𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 8
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NOUS N’OSONS remuer. Figés, Ménélas et moi échangeons un long regard, presque douloureux, en réalisant ce qui est en train de se passer. La scène qui se forme à présent compte sans doute parmi les plus étranges de ma vie.
En me levant ce matin, jamais je n’aurais imaginé que, quelques heures plus tard, je me tiendrais debout dans le manoir du duc Fushiguro, seigneur de ces terres, juste à côté de ce qui ressemble à un cadavre — et n’est pas loin de le devenir — ainsi que d’un animal figurant parmi les plus dangereux de la région.
— Ne me dites pas que vous avez perdu votre langue…, susurre une voix d’un air énigmatique et presque amusé.
Mon regard se pose sur le quadrupède. Son visage arrondi est tourné vers moi tandis que ses yeux irisés me détaillent. Si Ménélas peut m’adresser la parole par la pensée, l’inverse n’est pas possible.
Or, la seule chose qui me rassurerait, en cette situation, serait de pouvoir dire au chat de s’en aller discrètement, courir loin du domaine.
A présent, il est assis derrière un chariot garni de fioles. Je devine que l’homme dans mon dos n’a pas remarqué sa présence et il en est mieux ainsi. La plupart des hommes de pouvoir sont des gros bourrins amateurs de chasse et qui feraient n’importe quoi pour satisfaire leur égo.
Une prise telle qu’un chat forestier, félin ayant tué bien des hommes au cours des dernières années, serait du plus bel effet.
— Allons. Je n’aime pas me répéter.
J’entends l’amusement quitter sa voix, fondre lentement. Le silence s’éternisant ne lui plaît pas, je peux le sentir.
Comme n’importe quel crétin doté de quelques aptitudes, il s’indigne de ne pas me voir courber l’échine.
Je me fige. Dans mon dos, je l’entends se déplacer. Il approche, ses chaussures cognant le sol et son ombre se découpant à la lueur des quelques torches. Sous mes yeux, Ménélas ne bouge pourtant pas.
Il est hors de question que ce duc ivre de pouvoir s’aperçoive de la présence du quadrupède.
— Je ne m’excuserais par d’avoir soigné une femme en détresse. Elle était sur vos terres, sous votre protection. Vous ne devriez donc même pas attendre que je me répande, confuse, en vous demandant pardon.
Un léger rire résonne. Grave, il provoque un frisson qui parcourt mon échine.
— Retournez-vous. Et ne vous avisez même pas de me faire répéter.
Au moins, il a cessé d’avancer. Ménélas est toujours caché, tapis derrière ce chariot. Bien. Qu’il continue de se concentrer sur moi, furieux face à mon insolence.
Je m’en voudrais à jamais s’il arrivait quelque chose à mon ami en ma présence.
Dans un soupir à peine perceptible, je finis par m’exécuter. Me retournant, j’abaisse la capuche que j’avais ramené sur ma tête dans un réflexe désespéré. Mon visage se découvre et je pose les yeux sur le duc, découvrant l’homme qui règne en maître sur ses lieux.
Mon cœur se serre brutalement dans ma poitrine et mes entrailles se soulèvent.
Coruscantes, deux émeraudes scintillent. Cristaux de terres, ils dansent autour de deux obsidiennes sibyllines, deux pupilles ténébreuses. Au-delà, formant une sclère dont on aimerait se fioler, un lac d’ivoire s’étend, parfois percé d’éclats rubiconds. Finalement, telle une délicate ondée, des cils de charbon tombent en une valse inénarrable.
Il ne s’agit pourtant que d’un regard. Presque une remembrance. Deux yeux smaragdins.
Mais quels yeux. Ô, Aphrodite ! Quels yeux…
— Bien. Nous nous voyons enfin. Je connais donc le visage de l’imprudente s’étant aventurer ici. Dites-moi qui peut se montrer assez stupide pour croire que mon manoir est à sa disposition lorsqu’il le souhaite ?
Un craquement résonne en moi. Le charme s’est rompu.
Cet homme n’est finalement qu’un con.
— Il me semble assez évident, je lâche d’une mine pincée en désignant le corps étendu sur la table de bois, que je suis venue guérir une femme mortellement blessée.
— Quelle belle excuse pour pénétrer les terres d’un duc sans son autorisation…, susurre-t-il.
Ses paroles, il les accompagne d’un sourire en coin qui me permet de remarquer la cicatrice barrant ses lèvres. Je ne suis pas bien surprise par cette vision.
Un emmerdeur pareil s’est forcément déjà fait cogner dessus.
— Je possède un laisser-passer signé par un fonctionnai…
— Qui vous autorise à vous présenter aux portes de mon manoir et non vous téléporter ici.
— Cette femme était en train de mourir !
— Elle est toujours en train de mourir, je vous signale ! tonne-t-il en la pointant du doigt. Mais maintenant, elle a empuanti mon laboratoire !
Je t’avais dit qu’elle puait. C’est sûrement l’odeur qui attiré le duc.
Ignorant les mots d e Ménélas, je pousse un soupir. Mon regard se pose sur la femme. Sa poitrine se soulève à un rythme régulier, bien qu’elle soit recouverte d’un cataplasme assez lourd. Je pense pouvoir espérer que mes soins porteront leurs fruits.
Il me faut quelques secondes pour me maitriser. Il n’est pas nouveau que les hommes de pouvoir n’ont que peu de considération pour les petites gens. Je ne suis pas bien étonnée de découvrir que le seigneur de ses terres aurait préféré laisser cette femme périr devant son domaine plutôt que de prendre le risque de salir ses pièces. Je ne devrais pas me mettre en colère. Je connaissais les risques.
A présent, je dois simplement convaincre un idiot égoïste que j’ai en réalité agis dans son intérêt. Sur mes épaules, une cape grise gît, serrée d’un fil dans lequel est glissé ma serpe d’or. N’importe qui peut voir que je suis un druide.
Et les druides sont connus pour être en symbiose avec les dieux de l’Olympe. Or les seules entités que craignent les hommes de pouvoir comme ce duc sont précisément ces déités. Il me suffira de les mentionner pour apaiser cette situation.
— Je suis une femme de foi et de soins. Jamais les dieux n’auraient toléré que je ne fasse pas tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver une femme. En l’amenant ici, je me suis servie de votre manoir pour préserver une vie. Les dieux sauront vous en être reconnaissants, je souris.
Mon rictus n’a rien de sincère. Mais cet enfoiré ne me regarde même pas, préférant observer autour de lui.
— S’ils m’en sont si reconnaissants que ça, vous pouvez leur demander de descendre de leur petite montagne pour me nettoyer le bordel que vous venez de mettre ?
— Comment osez-vous !? je m’exclame, courroucée.
Passant une main dans les cheveux d’ébènes tombant sur son front, il soupire, visiblement las.
— Ecoutez, j’ai beaucoup mieux à faire que de parler avec une bouffeuse de fougère. Alors, si vous ne voulez pas finir au trou pour effraction, vous allez me nettoyez votre merdier, cingle-t-il. Mais si c’est trop dur, vous n’avez qu’à demander à vos petits potes un coup d…
— VOUS NE PARLEZ PAS DE VOS COPAINS DE BEUVERIES MAIS DES DIEUX DE L’OLYMPE ALORS SURVEILLEZ VOTRE LANGAGE, ABRUTI !
Le silence tombe. Quelques instants durant, nul ne parle. Le duc se contente de me regarder, ses mirifiques yeux réduits à l’état de fentes.
D’ordinaire, je suis capable de davantage de retenue. Cependant, je ne puis tolérer l’affront qu’il vient de commettre envers mes dieux. Et s’il les insulte, je ferais de même.
Soudain, il fait un pas en ma direction. Par fierté, je demeure immobile, le regardant s’approcher. Il me semble qu’il sourit en me voyant faire. De façon presque imperceptible.
A présent devant moi, son corps frôle le mien. Je lève les yeux pour les planter dans les siens. Nos poitrines se touchent presque. Une chaleur densifie l’air, le rendant difficilement respirable.
Sa voix résonne comme un râle lorsqu’il chuchote, juste devant moi :
— Ne me reparlez plus jamais de la sorte.
Je ne réponds pas. D’une part, il est hors de question que je courbe l’échine. De l’autre, si je souhaite demeurer en vie, je ne peux pas continuer à lui tenir tête.
Qui sait ce que cet abruti serait capable de me faire, par simple désir de montrer l’exemple ? De faire de moi un spectacle éducatif ? Prévenir du danger qu’encourent ceux qui osent le défier ?
Face à mon mutisme, il sourit. Il sait pertinemment pourquoi je demeure silencieuse. Alors, son rictus narquois aux lèvres, il penche la tête sur le côté avant d’ordonner :
— Parle. Réponds.
Il est hors de question que j’acquiesce à ses dires. Mais je dois lui obéir. Alors le mieux est de changer complètement de sujet de conversation.
— Ce mépris des dieux me semble presque… Personnel.
Une ombre voile soudain ses iris. Je la vois nettement. Mais elle s’envole dès que j’ajoute :
— Seriez-vous un sephtis ?
Dans ma poche, je referme la main sur mon obsidienne, prête à la dégainer à tout moment pour me défendre. Les sephtis sont considérés comme le déchet de la chaine alimentaire, les repus de l’Humanité. Alors regarder un homme de pouvoir dans les yeux et lui demander s’il est des leurs revient à signer son arrêt de mort.
Cependant, un rire traverse ses lèvres. Grave. Moqueur.
— Un sephtis ? répète-t-il. Je vous en prie. J’ai tout de même une certaine valeur.
— Il existe des sephtis qui ont fait de grandes choses.
— Mourir bêtement n’est pas exactement ce que je qualifierai de grande chose.
Mon sang ne fait qu’un tour. Je tente de dissimuler le mieux possible la chaleur qui embrase le moindre de mes nerfs. Inerte, je n’affiche aucune expression.
Cependant, il insiste :
— Parfois, mourir a un certain panache, je le conçois… Mais lorsqu’il s’agit des sephtis, tout n’est toujours que ridicule et pathétique.
Je déglutis péniblement. Quelques images d’une autre vie me reviennent en mémoire, tels des éclats de lumières.
Ce soir-là, le sang couvrait la vallée.
— En revanche, ce qui est grand est le nombre de morts chez eux, je peux le reconnaitre, lâche-t-il dans un rire sombre. Parfois, je me demande si Hadès n’a pas passé un pacte avec les Douze Prêtres. Six pour le prix d’un ! Emballer c’est…
Sa voix meurt dans un claquement sonore. Ma main vient de siffler l’air, menaçante, avant de percuter sa joue. Elle demeure levée dans le ciel, brandie fièrement tandis que sa tête, basculée sur le côté, rougie à l’endroit de l’impact.
Il met quelques secondes avant de réagir. Je devrais paniquer, me dire que cela va me coûter cher. Mais je suis bien trop furieuse pour avoir une quelconque pensée rationnelle.
Soudain, sa main se referme brutalement sur mon poignet. Le contact est ferme, presque brûlant. Je m’étrangle quasiment tandis qu’il tire dessus, m’approchant encore plus de lui.
Ses yeux écarquillés laissent voir sa fureur.
— Tu n’aurais jamais dû faire ça, cingle-t-il. Tu vas me le payer très cher, crois-moi.
Je ne baisse pas les yeux ni ne montre le moindre signe de peur. Ma colère est encore trop grande.
— Je crains l’Olympe, pas ses réfractaires. Je suis une servante des dieux et des morts, jamais je ne vous laisserai leur manquer de respect. Qu’importe si vous êtes habillé d’or ou de guenilles, retenez bien cela.
Sa mâchoire se contracte et ses pupilles se dilatent. Je peux sentir la chaleur de sa rage. Sa main serre un peu plus mon poignet. La prise est douloureuse mais je ne réagis pas.
— Je ne m’agenouille ni devant les Hommes, ni devant les dieux. Et encore moins devant les druides.
Malgré la souffrance, j’émets un rictus amusé. Presque condescendant.
— Alors je vous apprendrais à le faire.
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voici le huitième chapitre
de cette nouvelle fanfiction !
ENNEMIES to lovers mdrr
j'espère que ça vous aura
plu !
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