𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖𝟓



























𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  𝟖 𝟓






































           Jusqu’ici, les vapeurs de l’opium s’élèvent. Denses lueurs évanescentes, les lampes célestes flottent autour de moi. Leur lueur orangée ne semble qu’un songe au milieu de la brume enivrante.

           Assise, je fixe mon reflet. Devant moi, le miroir de la coiffeuse s’arrête à hauteur de mon ventre. Assise, mes doigts caressant le meuble taillé dans le bois, je déglutis péniblement. Nime dit que cet objet m’appartenait, avant.

           Ai-je déjà regardé ma personne ainsi ? Parcouru les détails du meuble de mes phalanges ? Dévisagé l’épaisse couche de sueur habillant mes traits ? Observé cette personne, au milieu des vapeurs ?

— Tu as peur ?

           La voix de Nime résonne, dans mon dos. Assise sur le lit impériale, une cascade de rideaux entourant ce dernier, je devine à peine sa silhouette. Celle-ci se découpe en une ombre maligne sur le tissu peu opaque.

           Dans le miroir, je la regarde, devine son sourire malicieux.

— Dix-huit ans… T’a-t-il dit que le temps paraissait long, quand tu n’es pas là ?

           Nime tire à nouveau sur sa pipe, ses cheveux noirs flottant autour d’elle.

— Il te suffit seulement d’un geste et tu sauras la vérité. Toji l’a sans nul doute déjà découverte, dans ses appartements.

           Nime, après une déclaration retentissante, nous a guidé chacun dans des appartements différents. J’ai fui le regard de Toji, sentant qu’il ne cessait de chercher le mien.

           Je ne sais plus où j’en suis.

           Seulement la cheffe nous a tendu à chacun un étui. Une flèche de la plus puissante des Sagittaires ayant jamais existé. La Prêtresse Noovcaharon.

— Je… Je ne suis même pas sûre de pouvoir encaisser un tel pouvoir, je ris doucement, paniquée.

           Mes doigts caressent l’étui de bambou. Il ne ressemble qu’à un très grand coffre à encens. Cependant, je sais qu’à l’intérieur se trouve une flèche.

— Explique-moi encore l’histoire de cette flèche, je chuchote.

— Tu doutes ?

— Je vais devoir me la planter dans le cou alors j’aimerais être parfaitement sûre de mon geste, oui.

           Sa silhouette se fige, sur le lit. Puis, doucement, à la manière d’un reptile, elle bouge. Un rire franchit ses lèvres.

           Venimeux, comme à son habitude. Le serpent qu’elle est me semble pourtant amicale. Je ne sais si l’opium me fausse.

           Seulement j’ai l’impression de pouvoir lui faire confiance.

— Notre très vénéré Héphaïstos, Dieu de la Forge, Métallurgie et des Volcans, a façonné trois flèches. Puis, il les a offertes à Novcaharoon qui les a toujours gardées dans son carquois, ne connaissant pas leur réel pouvoir.

           Je l’écoute patiemment. Mon cœur se fait lourd tandis que je caresse la boîte. Je n’ai absolument aucune idée de ce que je m’apprête à faire.

— Les flèches des sagittaires, comme tu le sais, permettent de sonder l’esprit. Une pour voir le passé. Une pour voir l’avenir. Une pour lire le plus profond d’un individu.

— Et comme cette flèche du passé a été créé par Héphaïstos lui-même, elle va me permettre de voir ma vie d’avant la cérémonie de l’Ash ?

           Elle acquiesce.

           Les mortels ne peuvent rien face au pouvoir des Dieux. Là est d’ailleurs la raison pour laquelle Hadès se souvient de celle que j’étais, auparavant. Héphaïstos possède sans doute aussi le pouvoir de me le rappeler.

— Plante cette flèche dans ton cou, et tu verras cette fameuse fois où Toji t’a demandé de tuer son épouse.

           Un frisson me parcourt à ces mots.

— Et quelle flèche lui as-tu donné, à lui ?

— Celle du présent. Qu’il prenne réellement conscience de qui il est. De la racine de sa colère envers toi.

           Mes yeux se ferment. J’acquiesce.

           Mes doigts caressent l’étui de bambou et je l’ouvre. La tige de bronze s’affiche à mes yeux, intacte et étincelante. Sa beauté n’a d’égale que sa puissance.

           Doucement, je la caresse.

— Es-tu capable de voir comment vont Egarca et Hector ? je demande. Je n’oublie pas pour quelle raison je suis là, à l’origine.

— Ils iront bien.

           Mes yeux se posent à nouveau sur cette silhouette, derrière les rideaux. Nime est décidément un bien curieux personnage.

           Sans poser davantage de question, je lève la flèche. Mes yeux se ferment tandis que je réfléchis quelques instants. Puis, je l’abats dans mon cou.

           Le choc. Ma poitrine se bloque. Mes yeux s’écarquillent. Mon reflet m’apparait, dans le miroir.

           Aucun sang ne coule, là où j’ai planté l’arme. Des filaments de lumière me traversent juste intégralement. Chauds, ils m’enivrent de la même façon que l’opium. Mes paupières se font lourdes. Elles tombent.

           Moi aussi. Je chute. Je m’effondre. Je tombe. Sans jamais atterrir.

           L’air est en suspens autour de moi. Je sens chaque pore de ma peau se dilater, laissant une puissante magie l’envahir.

           Mes yeux s’ouvrent enfin. Je suis debout.

           Il fait sombre, dans ce lieu. Les murs en tissu me laissent comprendre que je suis dans une immense tente. Un bureau trône sur l’herbe. Immense, des cartes, sphères et plumes le recouvrent.

           Soudain, on me traverse. Quelqu’un marche en moi sans réaliser ma présence. Je me fige en réalisant qu’il s’agit de Toji.

           Avec dix ans de moins, sans sa cicatrice à la lèvre et des cheveux longs noués en queue de cheval. Mais Toji tout de même.

           Il se range derrière son bureau, se tournant vers moi. Ses yeux se posent sur ma personne, presque brûlants.

— Tu ne vas pas me dire que tu refuses ? gronde-t-il.

           Il peut me voir ? Non, ce n’est pas possible…

— Et pourquoi j’accepterais, dis-moi ?

           Me retournant, je découvre ma propre silhouette. Debout dans l’encadrement de la porte, je rabats le tissu pour nous laisser de l’intimité.

           Aussitôt, des lampes célestes s’allument, découvrant ma longue robe noir parcouru de motifs d’or. Les paillettes sur mon visage me donnent l’allure d’une noble et un sceptre marque mes pas.

           Il s’agit de moi, à cette époque. Je suis en train de regarder mon propre souvenir de cette conversation.

— Une sisnasas se trouve dans mon clan. Je le sais. Je veux que tu la trouve et tu la tues, lâche-t-il.

— Quand je t’en ai parlé, il y a quatre mois, te disant que cette personne massacrait mes sephtis, tu n’as pas souhaité m’écouter…

           Celle que j’étais observe Toji, penchant la tête sur le côté :

— Qu’est-ce qui a changé ?

           Il déglutit péniblement, fixant un point, sur son bureau. Je m’approche de lui, mon sceptre ponctuant mes pas. Puis, à quelques mètres seulement, je cesse de bouger.

           Un sourire malicieux étire mes lèvres.

— Une pierre de lune ? s’enquis-je en désignant du menton l’artefact posé devant Toji. Tu sais pourtant que ce test est interdit ?

           Le test de la pierre de lune, mais bien sûr…

           Il consiste à déposer une pierre de lune dans le berceau d’un enfant. S’il a une once de magie en lui, le pouvoir de la pierre l’éveillera en quelque chose de si douloureux qu’il hurlera à plein poumon.

           S’il ne réagit pas à son contact, cela signifie que l’enfant n’a pas de pouvoir.

           Ce test est proscrit depuis que la douleur a causé des arrêts cardiaque chez certains nourrissons réagissant très mal à son contact.

— Ce n’est pas moi qui ai fait le test… Ma femme m’a dit que Megumi a quitté son berceau et que quand elle l’a retrouvé, il jouait avec une pierre… Sans le moindre mal.

— Megumi est un sephtis…, conclut celle que j’étais.

           Les poings de Toji se serrent. Il frissonne.

— Je ne peux pas élever un enfant sephtis dans un village où une sisnasas se trouve. Il ne survivra pas, chuchote-t-il.

— Alors quand mes gens étaient tués, ce n’était pas grave, je devais juste « renforcer la sécurité de mon village » mais maintenant, tu me sommes d’agir ? Et pourquoi tu ne les tuerais pas, toi ?

           Le noiraud se fige. Ses sourcils se froncent et il observe son interlocutrice, consterné.

— Comment ça, « les » ?

           Je ne réponds pas.

— Combien de sisnasas y a-t-il dans mon village ? tonne-t-il.

           Je reste silencieuse.

— Te rends-tu compte du danger qu’encourent mon fils et ma femme ? gronde-t-il. Réponds-moi ! Combien sont-t-elles et qui sont-t-elles ?

           Je ne dis rien. Il soupire.

— Ecoute, je vais quitter le village demain soir. Les femmes resteront ici. Alors, s’il-te-plaît…

           Son regard se fait implorant.

— Tue-les. Protège mon fils et je t’en serais éternellement reconnaissant. Tue chaque sisnasas se trouvant dans ce village.

— Je crois que tu n’as pas idée de qui tu me demandes d’assassiner.

— Je m’en fous.

           Ses poings se serrent sur sa table et il me dévisage. Ses yeux écarquillés, injectés de sang, me fixent.

— Il y a seize sisnasas dans ton village mais je ne sais pas si elles s’en sont toutes prises au mien, je…

— Je m’en fous ! Tue-les toutes ! Je n’ai pas agi à l’époque alors je te laisse le faire !

           Il soupire. Sa voix se fait aigüe, comme éreintée, lorsqu’il lâche :

— Je t’en supplie, protège mon enfant.

— N…

— Je me fiche de qui elles sont ! Ecoute, je connais chaque personne dans ce village et j’ai refusé d’agir à l’époque car je suis proche de toutes les femmes d’ici !

           Un frisson me parcourt.

— Moi, je n’arriverais pas à les tuer. Alors ne me dis pas de qui il s’agit. Tue-les. S’il-te-plaît.

           Je me vois hésiter un instant. Puis ma tête hoche de haut en bas.

— Bien, Toji. Je les tuerais.






































j'espère que ce chapitre
vous aura plu !

du coup, on en a enfin
l'explication
:)





















































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