𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟑


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS
















             La jeune femme soupira. Les rayons du soleil tapaient avec force sur son corps habillé strictement de l’uniforme de l’armée et alourdie par son système tridimensionnel. Le tissu de sa chemise était tendu sur ses omoplates, entravant ses mouvements et elle sentait la ceinture de son pantalon entraver sa digestion.

             Le déjeuner s’était terminé quelques dizaines de minutes auparavant et sa position avait été immédiatement requise dans la cour du château, près du puit, ordre du caporal. Elle n’avait pas vu celui-ci depuis son premier entrainement et trouvait donc assez étrange qu’il l’ait convoquée en cette après-midi si particulière, d’autant plus qu’aucun de ses collègues à l’exception d’Eren n’étaient présents.

             Elle savait ce qui allait se passer, Edward l’avait longuement bassinée à ce sujet, s’énervant du fait qu’ils avaient dû repousser maintes fois cette expérience car elle nécessitait la présence d’Hanji et lui-même alors que les jours où tous deux se trouvaient sur la base étaient rares.

             Ainsi, ce qui aurait dû se passer quelques jours avant l’arrivée des jeunes recrues à la base avait été repoussé deux semaines après celle-ci. Mais il semblait bien qu’il pourrait enfin, en cette chaude après-midi, obtenir certaines réponses quant à la si étrange et mystérieuse nature d’Eren.

— Pas trop stressé ? retentit la voix de son frère devant elle.

             Assise à un banc bordant ce qui semblait être une table de pique-nique, la jeune femme regarda le blond accorder une tape amicale sur l’épaule du titan qui ne semblait pas bien à l’aise à l’idée de se lancer dans une telle expérience. Et, accordant un bref regard au puits rustique et couvert de lierre derrière eux, elle se dit qu’elle comprenait le garçon. Elle ne savait pas non plus si elle serait forcément apaisée face à l’idée de se plonger dans ce trou de plus d’une quinzaine de mètres.

             Les grands yeux écarquillés du brun semblèrent exprimer le même avis mais, s’approchant en lui offrant un sourire compatissant, Petra entreprit de le calmer avant l’arrivée du noiraud. Détournant le regard pour observer la clairière, elle n’entendit pas grand-chose de ses mots et ne s’en trouva pas le moins du monde déçue.

             Face à elle, s’étendant profondément, des arbres hauts formaient une dense forêt. D’après les dires de Gunter et Erd, la scientifique arriverait par cet endroit tôt ou tard, quelques incidents ayant requiert son attention auprès de son escouade. Les deux hommes se trouvaient d’ailleurs à quelques mètres de la table qu’occupait l’Extralucide, vérifiant leurs équipements au cas où l’expérience rencontrerait des problèmes.

             La jeune femme ne s’en formalisa pas. Au cours de l’assaut de Shiganshina, alors que certains titans se réfugiaient vers la deuxième porte qui leur aurait permis d’envahir le mur Maria, le titan d’Eren était apparu. Et, entre diverses actions héroïques qui avaient permis de freiner leurs assaillants le temps de mettre les civiles en lieu sûr, il avait aussi malheureusement tenté de s’en prendre à Mikasa.

             Alors elle comprenait que, malgré l’affection que ce quatuor commençait à éprouver envers chaque nouvelle recrue, une certaine méfiance les pousse à vérifier leur matériel en cas de dérapage.

— Tu tires une de ses tronches, ma pauvre, cingla soudainement la voix d’Auruo à côté d’elle.

             Une ombre rafraichissant le côté gauche de son visage lui permit de comprendre qu’il venait d’enjamber le banc à côté d’elle et quand ce dernier tressauta sous ses fesses, elle sut qu’il s’y était assis. Elle ne se tourna pas vers lui, se contentant de répliquer une remarque cinglante d’un ton ennuyé.

— Cocasse venant d’un gamin de dix-neuf ans qui en fait cinquante.

             Il ne répondit pas, se contentant d’un soupir faussement exaspéré.

             Bien des caractères existaient dans les bataillons. Qu’il s’agisse de la rigidité d’Erwin, la condescendance d’Auruo, la dureté de Levi, ils avaient de quoi être impressionnés. Mais la jeune femme, étrangement, avait trouvé sa place parmi tant de traits de personnalités si rudes.

             Une quinzaine de jours seulement s’était écoulée où, parmi ce trio, elle n’avait pu apprendre à connaitre que le garçon venant de s’assoir à ses côtés. Mais cela lui avait amplement suffit à réaliser qu’elle appréciait l’idée que tant de forces mentales cohabitent en ce lieu. Car elle n’y était plus une personnalité trop dure, seulement un soldat parmi tant d’autres. Et, aussi étrange cela pouvait-il paraitre, entrer dans la norme et quitter ce statut de paria qui lui avait longtemps collé à la peau était à ses yeux une forme de paix.

             Même si cette même paix prenait place dans un corps de métier embrassant la guerre.

— Le caporal voulait les meilleurs pour assurer aucun débordement, voilà pourquoi tu es là. Et pas Mikasa parce que son talent ne peut rien face à son laxisme face à Eren.

             Elle acquiesça faiblement, sentant le regard de son interlocuteur sur elle.

             Là était une facette d’Auruo que peu pouvait voir mais qui l’avait amenée à réviser son premier jugement sur cet homme qu’elle trouvait à priori hautain et inintéressant. Car, même si elle supportait parfois mal sa façon de copier le comportement —qu’elle trouvait en plus insupportable— de Levi ainsi que la condescendance de ce dernier, elle avait su percevoir en lui un trait de caractère qu’elle appréciait d’autant plus qu’il était discret.

             Son empathie.

             Le blond grisonnant, sans doute à cause des vestiges de la guerre plus que pour sa grande admiration envers le caporal, avait bien du mal à montrer ses émotions, ce qui l’amenait à comprendre ceux similaires à lui. Et, lorsque l’Extralucide gardait un visage ferme comme aujourd’hui, il devinait clairement ce à quoi elle pensait.

             La jeune femme était inquiète. Le noiraud n’avait pas confiance en elle —même s’il respectait la combattante qu’elle s’était avérée être— alors la requestionner pour une telle expérience semblait, à ses yeux, n’être rien de plus qu’un coup fourré. Sans doute espérait-il la voir faire une erreur trahissant ses véritables intentions.

             Mais elle n’était pas une traitresse. Seulement face au jugement hâtif de l’homme et ses capacités particulièrement développées au corps-à-corps, elle n’était pas sûre qu’il ne se serve pas du premier pas de travers pour assouvir son dessein et lui trancher la gorge.

             Le banc sur lequel elle était assise tressauta sur lui-même, la faisant quelque peu trembler tandis qu’une dense chaleur s’abattait de nouveau sur son profil gauche. Auruo venait de quitter sa position mais elle n’y prêta pas grande attention, le cheminement de ses pensées l’ayant orientée de nouveau sur la thématique de la trahison.

             Hier, la voix en elle lui avait déclaré quelque chose de crucial. A ses côtés se trouvaient trois traitres. Et elle ne pouvait confier cela à aucun haut-placé sous peine de se voir définitivement considérée comme membre du trio étant donné qu’elle n’était pas censée avoir accès à de telles informations.

— Caporal-chef Levi Ackerman ! s’écrièrent cinq voix de façon simultanée.

             Surprise par ce cri, elle releva la tête pour tomber sur une ligne parfaite composée d’Erd, Petra, Gunther, Auruo et Eren. Le dos raide et le poing droit figé sur le cœur, ils exécutaient un parfait salut militaire devant le puit que le titan regardait encore, quelques minutes auparavant. Et la jeune femme comprit pourquoi son camarade avait écourté si rapidement leur conversation.

             Il était là.

             Debout face aux soldats, le caporal se tenait. Depuis sa position légèrement en retrait, la jeune femme ne pouvait voir que son profil. Et tout chez ce dernier semblait avoir été taillé avec minutie. Son nez tombait en une précise ligne surplombant de fines lèvres marquant la naissance d’un menton délicat qui se terminait en une mâchoire taillée avec tant de précision qu’elle en semblait sculptée. Celle-ci soulignait une oreille derrière laquelle s’étendait une coiffure devenue sa signature, notamment les quelques mèches sauvageonnes s’échouant sur son front.

             Et, juste en-dessous de celui-ci, rivé sur les soldats comme la pointe d’une flèche, ses yeux perçants les détaillaient.

             Elle eut un frisson. Il y avait décidément quelque chose dans cette silhouette qui poussait son corps à réagir. Mais, étant donné l’aura imposante qu’il dégageait et ses capacités de combat, elle partait du principe qu’il faisait cet effet à tout le monde et qu’il s’agissait de peur, ni plus ni moins.

— Rompez.

             Sa voix, glaçante, rafraichit la jeune femme en cette chaude après-midi. Même s’il ne s’adressait pas à elle et ne s’était d’ailleurs toujours pas tourné en sa direction, elle ne pouvait s’empêcher de sentir son cœur battre avec force dès que cette musique grondante et tout en puissance faisait vrombir ses tympans.

             Étonnamment, l’homme ne s’attarda même pas sur l’insubordination de la jeune femme ou même de son frère qui ne l’avaient pas salué. Etant proche du deuxième, ils avaient abandonné ce genre de conventionnalités depuis plusieurs années maintenant. Mais, en ce qui concernait sa sœur, tous furent surpris de constater qu’il ne lui accorda pas même un seul regard.

             Elle ne s’en plaignit pas. Absorbée par ses pensées, elle n’avait pas prêté attention à sa venue et là était la raison pour laquelle elle n’avait pas imité les autres. Mais, s’il décidait de ne pas la sermonner pour cela, elle n’allait pas le poursuivre afin qu’il le fasse.

             Non. Elle était ravie qu’il l’ignore.

             Et ce fut d’ailleurs exactement ce qu’il se passa lorsque, sans un regard pour la femme qu’il avait pourtant remarqué —ses yeux s’étaient naturellement posés sur elle lorsqu’il avait pénétré la cour— il se tourna vers les soldats. Tous s’étaient détendus, relâchant leur bras le long de leur corps sans pourtant quitter leur position. Ils peinaient à faire le moindre geste en présence de cette force de la nature qu’était le noiraud.

             Ce dernier ne perdit pas un instant de plus.

Hanji nous rejoindra plus tard, la présence d’Edward suffit pour l’instant.

             L’homme, appuyé les bras croisés sur le puit, acquiesça mollement en direction de son ami.

— On va commencer.

 







***









             Un désastre.

             Ce mot résumait assez bien l’expérience et l’heure s’étant déroulée depuis que Levi avait ordonné son commencement. Une pause dans celle-ci s’était donc naturellement imposée où tous tentaient de noyer leur déception dans une tasse de thé brulante ne calmant pas leur état sous ce lourd soleil.

             La jeune femme accorda un clin d’œil compatissant à Eren qui, le dos vouté face à elle, ne s’en trouva pas apaisé malgré l’admiration qu’il lui vouait. Elle n’avait pas quitté le banc durant les différents essais, se contentant d’observer les soldats penchés au-dessus du puit depuis sa position. Et elle savait donc parfaitement qu’il n’avait pas réussi à lancer sa mutation ne serait-ce qu’une fois.

             Il se sentait minable. Non seulement il s’était découvert une nature similaire à ceux qu’il haïssait le plus étant donné que les rapports sur la disparition de son père attestaient qu’il était sans doute mort sous les crocs des titans, mais il ne pouvait en plus même pas se servir de son pouvoir à bon escient, incapable de contrôler ses transformations et l’être en lequel il se muait.

             Les yeux fixés sur ses mains bandées, il soupira. A quoi servait-il, finalement ? Incapable de muter comme il le souhaitait ou de rester pacifique avec ses alliés lorsqu’il prenait une forme titanesque, en quoi pouvait-il les aider ?

             Ses prunelles parcoururent les pansements épais et blancs pratiqués par Edward maintenant en retrait près du puit. Il devinait sous ceux-là les cicatrices des morsures qu’il s’était vainement infligé. Mais celles-ci étaient tout de même moins douloureuse que de devoir affronter le regard de la femme en face de lui.

             Sa force et ses capacités en général avait fait d’elle une figure d’autorité qu’il avait toujours profondément admirée. Alors échouer de la sorte face à cette soldate si douée ainsi que le héros de son enfance, Levi Ackerman, l’embarrassait atrocement.

             A leurs côtés, Gunther, Erd et Auro discutaient calmement. Assis sur la table aux côtés des deux nouvelles recrues, ils avaient tenté de rassurer le titan, sans succès. La mine accablée du garçon montrait assez clairement ce qu’il ressentait et ils n’en étaient pas vraiment étonnés. Aux vues des innombrables traces sur ses bras et mains, tous avaient réalisé qu’il avait vraiment tenté de se transformer.

             Alors il comprenait sa réaction.

             Derrière eux, leur montrant le dos, Petra et Levi discutaient. L’Extralucide ne percevait aucun mot de leur discussion et n’en avait honnêtement pas grand-chose à faire, occupée à détailler le large dos de son frère penché au-dessus du puit. Elle le connaissait assez pour savoir qu’il y ferait bientôt des prélèvements, tentant de débusquer une plante ou autre matière pouvant justifier que le titan ne soit pas parvenu à muter.

             Elle nourrissait également l’hypothèse selon laquelle Eren n’était pas responsable de cet échec. Il n’était pas normal qu’autant de morsures ne soient pas parvenu à l’amener à se transformer. Il y avait forcément quelque chose, là, dans cette cavité, qui expliquait ce qu’il s’était passé.

             Et elle sentait au fond d’elle qu’elle en aurait besoin bientôt.

— Tu ne t’es pas trop ennuyée ? l’interpella soudain la voix d’Erd à droite du titan.

             Elle sourit poliment au blond avant de nier d’un faible mouvement de tête, ne voulant l’embêter. Ce garçon était si bon et désireux d’aider les autres que lui dire qu’elle n’avait pas apprécié cette dernière heure —ce qui était le cas— aurait des chances de le pousser à en parler à Levi pour que, s’ils retentent un jour l’expérience, elle ait le droit de s’approcher davantage.

             Mais, malgré sa réponse à Erd, la vérité était qu’elle avait profondément détesté ce moment. Lorsque Gunther lui avait livré les ordres de Levi sur le fait qu’elle ne suivrait pas ses compagnons en forêt mais resterait avec eux pour cette après-midi, il avait aussi précisé qu’un banc serait installé dans la cour pour qu’elle s’y installe et n’y bouge pas, à moins d’un dérapage de la part du titan.

             Ainsi, sans même qu’il ne lui adresse la parole, la jeune femme avait deviné que le noiraud ne souhaitait pas la voir s’approcher de sa position et parler à Eren. Elle avait ainsi été contrainte de rester assise sur ce banc de bois, suant à grosses gouttes sous ce soleil tapeur sans ne rien savoir de ce qu’il se passait pendant une heure.

             Donc elle s’était bel et bien fermement ennuyée.

             Tout en soutenant le contraire à Erd, elle vit vaguement la silhouette d’Eren bouger dans le coin droit de son champ de vision mais n’y prêta pas grande importance. Malgré le peu d’occupations qu’elle avait pu mettre en place durant l’expérience, le fait que le blond lui ait mentionné celle-ci la poussa à repenser à certaines choses sur lesquelles elle avait réfléchi durant ce moment.

             La veille, sous la prise d’Ymir, cette voix habitant son crâne s’était manifestée. Comme prise de tourments, elle s’était montrée rude à entendre bien qu’elle était alors en train d’hurler dans sa boite crânienne. Et ses mots avaient su retenir son attention.

             Il existait trois traitres au sein de leurs rangs.

             Un frisson la reprit lorsqu’elle y songea de nouveau et la prise forte de la culpabilité vint s’abattre sur ses épaules. Elle était coincée avec cette information, incapable de faire un quelconque geste afin de l’utiliser à bon escient sans se mettre en danger.

             Si elle s’avisait de révéler ce qu’elle croyait savoir à ses supérieurs —d’autant plus que deux titans capturés avaient été occis la veille de son arrivée— les esprits échauffés par la possible et certaine présence d’un traitre les amènerait à l’exécuter. Cependant, si elle s’avisait de se taire, elle s’engageait aussi à prendre sur elle les évènements tragiques qui pourraient être conséquence de son silence.

             Or elle n’était même pas sûre que s’ouvrir porte ses fruits. Après tout, alors qu’elle avait clairement stipulé au caporal des instructions afin de sauver cinq de ses hommes —dont son frère— celui-ci avait préféré y voir une menace. Et la seule possibilité qu’elle avait aujourd’hui de se rassurer était que étant donné qu’elle serait sur les lieux de la mission, elle pourrait essayer de faire de son mieux pour parer la menace.

             Mais le problème était que, si elle savait un danger existant, elle n’avait en revanche pas la moindre idée de sa nature ni de sa capacité à l’endiguer.

             Elle soupira. Les doutes de Levi quant à sa loyauté la mettaient dans une position si délicate que son poing la démangea soudainement. Aussi petit de taille que d’esprit, songea-t-elle tandis qu’Erd, ayant vu son expression faciale changer quelque peu, se pencha en sa direction pour lui demander si elle n’avait pas trop chaud.

             Mais, lorsqu’il ouvrit les lèvres, aucun son n’en sortit. Ou plutôt, l’assourdissante détonation qui retentit à leur droite en couvrit chaque parcelle.

             Violente, une déflagration venait de retentir. A un point tel que la jeune femme sentit son cœur s’arrêter quelques instants sous l’effroi d’une telle stupeur et son corps s’immobilisa de lui-même, se plongeant dans un état de léthargie. Ses tympans percèrent de douleur sa boite crânienne tandis que le bruit sourd et tonitruant continuait de résonner dedans, comme écho d’un cauchemar.

             Elle eut tout juste le temps de voir le visage d’Erd se décomposer, chacun de ses traits retombant tandis que ses paupières s’écarquillaient avant qu’un écran noir ne s’abatte sur ses rétines. Et, alors qu’elle sentait le banc sous ses fesses glisser, signe que le violent souffle ardent s’abattant sur son profil droit la poussait quelques mètres plus loin, tout disparu peu à peu.

             Les sensations ne devinrent bientôt qu’un vague contact qui s’évanouit. Le banc sembla se fondre en un coussin moelleux qui finit par n’être qu’un vide, la température autour d’elle baissa drastiquement jusqu’à atteindre un état en dehors de ce qu’elle connaissait, simplement particulièrement reposant et le vent violent qui la poussait encore, quelques instants auparavant, s’abandonna à lui-même.

             Elle flottait dans le vide. Un espace dense et léger à la fois, dans une position qu’elle ne comprenait pas car elle ne sentait même pas les membres de son corps et ne pouvait le voir. Les yeux pourtant ouverts, seul un écran noir demeurait face à elle. Et elle était dans un état de paisibilité tel qu’elle ne songea même pas à pencher la tête pour se regarder.

Plus de sol sous ses pieds, de chaleur sur son corps ou même de souffle sur son profil. Paisible. Les yeux pourtant ouverts, elle ne voyait rien. Flottant dans un lieu qu’elle ne connaissait pas.

Il lui sembla qu’elle avait connu cet endroit, autrefois. Un lieu à la fois étrange et commun, familier et inconnu, protecteur et dangereux. Un repère des plus surprenants dans lequel elle se sentait peu à peu revenir à elle-même.

— Ils ont donné leur vie pour lui.

             Soudain, comme venu d’un autre monde, sa propre voix lui parvint. Malgré le ton étranglé et blessé de celle-ci, la jeune femme n’eut de réaction particulière. Car ce son lui était étrangement familier. Comme un vieux souvenir qu’elle ne pouvait définir comme bon ou mauvais. Un simple morceau du temps qu’elle n’avait jamais eu conscience d’avoir en mémoire mais qui était là.

             Dans sa tête.

— Pour ça ? A-t-il seulement le droit de salir leur mémoire ainsi ?

             Ses paupières papillonnèrent. De longs cheveux bruns noués en queue de cheval, des cernes profondes sous des yeux bleus semblant éteints, des traits que la guerre avaient fait émaciés. Eren.

             Elle avait en mémoire un soldat bien étrange, un compagnon différent du geignard qu’elle connaissait, une créature semblant tiré de leurs plus sombres cauchemars.

— Si tu laisses ce garçon poursuivre son but, Sacha ne sera pas la dernière.

             Soudain, inexplicable, dans ce lieu où il lui semblait que rien ne pouvait l’atteindre, un vide immense se creusa en elle. Aussi profonde qu’insensée, une douleur s’empara brusquement de son corps, serrant sa gorge comme un étau de métal tandis qu’elle entendait sa propre voix, semblant venir à la fois de loin et de près, de dedans et dehors, résonner en elle telle une bourrasque d’un autre monde.

             Quelque chose s’était produit.

— Je n’ai pas su l’arrêter…

             Cette phrase, dès lors qu’elle lui revint, déclencha en elle un torrent d’émotions si violentes qu’elle crut défaillir sous leur force. La panique agitait son cœur avec tant de brutalité qu’elle en avait mal à la poitrine tandis que la terreur tordait son estomac, lui donnant envie de rendre. Cependant, l’effroi étreignait sa gorge avec une telle fermeté qu’il lui était impossible de se défaire de ce mal et elle était condamnée à laisser l’effarement faire trembler ses membres.

             Une larme roula sur sa joue.

             Il y avait quelque chose, là, caché dans les méandres de son esprit si complexe que nul ne souhaitait voir. Un être fait de cauchemars qui en lui inspirait que la destruction, un état de léthargie intense qu’elle se rendait compte avoir connu par le passé. Et, qu’importe les mondes, elle en demeurait terrifiée.

— Il les a transformés, pas vrai ?

             Incapable du moindre mouvement mais agitée par les mains brutales de la peur et ses pairs, son corps ne semblait n’être rien de plus qu’un tombeau. Sans même qu’elle ne les ressente dans ce lieu étrange, des larmes ne cessaient de couler de ses paupières et des noms défilaient dans sa tête en une course inarrêtable, comme si elle n’avait cessé d’y songer durant un temps.

             Edward. Marco. Thomas. Erd. Gunther. Auruo. Petra. Dita. Mike. Nanaba. Erwin. Hanji. Emeraude.

             Au travers des larmes, ses pupilles se dilatèrent soudain.

             Emeraude.

— Calme-toi.

             Comme un élément déclencheur, la clé d’un coffre enfermant bien des mystères ou le salut d’une âme torturée. Emeraude. La couleur d’une cape ayant traversée des propriétaires. Le nom d’un passé ayant connu des cauchemars. La chance de réparer bien des erreurs. Emeraude.

— Tout va bien se passer, calme-toi.

             Son esprit bourdonnant, elle ne réalisait plus rien de ce qu’il se passait.

Emeraude. Ce nom lui était si familier et étranger à la fois. Il lui semblait qu’il s’agissait d’elle mais aussi d’une autre. Toutes ses pensées convergeaient en ces quelques syllabes et, les nerfs à vif, elle réalisait qu’il se trouvait en ce mot la clé d’un mystère.

— S’il-te-plaît, écoute le son de ma voix…

             Absorbée par le courant de ses pensées, pas une seule seconde elle ne prêta attention à ce qu’il se passait autour d’elle.

             Obnubilée, elle ne réalisait pas que la température avec remonté drastiquement, que ses vêtements étaient retombés autour de son corps, que sous ses pieds et mains se trouvaient de nouveau des éléments les touchant. Non. Elle ne comprit pas.

             Mais tous ceux présents dans la clairière, eux, en avaient bien conscience. Et, d’abord pris de court par l’explosion, ils se demandaient à présent qui était leur véritable ennemi. Car, face au spectacle se déroulant sous leurs yeux, rien n’était clair.

— Est-ce que tu m’entends ?

             Les mains levées, Edward était le soldat le plus proche de l’action. A quelques centimètres d’un buste imposant et décharné de titan, il avait penché le haut de son corps au-dessus de celui-ci afin de se rapprocher le plus possible de sa sœur. Il ne voulait pas hurler, voyant bien qu’elle se trouvait dans un état second. Mais il semblait que le mètre les séparant encore l’empêchait de se faire entendre.

             Au pieds du vestige de cette transformation avortée, trop surpris pour lever davantage leurs armes, Erd, Gunther, Auruo et Petra se tenaient en une ligne droit de l’autre côté du corps. Leurs mains tenaient mollement leurs sabres et, décontenancés par ce qu’il se passait, ils ne disaient mot, médusés.

             Face au corps et un peu plus proche de lui que ses subalternes se tenait Levi Ackerman. Son expression demeurait aussi ferme qu’à l’accoutumée mais son regard se voyait allumé d’une lueur que nul ne lui connaissait. Le menton relevé et les mains jointes dans le dos, pas une seule seconde il ne soupçonnait la façon qu’avaient ses prunelles de tanguer au-dessus de ses pommettes.

             En revanche, il était pertinemment conscient de ce qu’il se tramait à l’intérieur même de sa poitrine. La façon qu’avait son cœur de battre avec ardeur, faisant pulser son sang si rapidement dans ses veines qu’il avait la sensation d’être en transe ne lui était pas inconnue. Etrangement, il lui sembla avoir déjà éprouvé cela. Mais il n’en avait aucun souvenir.

             Seulement il ne prit pas le temps de méditer dessus, son regard posé avec soin sur ce qui avait attiré l’attention de tous, au centre de la cour. Et, une fois n’était pas coutume, il semblait avoir laissé Edward tenté d’apaiser seul la situation.

             Les jambes encore prisonnières de la chair de buste du titan, son corps affalé sur la nuque de celui-ci, Eren gisait. Sous ses yeux écarquillés se tenait des traits serrés d’effroi tandis qu’une forte prise sur ses omoplates le maintenait immobile.

             Devant lui, menaçant de tomber sur l’herbe sèche tant elle était en équilibre, une lame maculée de sang trainait sur le bord de la carcasse, tanguant au bout d’une vertèbre exposée. Et, hors de son champ de vision, il devinait les bras que sa camarade avait tranché avec force avant de l’immobiliser gisaient aussi.

             Tout s’était passé à une vitesse anormalement soutenue.

             Alors que l’explosion retentissait, tandis que la soldate aurait dû se retrouver propulsée comme chaque autre personne présente à proximité —d’autant plus qu’elle était alors la plus proche d’Eren— celle-ci s’était muée à l’encontre du souffle de la déflagration. Et, sans que personne n’en voit rien —occupés à se remettre du choc de ce qu’il venait de se passer— elle s’était jetée sur le garçon qui sortait alors du corps avant d’abattre une première lame sur ses épaules, lui arrachant un hurlement tel que tous s’étaient automatiquement relevés en un bond.

             Et, là, ils l’avaient vue.

             Debout sur le dos de la bête inachevée, son pied posé sur les omoplates du garçon et forçant celui-ci à rester cloitré contre la nuque de son métamorphe, elle se tenait. Autour d’eux, imbibant la scène d’une marre d’hémoglobine, de grandes flaques de sang s’écoulaient des membres arrachés du garçon, touchant le sabre dont elle s’était servie avant de le jeter sur la carcasse et frôlant les bras amputés se trouvant quelque peu en retrait.

             Bien qu’entrainé, face à cette soldate d’ordinaire si douée et pourvu d’un nouvel handicap, le brun ne pouvait rien faire. Alors, les yeux écarquillés tandis que d’autres couinements de douleur menaçaient de franchir ses lèvres, il se contenta de laisser le blond tenté d’apaiser sa sœur.

             Car, celle-ci fixant la pointe de sa deuxième lame avec fermeté sur sa nuque, nul ne pouvait tenter la moindre action. Au moindre sursaut, le brun mourrait. Alors, un peu en retrait, leurs seuls espoirs demeuraient fixés sur le blond.

             Les yeux écarquillés sur la nuque de sa cible, la soldate ne semblait pourtant rien entendre de ce que son frère disait pour l’apaiser. Son regard semblait à la fois vide et plein, en proie à une lourde cécité mais habité d’étranges visions. Et, soudain, Edward remarqua que ses lèvres bougeaient avec frénésie.

             Il se tut alors, tentant de comprendre ce qu’il se passait. Ses paroles cessant de couvrir celles moins sonores de la femme, les trois hommes les plus proches d’elle —lui, Eren et Levi— purent nettement entendre ce qu’elle répétait inlassablement.

             Et, sans trop savoir pourquoi, le caporal sentit une forme de peur s’emparer de lui lorsqu’il réalisa ce qu’elle disait.

— Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement. Je dois endiguer le Grand Terrassement…

             Un frisson le prit. Ses pupilles s’écarquillèrent. Et, relevant la tête, il ne sut trop ce qui le poussa à déclarer d’une voix forte et audible de tous.










Emeraude ?

 















vous pensez que levi va péter un câble ou pas ?

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