𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
Ils étaient arrivés trop tard.
Debout sur le toit rouge d’une maison de Shiganshina, l’Extralucide attirait les regards de ses compagnons. Le dos droit et la tête haute, elle rivait des iris aussi froides que fermes sur l’Enfer qui avait pris place dans les rues tandis que ses camarades semblaient attendre désespérément ses instructions.
Seuls. Ce mot les décrivait bien. Suite au sombre présage annoncé par la jeune femme, pas une seule seconde ils n’avaient hésité à se mettre en action. A toute vitesse, Reiner, Marcel, Historia et Ymir s’étaient éclipsés pour réveiller l’intégralité de leurs collègues à peine couchés, leur faisant part des mots de leur camarade.
Si certains avaient protesté en se faisant tirer de leurs draps de si bon matin, cela n’avait pas duré bien longtemps. Dès lors que les soldats avaient mentionné le surnom de cette étrange inconnue et la rude phrase qu’elle avait laissé filer entre ses lèvres, tous s’étaient empressés d’aller s’armer.
Alors, tandis que les quatre camarades réveillaient tour à tour tous les habitants de la base, aucun n’avait attendu que l’ensemble des hommes et femmes présents ne soient prêts. A vrai dire, lorsque Marcel, Reiner, Ymir et Historia avaient disparu dans les couloirs, ceux assis à la table de la jeune femme s’étaient précipités aux vestiaires et solidement armés afin de partir en route vers la direction indiquée par l’Extralucide, Shiganshina.
Longtemps, l’ainée des brigades d’entrainement avait été considérée comme une aliénée. En effet, certains des rapports écrits à son encontre stipulaient qu’elle « amusait la galerie » en s’élançant dans de grands spectacles. Or ces dits spectacles étaient en réalité des épisodes aussi douloureux pour elle que tétanisants pour autrui.
Nombreuses étaient les fois où, plaquant solidement ses mains sur ses oreilles, elle était tombée à genoux en murmurant fébrilement des paroles incompréhensibles. Et ses mots inaudibles s’étaient systématiquement mués en hurlements terrifiants, de douloureux cris de détresse où tous avaient distinctement pu l’entendre supplier à quelqu’un que nul ne pouvait entendre de se taire.
Une voix dans sa tête.
Si cette information avait bien failli faire d’elle un paria, cela avait été sans compter sur la main que lui avaient alors tendus Sacha, Conny, Jean et Marco. Malgré son caractère froid et ses prédispositions à se retirer de toutes interactions sociales, la jeune femme n’avait pu refuser leur aide.
Elle qui avait le sentiment de perdre possession d’elle-même, de n’avoir plus la main sur le navire de sa vie et couler doucement avait vu en eux une ancre. Leurs sourires avaient été une attache solide à la terre ferme grâce auxquels nombre de choses avaient changé.
Dire qu’ils ne l’avaient pas d’abord crainte aurait été mentir. Sacha voyait en elle des similitudes avec les bêtes qu’elle avait traquées plus jeune en compagnie de son père, Jean s’était contenté de penser qu’elle jouait le pitre pour attirer l’attention tandis que Conny, ayant vu ses capacités au cours de leurs nombreux entrainements, n’était pas à l’aise à l’idée que quelqu’un d’aussi instable ait en sa possession des sabres et l’habileté nécessaire pour les utiliser.
A vrai dire, sans l’intervention de Marco, elle n’aurait sans doute jamais réussi à tisser un quelconque lien au sein de leurs rangs. Oui. Si, un jour qu’elle hurlait sur ses genoux de se taire à cette voix que nul n’entendait, il n’avait pas posé une main chaleureuse sur ses omoplates, elle ne se serait sans doute même pas relevée du sol sur lequel elle était alors étalée.
Mais il avait vu clair en elle. Sa douceur si profonde, sa grande naïveté que tous moquaient et sa prédisposition à écouter autrui l’avaient poussé à faire ce que nul n’avait songé d’entreprendre alors. La comprendre.
Son simple geste avait entrainé les pas de Sacha, Conny et Jean qui s’étaient approchés d’elle. La première avait aidé Marco à relever la jeune femme tandis que les deux derniers s’étaient occupés de chasser les regards curieux avec des paroles peu courtoises.
Par ce simple geste, ils avaient en réalité fait bien plus que d’essayer de comprendre qui elle était. Il lui avait conféré une identité autre que celle à laquelle son village l’avait assignée. Face au sourire de Marco, dans les bras réconfortants de Sacha, protégée par un Jean chassant tout intru venu et apaisée des blagues stupides et mal convenues de Conny, elle était devenue elle-même.
Oui. Elle avait laissé derrière elle ce à quoi le monde l’avait toujours assignée. La Née dans la Mort, le Démon du Berceau, la Folle qui Entendait les Voix. Tout avait disparu. Et, telle une chenille devenant papillon, une enfant devenant adulte ou la simple fillette terrifiée se muant en femme forte, elle s’était trouvée dans ces quatre rencontres. Ses premiers amis.
Au contact de ceux-là, elle avait appris à cesser de fuir cette voix lui chuchotant diverses paroles dans sa tête, ce murmure pourtant tétanisant. Et, bien que ces paroles résonnant dans sa boite crânienne continuaient de l’effrayer du fait qu’elle ne connaissait pas leur nature, elle devait admettre qu’elles lui avaient été d’une grande aide.
Voulant annihiler l’esprit la hantant, ses amis avaient demandé de l’aide aux membres en qui ils avaient le plus confiance au sein de la brigade. Ymir. Historia. Mikasa. Eren. Reiner. Marcel. Et ce dernier avait été à l’initiative du geste qui l’avait enfin libérée de ses craintes.
Selon le garçon, un jeune adolescent aux yeux ambrés et cheveux bruns plaqués en arrière, il fallait identifier le mal pour le contrer. Et le mieux était donc d’écouter ce que cette voix, aussi terrifiante soit-elle malgré sa douceur, avait à lui dire. Elle avait donc obtempéré et fermé les yeux, dévoilant quelques secondes plus tard que l’entité dans sa tête l’avait avertie d’un problème sur la ceinture d’Eren responsable de son échec à manier l’appareil tridimensionnel.
En se rendant compte de la véracité de ses propos —qui avait d’ailleurs évité au brun d’être envoyé au défrichage des terres— tous, elle comprit, étaient revenus sur leur idée de départ. Ils allaient maintenant écouter cet esprit et puiser dans ses paroles pour prévenir les diverses attaques.
Bien vite, les capacités de cette femme avaient fait le tour des brigades d’entrainement, lui attirant le surnom de l’Extralucide. Et, au terme de ces trois ans et de nombreuses missions qu’elle avait guidées, plus personne parmi ses camarades ne doutaient de ses capacités, même les plus pragmatiques.
Alors la norme en période de crise était devenue d’attendre ses instructions. Ce que tous faisaient présentement malgré les hurlements déchirants retentissant en contrebas.
Sous ses yeux habités à présent d’une intense lueur que nul ne pouvait voir, s’étant tous rangés derrière elle, Shiganshina s’étendait. Déchirée par les cris, fragmentée par la guerre, soulevée par la peur.
Le soleil projetait ses intenses rayons sur les bâtisses, arbres et fontaines composant la ville. Des centaines de toitures similaires à celle où cette petite équipe de onze personnes se trouvait, formant un lit rougeâtre parmi lequel dépassait par endroit les têtes énormes flanquées de yeux globuleux de leurs ennemis de toujours, les titans.
Ils étaient entrés et ce, bien plus tôt que prévu. Comme si les responsables de tout cela avait eu vent de leur venue et s’étaient dépêchés de précipiter les choses. Ou que, pour la première fois depuis tant d’années, l’esprit habitant la femme s’était trompé. Ils ne le savaient point.
Quoi qu’il en soit, ils étaient arrivés trop tard. Et, depuis les quelques courtes secondes passées sur ce toit en observant les dégâts, force était de constater que leurs assaillants avaient déjà causé de multiples graves blessures en plein dans le cœur de l’Humanité.
Un sang écarlate couvrait le sol pavé habituellement doré sous les rayons du soleil, quelques cadavres voisinaient des chutes de pierre causées par les monstres cognant les façades afin d’y trouver de quoi se repaitre, une sorte de fumée qui n’était autre que de la poussière leur brouillait la vue à mesure que les habitants terrorisés la soulevaient en courant loin d’un mal les poursuivant.
La jeune femme déglutit péniblement. Elle n’avait jamais compris cette voix en elle ou plutôt comment elle fonctionnait. Et, maintenant qu’elle avait désespérément besoin de l’entendre, que sa main ensanglantée s’enserrait autour de ses pommeaux sans qu’elle n’en ressente rien à la douleur tant son anxiété grandissait en elle, que ses yeux se perdaient sur le spectacle affreux de corps disparaissant dans la gueule des créatures infâmes, tout n’était plus que silence.
La voix s’était tue.
L’Extralucide sentit ses battements de cœur redoubler d’intensité. Avant d’intégrer les Brigade d’Entrainement, elle était déjà dotée d’un instinct hors du commun qui lui permettait d’affronter bien des situations. Mais cette voix, ce guide si précis qui l’avait menée à sauver ses camarades à maintes reprises n’était apparue qu’au moment de sa rencontre avec eux, comme un visiteur indésirable, soufflant dans sa tête à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
Et, maintenant qu’elle désespérait de l’entendre, plus rien.
— Sale connard, souffla-t-elle sous le coup de l’énervement.
Ses yeux se perdirent parmi les rues. Les secondes n’allaient pas tarder à devenir une minute et ils n’avaient toujours pas bougé. Mais la population continuait de se faire massacrer, en bas. Il fallait se montrer rationnel, ils ne pouvaient pas se permettre d’attendre indéfiniment que cette maudite entité ne prenne la parole.
Elle s’accroupit soudain au bord du toit et baissa les yeux. Ses paupières se fermèrent et, tendant l’oreille, elle se concentra sur chacun de ses sens, y fixant chaque parcelle de sa force et de son être, ne faisant plus qu’un avec ce qui l’entourait. Il ne lui restait plus qu’eux, maintenant.
Le toucher. Les volutes de poussières s’échouant sur son visage. Le sol dur sous ses pieds tremblant avec force. Les débris de pierres frôlant sa peau. Ses mains s’engourdissant. Elle savait le danger présent.
Le goût. L’amertume sur sa langue. Celle-ci s’engourdissant toujours plus jusqu’à ce que sa bouche devienne pâteuse. Elle savait qui le danger était.
L’odorat. Une odeur de brûlé s’infiltrant dans ses narines. Le parfum pestilentiel de la mort lui soulevant le cœur. La fragrance écœurante d’un funeste destin. Elle savait quand le danger les atteindrait.
L’ouïe. Les cris transperçant ses oreilles. L’acouphène sifflant au travers de ses tympans comme une menace. Des bruits de pas. Elle savait où le danger se trouvait.
Ses paupières s’ouvrirent, laissant ses prunelles tomber sur une route jonchée de cadavres juste sous ses yeux. Deux yeux bruns incrustés dans le visage rond d’un enfant la fixaient, livide, en contrebas. Elle ferait en sorte qu’il soit le dernier à mourir aujourd’hui.
— Ecoutez, mes camarades, retentit la voix d’Eren. L’heure est grave mais nous allons…
— Sept titans au Nord, quatre à l’Ouest, cinq à l’Est, deux au Sud, le coupa brutalement la jeune femme en se relevant, attirant l’attention de tous.
Elle ne leur accorda aucun regard. Ils n’en tinrent pas compte, se contentant d’observer sa silhouette grandir en contrejour, le mur brisé tenant lieu d’arrière-plan à cette peinture de guerrière.
Là, elle était sublime. Même dos à eux, ils devinaient sa figure héroïque regardant la ville qu’ils sauveraient sous peu. La façon qu’elle avait de se tenir droite face aux ennemis, le panache avec lequel elle levait le menton avec fierté face aux envahisseurs, l’audace transparaissant dans sa posture. Elle était une guerrière. Cela se voyait.
Ils le savaient ; dès lors qu’elle parlerait, ils seraient saufs.
— Jean, au Nord. Marco, au Sud. Mikasa, au Nord. Eren, ta gueule. Sacha à l’Ouest. Conny, à l’Est. Reiner, au Nord. Ymir, à l’Ouest. Marcel, à l’Est. Historia, à l’Ouest. Si vous croisez des soldats, affectez-les toujours de cette façon : le trois premiers que vous voyez au Nord, les deux après à l’Ouest, les deux d’encore après à l’Est et les derniers au Sud.
Ses instructions étaient tombées. Claires. Comme une délivrance pour eux qui n’auraient, sinon, pas su le moins du monde comment agir. Alors, dans un hochement de tête reconnaissant et obéissant, ils s’éloignèrent de la jeune femme et joignirent les bordures du toit en actionnant leurs bouteilles de gaz.
Elle se détourna alors de la population en contrebas, sentant deux paires de yeux toujours rivées sur elle. Malgré la forte luminosité du soleil, elle put distinguer Mikasa et Eren la fixer au moment où, dans divers bruits de sifflements synchrones, l’ombre de leurs camarades quittait l’endroit pour lui obéir.
Malgré la situation, elle s’autorisa un léger sourire espiègle. Elle avait toujours aimé taquiner le brun, lui envoyant diverses vannes. Après tout, le dicton était véridique « qui aime bien, châtie bien ».
— Va rejoindre ta mère, dit-elle simplement.
Elle vit nettement ses sourcils se hausser, sans doute surpris qu’elle ne daigne se montrer si conciliante, elle qui avait su les réprimander, lui et Mikasa, lorsqu’ils faisaient passer leurs besoins personnels avant ceux du groupe.
Mais ce jour était différent des autres.
Un frisson traversa sa colonne vertébrale. Un mauvais pressentiment. Dès lors qu’elle avait évoqué Carla, un fourmillement s’était emparé d’elle et, sans même contrôler son corps, ses lèvres s’étaient alors entrouvertes, lâchant ceci :
— Sers-toi du gaz de tes bouteilles pour soulever les débris et mets-la en sécurité sur le mur.
A cette phrase, il ne répondit rien, se contentant de la fixer de ses prunelles profondes, ce qui lui valut un roulement de yeux de la part de son interlocutrice sous l’expression impassible de Mikasa. Qu’est-ce que je déteste quand il fait ça, fulmina-t-elle intérieurement.
Le garçon avait une fâcheuse tendance à se perdre dans des pensées lyriques aux pires moments, se déconnectant de la réalité lorsque celle-ci requérait le plus vivement sa présence. Mais l’Extralucide connaissait maintenant assez bien son cadet pour savoir comment le remettre en place.
— Si tu bouges pas ton gros cul maintenant, je te le bottes, Eren, dit-elle simplement d’une voix presque ennuyée par la situation.
Sa réaction fut immédiate. Après un « oui » sonore accompagné de l’habituel salut militaire de l’armée, il lui montra le dos sous son pouffement amusé. Elle le regarda franchir quelques pas en courant jusqu’au bord du toit.
Le brun avait toujours voué une certaine admiration envers ses qualités de combattante renforcée par leur écart d’âge, même du temps où il voyait en elle une aliénée hurlant dans la boue de leur terrain d’entrainement. Alors, malgré leur grade identique, il s’était habitué à la traiter comme sa supérieure hiérarchique.
Un sifflement aigu retentit à sa droite, derrière Mikasa lui faisant face. L’ombre du garçon s’éclipsa tandis que le raffut de ses bombonnes de gaz diminuait en intensité. Il était parti. Mais elle était restée.
Et, à la vue du regard noir qu’elle dardait sur elle, elle pouvait aisément dire pour quelle raison. Seulement elle n’avait pas le temps de s’occuper des états d’âmes de la soldate.
Les civils mouraient, en bas.
— Navrée de ne pas t’avoir affectée à la position d’Eren mais je ne peux pas me permettre de te laisser la possibilité de devoir choisir entre lui et la population, expliqua-t-elle simplement en se tournant vers le mur.
Ses pupilles se dilatèrent. Le spectacle était horrifiant. A peine dix minutes que ces créatures avaient pénétré l’enceinte du mur Maria et des centaines de cadavres recouvraient maintenant les pavés des rues, laissant leur sang repeindre le sol. Son cœur se souleva.
Qu’avait-il bien pu se passer pour que la noble porte de Maria cède ?
— Je le comprends bien, retentit derrière elle la voix de sa camarade.
Sans se tourner vers la noiraude, la jeune femme acquiesça d’un geste sûr tout en dévissant ses bouteilles. Ses doigts filèrent sur la forme cylindrique et elle fixa de ses prunelles profondes la fissure située au niveau du mur d’où de nouvelles figures émaciées aux yeux globuleux ne cessaient de se succéder à mesure que les titans entraient.
Elle fulmina. Nina avait été chargée de rejoindre Trost pour prévenir le bataillon de la catastrophe mais, le temps qu’elle ne le fasse, que tous se préparent et que les renforts arrivent, les dégâts seraient trop importants. Autant dire que, pour l’heure à venir, ils n’allaient devoir compter que sur eux-mêmes.
Et elle avait la ferme intention d’endiguer la menace à sa base.
— Que comptes-tu faire ? demanda la voix de Mikasa derrière elle, dévoilant la véritable raison pour laquelle elle était restée.
Toujours sans la regarder, la jeune femme observa avec attention les déplacements des titans depuis la fissure. Les envoyés à l’Est et l’Ouest allaient avoir du boulot. Marco, seul au Sud pour l’instant, n’allait, quant à lui, pas avoir grand-chose à faire. Les soldats des trois autres surfaces auraient éliminé la majeure partie des ennemis se dirigeant vers la deuxième porte.
Elle comptait sur lui et sa bienveillance extrême pour déplacer les civiles vers un lieu plus sûr. Elle savait que ses capacités de réflexion et lucidité en terrain anxiogène serait un atout pour une telle mission. Elle lui avait d’ailleurs confié ce poste précis pour cette raison.
— Je serais à la porte et veillerai à ce que chacun de ceux traversant celle-ci ait la nuque tranchée.
Dans un tintement sonore, elle dégaina ses lames en fixant sa cible des yeux, prête à rejoindre le lieu.
— Plus aucun de ses enfoirés ne pénétrera ces terres en ma présence.
⏂
navrée, pas encore de levi dans ce chapitre
comment imaginez-vous leur rencontre ?
des idées sur l'identité de cette voix ?
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