𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖𝟖
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟖 𝟖
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Il faisait encore nuit lorsque, rangés sous des capuchons, nous avons quitté le village de Nime. Nos corps traversant l’étoffe transparente dissimulant la tribu, nous avons pris soin de ne pas beaucoup nous charger.
Sous ma cape, un sac en bandoulière contient une fiole d’eau de lune, quelques pierres et plantes. Toji, de son côté, garde son épée à sa ceinture.
Pétrichor.
L’odeur de la pluie mêlée à la terre s’élève dans les airs. S’insufflant dans nos narines, elle nous a accompagné depuis le moment où nous avons quitté les lieux. Aucun mot n’a été prononcé, depuis. Le silence fut pesant.
Soudain, les arbres se font moins feuillus. Leur immensité ne suffit pas à dissimuler le ciel. Je remarque que plus aucune étoile ne le perce. Pour cause, il revêt à présente une délicate teinte rosée.
Nous sommes à l’aube. Hélios a commencé sa traversé.
Le jour se lève.
— Que fais-tu ? retentit la voix de Toji, devant moi.
Il s’est retourné, remarquant que j’ai cessé de marcher. Son regard me parcourt de haut en bas et je suis surprise d’y déceler une forme d’inquiétude.
Une ombre traverse ses yeux smaragdins qu’il détourne aussitôt.
— Tu es fatiguée, n’est-ce pas ? Je suis désolée d’être parti si précipitamment. Cela fait des heures que nous marchons et je ne me suis même pas préoccupé de savoir si tu voulais t’arrêter.
Je ne réponds pas tout de suite.
Depuis qu’il a posé les yeux sur Egarca, quelque chose a changé dans le regard de Toji. Soucieux, il me garde rivé devant lui en permanence, cherchant à éviter tout contact visuel. Je ne sais pas s’il craint de se montrer vulnérable ou s’il croit qu’au premier regard échangé, je devinerais tout de son âme.
— Toji, ton fils s’en est pris à une de tes amies de façon violente. C’est tout à fait normal d’avoir du mal à encaisser cela, je murmure dans le silence de l’aube. Je vois que tu refuses de l’admettre mais je pense qu’au fond, tu sais que je ne te jugerais pas de ressentir ce genre de choses.
Il prend une profonde inspiration. Silencieuse. Mais je vois son torse se gonfler tandis qu’il observe un écureuil courir entre des branchages.
Les secondes s’égrènent mais il finit par chuchoter, amer :
— Jamais il ne serait devenu un tel monstre si j’étais resté dans sa vie. Jamais.
— Tu n’avais pas le choix. A l’époque, les sisnasas menaçaient ton village. C’est justement pour le protéger que tu as fait le choix d’aller chercher Lycus aux Enfers, quitte à te le mettre à dos.
Il ne répond pas, laissant mes paroles en suspens dans l’air. Je m’approche d’un pas.
— Tu as fait un choix extrêmement difficile, Toji. Ne te juge pas trop sévèrement à cause de lui.
Son visage se fait sombre. Mais il acquiesce.
— Maintenant, peux-tu réellement me dire où nous allons ? je demande dans un sourire.
Ses sourcils se haussent. Il semble sur le point de nier ce que j’insinue mais son regard croise le mien. Aussitôt, un rictus complice déforme ses lèvres.
— Je ne peux rien te cacher.
— Disons que si tu comptais réellement te rendre au Palais, tu aurais demandé à une personne Taureau de nous y conduire. Parce qu’à pieds, nous allons certainement mettre… Quinze jours ?
J’atteins sa hauteur, réduisant la distance entre nous. Là, il montre un sentier, tracé entre les buissons.
— J’aimerais retourner voir les dragons. Ils ne sont qu’à quelques heures de marches de mon ancien village que nous avons dépassé il y a peu.
— Les dragons ? je répète, interloquée. Tu souhaites tant que ça être carbonisé sur place ?
Son sourire ne faiblit pas et il m’observe quelques instants. Silencieux, il se perd dans ses propres pensées, contemplant mon expression consternée qui s’affaiblit doucement.
Mes traits retombent tandis que mon estomac se retourne. Jamais il ne m’avait regardée comme ceci — du moins, il le faisait généralement quand il croyait que je ne le remarquais pas.
— Je suis convaincu que nous ne les avons jamais croisés, finit-t-il par dire, détournant le regard. Les personnes avec qui nous étions à bord étaient des illusions alors pourquoi pas la tempête de dragons dans laquelle a été prise le char ?
— Surtout qu’elle s’est brutalement arrêtée, sans que cela ait vraiment un sens.
Il acquiesce et se remet en marche. J’emboîte ses pas.
— Sais-tu pour quelle raison des dragons se trouvent ici, sur les Terres Ancestrales ? Hormis le fait qu’ils sont une espèce ancestrale.
— Il y a une légende à propos d’une bibliothèque, je crois.
D’un mouvement de tête, il affirme mes dires. Il écarte un buisson, dévoilant des pierres incrustées dans une pente raide qui forment un escalier.
Sa main saisit la mienne et il m’aide à les grimper. Mon cœur s’emballe quand nos peaux se touchent, électriques.
— Les dragons vivent sur une partie désertée de nos terres. Jamais aucun homme ne se risque en ce coin et pourtant se trouve là-bas le trésor de l’humanité.
— Le trésor ?
— La connaissance. Une bibliothèque recensant l’intégralité de ce que les humains savent et ont jamais su s’y trouve. Mais elle est extrêmement bien gardée. Bien des personnes se sont aventurées là-bas, espérant y découvrir un trésor de richesse. Mais aucune n’en est revenue. Les dragons sont de fabuleux gardiens.
— Et maintenant, nous nous y rendons. Génial.
Il rit doucement. Je ne parviens pas à l’imiter et me contente de grimper la dernière marche de la pente. Là, l’obscurité nous accueille. Nous nous retrouvons sous l’épais rideau de feuilles d’un saule pleureur.
Toji me regarde. Je frissonne.
— Prête ?
Mes yeux s’écarquillent. Je ne réponds pas tout de suite, laissant un silence prendre place, seulement percé par un bruit continue d’eau, lointain.
— Tu veux dire que nous y sommes déjà ? Que, lorsque tu auras séparé ces feuilles, nous serons face à…
Ma voix meurt dans ma gorge et je déglutis péniblement. A vrai dire, non, je ne crois pas être prête. Car, même si la théorie selon laquelle les dragons nous ayant attaqués n’étaient qu’illusions se tient, je demeure angoissée.
— Tu peux toujours faire demi-tour, je ne t’en voudrais pas, murmure-t-il.
— Hors de question. Nous sommes venus ensemble et nous repartirons ensemble.
Il acquiesce. Puis, d’un geste sec, écarte les feuilles.
Je m’avance, curieuse, mais son bras se pose aussitôt sur mon ventre, m’empêchant de poursuivre. Un cri franchit mes lèvres et mes yeux s’écarquillent face à cette vision éthérée.
Le sol s’est retiré sous nos pieds.
Infini, un trou gigantesque est creusé dans le sol. Au beau milieu de la forêt, entouré d’arbres, un puit sans fond se perd dans les ténèbres. Large de plusieurs kilomètres de diamètres, ses parois sont couvertes de cascades diverses se perdant dans les ténèbres infinies du puits. Juste devant mes pieds, le gouffre surgit.
Je déglutis péniblement et m’accroche au bras de Toji.
— Je… Qu’est-ce que…
— Tu oublies que les dragons peuvent voler… Et les Anges aussi. Laisse-moi m’en occuper.
Je recule de quelques pas, le cœur battant encore à toute vitesse. Je n’avais réellement pas envisagé qu’un tel paysage se trouve derrière cet arbre. Pour cause, jamais aucun livre n’a représenté l’image de l’antre des dragons.
Des légendes existent sur ce lieu mais nul n’est capable de se le montrer. Je n’aurais jamais cru le voir un jour.
— Je… Oui, tu as raison.
Là-dessus, mes yeux le trouvent. Au même instant, Toji laisse tomber au sol son épaisse cape bordeaux, dévoilant son torse dénudé. Dos à moi, il fixe l’horizon en échauffant sa nuque. Ses muscles roulent quelques instants sous sa peau en une danse qui me captive bien plus que ce que je n’oserais jamais admettre.
Soudain, une ombre s’amasse à hauteur de ses omoplates. D’abord subtile, elle se fonce de plus en plus avant que des reliefs tirent sa peau. Puis, deux pointes la percent, à la manière d’épées.
Mes yeux ne peuvent se détacher de ce spectacle si singulier. Aussi noires qu’une obsidienne, les ailes se décomposent. S’articulant telles des griffes acérées, elles s’étendant sous la toile de sa chaire. Véritables créatures vivantes, elles n’ont de cesse d’évoluer, de se débattre.
Obscures, elles sont la part d’ombre qu’il cache. Les ténèbres qu’il ne révèle qu’en sa lumière, ce paradoxe éternel et inhérent à son être.
— Toji…
Il est magnifique.
— Oui ? répond-t-il dans un murmure rauque en se retournant.
A cet instant précis, quand je croise les abysses de ses pupilles, le puit qu’elles forment au milieu de l’étendu émeraude de ses iris, j’ai la sensation de l’avoir toujours connu. Dans toutes les vies. Ecoulées et à venir.
Il me semble qu’un lien s’éveille entre nous, m’attirant à lui. Mais je ne bouge pas.
Je demeure immobile, l’observant.
Debout, il se tient. Ses yeux m’observent sous la pluie de ses cheveux noirs. Ils guettent le mouvement des miens, la façon qu’ils ont d’observer son torse aux muscles saillants et les gigantesques ailes l’encadrant.
Leurs plumes, noires aux reflets bleu irisée, brille sous la lueur de l’aube.
— Ne me regarde pas comme ça, chuchote-t-il d’une voix raque.
— Comme quoi ?
— Comme si le monde ne se déchirait pas, autour de nous.
Ma gorge se fait sèche. Son regard louche sur mes lèvres.
Il avance. Je ne bouge pas. Il s’arrête devant moi et tend une main. Je le saisis. Là, avec grâce, comme si nous dansions, il m’attire contre son torse. Mon oreille trouve son pectoral brûlant. J’entends son cœur battre à toute vitesse.
L’un de ses bras s’enroulent autour de moi. Son autre main caresse ma tête.
— Allons mettre de l’ordre dans ce merdier.
Sur ces paroles, il se laisse tomber en arrière. Mes yeux se ferment et je me crispe contre lui. Sa chaleur m’enlise et ses ailes m’entourent, me plongeant dans l’obscurité.
Nous basculons dans le vide.
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il ne se passe pas
grand chose mais
c'est une transition
vers l'arc dragon
:)
j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
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