𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖𝐎
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟖 𝐎
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Je ne sais pour quelle raison Toji ment. Je ne juge pas très utile de le savoir. Nous avons bien plus important à faire, pour l’heure.
De toute façon, quoi que l’avenir nous réserve, le fait qu’il ne dise rien connaitre de mon identité peut préserver mon statut. Je ne retournerais peut-être pas aux Enfers, de cette façon.
Enfin, cela est sans compter le danger qui nous guette présentement.
— Même dans la mort, ils continuent de me saouler.
— Qui ? je demande à Meevha, ma torche illuminant nos pas tandis que nous progressons.
— Les abrutis se prenant pour des mages. J’ai sérieusement d’autres chats à fouetter.
Son regard s’attarde sur Toji. Debout devant nous, il mène la marche. Sans la lueur de la flamme que je tiens, il avance. J’étais pourtant censée occuper le poste d’éclaireur, m’avançant pour prévenir du danger.
Seulement, il n’a de cesse de me doubler.
— Sais-tu seulement ce que tu feras là-bas, Ange de la Mort ?
La question de Meevha cingle l’air à la manière d’une gifle. Sa langue claque contre son palais et elle siffle presque ces paroles.
Un instant, je m’attends à déceler une lueur provocatrice dans ses yeux. Elle serait bien du genre à ne dire cela que pour peiner le noiraud.
— Ton amie d’enfance ou ton fils ? Je suppose que la réponse est évidente.
Il est vrai, Egarca et Toji sont proches. Seulement cela comptera-t-il, face à Megumi ? Comment les Dieux peuvent être sûrs qu’il se rangera si aisément du côté des Evilans ?
Soit, les jours passent et je reconnais de moins en moins cet homme. Seulement il y a quelque chose qui ne meurt pas chez lui, quitte à l’empoisonner.
Il voue une loyauté indéfectible à sa famille. De la libération de Lycus ayant engendré son décès à sa demande de me suicider au combat, tout n’a jamais été motivé que par l’envie de protéger ou venger son enfant.
Un enfant qu’il n’a pas connu.
— Pourquoi Megumi fait-t-il cela ? je demande soudain.
S’il continue de marcher, Toji lève la tête. Ma question a retenu son attention. Celle de Meevha aussi qui hausse les sourcils.
— Je me contrefiche de ses raisons. J’ai prêté allégeance à la reine alo…
— L’indépendance, la coupe Toji.
Je cesse de marcher. Il m’imite. Seulement il ne retourne pas.
Un instant, cela me démange. J’aimerais retourner dans ce couloir, avant que tout ne bascule. J’aimerais qu’il saisisse à nouveau mon visage en coupe. J’aimerais qu’il m’embrasse. J’aimerais que Sullyvan ne soit jamais venu. J’aimerais figer les graines du sablier.
Qu’il me regarde.
Sans haine. Sans colère. Sans mépris. Sans souvenir. Sans savoir.
Qu’il me regarde, tout simplement.
— La famille Evilans a protégé les tribus du désert de l’Empire mais les a tout de même annexées à ce dernier. Soit, les populations n’ont pas fini en esclavage ou vente d’êtres humains…
— Mais ils lui doivent des comptes, obéissent à ses lois et lui payent des taxes, je chuchote.
Je comprends leur frustration. Je n’avais jamais réellement réfléchi à leur sort, trop obnubilée par celui des sephtis.
— Egarca contribue aussi largement à leur développement, défend Meevha. Les partenaires commerciaux, progrès technologiques, les…
— Ecoute, je m’en fiche. J’énonce juste les faits. Les tribus de chez moi sont indépendantistes. Elles n’ont jamais digéré ce que les Evilans ont fait.
Je me doute que voir un empire gigantesque menacer leur liberté puis se croire sauver par un clan qui finit par s’emparer de l’empire et nous annexer quand même doit susciter quelques frustrations.
Il s’agit, ni plus, ni moins, que d’une trahison.
— Hector ne mérite pas de mourir pour ça, objecte Meevha.
Toji soupire, haussant les épaules.
— Les sols des champs de bataille en sont tapissés.
— De quoi ?
— De gens qui ne méritaient pas de mourir pour ça.
Quelques images de l’Île Lycus me reviennent. Mes pieds pulsent, pourtant immobiles, comme si je courrais à nouveau le long de cette colline. Je déglutis péniblement.
Seulement je me résous à poser la question brûlant mes lèvres :
— Toji, sois honnête avec moi. Que comptes-tu faire, une fois que tu seras devant Megumi ?
Le regard qu’il pose sur moi me gifle presque. Froides, ses iris ne sont véritablement plus que deux émeraudes. Puissantes pierres glaciales.
— Pourquoi ? Tu comptes le tuer aussi ?
Ne répondant pas, je me contente de le dépasser. A sa hauteur, je lui flanque un coup d’épaule qui est sûrement plus douloureux pour moi que pour lui.
Puis, je m’en vais. Ma torche vacillante illumine les marches de l’escalier.
— Il faut mettre la main sur cette garce d’imposture avant de croiser les dragons, je déclare pour changer de sujet.
M’éloignant, je garde mes distances. Sans doute Meevha s’imagine-t-elle que je suis assez loin d’elle pour ne pas l’entendre car elle demande soudain à voix basse :
— Tu m’expliques pourquoi tu tiens tant à blesser la femme que tu aimes ?
Faisant mine de n’avoir rien entendue, je lève la torche afin d’illuminer le mur. Et, prétendant être en proie à une profonde observation de ce dernier, je tends l’oreille.
Espérant une réponse.
— Je n’ai jamais rien fait pour Megumi. Ne pas épouser la femme qui a tué sa mère serait le minimum syndical, n’est-ce pas ?
— Et tu crois sérieusement que c’est en faisant mine de la haïr que tu la haïras pour de vrai ?
Un frisson parcourt mon échine. Le problème avec Toji est qu’on ne sait jamais sur quel pied danser. Il a cru m’aimer puis son âme a flétri, ne laissant que de la haine. Recouvrant ses sentiments, il s’est découvert une colère qui n’a fondu que lorsque je suis morte dans ses bras.
Maintenant, il ne montre que de la colère. Or il prétend ressentir autre chose ?
Qu’il aille se faire foutre.
J’ai bien mieux à faire que de m’occuper de quelqu’un qui ne peut s’occuper de lui. Alors, quand bien même j’ai mal, malgré mon envie de m’enfermer dans ses bras dès que le froid soulève ma robe, bien que son lit m’appelle, tard le soir, je ne lui ferais pas le plaisir de revenir vers lui.
Je comprends qu’entre son fils et moi, le choix soit fait. Mais qu’il n’aille pas pleurer dans les robes de Meevha.
— Magnez-vous. On ne taille pas le bout de gras, je vous signale. On a une abrutie à trouver.
Toji me fusille du regard et Meevha esquisse un sourire venimeux. Je vois… Elle savait pertinemment que je les entendrais.
Quelle vipère.
— Je t’interdis de…
Ma voix s’étrangle brutalement quand mes yeux s’écarquillent. Je n’ai que le temps de voir l’horreur traverser le regard de Toji. Il s’élance vers moi.
Trop tard.
Une main s’est refermée sur ma gorge. Les griffes se sont plantées dans ma gorge. Un geste de plus et je meurs.
— ARRÊTES ! je hurle à Toji.
Un pas de plus. Un seul. Et la personne dans mon dos m’égorgera de ses ongles.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine et ma voix s’étrangle. Une perle de sang coule le long de ma peau. Un souffle glacé, mordant presque ma nuque, vibre contre celle-ci.
— Voilà une femme bien sage, rit un homme.
Cette voix m’est inconnue. Seulement, à la lueur de ma torche, je reconnais les bracelets sur ses bras.
Il s’agit de l’esclave qui s’est transformé en minotaure.
Bon sang, combien sont-t-ils, au juste ?
— Avance, Toji, et je l’égorge.
La mâchoire de l’intéressé se contracte.
— Touche à un seul de ses cheveux et je…
— Quoi ? Tu vas faire quoi ? D’autres reproches ? cingle la voix venimeuse.
Cette dernière ricane. Je déglutis péniblement, alarmée.
Soudain, je ne sais trop pour quelle raison, mes yeux se lèvent.
Dépassant Meevha et Toji, ils se posent sur cette cage d’escalier. Plus précisément, sur la large fenêtre donnant sur l’extérieur. La lune ne brille plus. Ses rayons ne percent plus la vitre.
Il n’y a que l’obscurité.
Derrière le cadran, les ténèbres sont parcourues de détails. Je réalise soudain que la fenêtre ne donne pas sur le ciel, comme si quelque chose était collé à cette dernière. Une paroi… semblable à une peau de reptile.
Mon cœur se soulève.
Juste devant la fenêtre, la peau de reptile s’est ouverte en deux. Laissant voir une sphère aux milles et un détail, immense.
Un œil de dragon.
— Enfin, ricane mon preneur d’otage.
Les deux se tournent vers la fenêtre. Derrière elle, la pupille du dragon se rétracte, regardant l’intérieur de la salle. Son œil nous observe, comme s’il venait tout juste de quitter son sommeil.
Un dragon…
— Enfin, ils se réveillent.
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j'espère que ce chapitre
vous aura plu !
on passe à l'action...
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