𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟑
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S01E15
petit spoiler
Le soleil couchant projetait de délicates nuances rougeâtres dans le réfectoire lorsqu’Emeraude y fit son entrée. En ouvrant la porte, elle attira le regard de nombre de nouvelles recrues arrivées la veille. Elles la détaillèrent attentivement.
Les bataillons d’exploration comptant de nombreux soldats, les nouveaux n’avaient bien sûr pas eu le temps de tous les connaitre. En une journée de temps, ils n’avaient assimilé que quelques noms à des visages : les chefs d’escouade et les membres de celle du caporal-chef Levi Ackerman.
Seulement, même si la jeune femme ne faisait pas partie de cette dernière, elle n’était pas non plus restée inconnue aux yeux des arrivants. Surtout à ceux de la 104ème brigade d’entraînement dont était issue Eren. Là-bas, tous avaient eu vent de son exploit de la veille.
Le titan n’ayant que peu d’informations sur la mystérieuse Emeraude —ses collègues ne lui en avaient rien dit par respect pour la vie privée de la jeune femme—, il les avait tenus informés dans les limites de ses connaissances. Autant dire que son portrait était plutôt vague et grossier.
Elle n’était officiellement membre d’aucune escouade et le caporal préférait l’envoyer récurer les latrines que s’exercer à manier le système tridimensionnel donc la logique voudrait qu’elle ne soit pas soldat. Or elle avait constamment un uniforme sur les épaules, avait eu accès au tribunal militaire et maniait les armes comme nombre de membres des bataillons ne parvenaient pas à le faire. Sans atteindre le niveau de Levi ou Mike, elle était tout de même très douée. Ainsi, il n’avait strictement aucune idée de ce qu’elle pouvait bien faire là.
Lorsqu’elle sentit tous ces regards sur elle, la jeune femme accorda un bref coup d’œil au petit groupe. Comprenant Eren Jäger qu’elle connaissait déjà, ils étaient neuf. Trois filles pour six garçons. Elle jugea d’ailleurs que certains avaient de bonnes têtes de vainqueurs.
— Emeraude ! la héla une jolie blonde depuis leur table, s’attirant les regards réprobateurs de ses acolytes.
Sentant bien qu’elle n’était pas la bienvenue à la réaction qu’eurent les soldats, elle décida de les rejoindre d’un pas ferme et décidé. Le nez levé en une position confiante, elle les toisa de toute sa hauteur. Levi déteint beaucoup trop sur moi, songea-t-elle sans pour autant abandonner sa posture.
Elle ne faisait pas confiance au garçon qu’elle n’appréciait pas non plus d’ailleurs. En effet, elle se sentait plus que fatiguée par ses longs discours centrés sur sa personne et les multiples remises en question qu’il leur servait à chaque repas. Et, même s’il n’en disait rien pour ne pas s’attirer les foudres du caporal, elle sentait bien qu’Auruo était du même avis.
Ainsi, elle comptait bien les rejoindre d’un pas ferme et décidé pour leur montrer qu’ils n’avaient pas à faire à n’importe qui. Soit, elle n’était pas encore soldat et n’avait donc techniquement pas la moitié de leur grade qui était pourtant le plus bas. Mais elle ne souhaitait pas se faire mener en bateau par une bande de marmots.
Elle se fichait bien des probabilités qu’Eren soit sincère dans le vœu d’aider l’humanité. Elle sentait dans son comportement une prédisposition à penser qu’il était normal que ses frères d’arme meurent pour lui. Et elle comptait bien endiguer ses amis qui semblaient vouloir le conforter dans cette idée.
— C’est moi, répondit-elle simplement en s’arrêtant devant eux.
Elle les détailla rapidement. Aux côtés d’Eren se trouvait une japonaise aux cheveux courts —qu’elle reconnaissait du tribunal— et un garçon chétif aux cheveux dorés lui arrivant à hauteur des épaules. A côtés d’eux se trouvait un costaud blond flanqué d’un grand brun fin comme une brindille. A droite de la jeune fille qui l’avait interpellée, une femme brune aux regard sévère rivait son nez retroussé vers elle. Je ne sais pas pourquoi, mais celle-là me plaît bien, songea finalement Emeraude avant de regarder les deux derniers : un gamin aux cheveux trop courts et un châtain au visage allongé.
— Moi c’est Christa, tu veux rester un peu avec nous ? demanda-t-elle avec un doux sourire aimable.
Même si elle apprécia la démarche de la jeune fille, elle fut quelque peu embarrassée par les regards appuyés que lui lancèrent alors le trio dont Eren était membre. Si les autres semblaient se ficher royalement de ce qu’Emeraude déciderait de faire, eux ne désiraient clairement pas qu’elle vienne.
Elle se souvint soudainement des années qu’elle avait passé dans son village natal à mendier aux portes de personnes qui considéraient sa venue au monde comme signe de malédiction. Le seul à avoir accepté de leur adresser la parole, à elle et son frère, avait été Carlos Juan, celui qui avait réellement vu l’enfer et savait donc qu’ils n’avaient rien avoir avec ça. En entrant dans son salon pour la première fois, jamais elle n’aurait cru que cette simple action lui permettrait de prendre conscience de qui elle était.
Après avoir perdu l’usage de ses jambes lors d’une expédition, il avait décidé de passer le flambeau. Malgré tout, il avait gardé en tête tout un tas de récits et même conservé une correspondance avec de vieux amis comme Dot Pixis. Ainsi il avait été en mesure de leur livrer de vieilles et nouvelles anecdotes. La formation de l’escouade Levi étant postérieure à son départ de l’armée avait, par exemple, pu être rapportée à la jeune femme grâce à la correspondance du vétéran. Ce dernier avait aussi demandé la livraison d'appareils tridimensionnels pour qu'elle et son frère puissent s'entraîner.
Des années plus tard, c’est donc avec ce léger goût amer envahissant sa bouche qu’elle réalisa qu’elle n’était toujours pas la bienvenue. Seulement aujourd’hui, quelque chose avait changé. Elle n’était plus seule. Elle avait des amis avec elle et ceux-là venaient d’entrer dans la salle.
— Emeraude, ramène tes fesses ! l’interpella Auruo en prenant place à la table la plus proche de la porte.
Elle jeta alors un regard aux visages bienveillants d’Erd, Petra, Gunter et Auruo. Là, elle comprit qu’elle se sentirait bien mieux à leurs côtés. Car ils étaient ses amis.
— Non, merci, répondit-elle simplement à Christa.
Elle ne prit pas le temps d’observer la réaction de celle-ci et lui montra le dos en offrant un sourire aux quatre soldats attablés. Erd le lui rendit, faisant battre son cœur davantage. Eddie ? se demanda-t-elle avant de se reprendre. Il fallait, au moins jusqu’à ce qu’elle le retrouve, qu’elle parvienne à vivre sans lui.
Tout en se dirigeant vers ses amis, elle remarqua qu’ils n’étaient pas venus les mains vides. Le blond tenait divers rouleaux de parchemin tandis que Petra, un doux sourire accroché sur ses lèvres, disposait des plumes de différentes tailles. Auruo, lui, se faisait sévèrement réprimandé par Gunther qui estimait que, vu le cout de l’encre, il ne pouvait se permettre de manipuler leur réceptacle de façon si maladroite.
Et, en effet, à l’instant même où Emeraude arriva à hauteur de la chaise qu’Erd avait tiré pour qu’elle s’asseye, le blond cendré laissa un encrier s’échapper de ses mains. Les exclamations du brun décuplèrent lorsqu’il vit l’objet tomber, attirant l’attention des trois autres.
Lorsque la jeune femme se tourna vers le pot, elle écarquilla les yeux. Sans même s’en rendre compte, elle avait tendu son bras en direction de l’objet que sa main gauche enfermait solidement. Pas une goutte d’encre n’avait coulé grâce à elle.
— Joli réflexe, la félicita Erd avec un clin d’œil.
Surprise par le pouvoir de son sixième sens qui n’avait cessé de s’accroître ces derniers jours, elle ne remercia pas le blond de lui avoir fait ce compliment. Son instinct commençait à beaucoup la surprendre, notamment la façon dont il se développait en l’absence d’Eddie. Comme si sa rencontre avec l’escouade lui avait permis de commencer à développer son plein potentiel.
Ses pensées quant à son évolution personnelle furent brutalement interrompues par Auruo :
— Bon la morveuse, on va pas passer par quatre chemins. Levi nous a expliqué ton petit souci et on a pour instruction de le régler dans les trois semaines qui nous séparent de la prochaine mission. Compris ?
La jeune femme se tut durant quelques instants, mettant du temps à assimiler les différentes informations qu’on venait de lui donner. Tout d’abord, le caporal avait partagé ce qu’elle aurait aimé ne rester qu’un secret, ce qui ne la mettait pas grandement à l’aise. De plus, elle pensait que le noiraud allait prendre en charge seul de l’instruire mais il avait préféré déléguer cette tâche à ses soldats. Elle ne sut pourquoi mais elle fut légèrement déçue à cette nouvelle. C’est normal, Emeraude. En tant que caporal-chef, il a des choses bien plus importantes à faire, tenta-t-elle de se reprendre sans grand succès.
Par ailleurs, elle avait tiqué sur le dernier élément qu’avait cité Auruo. Leur prochaine excursion extra-muros ne serait que dans trois semaines. Le temps passait incroyablement vite. Emeraude avait l’impression de ne les avoir rencontrés que la veille alors qu’une dizaine de jours s’était déjà écoulée. De plus, elle n’était pas sûre de vouloir les voir partir.
— Etant donné que tu parles déjà notre langue, ce sera plus facile pour nous de t’apprendre à lire et écrire. Rectification : on va t’apprendre à déchiffrer. Tu as déjà fait la majeure partie du travail, la rassura Gunther avec un clin d’œil.
A ces mots, elle acquiesça frénétiquement avec un sourire. Son mouvement de tête lui permit aussi de se remettre quelque peu les idées en place. Il lui fallait cesser de se faire du mouron pour tout et n’importe quoi. Aujourd’hui, tout allait bien et là était le principal.
Ils déplièrent tous un rouleau devant eux et elle les imita. Ensuite, Petra leur tendit des plumes ainsi que des encriers et expliqua calmement qu’ils allaient commencer par dénombrer les voyelles qui, selon elle, était les lettres les plus faciles à assimiler.
Les garçons la regardèrent d’un air émerveillé. Emeraude, de son côté, se contenta de lui sourire, reconnaissante. La rousse était bien la seule à avoir préparé ce premier cours et elle en était réjouie. Si Auruo, Gunther et Erd avaient été ses uniques instructeurs, son apprentissage aurait sans doute été plus long. Bien plus long.
Après avoir énuméré les voyelles, l’enseignante entreprit de tracer un « a » aux côtés d’un « A » et demanda à son amie de les reproduire. Celle-ci s’exécuta et, d’une main tremblante, dessina les courbes de la lettre. Elle n’eut pas besoin d’un regard expert pour se rendre compte de la médiocrité de son premier essai.
— Mon dieu mais il a froid ton « a », pour trembler comme ça ? demanda Auruo de sa voix bourrue en désignant l’esquisse.
Faisant preuve d’une grande maturité, Emeraude se tourna vers l’homme et lui tira la langue. Petra, de son côté, reprit à l’ordre le soldat en lui rappelant que c’était la première fois pour la jeune femme qu’elle tentait d’écrire et que selon elle, ce n’était pas si mal. Preuve en était : même si elle n’était pas esthétique, la lettre était reconnaissable.
Après avoir défendu la novice qui la remercia d’un hochement de tête reconnaissant, elle laissa la parole à Gunther qui venait de se pencher sur son rouleau, signe qu’il souhaitait prendre la parole.
— Ceci est la majuscule, forme que prend la lettre en début de phrase et de noms propres mais on verra cela plus tard. Et ceci est la minuscule, présente quasiment partout.
Avec un froncement de sourcil montrant qu’elle consacrait tout sa concentration à leur leçon, elle acquiesça énergiquement. Elle se souvenait bien avoir déjà vu de nettes différences entre la taille des signes qui débutaient des phrases et le reste. Elle comprenait maintenant de quoi il s’agissait.
Erd se racla la gorge et, désignant l’esquisse d’Emeraude de la pointe de sa plume sèche. Puis, il prit la parole :
— Ceci produit le son « a » que tu peux entendre, par exemple, dans le mot « abruti », expliqua-t-il en lançant un regard appuyé à Auruo.
Elle hocha la tête non sans dissimuler son sourire, particulièrement friande des moments où les trois soldats s’amusaient à titiller le quatrième.
— Dis donc, je rêve ou tu m’as regardé en disant ça, morveux, demanda l’homme en fronçant les sourcils. Je devrais me sentir visé ?
Sentant que le cours allait très vite se muer en un spectacle des plus cocasses, Emeraude se désintéressa bien vite de son rouleau pour regarder le blondinet, excitée à l’idée d’entendre sa réponse. Gunther et Petra, particulièrement joueurs, avaient d’ailleurs fait de même.
Erd, sentant ces regards sur lui, comprit bien vite qu’il ne pouvait se permettre de décevoir son public. Alors, abandonnant les instructions du caporal et donc son devoir de faire cours à son amie, il afficha un rictus moqueur :
— Ai-je bien entendu « morveux » ? railla-t-il. Nous venons de la même brigade, petit.
Les trois autres se tournèrent alors vers Auruo, les yeux s’agitant frénétiquement dans leur cavité à mesure que leur excitation grandissait. Ils adoraient ce genre d’échanges. Etant donné que tous étaient assez liés pour comprendre que leurs pseudos disputes n’étaient que des façons étranges de se montrer leur affection, se parler de la sorte ne les dérangeaient pas. Bien au contraire.
— Tu me sembles bien sûr de toi, le blondinet. Drôle de façon de parler à quelqu’un de meilleur que toi, tu ne trouves pas ? riposta-t-il.
— Il est vrai que tu excelles dans l’art de la condescendance, je te le concède.
— Non, non, non, petit, chantonna alors Auruo. Et tu sais très bien de quoi je parle… J’ai tué à moi seul 39 titans alors que toi, tu n’en as eu que 14.
Tous se tournèrent vers le blond d’un seul mouvement, désireux d’avoir sa réponse. Il est vrai que le point faible du soldat était aussi son point fort : il avait de grandes difficultés à travailler en équipe. Et ceci expliquait donc pourquoi il était celui ayant le plus tué de titans en solo dans l’escouade —à l’exception de Levi, bien entendu, qui ne les comptait plus.
Seulement Erd savait exactement quoi riposter. Et ceci eut l’effet d’une bourrasque sur le petit groupe.
— Moi au moins, je ne me suis pas pissé dessus lors de ma première mission.
Emeraude lâcha un cri de surprise accompagné d’un bond sur sa chaise qui fit crisser celle-ci. Autour d’elle, Gunther et le blond la regardèrent avec amusement tandis que les deux autres semblaient bien moins détendu face au sujet abordé.
— On avait dit qu’on remettrait plus ce sujet sur le tapis, protesta la rousse de vive voix.
En fond sonore s’élevait le rire de la jeune femme qui s’était attendue à bien des choses, mais pas à ce genre de révélations. J’y crois pas, il se permet de me prendre de haut à longueur de journée alors que sa vessie s’est plus exprimée que ses sabres lors de sa première excursion, pensa-t-elle en tapant frénétiquement des mains à mesure que son esclaffement amplifiait.
— Tu dis ça parce que, toi aussi, tu t’es pissée dessus ! répondit alors le blond.
Dans un autre hurlement sonore, Emeraude tomba de sa chaise tant son hilarité secouait son corps. Alors Petra aussi ? Les yeux écarquillés, elle sentit ses poumons la bruler tant l’air lui manquait. Mais les endorphines dans son corps l’aidaient à apprécier cette douleur. Une larme roula sur sa joue tandis que ses amis la regardaient s’esclaffer tout en se disputant amicalement.
Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls à l’observer se rouler sur le sol. Derrière la porte menant au réfectoire, un fin rictus aux lèvres, le caporal la détaillait. Lui qui était venu pour surveiller l’avancement de la leçon avait été plus que surpris en voyant ce qu’il se tramait dans le réfectoire. Mais cela ne l’énervait pas.
Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus entendu ce si joli son ni vu de sourire sincèrement amusé sur le visage de ses hommes. Et cette vision l’apaisait considérablement.
Alors, sans signaler sa présence, il les regarda encore quelques instants. Puis, se concentrant sur Emeraude qui était la plus bruyante de tous, il sentit son simple rictus se muer en un sourire. J’aurais tellement aimé que tu la vois ainsi.
⏂
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top