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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟗 𝟓
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Les hurlements résonnent dans le vaste palais. Mon pied ne peut se poser sur le sol sans qu’un cri à glacer le sang ne lui face écho. Cependant j’avance, dévalant les escaliers à toute vitesse.
Dans notre dos, le feu grimpe. Nous poursuivant avec retenu, il nous protège d’éventuels ennemis souhaitant nous suivre. Toji le dirige d’une main lasse, à peine concentré.
— Décidément, je lâche en grimpant les escaliers de cette étroite tour, s’occuper de ces abrutis est bien plus facile que je ne le pens…
Ma voix meurt soudain dans ma gorge. Passant devant la fenêtre, mes yeux se sont attardés sur le paysage qu’offrait le palais, dans la nuit noire.
Celle-ci est tombée mais demeure illuminée d’une somptueuse danse écarlate. Ondoyante, les mèches s’élèvent, accompagnées de la population fuyant à toute vitesse.
Le feu a englouti les jardins impériaux.
— Tu crois qu’il s’agit des dragons ? demande le noiraud en observant un arbre dont la silhouette se fait noire, au milieu du torrent de flammes.
— Je… Je ne sais pas.
L’arbre s’effondre, mes sabres glissent légèrement dans mes mains moites. Je les range à ma taille, déglutissant péniblement.
Puis, le regard droit, je m’arrache à cette vision. M’éloignant, je m’écarte de la fenêtre et continue de grimper.
— Tu dis que cet escalier mène à un recoin caché de la salle du trône ? je demande en marchant, m’efforçant de ne pas penser au titanesque incendie des jardins impériaux.
Le noiraud met quelques secondes à me suivre.
— Effectivement. Seulement, si nos ennemis disent vrai et que Megumi peut sentir notre présence, arriver en cachette ne servira à rien.
J’acquiesce. Nous n’aurons qu’à pénétrer dans la salle sans perdre d’esprit qu’il nous attend peut-être déjà.
Quelques marches plus tard, l’escalier en spirale abouti. Je m’efforce de ne pas m’attarder sur le mur maculé de sang et les éclats de verre jonchant le sol. Les dépassant, j’atteins la porte de bois massive plantée entre deux colonnes ouvragées.
L’une d’elles semble avoir reçu de sacrés coups.
Prenant place à droite d’un des battants, le noiraud me fait face. Son regard se plante dans le mien et, le temps d’un instant, il n’a rien besoin de dire. Je saisis tout.
Face à la mort, en inertie au cœur d’un danger absolu, un sentiment éclos dans ce genre de contact visuel. Là, tout près du malin, sachant pertinemment qu’on l’affrontera ensemble, avec pleine conscience qu’on rentrera tous les deux ou que l’on ne rentrera pas, nous saisissons.
Un lien, comme nul ne peut le décrire, se forge dans ce regard.
Un simple hochement de tête.
Il ouvre la porte.
Nous nous engouffrons.
Mon corps glisse le long du panneau et je jette un linge dans l’interstice de la porte. La refermer pourrait faire du bruit mais il faut éviter qu’elle claque aussi. Me retournant, je comprends davantage ce qu’entendait Toji par un « coin caché de la salle du trône ».
Je sursaute presque en réalisant où nous sommes. Aussitôt, une main se plaque à mes lèvres et le noiraud me ramène contre son torse pour me forcer à faire le moins de bruit possible.
Sous mes pieds, le sol a été taillé dans de l’obsidienne. Je ressens le pouvoir de la pierre détendre mes muscles, légèrement atrophiés par la vision prenant place devant mon regard.
Un rideau tombe devant nous. Brun, légèrement transparent, il nous permet de voir l’immense salle du trône plongée dans la lumière. Nous, cachés dans l’ombre, sommes dissimulés.
Mon cœur bat à vivre allure tandis que dans mon dos se marque les reliefs du torse de Toji. Je frissonne, mes yeux glissant sur les deux ombres, posées juste derrière le rideau, à quelques centimètres de nous.
Les trônes impériaux.
Nous sommes debout juste derrière les deux trônes impériaux. Et, avec horreur, j’aperçois un bras, sur l’accoudoir de l’un d’eux. Un homme y est assis. Ses longs doigts font rouler entre eux une pierre noire que j’identifie aussitôt.
L’œil-de-faucon. La pierre de clairvoyance.
Je comprends maintenant comment il est parvenu à sentir notre présence. Elio a dû recourir à sa magie pour exacerber les effets de celle-ci et permettre à Megumi d’être presque omniscient. Tout comme Toji a fait briller l’améthyste dont je me servais pour soigner Sullyvan, il a dû bénir cet œil-de-faucon avant de le donner au garçon.
Ma mâchoire se serre tandis que j’observe l’attrape-soleil pendant au-dessus du trône. Il y en avait deux, avant. Je suppose que la guerre en a brisé un.
Attrapant la main de Toji, je le pousse à relâcher ma bouche. Il se tend, semblant surpris.
— C’est inutile. Il sait qu’on est là.
— En effet, ricane une voix, depuis le trône. J’attends votre arrivée depuis que vous avez brisé ce magnifique vitrail.
Dans un soupir, j’ouvre le rideau et en sors. Dépassant une colonne de cornaline, je progresse sur l’estrade sans en descendre.
Puis, me plantant à quelques mètres de l’homme assis-là, je me retourne enfin. Découvrant ce garçon qui m’est si lointain et proche en même. Celui dont je semble si profondément liée, et pourtant si étrangère.
— Bonsoir, Megumi.
Les deux yeux noirs qui se plissent soudain ne me sont pas inconnus. Malgré cette couleur charbonneuse, la danse que font ses cils, tombant en une timide ondée le couvrant ne m’est familière. Elle scintille sous la lueur des lustres au-dessus de nos têtes.
Ce gosse a l’exact même regard que son paternel.
La même malice, brillant en un éclat blanc, lorsqu’il bouge la tête. Celle-ci se penche sur le côté lorsqu’il la dépose dans sa paume. Ses cheveux ébènes s’agitent avant de tomber en un en mouvement sec quand, son coude planté dans l’accoudoir, il cale son menton dans sa main d’un geste ennuyé.
— Je n’ai pas demandé de visites.
— Tu l’auras quand même, tonne la voix de Toji lorsqu’il sort des rideaux, le dos droit, des ombres dansant autour de lui.
Un instant, si vif que cela a failli m’échapper, je distingue la crainte dans les yeux du garçon. Elle brille avant de s’évanouir, aussitôt dévorée par une obscurité dévorante.
Il regarde son père qui se tourne vers lui. Un frisson me parcourt.
— Oh…, rit Megumi avec malice, sa poitrine se secouant quelques instants tandis que ses yeux s’illuminent d’une lueur viscérale. Aurais-je perturbé le vieux paternel dans sa tâche de m’ignorer royalement ?
Je lutte contre l’envie de lier mes doigts à ceux du noiraud. Ce dernier ne répond rien. Mais je sais que cela le touche. Je le connais.
Toji ne rétorque point. Silencieux.
— Tu n’as pas changé, vieux croulant. Aussi infecte que démissionnaire. Il y a une forme de constance, chez toi.
Je déglutis péniblement. Sans doute a-t-il oublié mon existence. Je sais pourtant que, durant certaines années, je l’ai élevé. Après la mort de sa mère et je ne sais pour combien de temps exactement mais je me suis enfuie avec Toji et l’enfant.
Ce dernier louche d’ailleurs sur moi.
— Oh, et il est même venue avec sa poupée favorite.
— Megumi, sois poli, tonne Toji.
— Penses-tu réellement pouvoir t’improviser père, après toutes ces années sans une pensée pour moi ?
Du coin de l’œil, j’aperçois le noiraud se figer. Je me doute que cette phrase lui a fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. Brutal. A couper le souffle.
Car Toji n’a en réalité, au cours des dernières années, eu presque que des pensées pour lui. Je le sais. Cela se lit dans le pli que prend l’espace entre ses deux sourcils, lorsqu’il dort.
Cette ride de regret que j’aimerais parfois lisser.
— Il suffit, tonne Megumi dans un rire. Je ne suis pas là pour entendre le simulacre de père qui se pavane devant moi me faire la leçon. Je vais gagner mon indépendance et tu iras te protester et confondre en excuse devant ta scélérate d’impératrice.
Un frisson parcourt mes mains. Je les pose sur les manches de mes sabres.
Je ne compte pourtant pas attaquer Megumi. Mais un mauvais pressentiment m’habite.
Nous ne sommes pas trois, dans cette salle.
— Allons, allons… Tu ne vas tout de même pas m’attaquer ? ricane celui qui est affalé dans le trône d’une autre, remarquant mon geste. Cela serait bête que tu meurs avant d’avoir revu tes petits amis…
Il rit à gorge déployée. Sa tête se renverse en arrière tandis que sa poitrine se secoue.
— Sérieusement ? Former un si petit groupe pour attaquer une armée ? Vous êtes soit très courageux, soit particulièrement stupides.
Ses doigts claquent.
— Je parierais pour les deux.
Mon cœur se fige. Le claquement de ses doigts était un signal. Un sifflement retentit, derrière moi. Je n’ai que le temps de dégainer mes sabres en un geste croisé, me retournant.
Un choc puissant percute mes lames, me faisant reculer sur plusieurs mètres. Mes pieds glissent sur l’estrade d’obsidienne tandis que mes yeux observent mon assaillant.
Mais je ne vois rien.
Soudain, un puissant coup me propulse sur le flanc. Mes sabres tombent au sol et je roule tandis que Toji hurle.
Péniblement, je me relève, regardant partout autour de moi avec attention. Soudain, un frisson me prend. Un autre sifflement. Je me retourne au moment où un coup violent percute mon nez.
Je m’écroule sur le dos. Du sang afflue sur ma lèvre tandis qu’une douleur lancinante me fait perdre quelques instants le contrôle de mes sens.
Cela est difficile mais je me redresse. Me trainant sur le ventre, j’observe la salle. Je ne vois pas la personne qui m’attaque. Elle va trop vite, comme si elle contrôlait le temps…
Et merde.
Une Balance.
Mes yeux cherchent Toji. Respirant difficilement, le visage maculé de sang, je tente de trouver l’homme. Quand soudain, je le repère, debout au pied de l’estrade, inerte.
Un frisson me parcourt quand je distingue l’aura dorée qui émane d’une colonne et enlise doucement le noiraud. Il s’agit du pouvoir du Lion. Il ne bouge pas car il est en train d’être ensorcelé.
— Rions un peu…, ricane une voix depuis le derrière de la colonne, cachée. Je t’ordonne…
— NON !
Je me redresse, voulant me jeter sur Toji. Mais il est trop tard/ Un sifflement retentit et ma tête bascule dans un craquement sinistre sur le côté. Une giclée de sang s’échappe de mes lèvres et je m’écroule sur le sol. La Balance m’a encore frappée.
La joue contre le marbre, je frissonne. Et un hurlement franchit mes lèvres lorsque la voix sinistre du Lion achève sa phrase :
— …Et bien, Toji, je t’ordonne de tuer ta compagne.
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navrée pour la publication tardive
je postulais à un cours !
j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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