𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟕
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S01E15
aucun spoiler
Le silence venait de s'abattre, lourd, sur la table. Il était assez tard dans la soirée mais Emeraude et ses amis avaient décidé de ne pas en tenir compte. Soit, leur excursion extra-muros n'allait commencer que dans quelques heures et ils devaient se reposer. Mais ils savaient aussi qu'elle allait devoir partir à leur retour et souhaitaient donc profiter de ces dernières heures en sa compagnie.
Le mois était passé vite. Trop vite. Ils avaient appris à se connaitre, se supporter et, finalement, s'apprécier. Nul ne voulait voir les autres le quitter. Mais c'était malheureusement le cas d'Emeraude, au grand damne de tous.
Seulement depuis un moment maintenant, plus personne ne parlait. Les yeux écarquillés, Erd, Petra, Auruo et Gunther dévisageaient la jeune femme. Visiblement inquiets, ils se mirent soudain tous sur une position défensive. Non pas qu'ils craignaient qu'elle ne les attaque, juste que quelque chose en eux venait de s'éveiller. Ils avaient un mauvais pressentiment.
Surprise par leur réaction, elle fronça les sourcils avant de lâcher un rire nerveux, croyant à une blague. Ils parlaient tout à fait naturellement de son enfance et, soudainement, tous s'étaient raidis. Était-ce la mention de son frère encore porté disparu qui les mettait mal à l'aise ? Soit, il lui manquait terriblement. Mais elle avait appris à vivre sans lui et se sentait donc fin prête à la retrouver tout en restant indépendante. La mention de son nom ne devait pas les mettre dans un tel état.
— Emeraude... Tu peux répéter, s'il-te-plaît ? demanda Erd d'une douce voix, comme s'il prenait toutes les précautions du monde pour ne pas la froisser.
Un peu désarçonnée par la façon qu'il avait de se pencher sur la table et l'expression effarée qui ne quittait pas le visage de trois autres, la jeune femme obtempéra avec un rire nerveux. Elle ne voyait vraiment pas ce qu'il y avait de mal dans ce qu'elle avait dit. Eddie avait beau être un sujet délicat pour elle, ce n'était pas pour autant un tabou.
— Je vous ai dit qu'il a fêté ses dix-neuf ans donc il a l'âge d'intégrer les bataillons depuis longtemps mais il attend que je sois assez grande, donc dans quelques mois, pour qu'on le fasse ensemble.
Emeraude ne comprenait toujours pas ce qui posait problème dans ses mots. Pourtant, tous autour de la table s'étaient davantage raidit. L'âge minimum pour intégrer les bataillons était de douze ans. Ils ne savaient pas bien ce qu'il se passait mais se doutait que c'était bien plus grave que cela en avait l'air.
Petra réalisa soudain pour quelle raison des personnes si influentes telles que le major et le caporal-chef s'étaient mêlées de la vie d'Émeraude. Quelque chose s'était produit. Irréparable. De sa voix douce et fluette, elle se pencha au-dessus de la table vers son amie, imitant Erd :
— Je... Emeraude... Quel âge as-tu ?
L'interpelée afficha un sourire moqueur, trouvant la posture dans laquelle ils se mettaient tous plus que ridicule. Selon elle, il n'y avait pas de quoi en faire tout un plat. Voulant calmer la situation au plus vite —l'atmosphère ne cessant de s'intensifier— elle ouvrit la bouche pour réponde.
Seulement, dès lors qu'elle le fit, son sourire se fana et elle avorta son geste. Onze ans et demie. C'est ce que j'allais dire, songea-t-elle en écarquillant les yeux de terreur. Vu l'écart d'âge qu'elle avait avec Eddie et le fait qu'il avait dix-neuf ans, elle ne pouvait en avoir que douze maximum. Or elle savait que ce n'était pas le cas. Elle ne comprenait pas.
Sa lèvre inférieure se mit à trembler lorsqu'elle réalisa que l'expression qu'affichaient ses amis n'était pas un spectacle ridicule comme elle le pensait. Leur effarement était justifié. Et elle commençait à le ressentir aussi.
— Laissez-nous, retentit soudain une voix ferme.
Tous se tournèrent vers l'encadrement de la porte. Erwin Smith et Levi Ackerman s'y trouvaient, le visage sombre et le regard grave. Leur expression transmettait une telle fatalité que les quatre soldats n'eurent même pas l'idée de s'y opposer et s'exécutèrent.
Emeraude, qui se tenait en tailleur sur sa chaise, sentit soudain ses membres trembler tandis qu'elle regardait ses amis quitter la pièce sans un regard pour elle. Elle mit cela sur le compte du froid. Mais ce n'était pas le froid. Et elle le savait.
Ils étaient à présent seuls. Le blond vint s'assoir en face d'elle et Levi ferma la porte avant de s'y adosser, la dévisageant de son habituel regard froid. Pourtant, ses pensées étaient loin de l'être. Il était inquiet. Ce soir, la vérité allait tomber. Et il doutait fortement que son cœur tienne le coup.
Elle ignora le caporal, préférant se tourner vers le major qui lui inspirait des sentiments plus délicats. Il était si doux et compréhensif que, instinctivement, elle alla chercher réconfort dans ses yeux bleus. Elle ne savait pas pourquoi elle ne se sentait plus aussi bien que deux minutes auparavant. Mais c'était le cas maintenant et elle espérait qu'il lui vienne en aide.
Seulement, lorsqu'elle vit la désolation qui embuait ses prunelles claires, la façon dont ses épais sourcils se haussaient en une moue peinée, elle réalisa que la suite allait être rude. Très rude. Aussitôt, elle se souvint de la mission qu'avait donné le noiraud à Erwin au sujet de son frère et son sang se glaça dans ses veines.
— Eddie, murmura-t-elle tout bas.
Le major échangea un regard appuyé avec Levi à ce murmure. Elle ne vit ce que le noiraud lui fit signe de faire mais, lorsqu'Erwin reporta son attention sur elle, ce fut pour lui poser une question. Et pas n'importe laquelle.
— Quand as-tu vu ton frère pour la dernière fois ?
Il l'avait tutoyée. Non pas de façon impolie. Juste pour instaurer un climat de confiance entre eux. L'avenir se promettait d'être rude pour elle. Elle le sentait. Il ne se serait pas permis une telle familiarité sinon.
Emeraude sentit un spasme parcourir ses membres et eut un hoquet. Elle n'appréciait pas la façon dont cette conversation venait de commencer. Néanmoins, elle fit le choix de répondre. Elle n'en avait pas d'autres.
— Il y a un mois, quelques minutes avant ma rencontre avec le caporal.
Elle vit son interlocuteur pousser un faible soupir. Il s'en était douté mais la discussion allait être compliquée. De plus, il s'était attaché à la jeune femme et n'appréciait pas l'idée de la faire souffrir.
— Où étiez-vous ? demanda-t-il ensuite, tentant une autre approche.
Elle fronça les sourcils. Dans un rapport qu'elle avait dicté à Erd et qu'il avait ensuite transmis au major, elle avait déjà consigné tous ces détails. De la couleur du ciel à l'odeur du chêne auquel elle était alors accrochée. Tout y figurait.
— La plaine juste derrière mon village. Elle est très vaste. On a pu voir les titans arriver de loin.
— Qu'avez-vous fait à ce moment-là ? répondit-il aussitôt, comme s'il ne voulait pas lui laisser le temps de réfléchir.
— Je lui ai demandé de s'occuper des villageois, de les protéger. Je lui ai aussi dit que j'allais faire diversion.
— Qu'a-t-il répondu ?
Elle prit un instant pour rassembler ses souvenirs. Elle vit nettement le déroulement des faits qui était, malgré les semaines passées, encore frais dans sa tête. Eddie avait hésité. Il était terrifié à ce moment-là. Mais il avait fini par s'exécuter.
— Rien, répondit-elle simplement.
Le major ne répondit pas tout de suite, la dévisageant intensément. Elle savait qu'il n'était pas en train de chercher sur ses traits une quelconque trace de mensonge. Ils lui faisaient confiance et la croyaient sincère. Alors pourquoi cette insistance ? Pourquoi cet interrogatoire ? Qu'est-ce qu'il se passe, bordel ? se demanda-t-elle en sentant ses mains devenirs moites.
Erwin patienta quelques instants mais rien ne vint. Elle n'ajouta aucun mot et se contenta de le fixer en retour. Il tenta d'appuyer davantage sur ce qui semblait être une ouverture, espérant enfin accéder à ce qu'il cherchait : la vérité.
— Tu me dis que ton frère a laissé sa petite sœur se lancer seule contre des titans et risquer sa vie sans même lui dire au revoir ou lui souhaiter bonne chance ?
Elle déglutit péniblement. Elle n'aimait pas la tournure que prenait la conversation. Elle l'appréciait encore moins que la façon dont elle avait débuté. Soit, cela semblait bizarre avec le recul mais ils étaient pressés à ce moment-là. Elle ne voyait pas l'utilité de faire un procès à son frère aujourd'hui. Le chercher aurait bien plus d'impact, selon elle.
Elle ne dit rien de ses pensées et se contenta d'hocher la tête.
— C'est particulièrement lâche.
Brusquement, elle se tourna vers le noiraud qui venait de prendre la parole. Les sourcils froncés, elle lui lança un regard sévère qui ne sembla lui faire ni chaud ni froid. Les traits détendus en une expression indéchiffrable, il se contenta de la fixer en retour, les bras croisés sur sa poitrine tandis qu'il était calé contre la porte.
Erwin ne le rappela pas à l'ordre. Sa technique ne semblait pas fonctionner alors il voulait bien laisser sa chance à Lévi et sa brutalité. Après tout, la situation dans laquelle était empêtrée Emeraude était telle que seul une gifle brutale pourrait la ramener à la raison. Et le caporal était passé maître dans l'art de secouer autrui.
— Je te demande pardon, le nabot ? cracha-t-elle.
D'ordinaire, jamais elle ne se serait permise de s'adresser de la sorte à l'homme, notamment parce qu'il la terrifiait. Mais son frère était un sujet sensible et elle ne tolérait pas qu'on lui manque de respect. Il avait aussi risqué sa vie pour sauver les villageois, preuve en était : il était porté disparu.
Si Erwin écarquilla les yeux de surprise, Levi ne laissa rien paraitre de ce qu'il ressentait. A l'exception d'un éclair. Vif et fugace, il avait illuminé ses yeux gris le temps d'un instant. Les circonstances ne s'y prêtaient pas mais il aimait ce qu'il avait devant lui, cette façon dont la colère déformait les traits de son interlocutrice. Ce n'était pas beau. Simplement vivifiant et électrisant.
Trouvant que ses pensées ne s'adaptaient pas à la situation, il décida de faire en sorte de ne plus en avoir de cette nature en abordant le problème sous un autre angle. Moins violent. Du moins, en apparence.
— La plaine. Décris-la.
La colère ne quittant les yeux de la jeune femme, elle décida néanmoins de ne pas insister sur sa remarque et ouvrit la bouche pour répondre à sa demande. Il fallait que tout s'arrête. Vite. Elle devait en finir au plus vite avec cette tension qui la bouffait et cette atmosphère qui l'étouffait.
— En fermant les yeux, précisa-t-il alors qu'elle s'apprêtait à parler.
Elle le foudroya du regard. Elle n'aimait pas ses ordres. Souhaitant reprendre la discussion avec Erwin qui s'était montré bien moins brutal dans ses mots, elle se tourna vers le blond de nouveau. Seulement, lorsqu'il hocha doucement la tête, elle comprit qu'il fallait qu'elle obtempère. Alors elle le fit.
Levi, qui venait d'assister à ce contact visuel, lança un regard appuyé à l'homme. Son ami sentit ses yeux fixant sa nuque le brûler mais l'ignora tout de même pour se concentrer sur la jeune femme dont les paupières étaient closes. Il se fichait des histoires que pouvait s'inventer le noiraud sur ses relations avec Emeraude, l'heure n'était surement pas à ce genre de choses.
— Je vois la vaste plaine. Son herbe est verte, partout. Très loin devant, on peut voir le relief d'autre champs et plaine, toujours le même paysage. Il y a de...
— Les sons, la coupa brutalement le noiraud.
Elle poussa un soupir qu'il ignora. Il avait remarqué les prédispositions de la jeune femme à tenter d'évoluer et agir sans se fier à sa vue. Celle-ci la faussant de toute évidence depuis longtemps, lui demander de s'y référer pour une telle chose était inutile. Ils auraient plus de chance avec ses autres sens.
— Le vent souffle par intermittence. La voix d'Eddie. Elle est calme, elle ajouta cette dernière phrase en fronçant les sourcils. C'est étrange, j'aurais pourtant juré qu'il me criait des encouragements. Peut-être que je me trompe... Non, j'en suis certaine. Il me parlait calmement.
Profitant de la cécité momentanée de la jeune femme, Erwin et Levi s'échangèrent un regard appuyé. Ils étaient sur la bonne voie. Elle commençait enfin à se souvenir. Sans doute souhaitait-elle le faire depuis très longtemps sans même s'en rendre compte.
Levi quitta enfin la porte et commença à faire les cent pas autour de la jeune femme. Il ne la quittait pas des yeux, désireux d'observer la moindre expression apparaissant sur son visage et l'analyser. Il voulait comprendre comment elle avait pu en arriver là.
— Il y a des éclats de voix lointains. Sans doute les villageois. J'avais jamais remarqué mais l'eau s'écoulant de la fontaine fait un de ses boucans ! elle prononça ces mots d'un ton enjoué, appréciant visiblement le souvenir qu'elle en avait. Elle a l'air toute proche de nous, comme si on était assis dessus. Le village n'est pourtant pas tout près et...
Elle s'interrompit brutalement. Levi cessa de marcher. Elle ouvrit les yeux. Il se tourna vers elle. Ils échangèrent un regard. Elle sentit sa lèvre inférieure trembler. Il vit ses yeux se mouiller. Elle avait mal. Il savait pourquoi. Elle non. Il n'appréciait pas de la voir ainsi. Elle ne comprenait pas pourquoi son cœur était subitement si lourd dans sa poitrine.
— Et il n'y a pas de fontaine dans mon village..., dit-elle simplement en maintenant son contact visuel avec le noiraud.
Pour une fois, il n'y avait rien de paralysant dans celui-ci. Sans être réconfortant, il était une attache. Elle sentait que tout s'écroulait autour d'elle et s'accrochait de toutes ses forces à ses prunelles. Elle ne voulait pas qu'il le rompe. Il ne comptait pas le faire.
Il ne sut pourquoi mais il eut soudainement mal à son tour. Il avait le sentiment de tirer sur un animal blessé ou une femme désarmée. Et c'était ce qu'elle était, dans le fond. Mais, aussi douloureux soit-il, il fallait qu'il poursuive. Pour son bien.
— Je répète la question du major, dit-il d'une voix plus douce. Quand as-tu vu ton frère pour la dernière fois ?
Elle ne lâcha pas son regard, se contentant de laisser une larme rouler sur sa joue. Son menton fut pris de soubresaut et, inspirant difficilement, elle haussa les épaules. Elle ne savait pas. Elle ne savait plus. Tout était flou dans son esprit et elle sentait ses repères basculer.
Bien sûr, elle était tentée de dire que cela remontait à il y a un mois. Mais elle en était à présent certaine : la dernière fois qu'ils s'étaient parlé, ils étaient assis sur une fontaine. Il n'y en avait pas dans son village alors, quoi qu'il se soit passé juste avant qu'elle ne rencontre Levi et son escouade, ce n'était pas en présence de son frère.
Sans interrompre leur regard, Levi s'assit sur la chaise à côté de la sienne de sorte à être à sa hauteur. Elle le regarda faire avec un haut le cœur. Elle n'aimait pas ce geste. Si un homme tel que lui se mettait à avoir de la considération pour ses sentiments, alors cela signifiait que leur conversation risquait de la briser de façon irréversible.
Il ne se pencha pas vers elle, ne prit pas de voix douce. Il savait bien que toute la pommade du monde ne pourrait atténuer sa douleur. Deux choix s'offraient à eux : soit elle survivait à la vérité, soit non. Il n'y avait pas d'entre-deux.
— Ce n'est pas toi qui as demandé à ton frère de protéger les villageois mais l'inverse. Il t'a demandé de veiller sur eux en son absence. Toi, tu lui as répondu ceci, dit le noiraud en fouillant dans sa poche.
Il en extirpa une feuille de parchemin soigneusement pliée à plusieurs reprises. Elle ne prit pas la peine de la saisir même s'il la lui tendait. Elle savait de quoi il s'agissait.
Une semaine auparavant, elle lui avait demandé de corriger une maxime qui la hantait. Il ne s'était pas exécuté mais avait emporté le papier avec lui. Elle avait alors cru qu'il l'avait fait par mégarde mais réalisait aujourd'hui que non.
Je t'autorise à devenir un soldat, pas un martyr. Elle se souvenait maintenant de l'origine de cette phrase. Levi avait raison, elle l'avait dite à son frère. Elle ne savait en revanche pas comment elle avait pu l'oublier. C'était une promesse qu'elle lui avait demander de formuler.
Le noiraud n'avait pas rompu une seule seconde leur contact visuel. Il était là, il la maintenait. Et, petit à petit, notamment par cette dernière intervention, elle commençait à comprendre pourquoi.
— Tu connais mon frère ? demanda-t-elle d'une voix rendue étranglée par l'émotion.
Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle vit nettement ce que ressentit Levi en entendant ces mots. Comme un éclair dans ses yeux, le désemparement venait d'illuminer ses prunelles. Vif. Etincelant. Douloureux.
Il eut une hésitation. Il ne voulait pas le faire mais il le fallait. Telle une hache tranchante, il allait devoir se résoudre à abattre la vérité. Mais celle-ci ne serait pas sans conséquence. Il prit une inspiration. Ils n'avaient pas commencé cette conversation pour rien. Il ne pouvait se taire maintenant.
— Je connaissais Edward, en effet, la corrigea-t-il.
Cette nouvelle tomba comme une masse sur les épaules d'Emeraude. Soudain, elle détourna les yeux, rompant brutalement le contact visuel avec Levi. Et, comme si ceci avait littéralement été une attache, elle glissa soudainement hors de sa chaise. Ses deux genoux vinrent claquer le sol. Elle était assise juste devant Levi, le menton à hauteur de sa main tenant cette maudite maxime.
L'emploi du passé n'était pas anodin. Elle ne savait depuis combien de temps mais le noiraud venait tout juste de lui révéler ce qu'il lui cachait : son frère était décédé. Ses mains se mirent à trembler et elle fut prise de hoquets continus tandis que des larmes perlaient sur ses joues.
Ce n'était pas possible. Ce devait être un cauchemar. Il devait y avoir une erreur. Cette discussion n'avait aucun sens depuis le début. Elle était sans doute endormie. Oui, c'était sûrement cela. Ce devait être cela.
La voix du noiraud lui parvint alors, comme venu d'un autre monde. Lointaine et étouffée, on eut dit qu'un mur les séparait. Et ce mur portait un nom qui n'avait cessé de la persécuter depuis des années sans même qu'elle ne s'en rende compte : le déni.
— Tu n'étais pas dans ton village, la dernière fois que tu as vu ton frère. En revanche, tu avais bel et bien onze ans et lui, dix-neuf. Vous étiez dans la ville de Trost, assis sur la fontaine en attendant les autres futurs soldats qui s'apprêtaient à embarquer. Ton frère avait décidé de s'engager pour t'offrir un toit mais ne voulait t'embarquer avec lui car tu étais trop instable émotionnellement.
La jeune femme secoua sa tête dans tous les sens en répétant à l'homme de se taire, le suppliant de ne plus parler, lui répétant qu'elle ferait tout ce qu'il voudrait mais qu'elle ne voulait plus rien entendre. Elle ne pouvait pas. Elle ne tiendrait pas le coup. Ses mains tremblantes tentaient d'étouffer les sons, sans succès. La vérité continuait de s'insinuer, dévastatrice.
— C'était il y a dix ans, pas un mois.
— TA GUEULE.
Elle avait poussé un hurlement déchirant. Si puissant que les murs en tremblèrent et même la nuit devint silencieuse. Les soldats dans le château échangèrent un regard, ne sachant de quoi il s'agissait mais n'étant pas rassurés. Tous l'avaient entendu. Peut-être même jusque par-delà le mur Sina.
A l'étage supérieur, Petra qui ne trouvait le sommeil versa une larme en reconnaissant sa voix. Elle ne savait ce qu'il se passait mais ne pouvait que sentir son cœur se serrer face à tant de douleur qu'elle entendait chez son amie.
Hanji, quelques pièces plus loin, ôta ses lunettes de sa main droite et vint éponger les larmes sous ses yeux avant de les remettre. Cela avait pris du temps mais, la veille, le noiraud lui avait finalement expliqué ce qu'il se passait avec Emeraude. Ils ont donc enfin cette discussion, se dit-elle en se tournant vers l'armoire où elle cachait ses bouteilles d'alcool, sachant pertinemment qu'elle ne tiendrait pas le coup sans. Son amie souffrait. A un point insupportable.
Erd, Gunther et Auruo, qui dormaient dans le même dortoir, se redressèrent brutalement sur leur lit. Ils échangèrent un regard insistant mais ne dirent rien. Car aucun mot ne pouvait être posé sur ce qu'il venait d'entendre. Il s'agissait-là d'un son qu'ils n'avaient jamais perçu. Pas même sur les champs de bataille.
Plus bas, à côté d'Emeraude, Levi et Erwin s'étaient raidis. Leurs yeux se posèrent sur le visage rougie et ravagé par les larmes de la jeune femme. Elle reniflait bruyamment. Ils eurent mal à cette vision. Très mal.
— C'est impossible, murmura-t-elle. On s'est parlé il y a un mois, on riait ensemble. Il allait bien ! Je me souviendrais s'il était parti pendant dix...
Sa phrase mourut dans sa gorge. Elle était trop faible pour la finir, avait trop mal. Elle ne pouvait plus rien entendre, était exténuée. Tout autour d'elle, son monde s'écroulait et elle ne pouvait rien faire pour empêcher son équilibre de voler en éclat.
Il y eut un silence. Long. Très long. Pesant, il n'était ponctué que des sanglots de la jeune femme, des répétitives piqures de rappel. La vérité était là. Infâme et douloureuse.
— C'est pourtant le cas, répondit Levi d'une voix calme au bout d'un certain temps. Il a servi durant cinq ans à nos côtés, passant le plus clair de son temps à parler de sa petite sœur et de la promesse qui lui avait faite. Celle de ne pas devenir un martyr, de rentrer à la maison.
Elle se contenta de fermer les yeux de toutes ses forces comme si ne plus rien voir pouvait la protéger. Elle n'avait plus la force de lui demander de se taire. Elle n'avait plus la force de secouer la tête pour ne pas l'entendre. Elle n'avait plus la force faire quoique ce soit à part pleurer.
— Mais, il y a cinq ans, le mur Maria a été brisé...
Il marqua une pause, sentant sa gorge devenir sèche. Il n'aimait pas dévoiler ses émotions et, d'ordinaire, savait plutôt bien les gérer. Mais cette situation n'avait rien d'ordinaire.
— ...et sa promesse aussi.
Ses sanglots, qui s'étaient quelque peu atténués, redoublèrent d'intensité et son corps fut pris de violents spasmes. Elle ne parvenait pas à y croire. Ce n'était pas possible. Pourtant, même si son cerveau niait en bloc ces affirmations, son corps lui criait que c'était vrai, son cœur se serrait et ses larmes coulaient comme s'ils disaient la vérité.
Au bout d'un moment, Erwin prit la parole. Voyant que Levi avait les choses en main, il s'était jusque-là tu. Mais il sentait bien, au fur et à mesure de la conversation, que son ami ne tenait pas bien le coup. Il comprit donc qu'il fallait qu'il prenne la relève.
— Lors du décès d'un proche, la douleur peut être trop dure pour certains qui entrent dans une phase plus ou moins intense qui s'appelle le déni, commença-t-il d'une voix douce. Nous ne t'avons jamais retrouvée puisque tu n'as ni acte de naissance, ni domicile, ni nom de famille. Nous n'avons jamais pu te prévenir de la mort de ton frère. Mais il semble que ton instinct hors du commun ait suffi pour que tu le comprennes.
Elle ne le regarda pas, trop endolorie. A genoux sur le sol, son visage à hauteur de la main de Levi, elle n'opposait plus aucune forme de résistance. Elle ne geignait plus, ne niait plus. Le dos voûté, elle se contentait de pleurer.
— En comprenant cela, la douleur a été beaucoup trop vive. Tu es partie te coucher et, le temps que tu te réveilles, ton cerveau avait fait le nécessaire pour que ta vie devienne supportable. Tu as vu ton frère, lui a parlé comme si de rien n'était. Pendant cinq ans, tu as vécu ainsi, oubliant les cinq années précédentes de ta vie. De tes dix-sept ans à tes vingt-deux, tu as vécu avec une hallucination visuelle, auditive et sensorielle qui ne vieillissait jamais. Tu ne t'es jamais rendue compte que le temps ne s'écoulait pas, que vous ne changiez pas. Qu'il n'existait pas réellement.
Emeraude entendait les mots et les comprenait. Elle ne savait pas encore si elle les croyait, se contentait de les recevoir tandis que ses larmes se tarissaient peu à peu. Non pas parce qu'elle n'avait plus mal, seulement car elle n'avait plus rien à pleurer. Alors elle se contentait de fixer droit devant elle d'un œil vide.
Assis sur la chaise posée à quelques centimètres de son torse, Levi la regardait. Je suis désolée Edward, j'aurais dû la retrouver plus tôt et lui épargner cette horreur, songea-t-il en regardant la fatigue et la détresse sur le visage de la jeune femme. Il s'en voulait.
— Je veux me réveiller, dit-elle simplement d'une voix résignée et affaiblit.
Erwin baissa la tête. Il n'appréciait pas non plus la situation et s'en voulait pour ce qu'il s'apprêtait à faire mais cela devait être fait. Il lui fallait encore aborder un sujet.
— Pour l'instant tu es occupée à penser à Eddie, dit-il en utilisant le surnom du jeune homme. Mais, dans quelques jours, je sais que tu te demanderas ce qu'il est advenu des villageois.
Elle n'eut qu'une réaction. Une seule. Invisible. Qu'elle trouva honteuse juste après. J'en ai rien à foutre des villageois, qu'ils crèvent dans leur merde, avait-elle pensé aux souvenirs de la condescendance avec laquelle ils les avaient traité, elle et son frère. Mais elle regretta de s'être dit cela ensuite.
— Si les bataillons d'exploration n'ont croisé personne en arrivant dans ton village, c'est parce qu'ils étaient partis depuis longtemps. J'ai enquêté après que Levi m'ait confié qui il te soupçonnait d'être et les ait retrouvés, il marqua une pause. Ils n'étaient pas fiers mais m'ont expliqué que, lorsqu'ils ont repéré les titans et ont compris qu'ils n'avaient que peu de temps pour s'enfuir, ils ont décidé de les ralentir avec un appât.
Le sang du noiraud se glaça dans ses veines. Il n'était pas du tout au courant de cette partie de l'histoire mais la devinait d'ores et déjà. Et elle ne l'enchantait guère.
— Selon eux, la folle du village qui parlait aux fantômes n'allait manquer à personne, dit-il d'un ton hasardeux, assez réticent à l'idée de qualifier son amie déjà meurtrie de la sorte. Ils m'ont décrit comment ils l'avaient attachée à un arbre dans son sommeil.
Emeraude vit le poing de Levi se crisper devant elle. Elle était prête à se sacrifier pour leur laisser une longueur d'avance, songea-t-il amèrement au souvenir de leur première rencontre. Il était furieux. Pas elle. Elle se fichait bien de ce que le blond venait de lui raconter. Son frère était mort et c'était tout ce qui lui importait.
— C'est pour ça et non pour un entrainement que tu étais dans cette position à leur arrivée et qu'ils étaient déjà si près de toi, termina Erwin.
Elle ne répondit rien, se contentant de fixer d'un regard vide l'espace devant elle. Des larmes perlaient parfois sur ses joues et sa gorge lui faisait mal. Elle tremblait. De légers spasmes secouaient son corps. Par à coup, un hoquet la prenait.
Le silence revint peu à peu. Ils ne surent quoi faire, se contentant de la regarder. Depuis l'heure qui venait de s'écouler, nombreuses avaient été les émotions passant sur son visage. Au fil des minutes, la douleur de la vérité avait écrasé le contentement qu'était le déni. Elle ne voulait croire à ce qu'ils venaient de dire mais devait s'y résoudre. Elle le savait, au fond, qu'ils ne lui mentaient pas.
Tremblante, elle se leva maladroitement. La tête haute, elle ignora la main que lui tendait Levi et lissa sa cape d'un geste de la paume pour se donner de la contenance. On eut dit qu'elle tentait de garder la face. Pourtant, le caporal savait que sa soudaine attitude froide ne venait que d'une seule chose : elle ne savait pas quoi ressentir.
Sans un regard pour eux, elle se retourna vers la porte. A petit pas, elle mut son corps jusqu'à la sortie et posa sa main encore tremblante sur la poignée. Là, elle s'arrêta. Immobile, le dos droit, elle ne se tourna vers aucun des deux hommes. Mais ils savaient pertinemment que c'était à Levi qu'elle s'adressait lorsqu'elle déclara d'une voix fébrile :
— J'ai trop perdu.
Une larme coula sur sa joue que son interlocuteur ne vit pas. Elle ouvrit la porte et, juste avant de quitter les lieux, termina sa pensée.
— Alors ramène les à la maison, s'il-te-plaît.
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