𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟓
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S01E15
petit spoiler
Attablée seule au réfectoire à une table près de la fenêtre, la jeune femme demeurait penchée au-dessus d'un rouleau de parchemin. Consciencieusement, elle y avait déposé quelques mots. Elle avait consacré beaucoup d'efforts à ce dessein mais peu de sa concentration.
La veille, après que le caporal lui ait annoncé qu'elle les quitterait pour rejoindre l'armée sous peu, elle n'avait pu penser à autre chose. En se tordant les mains, elle s'était tournée et retournée dans son lit durant des heures. Lorsqu'elle s'était levée plus tard et était allée récurer la vaisselle sale des soldats, la promesse du noiraud n'avait pas quittée sa tête.
Elle aurait dû s'en réjouir. Elle aurait dû en être fière. Elle aurait dû s'empresser de s'imaginer comment elle allait expliquer cette bonne nouvelle à Eddie. Elle aurait dû courir dans le laboratoire d'Hanji pour l'informer que Levi Ackerman la recommandait personnellement pour intégrer l'armée, ce qui n'était jamais arrivé auparavant et que Erwin Smith faisait de même, ce qui s'était déjà produit pour une seule personne : le caporal. Oui, elle aurait dû.
Mais il n'en avait rien été.
Depuis lors, elle n'avait de cesse d'observer le monde l'entourant dans les moindres détails, scrutant le paysage sans cesser de se dire qu'elle ne le reverrait bientôt plus. Alors elle essayait d'en imprimer la moindre parcelle de beauté, jusqu'à la plus petite feuille des arbres de la forêt, la plus granuleuse des pierres du château, le plus vif pétrichor du matin, la plus fraîche eau de la rivière et même le plus inconnu des visages des soldats.
Elle ne prêtait attention qu'à ceux qu'elle ne connaissait pas. Car elle savait pertinemment que jamais elle ne pourrait oublier ses amis et Levi. En revanche elle n'était pas sûre de pouvoir en dire autant d'eux. Trois ans, c'est long... Songeront-ils ne serait-ce qu'un peu à moi ? se demanda-t-elle en baissant les yeux vers son œuvre.
Sous ses yeux était une ultime tentative, désespérée, de les rattraper. Si elle ne pouvait refuser l'offre du caporal —et c'était le cas— et devait se préparer à devoir quitter les lieux sous peu, elle pouvait au moins espérer conserver une correspondance avec ses proches. Alors, durant la dizaine de jours qui lui restait auprès de ses camarades, elle comptait bien acquérir de solides compétences en écriture et lecture. Quand bien même elle devrait s'écorcher les doigts en brisant de multiples plumes.
Désireuse de bien faire, elle s'était donc attablée dès lors ses tâches ménagères finies pour tracer des lettres. Celles-ci formaient des mots qu'elle avait en tête depuis de longues années déjà. Enfouis, à peine murmurés à son esprit, comme confidentiels. Silencieux. Il s'agissait là d'une pensée qui prenait racine au plus profond de son être et semblait avoir toujours été là sans qu'elle ne l'ait soupçonné.
Elle entendit la porte du réfectoire crisser derrière elle. Ce devait être Erd. Elle lui avait donné rendez-vous. L'homme étant sans conteste le meilleur dans la correction de ses exercices. Il ne la prenait pas de haut, était patient et lui expliquait calmement ses erreurs. Alors que les autres n'étaient pas bien compétents : Petra n'osait pas lui dire qu'elle s'était trompée, Gunther ne remarquait même pas quand c'était le cas et Auruo la traitait avec un mépris tel qu'elle avait, deux jours auparavant, tenté de lui faire avaler le contenu de son encrier.
Après un dernier regard à son parchemin pour vérifier que tout était en ordre, elle saisit celui-ci tout en se tournant vers le nouveau venu :
— T'es là ! J'aimerais que tu corriges mes fautes, s'il-te...
Elle laissa sa phrase mourir dans sa gorge lorsqu'elle tomba nez à nez sur deux hématites transperçantes. Le nouveau venu n'était pas Erd mais le caporal.
Levi était là. Et, comme s'ils avaient passé un cap, il ne prenait plus la peine de voiler son regard en sa présence. Elle semblait avoir donc une place privilégiée au sein de ses connaissances. Malgré cela, elle ne parvenait toujours pas à déchiffrer ses expressions faciales ou ses regards. Il était bien trop énigmatique.
Ne sachant s'il était agacé ou simplement fatigué, elle baissa la tête face à ses traits tirés en une moue ennuyée. La même qu'à l'ordinaire. Mais elle ne souhaitait prendre aucun risque : la veille, il avait encore essayé de la tuer.
Soudain, même s'il n'était plus dans son champ de vision du fait qu'elle avait baissé les yeux, elle perçu le bruit du froissement d'une étoffe et en conclut donc qu'il venait de bouger. Elle se redressa quelque peu et constata que, en effet, il avait tendu la main en sa direction.
Plusieurs tables les séparaient. Il se tenait loin d'elle. Elle comprit qu'elle devait le rejoindre et se dirigea donc naturellement vers lui. Ils étaient seuls. Le silence était pesant. Elle ne savait pas ce qu'il pouvait bien attendre d'elle.
Lorsqu'elle se planta devant lui, la tension grimpa d'un cran. La puissance qu'irradiait le caporal était déjà impressionnante à l'ordinaire, alors s'en approcher et la confronter devenait brûlant. Elle déglutit péniblement en sentant des vagues de chaleurs l'assaillirent et regarda sa main, confuse.
Les secondes s'éternisèrent et il conserva cette position. Elle avait compris que c'était à elle d'agir mais ne savait que faire. Hésitante, elle fit alors la première chose qui lui passa par la tête et tendit ses cinq doigts vers la paume zébrée de cicatrices anciennes et récentes liées au sabre et à la corde du système tridimensionnel. Elle remarqua alors que sa peau présentait les mêmes marques.
— La feuille, la rappela-t-il alors d'une voix ferme avant qu'elle ne s'avise d'abattre sa main dans la sienne comme une enfant. Ce n'est qu'une minuscule phrase, ça ne va pas me tuer.
Elle s'en doutait bien. Personne ne pouvait le tuer. Contrairement à elle qui sentait qu'elle allait bientôt décéder sous les feux de la honte.
Ses joues avaient viré au rouge et elle entendait nettement le sang affluer dans ses tempes. Un nœud se forma dans son estomac et elle eut une soudaine envie de disparaitre. J'étais à deux doigt d'high-five le caporal-chef, songea-t-elle en sentant une vague de chaleur la saisir.
Ne voulant le faire patienter plus longtemps et sachant pertinemment qu'elle avait déjà réussi à l'agacer, elle lui tendit maladroitement son rouleau déplié en le remerciant d'une voix fébrile. Il le saisit sans plus de cérémonie et en parcouru son contenu.
Elle n'était pas franchement emballée à l'idée de soumettre pareille maxime aux yeux inquisiteurs de Levi. Mais, pour une fois qu'il se montrait serviable, refuser aurait été stupide. Alors, sans oser le regarder par peur de déceler du mépris sur son visage —ce qu'il avait coutume d'afficher en sa présence— elle attendit son verdict.
— C'est...
Il n'avait pu terminer sa phrase, comme coupé par l'émotion. Surprise, Emeraude se tourna vers le noiraud. Il n'était vraiment pas du genre à laisser transparaitre ses sentiments alors elle se disait qu'elle n'avait pu que mal entendre.
Seulement, lorsqu'elle remarqua que c'était avec des yeux écarquillés de surprise qu'il contemplait la phrase, elle sentit son cœur s'affoler dans sa poitrine. Était-il ému ? Était-ce même possible d'émouvoir le caporal ? Elle peinait à croire qu'un quelconque évènement puisse adoucir ce cœur de pierre. Ou, plutôt, qu'il se permette de le laisser voir.
Il était pourtant là, devant elle, visiblement en proie à de grands questionnements intérieurs. Il ouvrit la bouche, elle haussa les sourcils. Il s'apprêtait à finir sa phrase. Alors ? Qu'en pensait-il ? Pourquoi une telle réaction ? Cette phrase l'aurait-elle apaisé ?
— ...Incroyablement mal écrit.
Toutes les émotions réconfortantes qu'elle ressentait à l'idée d'avoir pu susciter un sentiment quelconque chez le caporal s'évanouirent soudain. Ses épaules s'affaissèrent et elle cessa même de respirer durant un instant, sous le choc à cause de la brutalité de sa phrase.
Ne lui laissant le temps de reprendre ses esprits, il tourna les talons en emportant la feuille avec lui. Tant que ça ? se dit-elle en réalisant qu'il n'avait même pas pris la peine de la corriger, comme si son cas était une cause perçue.
Une autre vague de chaleur la prit alors et elle tenta vainement de s'aérer à l'aide de sa main. La honte lui cuisait les joues et le ventre tout en lui tordant les entrailles. En l'espace de quelques minutes, elle avait réussi à s'embarrasser à deux reprises. La deuxième ayant été tellement forte que le noiraud avait quitté les lieux. Même face aux titans il abandonne jamais. Mon orthographe est si chaotique ? se demanda-t-elle en poussant un couinement de gêne.
Seulement les pensées du caporal étaient bien loin de cela. Le parchemin froissé entre ses mains, il s'y raccrochait comme au seul espoir qu'il avait. Pourtant, celui-là venait de lui en ôter sous toutes ses formes. Oui, il était désespéré.
Son cœur battait à tout rompre, rythmant ses pas qui se faisaient rapides et violents. Les jeunes recrues qui le croisèrent en discutèrent entre eux. Il était inhabituel de voir Levi Ackerman ainsi. Hors de ses gongs. Submergé par ses émotions. Il s'agissait même de quelque chose qui d'ordinaire n'arrivait jamais.
Des souvenirs remontant à une décennie en tête, il déglutit péniblement en parcourant le couloir. Ce qu'il avait craint était avéré. Il ne s'était pas trompé sur Emeraude. A cette pensée, il vit de nouveau les images de Shinganshina à feu et à sang, cinq ans auparavant. La fin d'un chapitre. Le début d'un autre.
C'était amusant de vous trouver des ressemblances, songea-t-il en passant le portail massif en bois. Je me sentais même plus proche de toi, mon ami, eut-il comme pensée après avoir franchi le pont-levis. Mais découvrir l'ampleur du problème, voir tous mes doutes se confirmer et réaliser que la détresse dans laquelle elle est est un dense cauchemar dont nul ne pourra la sauver..., commença-t-il intérieurement en quittant le pont de pierre.
Erwin, qui préparait son cheval à leur départ pour rejoindre Trost, remarqua instinctivement que quelque chose dans l'air s'était épaissit. Naturellement, il se retourna et remarqua le noiraud qui avançait vers lui, ses yeux gris s'agitant de leurs cavités. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu ainsi. Et il sut alors que la raison de son état ne pouvait être autre que Emeraude.
Est semblable à te voir mourir de nouveau, songea-t-il finalement en se plantant devant le blond. Le major ne dit rien, se contentant de poser sur lui un regard concerné. Il avait compris. La façon qu'avait le caporal de déglutir péniblement en disait long.
— Comment ? demanda-t-il simplement.
La gorge trop sèche pour parvenir à murmurer le moindre mot, il lui tendit une feuille que ses poings serrés avaient froissé. Les sourcils froncés, Erwin la saisit et entreprit de la déplier. S'il n'avait jamais vu l'écriture d'Emeraude, le nombre hallucinant de fautes par mot lui suffit à comprendre que ces mots étaient les siens.
Il mit quelques secondes à les déchiffrer. Au terme de celles-ci, sa mâchoire se décrocha quelque peu et ses sourcils se haussèrent. Abasourdi, il relut maintes et maintes fois la phrase, se disant qu'il ne pouvait s'agir que d'une erreur d'interprétation de leur part. Mais non. Ils ne se trompaient pas. Emeraude avait bien écrit ces mots, tout comme elle les avaient prononcés, dix ans plus tôt. Même si elle n'en avait aucun souvenir.
« Je t'autorise à devenir un soldat. Pas un martyr. »
Lentement, comme s'il craignait que ce contact visuel ne fige à jamais ce qu'ils avaient tous deux espérer n'être que de simples suppositions, Erwin leva les yeux vers le caporal. Ce dernier le fixait déjà, comme s'il espérait que le blond lui dise qu'il s'était fourvoyé et avait mal lu. Mais la vérité était là, terrible.
— Si elle a écrit ça, c'est que les souvenirs commencent à remonter, déclara tout bas le major en pliant la feuille à plusieurs reprises, semblant vouloir enfermer son message en son creux. Et lorsqu'elle apprendra la vérité...
— Ce sera l'un ou l'autre, peut-être les deux, le coupa Levi tandis que ses yeux demeuraient posés sur le rouleau que tenait Erwin.
Il détacha son regard du papier pour venir le planter dans celui du blond.
— Elle tuera. Soit toi et moi, soit elle, soit nous tous.
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