𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗𝟑
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟗 𝟑
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Le temps semble suspendu.
Là, contre lui, le monde s’efface. Une délicate chaleur m’enlise doucement tandis qu’il m’embrasse. Nos lèvres remuent, bougent, apprenant à mieux se connaitre. Quelques larmes se perdent dans notre baiser.
Sa main, posée sur ma joue, bouge légèrement. Son pouce caresse ma pommette lorsqu’il entrouvre les lèvres, m’invitant à approfondir ce moment.
Nos langues se frôlent.
Soudain, il s’écarte. S’arrachant à moi, il pose son front contre le mien. Essoufflée, je me laisse aller à ce regard émeraude si intense et doux, coruscant, encadré de tâches noircies.
— Ils arrivent.
A peine a-t-il chuchoter cela que j’entends le froissement d’ailes. Toji me repose sur le sol mais je demeure blottie contre lui. Sa chaleur m’enveloppe tel un drap.
Lorsque Akenir atterrit devant nous, j’aperçois avec surprise deux silhouettes, sur son dos. Hector m’adresse un clin d’œil tandis qu’Egarca, digne même dans la souffrance, demeure droite, le menton levé.
Ménélas apparait sur le dos de la créature doré puis Ilakir arrive. Sur sa peau rubis se dresse deux silhouettes que je connais bien. Yevhen et Nime. Les frères et sœurs.
Sans doute se sont-t-ils retrouvés, après qu’elle ait quitté la tanière des dragons.
— Elio n’est plus là. Il a dû partir après l’avoir attaqué, déclare le dragon saphir en atterrissant non loin de nous.
— Je suppose que nous n’avons plus le choix. Nous allons devoir regagner la capitale et l’empêcher de poursuivre son dessein funeste.
Mon regard s’attarde sur celle qui vient de parler.
Droite, ses blessures ne semblant qu’anodines, elle se tient. Egarca ne cille pas, ne montre rien de sa douleur physique et mentale. Comme s’il ne s’agissait que d’une bagatelle, elle demeure droite.
Le charisme émanant de sa personne m’impressionne.
— Nous atteindrons le palais très vite. Toji ? lance Akenir. Tu peux voler aussi rapidement que nous ?
— En effet.
La voix de l’homme vibre dans mon dos et son bras s’enroule autour de mon torse. Me plaquant contre lui, je comprends qu’il s’agit de sa façon silencieuse de signifier qu’il compte voler avec moi.
— Bien, déclare Ilakir. Allons-y.
☆
Plus les secondes s’écoulent, mieux je réalise combien l’expérience de voler avec Toji m’a manquée, sans que je ne l’aie jamais connue. Il est étrange de se découvrir une sensation si belle, profonde, qu’elle vous semble avoir toujours exister en vous, sans que jamais vous ne l’ayez rencontrée.
Le vent s’agite délicieusement autour de moi mais le corps du noiraud m’en protège. Epais, chaud, il se place en bouclier au-dessus de ma personne.
Les bras enroulés autour de son torse, j’ai logé ma tête dans le creux de son épaule. Pourtant, cela ne nécessite aucune force. Je le soupçonne d’utiliser un sort pour me maintenir plaquer à lui car mes bras ne fatiguent pas quand je m’accroche.
Je ne vois que ses ailes se découpant sur le ciel. Noir, elles s’agitent sous l’éther grisâtre. L’odeur de l’homme s’insuffle dans mes narines.
— Quoi qu’il se passe, ma douce, je t’interdis de mourir.
— Je suis déjà morte.
— Tu m’as compris. Je ne veux pas te voir disparaitre ou te précipiter dans un jugement sans que je ne puisse plaider ta cause.
Mon estomac se noue.
— Ne crois-tu pas que je suis condamnée ? je chuchote tristement. Je veux dire, tu as vu mon visage, tu n’es pas impartial. Et je n’ai rien fais pour me racheter auprès des sisnasas.
Je me tourne vers Toji. Nos regards se croisent quelques instants et il reporte son attention sur ce qui l’entoure. Ses bras s’enroulent autour de moi, me plaquant à lui dans un geste réconfortant.
Je me nourris quelques instants de sa chaleur.
— Les sisnasas prêtaient un serment afin de tuer les sephtis, murmure-t-il, à l’origine. Les filles de sisnasas se voient gravées leur sigle sur le pied dès leur naissance. Elles n’ont pas leur mot à dire et certaines d’entre elles, grandissant, s’avère être opposées à cette cause.
Je n’imaginais pas cela possible mais cette hypothèse fait sens. Je crois que j’ai toujours représenté les sisnasas comme des prêtresses du chaos, s’adonnant corps et âmes à leur cause et refusant de mettre bas.
— Les Dieux ne peuvent faire un Ange d’une personne qui tue un clan sans distinction. Cela revient à un crime haineux et là est la raison pour laquelle ils souhaitent que tu te rachètes. Seulement je sais que jamais tu ne tuerais une sisnasas qui n’a pas réellement commis de crimes.
— Pour être honnête, je ne savais pas que cela existait, je murmure. Il fut un temps où j’aurais assassiné toutes celles traversant mon chemin car je ne pensais pas que certaines avaient été forcées de porter cette gravure.
— Maintenant tu le sais. Et tu es capable de devenir Ange. Je crois en toi.
Ces mots font éclore quelques capitons de chaleur dans mon ventre qui apaisent mon estomac se tordant.
— Dis ? Puis-je réellement mourir ? je demande avec curiosité. Je veux dire, je suis déjà morte. Mais… Enfin…
— En effet, tu peux « mourir », chuchote-t-il contre moi. Alors évite tout contact avec le Styx. Cela écraserait n’importe qui, mort ou vivant.
J’acquiesce et tourne la tête. Sous moi, le sol est soudain moins traversé de forêts. Un enchaînement de reliefs en tout genre, ivoires et bronze, m’indiquent la présence d’une ville.
— Nous arrivons au palais ! s’exclame Akenir de sa voix tonitruante. Et je peux vous assurer que la présence de quatre dragons dans le ciel va attirer l’attention des villageois !
— Il ne faut pas qu’ils donnent l’alerte. Nous sommes peu et Elio possède Megumi qui lui-même a sous ses ordres une armée. Notre force vient de l’effet de surprise.
Tu ne peux pas leur ordonner de dormir ? demande Ménélas à l’impératrice, assis sur le dos de son dragon d’or.
Toujours en tailleur, le regard droit et le menton levé fièrement, Egarca nie doucement de la tête. Ses cheveux volent dans son sillage. Ma gorge se fait sèche à cette vision.
Blessée, trahie et impuissante, elle demeure d’une élégance froide.
— Je n’ai pas la force d’endormir toute une ville. Seul un pouvoir ancestral le peut.
Elle coule un regard vers le dragon saphir qui secoue la tête de droite à gauche. Son geste est silencieux mais il nous fait bien comprendre qu’il ne peut rien faire, lui aussi.
Devinant ses raisons, je déclare :
— Quatre dragons qui crachent sur une population risque simplement de les effrayer et sonner l’alerte plus vite. D’autant plus qu’ils peuvent les immobiliser, mais pas les endormir.
— Moi, je peux faire quelque chose.
Les têtes se tournent vers Nime. En tailleur, le dos droit et les yeux clos, elle médite. Ses longs cheveux ont été amenés en une coiffure dégageant son visage pour les combats.
Lâchement tenue entre ses doigts, sa fidèle pipe à opium brille.
Je n’ai pas le temps de lui demander plus ample explication qu’elle se dresse sur ses pieds. Puis, posant la pipe sur ses lèvres, elle en inspire une bouffée avant de s’accroupir au bord d’Ilakir qui ne réagit pas. Yevhen, derrière elle, sourit.
Soudain, penchée, elle souffle.
Un feu violent et vert s’échappe de ses lèvres. Je sursaute contre Toji qui me serre plus contre lui lorsque, le genou plié à côté de son oreille, elle crache à plein poumons les vapeurs étourdissantes.
Le feu se propage loin, plus loin que je ne l’aurais jamais cru. Ses particules se détache, tombant en neige scintillante sur la ville baignée des lueurs du coucher du soleil.
Puissant, il s’étend.
Vrombissant torrent de lave. Magma de pouvoirs ancestraux, il allume les mèches de la rage.
Assurément, cette femme possède un pouvoir ancestral.
Bientôt, elle se relève. Dos à nous, Nime contemple son œuvre. Les mains sur les hanches, elle éclate de rire en jaugeant la ville.
Puis, fière, elle se retourne en nous lançant :
— Avouez que vous ne saviez pas qu’un enfant-dragon pouvait faire ç…
Brutalement, sa voix meurt lorsqu’elle sursaute. Comme percutée, elle tressaute sur ses pieds. Chancelante, elle se tourne légèrement.
A la lueur verdâtre de son feu, je réalise qu’une flèche dépasse de sa poitrine. Quelqu’un vient de lui tirer dessus. La tige oscille quand elle perd l’équilibre.
Soudain, Nime bascule dans le vide.
Aussitôt, le dragon saphir se précipite sous elle, la rattrapant. Le long cri de Yevhen transperce la nuit. La femme retombe sur le dos de la créature qui la réceptionne. Mais nous n’avons le temps de nous enquérir de son état.
— A COUVERT ! hurle Hector.
Toji se laisse tomber, repliant ses ailes. Une pluie de flèches vole au-dessus de nous, là où nous étions, u battement de cils plus tôt. Un hurlement retentit quand l’une d’elle frôle Hector à la joue.
— POUR LA DISCRETION, ON REPASSERA ! tonne Egarca en se levant.
Regardant devant moi, je réalise que nous sommes à hauteur de six postes de sentinelles plantés au bord du village. Ils ont sans doute donné l’alerte. Une fois que nous les aurons dépassés, le plus dur restera à venir.
Seulement éviter les flèches sera déjà un exploit considérable.
L’impératrice se lève malgré ses jambes tremblantes. Doucement, elle se dresse tandis que son regard se pose sur les sentinelles. Ses yeux écarquillés laissent voir une lueur dorée qui, à la manière d’une goutte de peinture, s’élargit et engloutie ses iris. Elle tremble presque de rage et ses cheveux pourraient se dresser sur sa tête.
Tétanisante, elle fixe les six postes élevés au-dessus des remparts.
— ECRASEZ-VOUS SUR LE SOL, TRAITRES A LA COURONNE ! MOURREZ !
Mon sang afflue à toute vitesse dans mes veines et je me crispe en entendant les hurlements. Je ne peux détacher mon regard de la vision tétanisante de cette femme, possédée et consumée par sa propre rage. Ma gorge se noue tandis que les griffes acérées que forment ses ongles fendent le ciel lorsqu’elle hurle.
Soudain, un bruit écœurant résonne dans le silence de la guerre naissant.
Les corps tombent au sol. Ils se suicident tous. Sur ordre de l’impératrice.
Les yeux encore écarquillés, elle les fixe longuement. Je ne la reconnais pas, observant avec horreur ses lèvres s’étirer en un sourire. Cette bouche venimeuse contemple le spectacle qu’offre la mort. Un frisson me parcourt.
— Connaissez votre place, tonne-t-elle.
Aussitôt, Toji s’éloigne. Nous volons à toute vitesse, fendant le ciel et dépassant les postes de sentinelle. Je sais qu’il souhaite m’empêcher d’assister à cela.
Seulement, à l’instant où nous passons à côté du cabanon le plus extérieur, mon regard croise celui de l’un des soldats. Ses jambes tremblent lorsqu’il grimpe sur le bord de la tour.
Il me contemple longuement, des larmes dévalant ses joues. Il tente de lutter contre son corps agissant tout seul. Seulement il ne peut rien y faire. Une Lionne lui a ordonné de mourir. Il le fera.
Son destin est scellé.
Je sursaute. Il a basculé dans le vide. Mes yeux se ferment mais j’entends tout de même son hurlement.
Ainsi que le bruit de son corps s’écrasant au sol.
— Assurément, la guerre a commencé.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
je ne crois pas que
l'on m'ai posée la
question mais cette
histoire fera une centaine
de chapitres donc
nous sommes
effectivement dans
le dernier arc !
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