𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟗𝟏























𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  𝟗 𝟏













































           Akenir a tenu à ce que nous restions diner. Toji, l’esprit carburant et fumant presque suite à toutes ces révélations, a bien tenté de s’éclipser mais je l’ai convaincu de rester un peu plus.

           Le ciel s’assombrit, revêtant quelques teintes saphir tandis que Ménélas s’installe à côté de nous. Un très long tapis a été posé sur l’herbe fleurie. Akenir se trouve dessus, mangeant à nos côtés.

           Un assortiment de mets délicieux s’étale devant nous. Sur divers plateaux de présentation à trois étages sont entreposés des desserts. Plus loin, quatre énormes pièces de viandes nous font de l’œil. Des coupes pleines de fruits et des gratins de légumes nous lorgnent.

           Ménélas croque allègrement dans une dinde. Les dents toujours enfoncés dedans, il nous fusille du regard.

           Un commentaire, peut-être ?

           Me retenant d’éclater de rire, je secoue la tête droite à gauche avant de couler un regard en direction de Toji. Ma main posée sur sa cuisse, je frotte cette dernière pour avoir son attention, lui qui a les yeux plongés dans le vide.

           Il met quelques instants avant de se réveiller.

— Navré. Je ne peux pas m’empêcher de faire une liste mentale de tous les Anges connus à ce jour. Et il y en a énormément.

— Je croyais qu’il ne pouvait en avoir qu’un seul par Dieu ?

— Qu’un seul par créature divine mais il peut y en avoir un pour deux Dieux. Toi, par exemple, peut-être nommée Ange d’Arès et Hadès et je pense que c’est d’ailleurs ce qu’il se passera.

           Un frisson désagréable parcourt ma colonne.

— Tu oublies que tu connais mon identité.

           Il ne répond pas. Sa main caresse le bas de mon dos et je sens l’intégralité de mon corps s’échauffer à ce geste mais je ne dis rien, préférant demeurer silencieuse.

— Je n’arrive pas à croire qu’on va devoir en interroger des centaines, gronde Toji qui voyait enfin la lumière au bout du tunnel. Je n’en connais que très peu et ma réputation est déjà grillée depuis ce qui est arrivé à Elio.

           Ma main se fige, au-dessus d’une portion de légumes. Mes yeux s’écarquillent tandis que ce dernier mot me fait l’effet d’une claque prodigieuse.

— Quels autres Ange Apollon a-t-il nommé ? je demande en fixant un point dans le vide, sentant mon cœur s’emballer.

— Peu, me répond Akenir de sa voix prodigieusement grave, se redressant du lac au bord duquel il buvait — les dragons ne mangeant pas à cette heure de la journée.

           A quoi penses-tu ?

           Je déglutis péniblement, peu sûre de l’hypothèse que j’avance. Bien sûr, elle est accompagnée d’énormément de coïncidences et aucune preuve.

— Le char d’Apollon nous a réellement transportés mais je doute que le Dieu ait donné son accord… Et s’il ne s’agissait pas de lui, mais d’un de ses disciples ?

           Les gestes de Toji se sont figés et même Ménélas a cessé de dévorer sa dinde.

— Ta créature, tu disais qu’elle ne désobéirait jamais à tes ordres alors pourquoi s’en est-elle prise à lui ? Que lui as-tu demandé de faire, exactement ?

— Je… J’ai utilisé une formule… « Tues les sisnasas, ceux qui s’en prennent aux sephtis ».

— Serait-t-il possible qu’il n’est pas entendu « Tues les sisnasas, à savoir ceux qui s’en prennent aux sephtis » mais plutôt « Tues les sisnasas et ceux qui s’en prennent aux sephtis ».

           L’absence de réponse de Toji et son expression figée me laisse croire que je suis tout à fait réaliste dans mes suppositions.

—  Alors, tu penses qu’Elio Evilans est responsable de tout cela. Mais pour quelle raison, humaine, s’en prendrait-t-il à toutes ces victimes si différentes ? Je ne vois aucune continuité dans son plan.

— Car il n’y en a pas, réalise Toji à ma place, m’arrachant un sourire victorieux. Il s’agit seulement de plusieurs plans différents.

           Akenir se redresse. Je devine ce qu’il se trame dans l’esprit du vieux sage. Il se demande s’il doit en référer maintenant au Seigneur du continent d’à côté.

           Un Ange qui bafoue ses serments et se joue des Dieux à une place toute désignée au Tartare.

— Ce sont des accusations très graves que vous avancez là. Elles se tiennent. Mais elles sont extrêmement graves. Alors il vous faudra des preuves ou des aveux.

           J’acquiesce. Toji, lui, préfère continuer à argumenter.

— Mais tout se tient magiquement ! C’est à lui que servait toutes cette suite d’actions invraisemblables.

           Comment cela ?

— De l’extérieur, ces groupes sont si différents des autres que leurs actions semblent indépendantes seulement, dans les faits, elles ont toutes eu la même portée.

— Lors de ma première rencontre avec Hector, il s’est mis en colère car à chaque fois que Lycus arrivait dans une pièce, les gens agissait comme si elle était la souveraine. La puissance des sisnasas avaient conduit beaucoup de personnes à remettre en question le pouvoir d’Egarca et même espérer que Noovcaharon soit sur le trône.

— Maintenant, Megumi, qui a été élevé dans la religion, loin des indépendantistes, s’en prend à elle ? La torture ? La chasse du trône ? ajoute Toji avec ferveur.

           Des images d’Elio Evilans, débarquant au camp Nime, me reviennent. Il y a quelques heures seulement, il courait dans ce couloir, désireux de voir sa femme.

           Mon cœur tombe dans mon estomac.

— Et si l’empereur était revenu finir le travail ? Tuer Egarca ?

— Nime est-une enfant dragon, intervient aussitôt Akenir, elle ne le laissera pas faire et nous alertera aussitôt.

— Une enfant-dragon ?

— Certains parents, croyant leur fille maudit à cause de quelques superstitions comme les formes des oreilles, des nez ou des lèvres, les lancent dans ce trou sans avoir où il mène. Cela a été son cas. Ilakir l’a recueillie et élevée, à l’époque. Puis, une fois l’âge adulte atteint, elle est remontée à la surface et t’a croisée en pleine forêt. Tu l’as intégrée à ta tribu.

           Je vois. Quelque chose me dit qu’une vie ne suffirait pas à me révéler les mystères de ce monde. Cependant, si Nime a été élevée ici, je suis plus apaisée.

           Cependant, tout cela doit quand même être réglé.

           Quelque chose me chiffonne tout de même… Pourquoi aurait-t-il fait tout cela ? Je croyais qu’il aimait sa femme.

— Elle l’aimait, cela est sûr. Mais je ne crois pas que cette attraction était réciproque.

— Elio a toujours dû se ranger derrière sa femme. Il était puissant, un Ange. Mais c’est elle que les Dieux avaient désigné comme Impératrice. Lui n’était que son époux. L’héritier.

           Pourquoi ne pas simplement la tuer ? Il a l’art de se compliquer la vie, le pauvre garçon.

— La tuer aurait mener à une enquête des Dieux. Alors que ce qui ressemble à des actions indépendantes fragilisant l’influence d’Egarca l’aurait conduite à se séparer du trône et laisser naturellement place à son époux…

— Il ne faut pas oublier qu’on ne peut être Empereur sans la bénédiction des Dieux. Si une impératrice meurt ou perd trop de son influence, les Dieux peuvent nommer son héritier. Et cela se passera, quand Megumi essuiera une punition divine pour son Coup d’Etat.

— En toute honnêteté, murmure Akenir d’une voix profondément affligée, cela fait plusieurs années maintenant que Zeus et Apollon conversent régulièrement de la chose… Ils voient le pouvoir d’Egarca faiblir et se demandent s’il ne serait pas mieux, pour éviter l’insurrection, de nommer son héritier dès à présent.

           Mes poings se serrent en songeant à l’inquiétude qui peignait son visage lorsqu’elle m’a demandé de soigner Elio, son mari. Elle l’aime véritablement. Et lui…

           A quel point doit-t-il la haïr pour avoir poussé Megumi à lui infliger les sévices que j’ai vue sur son corps ?

— Nime est peut-être dans notre camp, mais nous n’avons aucun temps à perdre, tonne Toji sombrement. Nous devons mettre la main sur cette raclure et, au moins, le faire parler sous sérum de vérité.

           Nous deux nous levons.

           Je viens avec vous, lance aussitôt Ménélas, gardant tout de même son morceau de viande dans la gueule.

— Et vous n’irez pas seuls. Pour l’instant, nous ne pouvons pas accuser un représentant des Dieux sans preuve. Mais si vous l’affronter et qu’il s’avère être cette créature, vous aurez besoin de magie ancestrale.

           Akenir se dresse sur ses pattes avant. Son dos se cambre et son museau pointe le ciel. Un grondement sourd, semblable à une alerte, déchire soudain l’éther.

           Bientôt, sur le ciel virant doucement au saphir, quelques ombres se déplacent. D’abord minuscules, elles se font de plus en plus visibles à mesure qu’elles s’approchent à toute vitesse.

           Le bras de Toji s’enroule autour de ma taille et il me glisse dans son dos, comme pour me protéger. Hébétée, je fronce les sourcils et ouvre la bouche, prête à protester.

           Quand les dragons m’apparaissent.

           Sublimes, majestueux, ils fondent droit sur nous. Les iris émeraudes de l’un nous analysent tandis que ses ailes rubis se plaquent à son corps. Un autre, couleur or, dissimulent ses iris cornaline lorsqu’il ferme les paupières. Le dernier, aux écailles saphir, ferme l’un de ses yeux aigue-marine.

           D’un même geste, brutale, ils écartent les ailes. Le reste de leurs corps basculent et ils freinent soudain. Puis, doucement, sans bruit, ils se posent devant nous.

           Ma gorge se noue.

           Leurs trois silhouettes se penchent en avant en une révérence.

— Bonjour, héritier.

           Ménélas fait un signe de patte dédaigneux et j’écarquille les yeux, atterré. Bon sang, mais qu’est-ce qu’a bien pu faire ce chat, au juste ?

— Akenir, pourquoi cet appel ? crisse une voix particulièrement aigüe émanant du dragon saphir.

— Je viens demander votre accompagnement. J’aimerais sortir dans le monde des humains.

           L’expression atterrée qu’affiche soudain la créature d’or lui donne une allure tout à fait humaine.

— Chez les humains ? As-tu oublié qu’à cause d’eux, notre espèce a été en voie d’extinction ?

— Islenis, un Ange d’Apollon bafoue son autorité en usant d’une magie interdite pour s’en prendre à sa femme, qui est aussi l’un de ses disciples.

           Je ne sais si la couleur d’or du dragon à avoir avec le Dieu-Soleil Apollon mais sa tête se fige soudain.

— Bien. Je te suis. Mais je veux porter Ménélas. Il n’y a qu’avec moi qu’il n’a pas le tournis.

— Parfait.

           Le dragon couleur rubis n’a pas ouvert la bouche depuis le début de cette conversation. Cependant ses yeux émeraudes demeurent rivés sur moi.

— Ilakir ? l’interpelle d’ailleurs Akenir. Ai-je ton approbation ?

— Pour la sephtis qui a recueilli mon enfant, bien sûr.

           Mes sourcils se haussent. Ilakir ? Comme le parent de Nime ? La fameuse créature qui l’a recueillie ?

— Ne perdons pas une seconde, déclare le dragon bleu en se penchant sur Toji, prêt à le soulever du sol. L’équilibre fraichement retrouvé des mondes est menacé.

           Akenir acquiesce, aussitôt imité par nous autre. Le dragon rubis s’approche de moi en un pas lourd avant de pencher sa gueule ardente sur moi.

           Je frissonne tandis que mes yeux se ferment. Sa flamme chaude caresse mon corps et j’écarte les bras pour mieux l’accueillir.

           Allons mettre de l’ordre là-dedans.



























j'espère que ce chapitre
vous aura plu !





























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