prise dessus, elle abattit sa lame avec froideur à sa droite, là où se trouverait la nuque du titan dans un instant.

             Le sabre traça un arc dans les airs, fendant ceux-là. Partant de la gauche, il dessina la moitié d’un cercle infernal avant d’arrêter sa route dans un bruit de succion fort désagréable. L’objet trembla en s’incrustant dans la chair du monstre mais Emeraude ne le sentit pas, ayant lâcher l’objet à l’instant même où il s’était planté dans la nuque de son assaillant.

             Son sang jaillit de la plaie en une pluie chaude puis elle entendit derrière elle le sol trembler. Son deuxième boomerang avait atteint ses deux autres cibles. Il n’en restait plus qu’une.

             Elle sourit.

             Son unique bras valide libre, elle l’éleva quelques centimètres dans les airs tandis qu’elle s’éloignait du corps s’effondrant de celui qu’elle venait de tuer. Elle connaissait les trajectoires qu’elle donnait à ses boomerangs. Le premier allait retomber dans sa main sous peu.

             Alors, fendant les airs en toute hâte, désireuse d’en finir avec ce combat, elle écarta les doigts avec précision devant elle. Seulement elle n’eut le temps de finir son geste qu’un froncement de sourcils la prit.

             Normalement, quelques secondes avant de l’attraper, elle aurait dû voir un éclat de lumière dans le ciel bleu et étrangement vide d’ennemi ou même entendre un sifflement lui indiquant qu’il arrivait, fendant les airs. Mais il n’en avait rien été.

             Ses muscles se raidir. Ses yeux s’écarquillèrent. C’était un piège.

             Vivement, elle se retourna. Elle en était certaine, quinze titans l’avaient attaqué. Or elle n’en avait abattu que quatorze. Et, le dernier ayant disparu, elle devina aisément que le fait que son boomerang ne revienne pas droit sur elle y était pour quelque chose. Mais il était trop tard.

             Un hurlement de douleur franchit bientôt ses lèvres tandis qu’elle se penchait vers l’avant, prise de court. Et, sans même prendre le temps de regarder devant elle, ses yeux vinrent se poser par réflexe vers sa cuisse transpercée d’une souffrance telle qu’elle n’en n’avait jamais connue.

             Une larme roula sur sa joue. Elle haussa les sourcils en voyant sa jambe.

             Son pantalon de chair, légèrement en-dessous de son aine, était imbibé de sang. Et celui-ci ne cessait de s’écouler d’une plaie béante qu’elle devinait autour de la lame acérée plantée dans sa chair. Son boomerang venait de se planter dans sa jambe.

             Un frisson de souffrance la prit tandis que, atterrée, elle ne prêtait même plus attention aux mouvements devant elle. Car, posant ses yeux sur l’arme qu’avait fabriqué son frère pour elle, elle venait de réaliser quelque chose. Un élément-clé qui changeait considérablement l’issu de ce combat.

             Ce titan venait de dévier la trajectoire de son boomerang pour qu’il la frappe, elle. Un spasme d’effroi la prit. Cette chose est dotée d’intelligence, réalisa-t-elle.

             Son corps, suspendu à une quinzaine de mètres au-dessus du sol, trembla soudainement. De son épaule gauche déboitée à sa cuisse droite transpercée, tout ne semblait plus n’être que douleur. Pourtant, sa plus grande souffrance n’était pas physique. Non. Elle était mentale.

             Car elle avait la sensation qu’une larme fine mais létale venait d’être figée entre ses omoplates. Celle de la trahison.

             A l’instant même où elle avait baissé les yeux vers sa cuisse ensanglantée, qu’une ombre agitée sur elle lui avait fait savoir que son assaillante venait de bouger, cette si douce voix quelque peu peinée avait pris la parole à l’intérieur de sa boîte crânienne.

             Là, se propageant comme une prophétie dans son esprit, elle avait murmuré deux mots.

             Emeraude releva lentement la tête, meurtrie. Dans cet état et essoufflée, elle n’était pas capable de beaucoup d’actions. Son corps, vidé de tout énergie, demeurait suspendu au-dessus du vide tandis qu’elle levait ses yeux imbibés des larmes de la peine en direction de celle avec qui elle avait grandi durant quatre ans.

             Face à elle, deux iris azurs la foudroyaient sans la moindre compassion. Autour de ses prunelles sévères se dessinaient ses cercles nerveux et rougeâtres soulignant son allure démoniaque et qui se voyaient aussi sur le creux de ses joues et le long de son cou. Le reste de son visage n’était que peau pâlichonne rappelant fortement à l’humaine celle qu’elle devinait être figée dans le cou de son ennemie.

             Et, encadrant ce visage familier, un court carré blond s’étendait tandis que, de part et d’autre de celui-ci remontaient ses poings serrés en position de combat. Une larme roula sur la joue d’Emeraude lorsqu’elle la vit prendre de l’élan.

             La trahison avait quelque chose de plus douloureux même que la perte d’un être cher. Car son amie n’avait pas disparue, elle n’avait simplement jamais été.

             Le titan féminin leva son poing en arquant son corps en position de combat pour prendre de l’élan. Sa camarade la regarda faire, blessée et désarmée. Impuissante. Et, à l’instant même où elle sentit le vent violent précédent le cou, elle ferma brutalement les paupières.

             Les phalanges de la traitresse s’abattirent violemment sur elle, la propulsant dans les airs. Mais, avant le coup de grâce, la jeune femme eut tout juste le temps de répéter le nom que la voix avait murmuré dans sa tête.

             Celui de la taupe. Celui de la femme devant elle. Celui de celle qui s’apprêtait à la tuer.





— Annie Leonhardt.

 






la question maintenant est

va-t-elle survivre à une patate pareille ?

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