𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟐


𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS








S01E15
petit spoiler









             Tout en se tordant les doigts, Emeraude avançait sur le pont de pierre aux côtés d'Hanji. Excitée comme à son habitude, la scientifique ne tenait pas en place. Elle décrivait avec un grand sourire ainsi que de grands gestes combien le fait d'étudier Eren pourrait révolutionner leurs recherches sur les titans.

             Seulement il ne lui fallut pas bien longtemps avant de remarquer la petite mine de la jeune femme. En plus d'être particulièrement attentive à autrui, la brune avait des prédispositions à comprendre ce qui tracassait son acolyte. Comme si elles étaient faites pour s'entendre.

— Tout va bien ? Tu m'as l'air anxieuse, lui dit-elle alors.

             Le soleil se levait progressivement dans le ciel depuis l'Est, signe que la matinée n'était pas près de se terminer. Et en effet, nombreuses étaient les tâches qu'elles avaient encore à exécuter avant midi. Elles revenaient tout juste d'une balade dans les bois et devaient maintenant s'atteler à leur travail.

             Emeraude garda le silence durant quelques instants, pas sûre de vouloir connaitre la réponse à la question qu'elle s'apprêtait à poser. Hanji attendait pourtant qu'elle le fasse, bien décidée à ne pas la laisser filer sans avoir eu d'explications quant à son humeur.

             Voyant que la brune ne relançait pas un autre sujet de conversation, elle comprit qu'elle n'allait pas pouvoir s'en tirer comme ça et qu'il valait donc mieux qu'elle crache le morceau. Ce qu'elle fit après un raclement de gorge embarrassé.

— Hmmmm... Bon... hésita-t-elle un peu. Disons que j'ai rencontré le major hier et qu'il m'a dit quelque chose d'assez troublant...

             Si Hanji fronça quelque peu les sourcils en entendant cette amorce, elle n'en dit rien. L'encourageant d'un hochement de tête tandis qu'elles passaient devant les écuries, elle tendit la main silencieusement vers un garçon tenant diverses feuilles de différentes tailles. Le courrier officiel provenant de hauts placés.

— Selon lui, le caporal serait au courant que j'enfreins... une minuscule petite règle de rien du tout, se hasarda la jeune femme en regardant Hanji trier les lettres qui lui étaient destinées de celles à l'intention du noiraud.

— Oh, tu parles des hurlements de taureau que tu lâches toutes les nuits après avoir volé notre matériel alors que tu es interdite d'entrainement du fait que tu n'es pas soldat ? répondit-elle à toute vitesse sans pour autant s'interrompre dans sa tâche. Bien sûr que oui, il est au courant.

             Emeraude se raidit de suite à cette réponse, interrompant sa marche tandis que son amie franchissait le portail menant à l'intérieur de la bâtisse. Concentrée sur les différentes missives, Hanji ne remarqua pas que son interlocutrice s'était immobilisée et ne s'arrêta donc pas.

             Réalisant que la scientifique n'allait pas l'attendre, la jeune femme se força à surmonter le choc et la panique qui venaient de la frapper à cette réponse et courut rattraper la brune. Comment ça il est au courant ? Et depuis combien de temps ? Pourquoi il m'en a pas parlé ? Pour me faire mariner ? Ah ouais c'est bien son genre ça. Mille et une questions se bousculèrent dans sa tête durant les quelques pas qu'il lui fallut pour rejoindre Hanji.

— Attends ! s'exclama-t-elle. Comment il sait ?

             Hanji éclata d'un rire court mais franc en lui fourrant une partie des lettres dans les mains. Encore sous le choc suite à la révélation qu'elle venait d'avoir, elle les accepta sans broncher. Elle craignait énormément la sentence que serait celle du caporal face à son infraction.

— Tu rigoles, j'espère ? s'enquit la brune en se tournant vers elle. Les sangles de l'équipement tridimensionnel d'Erd sont serrées un maximum chaque matin comme si quelqu'un de bien plus maigre s'en servait en son absence, des cris et bruits de verre brisé retentissent chaque soir...

             La brune interrompit son pas devant une porte, montrant à son acolyte que leurs chemins se séparaient ici.

— De plus, joli cœur, je ne veux pas t'offenser mais le château est doté d'une multitude de fenêtres. On peut te voir littéralement depuis chacune des chambres ainsi que depuis..., elle marqua une brève pause, ...le bureau du caporal.

             Là-dessus, Hanji ouvrit la porte pour s'engouffrer dans la salle qui lui servait temporairement de laboratoire. Juste avant de fermer derrière elle, elle prit le soin de demander rapidement à son amie de transmettre les lettres qu'elle avait entre les mains à Levi car elle n'aurait pas le temps de le faire pour sa part.

             Le cœur battant à tout rompre, Emeraude baissa lentement les yeux vers les dites missives. Déjà qu'elle n'était pas particulièrement détendue à l'idée de le voir à l'ordinaire, alors cette dernière révélation venait de sérieusement compliquer les choses. Elle qui avait vu à quoi pouvait ressembler un rappel à l'ordre de Levi Ackerman durant le procès d'Eren ne pouvait que déglutir difficilement à l'idée d'être la cible de son courroux.

             Tremblante, elle se tourna néanmoins vers l'escalier au bout du couloir menant à l'étage supérieur. Tentant d'avaler vainement la bulle d'air qui obstruait son œsophage, elle s'engagea en direction des marches d'un pas incertain. Ses paumes devinrent moites et elle craignit de salir les lettres en suant dessus.

             Elle chercha autour d'elle un soldat, n'importe lequel, qu'elle pourrait interpeller pour lui déléguer cette mission. Mais, comme si l'univers voulait qu'elle paye pour avoir enfreint les règles, nul ne vint croiser sa route. Alors elle se mit à penser.

             Tout en gravissant l'escalier, une série de suppositions lui vint. Peut-être qu'il a demandé à Hanji de m'envoyer pour qu'il puisse me tuer dans son bureau ? Non, il n'aime pas la saleté. Alors peut-être qu'il me donnera rendez-vous à la rivière pour me noyer ? Comme ça, pas de sang ni de bruits : propre. Mais ce n'est pas vraiment son style... Alors peut-être va-t-il saboter mon équipement pour que je meurs durant un entrainement ? Ou alors il ne veut pas me supprimer, simplement me blesser très gravement...

             Sans qu'elle ne s'en rende compte, absorbée par ses morbides réflexions, la jeune femme était arrivée à destination. Le sol du premier étage n'était plus en pierre mais en bois, contrairement aux murs couverts de tapisseries afin de préserver la chaleur. Chaque porte était ouvragée, formant un contraste avec les surfaces lisses et ennuyeuses de celles du rez-de-chaussée.

             Juste devant la jeune femme, l'une d'elle se dressait, terrifiante. Le silence aux alentours était assourdissant. Il semblait vouloir lui prouver que, même si elle criait de tout son être, nul ne viendrait la secourir.

             A cette pensée, elle voulut prendre ses jambes à son cou et fuir loin. Très loin. Seulement une voix prodigieusement grave au ton indéchiffrable la rappela soudain à l'ordre.

— Entrez, prononça-t-elle depuis l'intérieur de la pièce lui faisant face.

             Emeraude se raidit. Je n'ai même pas toqué, comment il a fait pour savoir ? Sa peur ne fut qu'accrue par la prise de parole du noiraud. Sans même qu'elle ne se manifeste, il l'avait entendue marcher dans le couloir et avait compris qu'elle venait vers lui. Etant la seule personne actuellement à l'étage, le caporal s'était juste montré logique. Mais la jeune femme était trop apeurée pour réfléchir correctement et deviner ce simple fait.

             Comprenant qu'il ne valait mieux pas le faire attendre, elle s'exécuta et posa maladroitement sa main sur la poignée qu'elle tourna. Puis, elle poussa la porte qui s'ouvrit, dévoilant l'intérieur de la pièce.

             Elle n'était pas bien grande. Sur les côtés, des armoires massives en bois s'élevaient, encadrant le bureau splendide trônant au fond de la pièce, juste devant une large fenêtre laissant filtrer les puissants rayons du soleil. Ceux-là projetaient leur délicate couleur sur les innombrables piles de papiers couvrant le tapis ainsi que le meuble où était assis Levi.

             La tête penchée sur ses dossiers, il ne se redressa pas lorsqu'elle pénétra dans la pièce, bien trop concentré à étudier la stratégie militaire que lui avait apporté le major la veille. Il lui fallait répartir ses soldats en prenant en compte des atouts et points faibles de ces derniers, ce qu'il ne connaissait pas forcément. Voilà pourquoi les dossiers des jeunes recrues étaient éparpillés sur le tapis malgré sa haine du désordre.

— Qui est-ce ? demanda-t-il en griffonnant un nom sur une case.

             Emeraude, peu habituée aux pratiques militaires, se contenta d'un « moi » vague qui lui valut un roulement des yeux de la part de Levi qui la reconnut tout de même à sa voix. Et aussi grâce au fait qu'elle était bien la seule imbécile qui n'exécutait jamais un salut militaire accompagné d'une marque de respect à son égard. Mais je ne peux pas lui en vouloir de ne pas connaitre les codes de l'armée, elle n'est pas soldat.

— Que veux-tu ? demanda-t-il simplement, toujours sans lui accorder un regard.

             Même s'il était froid, il ne semblait pas en colère. Du moins, rien ne laissait présager qu'il avait pour projet d'intenter à sa vie dans les plus brefs délais. Elle en fut soulagée et se sentit donc légèrement plus à l'aise.

— J'ai des lettres de Trost pour vous.

             Le caporal eut un léger rictus moqueur et, tout en griffonnant de nouveau sur son plan, se permit une remarque :

— Tu me vouvoies ? Je ne suis pourtant pas ton supérieur.

             Même s'il ne l'avait toujours pas regardée —ce qui aurait sans doute eut raison d'elle— la jeune femme crut défaillir. Elle était particulièrement embarrassée d'avoir tenu de tels propos à l'encontre du caporal.

— Oui, répondit-elle fermement, reconnaissant son erreur. Mais vous manquer de respect de la sorte était déplacé. Non seulement vous m'offrez le gîte et le couvert mais vous avez en plus usé de votre position pour demander à un haut gradé de mener une enquête sur la disparition de mon frère. Vous tenir tête n'était pas la meilleure façon de vous remercier. Je vous prie de bien vouloir m'en excuser.

             Abasourdi par sa réponse, Levi avait cessé d'écrire et maintenait sa plume levée au-dessus de son plan. De ses yeux écarquillés, il fixait le papier sur lequel il écrivait. Emeraude, trop occupée à faire son mea culpa, ne releva même pas le fait que pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, il affichait une expression trahissant ses pensées.

— De plus, je me doute bien que vous ne vous êtes pas montré si rude envers moi simplement par amusement, céda-t-elle en baissant les yeux. J'ai pris du temps à le réaliser mais je comprends maintenant pourquoi vous me traitiez de la sorte. Vous aviez raison : je ne suis pas faite pour être un soldat. La preuve en est, je n'ai absolument pas confiance en Eren et mon intervention d'hier montre bien que je ne fais pas non plus entièrement confiance à Petra, Auruo, Gunter et Erd. Sinon je les aurais laissés...

— Tu as toutes les qualités requises pour devenir un soldat des bataillons d'exploration. Et un excellent, la coupa-t-il brusquement.

             Surprise, elle se tut soudainement en croisant son regard qu'il avait finalement levé vers elle en déclarant ces mots. Lorsqu'elle tomba nez à nez avec ses prunelles brûlantes, elle sentit une délicate chaleur se répandre dans son bas ventre. Pour la première fois, il n'avait pas posé ce voile opaque sur ses iris, dissimulant leurs profondeurs. Ainsi, elle se sentait percuter par la puissance dévastatrice de celles-ci.

             La gorge sèche, elle ne songea même pas à reprendre la parole. Ce contact visuel l'ébranlait considérablement et les mots qu'il venait de prononcer la rendait fébrile. Levi Ackerman pense que je ferais un excellent soldat ? Elle ne sut pourquoi, sans doute parce que son approbation était encore plus dure à acquérir, mais la jeune femme fut davantage chamboulée par cette déclaration que par celle, exactement pareille, qu'avait fait le major la veille.

— C'est un dilemme presque impossible. Se fier au jugement de fidèles compagnons entraînés ou au sien, choisir en qui avoir confiance. Hier, tu as fait ce choix et nul ne s'en est sorti blessé. Peut-être l'égo de certains a été secoué mais tu as sans doute évité une catastrophe.

             Emeraude sentit ses joues rosirent à ce compliment. Elle n'en recevait que très rarement et se doutait qu'il n'en formulait qu'encore plus rarement. Elle se sentait spéciale en cet instant précis. Comme s'il n'avait fallu que ces paroles pour que ses rêves d'enfant lui soient enfin accessibles.

— Hormis cela, lis-moi le nom de ceux qui m'ont envoyé ces lettres, demanda-t-il pour couper court à cette effusion qui le mettait mal à l'aise.

             Aussitôt, la jeune femme sentit son sang se glacer dans ses veines tandis qu'il retournait calmement à ses écrits. Elle baissa les yeux vers les missives qu'elle inspecta soigneusement, déglutissant péniblement sans ne rien dire.

             Quelques longues secondes passèrent au bout desquelles elle ne dit toujours rien. Intrigué, le caporal releva la tête lorsqu'aucune réponse ne vint et tomba alors sur une Emeraude tremblante qui, les yeux écarquillés et le teint blême, fixait les lettres manuscrites écrites à l'encre.

             C'est alors qu'il comprit. Avec un rictus en coin, il abandonna sa plume pour croiser les bras contre sa poitrine. Puis, se calant plus confortablement dans son siège, il regarda encore quelques instants la panique se lisant sur les traits de la jeune femme avant d'intervenir de sa voix calme et grave.

— Mais bien sûr. Comment une jeune sans-abri qui n'a même pas eu l'opportunité de se doucher pourrait avoir eu accès à des cours ?

             Les mains de la concernée se crispèrent sur les lettres, les froissant quelque peu. Il avait visé juste. Dans leur village, seul le vétéran acceptait de leur adresser la parole. Elle et son frère étaient des parias, sa naissance douloureuse étant considérée comme porteuse d'un mauvais présage. Si le vieil homme avait pu parfois, dans les limites de ce qu'il avait, leur fournir de la nourriture et son vieil équipement militaire, il n'était pas allé jusqu'à prendre en charge leur éducation.

— Tu ne sais ni lire, ni écrire, pas vrai ?

             Mal à l'aise, elle n'osa pas lever les yeux vers le caporal. Pourtant, aucune condescendance ou forme de jugement ne se laissait entendre dans sa voix. Il lui posait une simple question. Et elle y répondit donc d'un simple hochement de tête.

             Il y eut par la suite un silence. Assez pesant, il encombra l'atmosphère durant quelques instants qu'elle subit en tremblant. Les lettres entre ses mains ne se froissèrent que davantage sous sa prise. Serait-il capable de me punir parce que je suis analphabète ? songea-t-elle soudain en sentant ses spasmes devenir encore plus violents.

             Il coupa court à son attente d'une simple phrase. Courte et directe, il la déclara d'une voix froide et ferme. Sans appel.

— Dans le réfectoire, demain au couché du soleil. En attendant, veuillez disposer...

             Il marqua un bref temps d'arrêt.





— ...soldat.







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