𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖𝟑











𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄  𝟖 𝟑



































           Les tâches brunes ornent les feuilles écarlates en singulières pétéchies. Mon regard s’attarde sur la peinture que l’automne dresse face au joug de l’hiver. Ce dernier laisse ses premières victimes craquer sous mes pieds.

           Pétrichor.

           La façon qu’a la terre humide de se soulever en un doux parfum. L’inspirant pleinement, je laisse mes poumons s’emplir de cette enivrante fragrance. Mes paupières se rejoignent quand mes paupières se ferment.

           Là, cet instant. Cette graine dans le sablier. Cette unique seconde. Je la veux. Toute entière. A jamais.

           Dieux, que j’aimerais figer le temps.

— Tout va bien ?

           Délicat, le murmure de Toji me trouve. Ouvrant à nouveau les yeux, je remarque qu’il s’est arrêté de marcher. Tourné vers moi, il attend que je le rejoigne.

           Notre guide, lui, continue d’avancer.

— Je ne sais pas trop, je réponds en regardant autour de moi.

           Les arbres se succèdent en une forêt florissante. Il fut un temps où je serais parvenue à me réjouir de ce spectacle si simple et pourtant si beau.

           Seulement mes pensées ne parviennent à quitter ce char, abandonné au milieu de la forêt.

           Toji ouvre la bouche, semblant prêt à parler. Je le devance :

— Allons-y.

           Puis, le dépassant, je rejoins Eunik. Ce dernier poursuit sa route sans nous accorder le moindre regard. La pierre dans ma poche est lourde tandis que je marche.

           Le noiraud hésite un instant avant de me rejoindre. Calquant son pas sur le mien, il marche juste à côté de moi.

— Mon village est éloigné dans la forêt. Ils sauront vous accueillir pour la nuit.

— Votre attention nous touche énormément, je réponds à l’éclaireur. Seulement nous devons nous rendre vite dans la capitale de l’Empire.

           Egarca et Hector n’ont sûrement pas le temps de nous voir nous détendre dans des lits. Il nous faut trouver des Taureaux le plus rapidement possible.

— Il y a-t-il des Taureaux, dans votre tribu ? demande Toji. Nous vous paierons ce qu’il faudra.

— Ce n’est pas à moi de fixer les prix, réponds l’éclaireur. Je vous laisserais en débattre avec notre cheffe.

           Je sens que le noiraud s’apprête à protester. Seulement, posant une main sur son bras, je lui fais signe de se taire. Nous ne sommes décidément pas en position d’exiger quoi que ce soit.

           Si la coutume veut que nous nous adressions à sa cheffe, là est ce que nous ferons.

— Parfait. Merci de votre hospitalité.

           Me tournant, je croise le regard smaragdin de Toji. M’attendant à un agacement, je le fusille d’ores et déjà de mes yeux. Seulement les siens s’avèrent plus doux que ce à quoi je m’attendais.

           Il me couve même avec un certain amusement.

           Surprise, j’ôte ma main de son bras comme si ce dernier me brûlait. Reculant de plusieurs pas, j’avance jusqu’à talonner notre guide. Puis, ignorant les yeux brûlants de l’homme posés sur ma nuque, je poursuis ma route.

           Le reste du trajet se fait dans un silence prenant. Pesant sur nos épaules, il laisse place au moindre son autour de nous. Chaque craquement de brindille résonne à la manière d’une menace.

           Un frisson me parcourt.

           Je ne saurais dire depuis combien de temps nous marchons, dix minutes ou dix heures. Seulement Eunik s’arrête soudain à hauteur d’un chêne. Un splendide arbre parcouru de feuillages verts. Le seul de la forêt.

           Se tournant vers moi, il me désigne du menton :

— Vous ne pouvez pas garder cela près de notre tribu.

           Je devine qu’il parle du masque. Seulement, si les Dieux apprennent que Toji connait mon identité, je peux faire une croix sur mon avenir.

— Je…

— Navré. Nous pouvons venir en aide aux étrangers mais pas aux étrangers masqués. Nous avons un instinct de survie, insiste l’éclaireur.

           Mes doigts sont tremblants lorsqu’ils se posent sur le masque. Je n’ai, de toute façon pas le choix. Le noiraud connait déjà mon identité et la suite de la mission dépend de ce geste.

           Alors, ignorant mon estomac se retournant, j’ôte le bec de corbeau.

           Il fait soudain moins chaud. L’air frais caresse ma peau couverte d’une couche de sueur. L’homme saisit mon masque qu’il range dans un bosquet, caché.

           Puis, il regarde à nouveau mon visage :

— Vous ressemblez énormément à une personne que notre peuple a connue.

           Mes muscles se raidissent et mes sourcils se haussent. Ce pourrait-t-il que j’aie une famille ? Des parents que cette tribu a rencontrés ?

           L’homme m’observe plus longuement encore. Aucune malveillance ne berce son regard, seulement une curiosité qui plisse même l’espace entre ses sourcils.

           Au bout d’un moment, la paume de Toji se pose dans le creux de mon dos. Je me raidis au contact de cette chaleur et remarque que l’éclaireur lève les yeux sur mon compagnon.

           Un instant, je crois voir de la peur briller dans ses iris. Puis, il se reprend aussitôt :

— Allons-y.

           Frissonnant, il pose une paume sur le tronc du chêne. Aussitôt, l’air se froisse. Comme s’il n’était qu’un drap invisible, une cape enveloppant la forêt.

— Une illusion ? je demande. Nous portons pourtant la pierre œil-de-taureau.

— Et je n’ai rien vu de cette illusion malgré mes origines.

           La voix sombre de Toji me laisse entendre qu’il n’apprécie pas vraiment de découvrir qu’il existe bien des formes de magies face auxquelles il est impuissant.

           L’homme secoue la tête.

—  Les Anges sont, dans la hiérarchie divine, au-dessus des hommes. Alors vous pouvez voir les illusions faites par les hommes mais les pouvoirs des Dieux demeurent au-dessus des vôtres.

           Je déglutis péniblement.

           Toji et moi échangeons un regard. Nous deux avons très bien compris ce que signifient ces quelques mots déclarés d’un ton léger.

           La personne qui s’en prend à nous est un Dieu. Là est la raison pour laquelle Toji ne s’est rendu compte de rien malgré son statut d’Ange.

           La Discorde ? Ou une divinité que nous aurions froissée ? Arès ? Pour me tester ? Être sûre que je suis digne d’être un Ange ?

— Est-ce Morphée qui a créé ce drap qui enveloppe votre village ? je demande. Dans ce cas, pourquoi les pierres te permettent de voir que nous n’étions que deux, dans le char, mais elles ne nous ont pas aidé à réaliser qu’il y a une illusion, là ?

           L’éclaireur sourit. Je saisis la pierre dans ma poche. Elle semble pourtant authentique. Elle devrait me permettre de surpasser des illusions.

           Pourquoi ne fonctionne-t-elle pas, là ?

— Morphée a bénit notre village, déclare-t-il. Le Dieu de l’Illusion et du Sommeil sait que nous n’utiliserons jamais ses ressources à mauvais escient.

— Qu’essayes-tu de dire ?

— Les pierres dans votre poche ont été béni par Morphée. Il s’agit d’un outil qui peut donc déjouer le pouvoir des divinités. Là est la raison pour laquelle j’ai vu que vous n’étiez que deux, dans ce char.

— Alors pourquoi, malgré les pierres, je ne peux pas voir ton village ? demande Toji.

           L’éclaireur rit doucement.

— Pourquoi Morphée créerait un talisman capable d’annuler sa propre magie ? C’est lui qui a créé l’illusion nous rendant invisible.

           En effet, cela est logique.

           Cette conversation m’en a appris beaucoup sur le char. Tout d’abord, un Dieu se cache derrière notre infortune et ces illusions. Mais ce Dieu n’est pas Morphée, sinon, l’éclaireur aurait aussi été berné par l’illusion, malgré le fait qu’il porte ces pierres.

— Et bien, on n’est pas sortis de l’auberge, lâche Toji.

           Eunik sourit avec empathie. Derrière lui, l’air continue de se froisser sans ne jamais rien révéler du village. Mes sourcils se froncent.

— Qu’attendons-nous ? je demande en fixant l’illusion se tordant.

— Le village ne peut pas ouvrir ses portes à n’importe qui. J’ai accepté d’amener l’étranger que monsieur est car il parle notre langue mais…

           Eunik pose les yeux sur moi :

— Je ne sais pas si vous êtes originaire des Terres Ancestrales. Nos lois interdisent de laisser quelqu’un d’un autre continent entrer à moins que…

           Je soupire. Avec tout ce remue-ménage, j’ai effectivement oublié cette coutume.

           Les livres renseignent sur les multiples stratégies qu’ont déployé les tribus pour survivre. Interdire leur sol aux personnes ne voulant pas leur bien en était une. Ils délimitaient ces personnes par leur origine.

           Selon les lois, quelqu’un venant de chez eux n’aura jamais volonté de les asservir. Contrairement à quelques de l’extérieur.

           Il s’agit sans nul doute de la théorie la plus stupide. Il en existe un paquet, des chefs de tribus qui ont vendu leur propre clan contre la certitude qu’eux et leur famille ne seraient pas réduits en esclavage.

           Seulement, si là est leur coutume, je me dois de la respecter.

— Donc je suppose que je dois rester dehors le temps que Toji aille…

— Il en est strictement hors de question, oppose l’intéressé.

           Eunik semble mal à l’aise lorsque, grattant son coude, il penche la tête sur le côté :

— Monsieur, je suis navré mais je vais devoir insister. Nous devons le faire, pour notre protect…

— C’est bon, Eunik, laisse-les entrer, retentit soudain une voix, de l’autre côté du drap invisible.

           L’intéressé se raidit avant de se tourner vers la frontière. Quant à moi, je me tourne vers Toji qui me regardait déjà.

           Je suis sûr qu’il a aussi reconnu cette voix.

— Monsieur, je ne sais pas si votre sœur…

— Les avis de ma sœur sont les miens. Laisse-la entrer. Surtout que ça fait un bail que je n’ai pas vu sa petite tête de sephtis.

           Eunik semble se raidir à ce dernier mot.

           Le drap transparent tremble soudain avec plus de ferveur, comme si quelqu’un le traversait.

— Vous… Vous les connaissez ? demande l’éclaireur.

           Brusquement, un pied jaillit du néant. Autour de ce membre glissé dans une geta de bois, le drap invisible s’agite. Une jambe habillé d’un très large pantalon noir se fait visible.

— Si je les connais ? répète cet homme que je n’aurais jamais cru revoir un jour.

           Un rire insiste.

           La hanche de l’homme apparait, parée d’un sabre. L’autre jambe suit ainsi qu’une hanche. Au-dessus d’elle, une épaisse ceinture de cuir plaque le kimono écarlate qu’il porte.

           Ce dernier apparait entièrement en même temps que le visage malicieux de son propriétaire.

— Evidement que je les connais, murmure-t-il en esquissant un sourire de ses lèvres fines, quelques mèches s’échappant de son chignon dansant devant ses yeux noirs.

           Je n’arrive pas à le croire. Mais il nous fait face.

           Yevhen. L’ancien Prêtre Bélier.











































bon, la nouvelle màj
flingue la mise en
page mais

j'espère que ce chapitre
vous aura plu quand
même !





































































Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top